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Sommet mondial du développement durable de Johannesburg : Des signes avant-coureurs peu encourageants

Carl Desjardins, Miércoles, Julio 24, 2002 - 13:41

Agnès Sinaï

S'il se poursuit au rythme actuel et s'il se généralise à la planète entière, le mode de développement des sociétés industrielles met en péril la biosphère. Le changement climatique, lié au réchauffement de l'atmosphère, n'est pas un scénario de science-fiction mais un ensemble de phénomènes appelés à s'amplifier. La désertification s'étend : si elle n'est pas enrayée, en Afrique, quelque 60 millions de personnes quitteront la région sahélienne pour des lieux moins hostiles au cours des vingt prochaines années, selon Kofi Annan.

S'il se poursuit au rythme actuel et s'il se généralise à la planète entière, le mode de développement des sociétés industrielles met en péril la biosphère. Le changement climatique, lié au réchauffement de l'atmosphère, n'est pas un scénario de science-fiction mais un ensemble de phénomènes appelés à s'amplifier. La désertification s'étend : si elle n'est pas enrayée, en Afrique, quelque 60 millions de personnes quitteront la région sahélienne pour des lieux moins hostiles au cours des vingt prochaines années, selon Kofi Annan. La déforestation s'est globalement accrue de 2,4% depuis 1990. En Indonésie, ce sont 40% des forêts qui ont été abattues entre 1950 et 2000. En Afrique, 52,6 millions d'hectares de forêts ont disparu, soit 0,7% du couvert forestier global. Selon le dernier rapport du Programme des Nations Unies pour l'environnement, plus de 70% des surfaces émergées pourraient être affectées par les effets de la construction des routes, des industries extractives, la construction des villes et autres grands équipements dans les trente prochaines années, à moins que des mesures ne soient prises d'urgence. Plus de la moitié des habitants de la planète pourraient vivre dans des zones souffrant de stress hydrique grave en 2032, " si les forces du marché continuent à avoir la haute main sur l'évolution de la situation politique, économique et sociale mondiale " .

Les pays du Sud aspirent légitimement à une amélioration de leur mode de vie, mais leur insertion dans la globalisation économique se fait au détriment de leur ressource la plus précieuse qu'est leur patrimoine environnemental. A court terme , ils seront les premières victimes des désordres écologiques mondiaux, à commencer par le changement climatique. Le modèle économique dominant, pour l'heure centré sur la libéralisation du commerce, reste à repenser sur la base de valeurs autres que purement commerciales. C'est bien le sujet théoriquement central du sommet de Johannesburg : transformer les modes de production et de consommation, confiner le commerce plutôt qu'en faire le seul vecteur de la mondialisation. Désormais, la contradiction est patente entre les impératifs de rentabilité à court terme exigés par une finance planétaire toujours plus vorace, et les processus d'anticipation responsable du long terme. Cette contradiction, toujours plus perceptible, fait craindre que le sommet de Johannesburg ne soit davantage le théâtre de stratégies d'évitements que l'occasion de relancer les décisions prises il y a dix ans à Rio. Trop rares sont les voix qui s'élèvent pour dénoncer l'antinomie entre la marchandisation du monde et la mise en oeuvre des conditions nécessaires à garantir la viabilité planétaire.

A Johannesburg, le prochain sommet de la Terre pourrait échouer à conforter le développement durable comme paradigme de transformation économique, sociale et écologique. Pire, l'acquis de Rio pourrait être détourné par les acteurs du secteur privé, qui, en l'absence de toute définition de critères et hors de tout cadre politique, en adopteraient la rhétorique plutôt que la mise en oeuvre grâce aux accords dits de type 2.

