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Criminaliser la prostitution n’est pas une solutionMarie-Neige, Tuesday, April 15, 2003 - 16:29
Stella
Jusqu’à maintenant, dans le débat–récurrent- sur la prostitution, le son de cloche dominant qui s’est fait entendre est celui des abolitionnistes (par exemple la position du Conseil du statut de la femme en mai dernier et, en mars, celle de Yolande Geadah avec son livre La prostitution un métier comme un autre? VLB, 2003). Il nous semble important que l’autre partie au débat, celle des associations de défense de droits de travailleuses du sexe, puisse aussi faire entendre le sien. La suite ici Lire aussi : La réapparition périodique du débat sur la prostitution – en mai dernier avec la parution de l’étude du Conseil du statut de la femme ( La prostitution : profession ou exploitation?) , et en ce moment à l’occasion de la publication de La prostitution, un métier comme un autre? de Yolande Geadah - ne doit pas nous leurrer : il ne s’agit ni d’une nouvelle approche de la question, ni d’une perspective neutre. On assiste plutôt au recyclage de vieux postulats de base de l’approche abolitionniste de la prostitution, fondée sur la criminalisation et la répression. À cette occasion, l’organisme Stella, qui lutte contre la discrimination et la violence faites aux prostituées, en leur offrant entre autres entraide, soutien et information, tient à apporter son éclairage, afin que plus d’un seul son de cloche se fasse entendre. Dans ce débat, en lieu et place de la criminalisation et de la répression prônées par les abolitionnistes, Stella promeut plutôt la décriminalisation des métiers du sexe et propose une stratégie de défense des droits des prostituées. À Stella, nous savons que la criminalisation et la judiciarisation mettent la vie des travailleuses du sexe en danger. C’est ce que nous sommes à même de constater tous les jours. Abolitionnisme = criminalisation Rappelons d’abord que l’abolitionnisme entend éliminer la prostitution par la criminalisation des clients et intermédiaires, mais non des prostituées, considérées toutes comme «victimes». Cette répression est censée conduire à la disparition de la prostitution. La stratégie abolitionniste, qui date de l’époque de la Traite des blanches à la fin du XIXe siècle, a fait ses preuves depuis un siècle : non seulement ne fait- elle pas fait disparaître la prostitution mais, plus encore, elle aboutit, dans les faits, à la criminalisation des prostituées et au maintien de l’activité dans la clandestinité, accroissant toujours davantage les risques de violence et d’abus envers les femmes. Les stratégies néo-abolitionnistes d’aujourd’hui sont à peu de choses près les suivantes : en plus d’un durcissement de la criminalisation des clients et des intermédiaires, on s’oppose à toute distinction entre travail du sexe volontaire et prostitution forcée, on lutte contre toutes les tentatives de présenter le travail du sexe comme un travail, on identifie prostitution au trafic de femmes et on revendique des subventions pour les groupes qui s’opposent à la prostitution et travaillent avec des «survivantes». La stratégie abolitionniste est appuyée sur tout un discours justificatif qui comporte plusieurs raccourcis. Attardons-nous seulement à celui qui est au fondement de la façon abolitionniste de poser la question : la prostitution est-elle la forme ultime de l’oppression des femmes ou est-ce un métier comme un autre? Ou encore, entendu récemment à l’émission Droit de parole de Télé-Québec sur la prostitution : est-ce une activité légitime ou destructrice? Ou encore : est-ce une exploitation ou un travail? Pour Stella, cette opposition, exprimée ainsi, est problématique, entre autres parce que les abolitionnistes se trouvent à opposer d’un côté un jugement de valeur et, de l’autre, une réalité. La prostitution est un travail A nos yeux, il est bien difficile de nier la réalité à l’effet que la prostitution constitue, dans les faits, une activité génératrice de revenus. Travail comme un autre? La réponse n’est pas univoque. Oui, d’un côté, il s'agit d'un travail comme un autre, c'est-à-dire susceptible d'être l'objet d'exploitation, de discrimination, de harcèlement et de violence sexuelle; il s’agit d’un travail comme tant d’autres, traversé par les rapports sociaux de genres, de classes et de cultures, particulièrement exacerbés par la mondialisation et l’ouverture des frontières . Oui, il s'agit d'un travail comme les autres car, s'il peut être un travail aliénant, il peut aussi constituer, comme