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Halte à la censure : boycottons Esso au nom de Kyoto

DCP, Martes, Junio 25, 2002 - 18:32

Daniel Clapin-Pépin

Pour la plupart des citoyens bien informés, il est scandaleux d’observer, impuissants, le puissant lobby politique de la multinationale Esso, la plus importante entreprise pétrolière du Canada, s’opposer à la ratification du traité international de Kyoto sur l'environnement.

Ce texte a été censuré par le journal La Presse a qui il a été exclusivement, mais en vain, acheminé le 16 mai dernier.

Sa publication par le Centre des médias alternatifs du Québec (CMAQ) restaure la liberté d’expression de son auteur ainsi médusé de même qu’elle contribue à la mission du CMAQ de défendre et promouvoir la liberté de presse et de parole comme composante fondamentale d’une souhaitable démocratie participative et active, par opposition à notre déplorable régime politique actuel de démocratie représentative et passive.

Pour la toute première fois de ma vie d’universitaire depuis 1980 à l’UQAM, j’aurai très rationnellement décidé de passer à l’action en boycottant dès mercredi matin le 15 mai 2002 les polluants atmosphériques vendus par Esso, une décision prise en parfaite cohérence avec mon enseignement en cette matière et en réaction logique à la chronique du même jour du journaliste Hugo Dumas de La Presse intitulée « Cinq militants de Greenpeace arrêtés à Montréal – Le mouvement écologiste a lancé hier un boycottage de la compagnie Esso ».

Ce matin-là, rendu à la station Esso au coin des rues Fleury et Saint-Hubert à Montréal, je m’y serais alors normalement arrêté pour faire mon plein d’essence de 57,2 litres mais, en ma qualité de citoyen du monde ainsi que par solidarité pour la cause défendue par Steven Guilbeault - 32 ans et brillant responsable du dossier climat et énergie - et ses quatre valeureux compagnons de Greenpeace emprisonnés la veille, j’ai plutôt décidé de poursuivre mon chemin un peu plus loin jusqu’à la rue Papineau pour finalement garer ma pollueuse ambulante chez le pompiste concurrent Ultramar et ainsi l’enrichir de 38,52 beaux dollars canadiens.

En toute conformité avec ma devise écologiste préférée - penser globalement et agir localement - ce modeste geste, posé à titre de citoyen co-responsable de la qualité de son environnement, équivaut en somme à un tout petit « manque à gagner » réel même si non formellement enregistré comme tel aux livres comptables de ce petit pompiste Esso de la très grosse compagnie Imperial Oil, elle-même filiale canadienne de l’énorme multinationale états-unienne ExxonMobil.

Mais, pareille initiative personnelle pourrait ultimement se chiffrer, pour une année complète, à hauteur de rien moins que 924 000 000 $ si mon boycott se voyait hypothétiquement multiplié par environ un million de Québécois francophones, convaincus de suivre mon exemple une fois par deux semaines.

Le dernier geste symbolique de protestation posé par Greenpeace simultanément à Montréal, Toronto et Vancouver, pour lancer sa campagne nord-américaine de boycottage des produits d’Esso au Canada et d’ExxonMobil aux Etats-Unis, aura néanmoins une malencontreuse conséquence juridique directe.

En effet, le 10 juillet prochain devront comparaître en Cour, sous l’accusation dite de « méfait » et de viol de propriété privée, deux des cinq citoyens-manifestants montréalais Gilles-Philippe Pagé, 20 ans, et Rayya Liebich, 23 ans, qui ont été emprisonnés après s’être délibérément enchaînés aux pompes d’Esso pour les empêcher de fonctionner. Leurs trois autres compagnons s’en seront tirés avec des amendes de 138 $ chacune.