CROISSANCE DURABLE, DEVELOPPEMENT INSOUTENABLE : AMBIVALENTES PREMISSES DE JOHANNESBURG

L'ampleur de la crise écologique mondiale manifeste le caractère structurellement insoutenable des modes de développement économiques actuels : la croissance se fait au prix d'une grave et irréversible détérioration de la biosphère. Le compte à rebours est enclenché, mais l'irrésolution politique semble prévaloir sur l'urgence des décisions à mettre en ¦uvre. De Rio à Johannesburg, la route est semée d'embûches et, en matière d'engagements écologiques, la manoeuvre en marche arrière est plus fréquente que la détermination à aller de l'avant. En témoignent une série de négociations récentes, qu'il s'agisse de la dernière conférence sur les changements climatiques à Marrakech (Maroc) en novembre 2001, de la conférence de Monterrey sur le financement du développement en mars 2002, du G8 environnement, réuni au Canada, dans les Rocheuses - à l'abri des manifestations - en avril dernier, et en juin, à Bali -loin des agitations de la capitale indonésienne - de la dernière réunion de la commission préparatoire, en vue de l'élaboration de la déclaration finale des 180 pays réunis à Johannesburg. Il ressort en effet de l'ensemble de ces étapes que les instruments du développement durable sont petit à petit réduits à une peau de chagrin, au profit d'appels en faveur d'une " croissance durable " dont les termes n'impliquent aucune transformation structurelle des modes de production et de consommation préjudiciables à la planète, donc à l'humanité elle-même. A fortiori, l'esprit de la conférence de Doha (Qatar), où s'est tenu en novembre 2001 le dernier sommet de l'Organisation mondiale du commerce, semble prendre le pas sur l'esprit de Rio : le développement durable est insensiblement (mais inéluctablement ?) confié à la libéralisation des marchés. Si la gouvernance est inscrite à l'ordre du jour, elle s'oriente davantage dans le sens d'une polarisation du développement durable vers la mondialisation que dans le sens inverse : celui d'une mondialisation au service du développement durable.

Le protocole de Kyoto en panne de ratification

Le protocole de Kyoto a été adopté le 10 novembre dernier à Marrakech (Maroc), sans les Etats-Unis. La conférence de Marrakech a conforté le système de l'observance, c'est-à-dire les mécanismes de contrôle et de sanctions qui inciteront les pays à respecter leurs engagements, mais le lien entre l'observance et l'éligibilité au marché des permis d'émission s'est affaibli.

Mais c'est principalement sur les puits de carbone que les
négociateurs ont dû faire des concessions substantielles au groupe des pays de l'Ombrelle (Australie, Canada, Japon, Russie), alors que la séquestration de CO2 par des plantations d'arbres, ou des activités agricoles, reste un sujet qui divise la communauté internationale, politique et scientifique. A Marrakech les négociateurs ne sont pas parvenus à conditionner l'éligibilité aux mécanismes du protocole à la qualité des inventaires de comptabilisation des puits. En outre, la Russie a obtenu le quasi doublement de la comptabilisation de ses puits dans les crédits d'émission mais n'a toujours pas ratifié le protocole. L'Australie, également très active dans le lobbying en faveur des puits de carbone, a annoncé en juin dernier son intention de ne pas ratifier le protocole, malgré les concessions accordées à Marrakech. Le gouvernement fédéral du Canada est en butte aux pressions exercées par deux Etats producteurs de pétrole, l'Ontario et l'Alberta, qui expliquent ses réticences à ratifier. Enfin, les négociateurs ont quitté Marrakech sans parvenir à élaborer une déclaration finale sur un programme planétaire de promotion des énergies renouvelables en vue du Sommet de Johannesburg.

La conférence de Monterrey (Mexique) sur le financement du développement (mars 2002)

Dans la logique de la préparation de Johannesburg, on aurait pu s'attendre à ce que le sommet de Monterrey se préoccupe de relancer l'aide publique mondiale au développement durable. Or le consensus de Monterrey aura principalement consisté en un appel en faveur de la relance du développement par le commerce plutôt qu'en une résolution comportant des engagements précis et datés de la part des signataires en faveur de l'aide au développement soutenable. Etape importante sur la voie de Johannesburg, le consensus de Monterrey ne s'attache pas à fixer les termes d'un développement durable fondé, par exemple, sur des mécanismes de redistribution au niveau mondial, mais du développement tout court, grâce à " un nouveau partenariat entre les pays développés et les pays en développement ". Le commerce international est mis en avant " en tant que moteur du développement ", d'autant plus fortement que " les attaques terroristes du 11 septembre 2001 n'ont fait qu'aggraver le ralentissement de l'économie mondiale, en abaissant encore les taux de croissance. Il est donc particulièrement urgent à ce stade que tous les acteurs collaborent étroitement afin de favoriser une croissance économique soutenue " (§5). Cette position, calquée sur l'interprétation étasunienne du développement, a permis à la délégation américaine d'affirmer sans complexes que la lutte contre le terrorisme était un aspect de sa politique en faveur du développement durable, et de continuer à comptabiliser l'aide militaire dans son aide au développement. Au final, la conférence de Monterrey aura servi de décor à une querelle de chiffres entre Etats-Unis et Union européenne sur le montant de l'aide publique au développement, les Etats-Unis annonçant 5 milliards de dollars par an d'aide supplémentaire pendant trois ans (ce qui est peu, relativement au budget américain de la défense : 45 milliards de dollars par an), l'Union européenne augmentant sa contribution à l'APD de 7 milliards d'euros par an pendant trois ans pour atteindre péniblement l'objectif de 0,39% du PIB (Rio le fixait à 0,7%), tandis que Kofi Annan en appelait au doublement de l'APD, soit une augmentation nécessaire de 50 milliards de dollars par anS Trop divisé et soucieux de ses liens commerciaux avec les pays du Nord, le groupe des 77 n'aura émis aucun communiqué significatif. Monterrey n'aura pas été l'occasion, pour le Sud, de faire émerger un groupe de non alignés. Qu'ils soient membres de l'OPEP ou du NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique) animé par l'ancien directeur du FMI, Michel Camdessus, les pays du Sud n'ont pas manifesté de réaction à l'égard de l'hypocrite charité proposée par le Nord, à quelques rares voix discordantes près.

