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Mine de rien, Alcan comme entreprise non responsable ?Norm, Tuesday, June 22, 2004 - 18:02
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Normand Landry Derrière une image corporative reluisante, savamment travaillée et entretenue par son appareil de relations publiques, Alcan cacherait-elle un appétit vorace difficilement conjugable avec une politique de développement durable ? De plus en plus, la reine de l’aluminium québécoise s’attire la désapprobation des organisations travaillant à responsabiliser les entreprises. Alcan est un monstre sacré au Québec. L’entreprise est énorme; avec un revenu annuel de 20 milliards de dollars $US, 300 usines réparties à travers le monde et plus de 78 000 employés à son actif, elle s’impose comme un joueur économique clef de la province. Jalouse de son image publique, la multinationale s’affiche ouvertement comme un modèle de citoyen corporatif responsable, soucieuse de l’environnement et respectueuse de ses employés. Mais voilà que ce titre enviable lui est contesté. Tout un mouvement de protestation s’organise depuis des années en Inde, où l’entreprise tente depuis plus d’une décennie d’implanter une mine de bauxite et une raffinerie. Toutes deux devront être construites dans la région du Kashipur, dans l’État d’Orissa. Les projets d’Alcan impliquent le déplacement de populations locales fortement enracinées à leur terre et une modification substantielle de leur mode de vie ancestral. La réaction des Adivasis, peuple autochtone résidant au Kashipur, est viscérale. Le journaliste indépendant Frédéric Dubois, récemment allé sur le terrain, en témoigne : « depuis les débuts en 1993, les villageois sortent pour bloquer des routes, casser l'équipement de prospection de la compagnie et manifester leur opposition. » L’assassinat d’individus manifestants contre le projet, par les forces policières, le 16 décembre 2000 - Abhilas Jhodia (25), Raghu Jhodia (18) et Jamudhar Jhodia (43) – a mis le feu aux poudres. Les policiers ont fait feux sur une foule lors d’une manifestation d’opposition à l’implantation de la mine et de la raffinerie, blessant plusieurs citoyens et en tuant trois. Riche en bauxite, le Kashipur attire la convoitise des multinationales de l’aluminium qui dépendent du minerai pour leur production. La libéralisation du secteur minier au début des années 1990 a encouragé de nouveaux joueurs à venir s’installer dans un État où la pauvreté fait des ravages. Traditionnellement considéré comme un « État arriéré économiquement », l’Orissa, où se trouve la Kashipur, reçoit depuis une quantité considérable d’investisseurs étrangers attirés par ses ressources naturelles. Alcan s’intéresse au sous-sol du Kashipur depuis 1992, année où l’entreprise s’est associée avec la Indian Aluminium Compagny Ltd. (Indal) en vue de créer la Utkal Aluminia International LTd. (UAIL), chargée du controversé projet. Alcan serait-elle plongée dans l’eau chaude ? C’est certainement l’avis des membres de la campagne Alcan’t in India, lancée à Montréal en 2003. Le mouvement est solidaire de la population de la région du Kashipur et milite pour qu’Alcan se montre transparent dans le dossier. Alcan’t in India Le coordonnateur de la campagne, Abhimanyu Sud, précise d’emblée qu’ « Alcan’t in India n’a pas le mandat de négocier avec Alcan ». La campagne, soutient-il, « tire son mandat des préoccupations de la population du Kashipur. » Elle n’est donc pas orientée vers un retrait à tout prix de la compagnie de la région. « S’il y avait un clair consensus favorable au projet, soutient-il, Alcan’t se dissoudrait. » La principale préoccupation du mouvement est de s’assurer qu’Alcan, qui détient 45 % des parts de UAIL, respecte d’abord et avant tout la volonté de la population affectée. Or le message est clair selon les membres d’Alcan’t ; les habitants du Kashipur ne veulent pas de la mine et de la raffinerie sur leur territoire. Il s’agit donc de forcer la multinationale québécoise à être responsable et transparente dans le dossier. « Avant que l’on intervienne, affirme Abhimanyu Sud, Alcan n’avait pas à donner d’information sur les enjeux soulevés par le projet. » Et ces enjeux, quels-sont-ils ? Alcan’t parle de « droit à l’autodétermination », d’« environnement », de « droits humains » et de « liberté d’expression. » Il s’agit donc de préserver la souveraineté des autochtones sur leur territoire ancestral, de respecter leur volonté de vivre où ils le désirent et la manière qu’ils jugent appropriée. Sur beaucoup de ces points, Alcan est restée jusqu’à présent muette. « Comparée à d’autres