les autres formes de travail, un terrain de revendications, de luttes, de mobilisations et d'alliances pour des conditions de travail améliorées, pour des droits et libertés, pour une protection législative contre l'exploitation, la discrimination et la violence. L’opposition entre oppression ou travail, activité légitime ou destructrice, ne mène nulle part, selon Stella, si ce n’est qu’à renforcer l’opposition séculaire entre les «bonnes» et les «mauvaises» femmes, les premières dignes de soutien, les secondes de notre mépris. Nous ne nous reconnaissons pas dans la traduction qui est faite de nos discours et revendications au sein de cette logique binaire, qui fait fi de la complexité et de la diversité de nos réalités. Rappelons au passage que ce n'est d'ailleurs pas la première fois que le fait d’envisager une activité «invisible» comme un travail véritable permet aux femmes d'entreprendre une lutte pour la reconnaissance d’un travail au noir, invisible et méprisé des femmes. Mentionnons la lutte des femmes travailleuses au foyer menée par l’Association féminine d’éducation et d’action sociale, l’AFÉAS, depuis les années 1970 au Québec et leurs analyses et actions pour mettre à jour le travail invisible des femmes à la maison. Rappelons la lutte des femmes collaboratrices de leur mari dans des entreprises à but lucratif pour l’obtention de mesures salariales, sociales et fiscales visant la reconnaissance de leur travail «au noir». Mentionnons aussi le combat des travailleuses domestiques pour sortir leur labeur du mépris, des préjugés, de l'exploitation clandestine et marcher enfin «la tête haute».On se souvient enfin de toutes les personnes «au bas de l’échelle» qui tiennent à leur statut de travailleuses, au respect de leurs droits et de leur dignité, à leur inscription dans les lois et dans la réglementation du travail. C’est dans cette lignée, entre autres, que se situe la mobilisation des travailleuses du sexe. Envisager la prostitution sous l’angle d’un travail, le travail du sexe, permet donc de mettre l’accent sur le fait que l’intérêt commun des femmes peut, entre autres, s’articuler dans le contexte des luttes plus larges relatives au travail invisible et infériorisé des femmes et à l’exploitation raciste et sexiste au cœur du capitalisme. L’urgence de changer les conditions de ce travail. Le travail du sexe n’étant pas reconnu, il demeure invisible, méconnu et, étant pratiqué dans la clandestinité, est sujet aux pires abus. Le phénomène du travail du sexe est complexe, pluriel et paradoxal, et toute stratégie accentuant sa criminalisation et sa judiciarisation est dangereuse . On n’insistera jamais assez sur le fait qu’il est ô combien urgent de changer radicalement nos conditions de travail, car ce métier est trop souvent dangereux, exploité. En matière de prostitution de rue, par exemple, l’impact de la judiciarisation est très visible : une présence policière accrue ou des «opérations arrestation clients» provoquent des déplacements des femmes qui font de la prostitution. Généralement, ces déplacements se font vers les rues résidentielles, occasionnant alors davantage de plaintes et une montée du discours public sur l’élimination de la prostitution. Entre «élimination de la prostitution» et «élimination des prostituées», le glissement s’opère et provoque régulièrement une augmentation de la violence envers les prostituées de rue. Ceci étant, les travailleuses du sexe ne revendiquent pas la distinction entre le travail du sexe librement choisi et les situations d’abus et de violence. Ce que nous revendiquons c’est la reconnaissance de la légitimité du travail du sexe, cette légitimité étant la seule garantie possible de la mise en application de moyens réels et concrets de lutter contre les abus, la violence et l’exploitation dans tous les contextes où est pratiqué le travail du sexe, sans distinction. «Pour travailler en sécurité et avec dignité» : telle est l’une des devises à Stella. D’où la formulation, par les regroupements de travailleuses du sexe, d’une revendication fondamentale : le droit à un travail non criminalisé. À cet égard, il faut insister sur le fait que la stratégie abolitionniste est une stratégie répressive qui n’a jamais protégé les femmes contre la violence, au contraire. Stella, à l’instar du mouvement international de mobilisation des travailleuses du sexe , mise plutôt sur une stratégie positive de décriminalisation et de défense des droits et libertés. Lire aussi :
Site web de Stella
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