Juin 2002 : échec de la conférence de Bali (Indonésie)

Réunie du 24 mai au 7 juin 2002 à Bali, la quatrième et dernière commission préparatoire des Nations unies avant Johannesburg devait adopter un " Plan d'action pour le développement durable ", en négociation depuis six mois sous la bannière des Nations Unies. Dernière étape préparatoire avant le sommet de Johannesburg, la conférence de Bali s'est terminée le 7 juin dernier sur un échec, au terme de deux semaines de négociations d'autant plus surréalistes qu'elles se déroulaient dans les décors somptueux de l'hôtel Sheraton, au bord de l'océan indien. Les représentants des quelque 173 gouvernements présents n'ont pu ouvrir le texte en discussion sur de véritables engagements, chiffrés et datés, en faveur du développement durable dans tous les domaines. Au départ, le " plan d'action " proposé par la présidence, tenue par l'Indonésien Emil Salim, proposait un catalogue de paragraphes proposant des orientations plutôt que des engagements sur chaque sujet. Le caractère incantatoire du texte initial pouvait à ce stade se justifier, laissant toute latitude aux négociateurs pour resserrer le texte. A l'arrivée, ce même " plan d'action " n'avait pas perdu son caractère intemporel : il restait dépourvu de calendrier et de dates butoir, laissés entre parenthèses. Autant de points en suspens qu'on retrouvera sur la table des négociations de Johannesburg, autant d'échéances qui pourraient être reportées sine die. Qu'il s'agisse de mettre en ¦uvre des plans d'action nationaux pour des modes de production et de consommation " durables ", d'accélérer la reconnaissance du principe de précaution, de garantir l'accès à l'eau d'ici à 2015, de débloquer des moyens pour la protection de la biodiversité et de prendre des engagements en faveur du partage équitable des ressources génétiques, les pays n'ont pu se mettre d'accord sur des mesures concrètes, voire ont formulé des propositions régressives par rapport aux Conventions issues de Rio. Sur le protocole de Kyoto, l'Australie a adopté une stratégie d'intimidation en profitant de la conférence de Bali pour faire savoir qu'elle ne le ratifierait pas. En revanche, le principe de l'objectif des 15% des besoins énergétiques couverts par les renouvelables a été retenu à l'issue d'âpres discussions. En ce qui concerne l'agriculture, aucun coup d'accélérateur n'a été donné en faveur des filières biologiques. Toute conditionnalité environnementale en ce domaine était perçue comme une forme potentielle de protectionnisme par les Etats-Unis sur ce point appuyés par les pays du Sud, rassemblés sous la bannière hétéroclite du G77. La question de l'avenir de l'utilisation des OGM est restée dans le flou.

