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Troubles aux Gonaives : l'"armée cannibale" défie la police et la justice

Carl Desjardins, Jueves, Agosto 8, 2002 - 08:45

Vario Sérant

Les responsables haïtiens de la sécurité publique multiplient les déclarations de bonnes intentions concernant la situation aux Gonaïves, Centre-Ouest du pays, où des troubles persistent depuis plusieurs jours. Mais sur le terrain, elles affichent une impuissance déconcertante.

Une opération coup de poing a été menée le 2 août contre la prison des Gonaives par un groupe qui se nomme "Armée Cannibale", renversant un mur de la prison centrale et libérant de force son chef, Amiot Metayer dit "Cubain". Ces événements accompagnés de manifestations anti-gouvernementales, ont abouti à l'évasion d'un total de 159 prisonniers, dont des condamnés pour crime. Plusieurs édifices publics, y compris le Palais de Justice, ont été incendiés.

En conférence de presse le 5 aout, le porte-parole de la police nationale a réaffirmé que l'institution policière avait le contrôle de la situation. Jean Dady Siméon s'est basé sur le fait que le "calme" règne dans la cité de l'indépendance et que l'institution policière a réussi à appréhender cinq des fugitifs.

Les observateurs notent que, malgré le renforcement de l'effectif de la PNH aux Gonaïves, les policiers évitent de s'aventurer dans les zones sensibles. Par exemple, les contingents de la police brillaient par leur absence ce 5 août dans des quartiers populaires comme Raboteau, le plus important bidonville des Gonaïves, Descahos et "Lòt Bò Kanal", théâtre pourtant des manifestations anti-gouvernementales.

Et dire que la marche du 2 août avait à sa tête Amiot Métayer en personne. Le puissant chef de groupe était flanqué de son collègue d' infortune, Jean Pierre dit Jean Tatoune, élargi également lors du même coup de force. Tatoune purgeait la prison à perpétuité pour sa participation dans le massacre de Raboteau, le 22 avril 1994.

Ce 5 août, Amiot Métayer ne circulait pas. Mais, il ne s'est pas évaporé pour autant. Divers correspondants de presse affirment qu'il restait en toute quiétude dans son fief (Raboteau) au milieu d'un impressionnant dispositif de sécurité, établi par ses inconditionnels de l'"armée cannibale".

Entretemps, des centaines de ses partisans continuaient de défier les autorités en réclamant, à cor et à cri, le départ du président Jean Bertrand Aristide. Les manifestants, les mêmes qui avaient humilié la PNH en libérant de force leur leader, Amiot Métayer, sont allés jusqu'à adresser un ultimatum au chef de l'état, Jean-Bertrand Aristide, pour qu'il jette l'éponge au plus tard le 12 août.

Bien qu'on ait pas eu à enregistrer d'incidents, l'atmosphère demeurait assez pesante sur la cité de l'indépendance les 5 et 6 août. La ville côtière était paralysée et les commerces et les bureaux étaient restés fermés.

Lors d'un point de presse le 3 aout, le Directeur Général de la Police Nationale a reconnu à demi-mot l'inefficacité des dispositifs de sécurité mis en place aux Gonaïves. La PNH envisage de publier les noms et les photos de tous les fugitifs, a ajouté Jean Nesly Lucien tout en disant compter sur la ferme collaboration de la population.

Un détenu a été tué, cent cinquante-neuf autres, dont quarante considérés comme dangereux, se sont évadés et une dizaine ont été transférés dans d'autres centres de détention suite à l'attaque contre le commissariat de police des Gonaïves le 2 août dernier.

Pour expliquer la non-intervention jusqu'ici de la police dans le quartier populaire de Raboteau, le président du Conseil Supérieur de la Police Nationale, le Premier Ministre Yvon Neptune a évoqué, lors d'une conférence de presse le 6 aout, la densité de la population. Le Chef du gouvernement lavalas se voulait tout de même rassurant en indiquant qu' un plan était à l'étude et que la PNH allait adopter des mesures pour garantir la sécurité de la population.