entreprises, Alcan est plus ouverte à rencontrer les parties prenantes, affirme François Meloche, du Groupe d’investissement responsable (GIR). Toutefois, rien ne démontre que la compagnie intègre les critiques dans sa prise de décision. » Des contradictions laissées en suspens La récente rencontre entre Alcan et Alcan’t le 16 juin dernier a été pour le moins décevante. Alcan n’a pas fourni les documents qu’elle s’était engagée à rendre public lors de l’assemblée des actionnaires deux mois auparavant. Elle a également annoncé qu’elle augmentait son projet d’extraction de bauxite à 1.4 million de tonnes. Le dialogue est maintenant rompu entre les acteurs. Il de s’agit pas de la première réunion entre les deux groupes. Alcan’t et Alcan se sont rencontrés à quelques reprises afin d’échanger sur leurs points de vues respectifs. Ces rencontres n’auraient donné, aux dires des membres de la campagne, que de faibles résultats. La récente rencontre du 16 avril 2004 ayant réuni des délégués d’Alcan’t et le vice-président des activités commerciales et logistiques, Jeremy Lee Jonas, a été particulièrement décevante : « aucun de leurs supposés faits n’était supporté par des documents, déplore Abhimanyu Sud. Jeremy Lee Jonas a même affirmé qu’il n’y avait pas d’impact environnemental à l’extraction et le raffinement de la bauxite ! » Le raffinement du minerai nécessite à lui seul une énergie considérable et produit des quantités non-négligeables de « boue rouge », un résidu minéral devant être entreposé dans les environs. Alcan soutient qu’elle a le support explicite des représentants de 23 des 24 villages qu’elle estime affectés par le projet. Elle affirme également détenir le feu vert d’une étude d’impact environnemental nécessaire exigé par les autorités. La multinationale n’a pas jusqu’à présent été en mesure de présenter publiquement ces documents. Alcan’t in India est donc allé de l’avant en effectuant ses propres recherches, qui contredisent dans une large part les dires de la multinationale québécoise. À tout le moins, cette démarche force l’entreprise, qui met dans ce dossier en jeu sa crédibilité d’acteur économique responsable, à se montrer plus transparente. Alcan réplique à ses détracteurs que son projet rejoint les critères de la Banque mondiale en matière de développement durable. L’institution, il est vrai, prend bien soin de rappeler aux agents économiques les effets du déplacement involontaire de populations, ceux devant entraîner des impacts fortement négatifs pour les populations concernées : « la réinstallation involontaire peut causer des difficultés d’existence sévères et durables, un appauvrissement et des dégâts environnementaux si des mesures appropriées ne sont pas soigneusement planifiées et mises en oeuvre. » (Directive opérationnelle de la Banque Mondiale) La Banque mondiale stipule également « qu’il est indispensable d’associer les personnes réinstallées et leurs hôtes à la planification préalable au déplacement.(…) Elle ajoute que « pour assurer la coopération, la participation et le retour d’information, il est nécessaire de consulter systématiquement les personnes déplacées et leurs hôtes durant la préparation du plan de réinstallation, en les informant de leurs droits et des options qui s’offrent à eux. » Rien n’indique, jusqu’à présent, qu’Alcan se soit engagé dans un tel processus avec les populations locales. Plus de 11 ans après le début du projet au Kashipur, Alcan n’est toujours pas en mesure de spécifier clairement, avec preuves à l’appui, comment, quand et où les populations locales ont été consultées. La compagnie reste silencieuse sur les manifestations massives ayant pris place contre le projet au cours des dernières années. La Banque mondiale précise également qu’un plan de développement approprié doit être fondé sur une étude complète des préférences des populations autochtones. Une telle étude n’a jamais été publiquement diffusée par la compagnie. Pour préserver l’image d’une compagnie consciente de ses responsabilités, le président et Chef de la direction d’Alcan, Travis Engen, - par ailleurs récemment invité à donner une conférence sur la responsabilité sociale des entreprises -, devra assurer une plus grande transparence de la part de son institution. Les contradictions entre les affirmations d’Alcan et d’Alcan’t in India sont illustrées dans un document intitulé Dossier Alcan; bilan des contradictions mis à la disposition du public sur le site du CMAQ. Il sera mis à jour régulièrement afin de tenir compte de l’évolution de la situation. Un dossier que le CMAQ suivra de près.
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