" APRES MOI LE DELUGE ", OU L'ETERNITE PAR LES MARCHES

Dix ans plus tard, force est de constater que les négociateurs de l'ONU sont bien en peine de faire renaître l'enthousiasme de l'esprit de Rio, malgré les exhortations de Kofi Annan. Entre temps, la mondialisation de l'économie s'est poursuivie, grâce à l'ouverture des marchés orchestrée par la puissante Organisation mondiale du commerce (OMC), née en 1994. La naissance de cette nouvelle institution mondiale, depuis Rio, modifie considérablement la donne : qu'il s'agisse du consensus de Monterrey ou du plan d'action de Bali, les textes de Nations Unies ne manquent pas de faire référence à la conférence de Doha. Johannesburg est-il le sommet de Rio + 10, voire de Stockholm + 20 ? Ou s'agira-t-il de Doha + 1 ? Cette dernière option, loin d'être invraisemblable, signifierait purement et simplement l'enterrement en grande pompe du développement durable.

Les accords ou " partenariats " de type 2 sont contractualisés entre secteur privé et administration, à partir d'engagements en faveur du développement durable de la part des entreprises volontaires. Ces accords sont complémentaires aux accords de type 1 visés par les conventions des Nations Unies, théoriquement contraignantes. A Bali, nombre d'observateurs se sont inquiétés du manque de définition de critères d'encadrement précis de ces " types 2 ". Pour le moment, ils ne sont pas assortis des labels censés être délivrés par la Commission du développement durable de l'ONU : les Etats-Unis et le Japon, appuyés par l'Australie et le Canada, s'y sont opposés à Bali, au motif que des contraintes décourageraient les initiatives, freinant ainsi la marche du secteur privé vers le développement durableS C'est ainsi que les Etats-Unis ont déclaré que des partenariats dans le domaine de l'agriculture pourraient inclure la promotion des OGM.

LES PRIORITES POUR JOHANNESBURG : RESPONSABILITE ENVIRONNEMENTALE, TRANSFORMATION DES MODES DE PRODUCTION ET DE CONSOMMATION

A Johannesburg, il faut réaffirmer que la croissance économique doit être découplée du développement insoutenable. Les accords de type 2 devraient servir à relancer l'adoption des accords multilatéraux sur l'environnement (AME), donc n'être contractualisables qu'avec les pays signataires de ces accords multilatéraux. Il ne serait donc pas possible, dans le domaine de l'énergie par exemple, de passer des partenariats avec les administrations des pays n'ayant pas ratifié le protocole de Kyoto. Idem pour l'agriculture : les partenariats devraient impliquer la reconnaissance du protocole de Carthagène sur la biosécurité ; pour les forêts, la convention sur la biodiversité, etc.

A Johannesburg, les gouvernements doivent s'engager à mettre en oeuvre, sous dix ans, un programme d'action pour la mise en oeuvre de modes de production et de consommation soutenables et équitables.

A Johannesburg, les gouvernements doivent adopter un programme mondial en faveur des énergies renouvelables, centré sur l'accès à l'énergie dans les pays du Sud.

A Johannesburg, on attend des engagements en faveur de l'accès à l'eau et l'assainissement en vue de réduire de moitié d'ici à 2015 le nombre d'individus privés de cette ressource.

A Johannesburg, les gouvernements doivent se résoudre à la protection des forêts, et prendre des mesures financières telles que prévues par la convention sur la biodiversité.

A Johannesburg, il faut mettre en place un cadre imposant la
responsabilité environnementale des entreprises d'ici à 2005, et réaffirmer notamment, le principe de précaution comme préalable à toute activité commerciale.

Rio était déjà à la croisée des chemins : l'Agenda 21 ne proposait-il pas, dans son premier " domaine de programme ", de " promouvoir de le développement durable par le commerce " ? Force est de constater qu'en dix ans, ce nouveau " cercle vertueux de la croissance " prônant l'enchaînement de la libéralisation du commerce, de l'augmentation des revenus, de la protection de l'environnement et du développement soutenable, n'a pas produit les effets escomptés. L'empreinte écologique du monde riche sur la biosphère s'est accrue, sans qu'une allocation équitable et soutenable des ressources ait été mise en place.

Ainsi, du consensus de Washington des années 80 à la conférence de Doha de 2001, le début du troisième millénaire est encore coincé dans les représentations mythifiantes du débridage du libre échange comme promoteur d'une planète capable de soutenir l'humanité. C'est bien avec cette cécité qu'il faut rompre, en mettant en perspective les constats et les concepts, et en désenclavant ces derniers des croyances périlleuses qui les portent plus que jamais. Il n'est pas exclu qu'à Johannesburg, le paradigme désormais ambigu de développement durable ne suffise plus à dévoiler l'urgence des enjeux.

Contact pour cet article. Secrétariat d'ATTAC France atta...@attac.org



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