Or, ce faisant, Pagé et Liebich ne voulaient ainsi qu’exprimer leur révolte parfaitement justifiée et tout à fait logiquement ciblée contre Esso, l’entreprise pétrolière la plus rétrograde de toutes, en raison notamment des six explications suivantes que je reproduis ici à partir du site Web www.stopesso.ca :

« 1. E$$O nie l’existence des changements climatiques et dépense des millions en propagande trompeuse chaque année pour dénigrer les preuves scientifiques.

2. E$$O joue un rôle déterminant dans le sabotage des tentatives d’accords internationaux pour combattre les changements climatiques.

3. E$$O refuse d’investir dans les énergies renouvelables comme l’éolien et le solaire.

4. E$$O est la plus importante compagnie pétrolière au monde. C’est LA compagnie la plus profitable au classement Fortune 500 : des profits de 15,6 milliards $US en 2001. Si quelqu’un a les moyens de lutter contre les changements climatiques, c’est bien Esso.

5. E$$O a participé à financer l’élection de George W. Bush en donnant cinq fois plus qu’Enron ! De l’argent bien dépensé : dès que Bush est devenu président, il a retiré les États-Unis des Accords de Kyoto sur les changements climatiques – exactement ce qu’Esso désirait.

6. E$$O fabrique l’essence la plus polluante du Canada. Elle contient le plus haut taux de soufre, ce qui crée encore plus de smog dans nos villes. »

Pour ma part, voici ce qu’en ma qualité de témoin expert à titre d’universitaire spécialisé en gestion, éthique et comptabilité environnementales, j’aimerais pouvoir dire au juge qui sera appelé dans deux mois à jauger ce délicat litige découlant d’une action non violente voulant alerter l’opinion publique et surtout obtenir son appui économique.

Madame ou monsieur le juge, ces deux jeunes personnes ne méritent pas d’être pénalisées. Elles devraient, tout au contraire, se voir élogieusement félicitées pour avoir avec intelligence, vaillance et sans violence ainsi exprimé publiquement, comme citoyens libres et responsables, leur inquiétude existentielle et fondamentale – conscience et lucidité écologiques que je partage personnellement - eu égard au non-respect des droits humains fondamentaux.

Lesquels droits ? Ceux de la vie, de la santé et de la sécurité de tous les habitants actuels et futurs de la planète Terre de plus en plus littéralement « asphyxiés » par des gaz à effet de serre provenant pour une large part de l’industrie pétrolière.

Madame ou monsieur le juge, sur cette très complexe problématique multidimensionnelle et pluridisciplinaire du réchauffement de notre planète avec ses principaux responsables industriels, je vous invite à étudier attentivement, comme je le recommande d’ailleurs systématiquement à tous mes étudiants, le magistral dossier fort bien documenté de Radio-Canada qui est directement accessible sur Internet à l’adresse électronique suivante :
http://radio-canada.ca/nouvelles/dossiers/kyoto/rechauffement.html

Madame ou monsieur le juge, je suis convaincu que votre étude devrait à terme pouvoir vous permettre de constater quasiment hors de tout doute raisonnable que ce ne sont pas les citoyens Pagé et Liebich qui sont coupables, mais plutôt la compagnie Esso dont les dirigeants devraient être au banc des accusés pour leur complicité avec la Bush-erie climatique états-unienne s’opposant pour de mesquines raisons économiques au traité international de Kyoto.

Par conséquent, le boycottage de nos achats courants de pétrole chez Esso doit être encouragé à chaque fois que la chose est raisonnablement possible pour deux raisons principales.

Les dirigeants actuels de cette compagnie étant humainement et écologiquement irresponsables, cette hyper-polluante pétrolière ne se mérite donc pas notre appui en notre double qualité de citoyen et de consommateur.

Environ 80 % des Québécois, selon de récents sondages, ne sont absolument pas d’accord avec le soutien apporté par la société ExxonMobil, maison mère de Esso, à la décision du président George W. Bush de « renier » sa promesse de ratifier le Protocole de Kyoto dont la mise en oeuvre est une étape minimale, quoiqu’essentielle, pour prévenir les dramatiques conséquences du changement climatique.



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