Charles Saint-Prot, spécialiste de l'Irak, remet en cause la légitimité des mouvements d'opposition au régime irakien, qui seraient selon lui complètement manipulés par les Etats-Unis. Et revient sur le parti de Saddam Hussein à la tête de l'Irak, le Baas, qui résulte non pas d'un seul homme, qui serait Hussein, mais de tout un système. Son implantation massive dans le pays risque de mettre à mal tous les plans d'attaque américains.

Les Etats-Unis clament haut et fort depuis des mois, qu'une opération militaire d'envergure est programmée sur Bagdad, accusé de développer des armes de destruction massive. Pourtant, cette fois, les Américains se retrouvent seuls dans leur nouvelle lutte contre " l'axe du mal ".
Isolés, incompris et rejetés, les Etats-Unis se sont tournés vers le seul groupe qui partage leur vision des choses : le Congrès National Irakien (CNI), une fédération de mouvements d'opposition à Saddam Hussein, fondé en 1992. Mais Charles Saint-Prot, spécialiste de l'Irak, est catégorique : " Les opposants irakiens en exil en Angleterre n'ont aucune représentativité en Irak, aucune influence. Tout simplement parce qu'à Bagdad, personne ne les connaît. La plupart ont quitté le pays il y a quarante ans, et les Irakiens les considèrent donc maintenant comme des traîtres, des agents au service des Américains ", explique-t-il. Une accusation pas totalement fausse, puisque le CNI est entièrement financé par la CIA.
" Il est quand même étonnant que les Etats-Unis se souviennent subitement de ce groupe d'opposition, alors qu'ils feignaient de l'ignorer durant toutes ces années, lâche dubitatif Charles Saint-Prot. Et même si les Etats-Unis réussissent à les porter au pouvoir et les soutiennent à bout de bras, ils ne pourront pas rester très longtemps à la tête de l'Irak. Ces opposants ne représentent rien pour les Irakiens. Ils ne risquent donc pas de soulever les foules. C'est une solution qui ne mènera nulle part ", estime-t-il.

Pour mener à bien leurs attaques, les Etats-Unis cherchent désespérément des alliés dans la région. Mais pour l'instant, ils ont fait chou blanc. " Aucun pays, occidental ou arabe, n'est prêt à s'attaquer à Saddam Hussein, explique Charles Saint-Prot. Autant la guerre contre l'Afghanistan était justifiée par les attentats du 11 septembre, autant aujourd'hui les pays arabes estiment que les Etats-Unis s'acharnent sans justification contre l'Irak, si ce n'est pour des raisons d'hégémonisme et d'impérialisme ".
Autrement dit, tous les pays arabes sont solidaires de l'Irak qu'ils considèrent comme victime des Américains. Mais surtout, tous redoutent un soulèvement massif des populations civiles, ce qui aurait comme conséquence une déstabilisation durable la région.

Selon ce spécialiste, le remplacement du président irakien est plus qu' " improbable car ce n'est pas Saddam Hussein qui dirige le pays mais son parti, le Baas, explique-t-il. Or, les militants sont très bien implantés dans la population et très organisés. Leur sort est lié à celui du régime. Si Saddam Hussein venait à disparaître, ils perdraient tous leurs avantages. D'ailleurs, ces 150 000 militants ont tous une arme chez eux et sont prêts à donner leur vie pour que Saddam reste au pouvoir ". Affirmer, comme le fait le CNI, que " Hussein n'a plus de soutien à Bagdad et que l'ensemble du pays lui est opposé ", est donc, selon Charles Saint-Prot, " une manoeuvre d'intoxication de la part des opposants pour presser les Etats-Unis d'en finir avec Saddam Hussein "

Quant au soulèvement de l'armée, évoqué par la chaîne américaine CNN et sur lequel tablent les Etats-Unis et les opposants irakien en exil, il est plus qu'incertain : " Cela fait plus de vingt ans que ce scénario est calculé, mais il ne s'est encore jamais réalisé, rappelle Charles Saint-Prot. Le Baas se méfie terriblement de l'armée, elle est donc très surveillée pour éviter tout coup d'état militaire ". Le recrutement est d'ailleurs très pointu : ne sont acceptées que les personnes issues de la tribu de Saddam Hussein, les sunnites. Il y a donc un lien de fidélité tribale très fort. Et la Garde Républicaine (commando d'élite réputé fidèle à Saddam Hussein) est triée sur le volet. Elle a déjà eu l'occasion de prouver sa loyauté après la guerre du Golfe, lorsqu'elle a maté les rébellions. " Si l'armée régulière venait réellement à se soulever, reprend Charles Saint-Prot, la Garde Républicaine aurait les moyens de l'écraser car elle est plus aguerrie et mieux armée ".