La Présidence a mis en garde la police nationale contre toute utilisation de la manière forte pour capturer Amiot Métayer. Une délégation conduite par un membre du cabinet du chef de l'Etat, Jose Ulysse, s'est d'ailleurs rendu expressément le 5 aout aux Gonaïves pour tenter de faire la paix avec le chef de groupe armé "activement recherché" par la police.

Selon un des représentants de Métayer à ce "mini-sommet", qui se confiait au correspondant local de la station privée Radio Kiskeya, M. Ulysse leur aurait fait plusieurs offres alléchantes en échange de leur allégeance. Le poste de Délégué du département de l'Artibonite leur aurait même été promis.

Wilner Etienne du Front Révolutionnaire de Raboteau a pour sa part déclaré, sur les ondes de Radio Métropole, qu'ils ont rejeté les promesses d'argent et d'emploi de la Présidence. "Nous avons clairement fait comprendre à l'émissaire de la Présidence que ce qui importe pour nous, c'est la démission de Jean Bertrand Aristide et la remise du pouvoir provisoirement au Président de la Cour de Cassation, ou, à défaut, au plus ancien juge en siège en vue de la constitution d'un gouvernement d'unité nationale dans lequel tous les secteurs et départements du pays seront représentés », a t-il renchéri.

Au lendemain de la mission, la police a fait volte-face. Le
porte-parole, Jean Dady Siméon, a fait savoir à la presse que la police envisageait de prendre part à une mission conjointe avec une délégation de la présidence pour rencontrer les groupes de Raboteau et le fugitif Amiot Métayer.

Ancien farouche partisan du régime lavalas, Amiot Métayer a été arrêté, puis incarcéré le 2 juillet dernier pour des exactions commises en mai dernier dans le quartier de Jubilé, aux Gonaïves. Mais, des organisations haïtiennes de droits humains dont la Coalition Nationale pour les Droits des Haïtiens (NCHR) soulignent sa participation dans divers autres forfaits, comme par exemple dans les violences dirigées contre l'opposition haïtienne le 17 décembre 2001. Amiot Métayer et Jean Pierre ont, dans une note de presse, accusé les plus hautes personnalités du régime lavalas de les avoir directement sollicités pour les actions punitives du 17 décembre.

Dans une interview à la station cablée Télé Haïti, Vilès Alizar de la Coalition Nationale Pour les Droits des Haïtiens presse le gouvernement d'adopter des mesures urgentes destinées à rétablir la confiance dans la cité de l'indépendance. La NCHR recommande à cet effet l'identification et la traduction par-devant la justice des auteurs et complices des actes de violence perpétrés aux Gonaïves, du 2 juillet au 2 Août 2002. La coalition réclame également le désarmement des groupes armés sur toute l'étendue du territoire.

Suite à l'évasion de plus d'une centaine de prisonniers haïtiens à la faveur de l'attaque du 2 Août contre le commissariat de police des Gonaïves, la République Dominicaine a renforcé la vigilance au niveau de sa frontière avec Haïti et limité les rentrées et sorties.

Les événements des Gonaïves viennent voler la vedette à diverses autres crises paraissant sans issue : la crise politique (vieille de plus de deux ans et affectant tous les secteurs d'activités) ayant entraîné le gel de l'aide internationale, la crise au sein de l'université et la crise des coopératives (Plusieurs milliers d'épargnants haïtiens ont été ruinés suite à l'effondrement de plus d'une dizaine de coopératives).

La note est donc salée à l'approche de la rentrée scolaire et universitaire. Et dire que le train de la célébration du bicentenaire de l'indépendance d'Haïti, en 2004, est en marche. Une célébration qui devrait normalement avoir une ampleur particulière justement aux Gonaives, où l'indépendance du pays a été proclamée en 1804.

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