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Gaspillage et pénurie de l’eau au QuébecCarl Desjardins, Lunes, Mayo 13, 2002 - 23:38
Denise Proulx
Les experts prétendent – ou avertissent – qu’il n’y aura pas de privatisation de l’eau à Montréal et au Québec. Mais, des États pauvres et l’ONU pensent que seules les multinationales peuvent abreuver le cinquième de la population mondiale qui n’a pas accès à de l’eau potable. Chaque montréalais consomme 256 litres d’eau par jour. Sans compter la piscine dans sa cour, le jardin à entretenir, l’auto à laver. Le volume de production d’eau par habitant dur l’île est l’un des plus élevés au monde, deux fois plus qu’à Toronto, trois fois plus qu’à Paris. En 1996, la production d’eau potable coûtait 118 M $ aux contribuables. « C’est normal. Montréal est une île entourée d’un fleuve. Personne n’a à se priver », justifie Robert Perreault, directeur du Conseil régional de l’environnement de Montréal. Avec le nouveau territoire de Montréal (une île, une ville, mais 27 arrondissements), la gestion de l’eau prend l’allure d’un casse-tête pour adultes seulement, morcelé en services de production d’eau potable, de distribution et d’épuration supervisée par de multiples entités locales ou communautaires, sept usines, et autant d’unités d’entretien du réseau souterrain qu’il y a d’arrondissements. Montréal a besoin de nouveaux bassins de décantation et d’une gestion intégrée de l’ensemble des bassins existants. Par endroit, le débordement des intercepteurs d’eau usée gêne ou empêche les activités récréatives aquatiques 3.5 jours par semaine, à cause du taux élevé de coliformes, entre le 1er mai et le 30 octobre. « Avant de s’engager dans la résolution des problèmes en pointant les citoyens du doigt, il faudrait avoir une idée juste des véritables consommateurs d’eau à Montréal. Les données actuelles sont fragmentaires et peu fiables », rappelle cependant Robert Perreault. André Bouthillier, cofondateur d’Eau-Secours !, dénonce les délais dans le financement des travaux et l’indifférence des élus aux appels des fonctionnaires à colmater les fuites dans le réseau : « Avant d’écoeurer le locataire, allez donc voir les institutions, les industries, les commerces. Paient-ils vraiment pour la quantité d’eau qu’ils utilisent ? Quand la ville arrêtera d’arroser ses fleurs avec de l’eau potable, on reparlera de la responsabilité individuelles des citoyens ». Chantier municipal L’équipe du maire Gérald Tremblay semble décidée à prendre le taureau par les cornes. Le 29 mars, Alan De Sousa, responsable du développement durable, a annoncé un chantier de 1.6 milliard de dollars sur 20 ans pour unifier et restaurer le réseau. La ville fera appel à des consultants externes, mais M. De Sousa s’est engagé à ce que propriété et la gestion de l’eau et des infrastructures demeurent publiques. Cependant a-t-il nuancé, « Il est important de trouver un mécanisme pour bien gérer le système ». Les sceptiques expriment leurs doutes, Eau-Secours ! en tête. « On nous prend pour des cons » (sic), commente André Bouthillier. « C’est l’introduction graduelle du privé dans le rôle de l’État. Ces gens manient la langue de bois avec habileté. Ce ne sont pas les experts, mais les fabricants [et les inventeurs] qui peuvent offrir les meilleurs outils pour régler les problèmes. Les fonctionnaires sont aussi capables que les consultants privés de les trouver », analyse-t-il. « Pas de panique ! Il n’y aura pas de privatisation de l’eau, ni à Montréal ni ailleurs au pays. Si la privatisation de l’eau bloque au Canada anglais, à Toronto, Calgary, Edmonton, Moncton, où les gens sont moins braqués qu’au Québec, ça ne se fera pas ici », croît pour sa part Pierre Hamel, professeur-chercheur à l’INRS urbanisation. Le professeur Hamel reconnaît toutefois qu’il se trouvera toujours des élus prêts à baisser les bras au profit de l’entreprise privée, à amplifier une catastrophe pour dramatiser les enjeux. Saine paranoïa ? Le coût de la privatisation La crainte des Québécois que le privé s’approprie les ressources en eau, souterraine ou de surface, ou des réseaux urbains d’approvisionnement ne se tarit pas. Le congrès de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), en novembre 2001, a engagé la centrale à « développer une position complète pouvant aller jusqu’à la nationalisation de l’eau ». Objectif : stopper l’invasion du Québec par les multinationales de l’eau, Danone, (propriétaire au Québec des marques Naya, Labrador, Crystal Springs), Vivendi Environnement, Suez-Lyonnaise des eaux, Bouygues Le Saur, E. ON, RWE, Thames Water. Sans oublier la québécoise SNC-Lavalin, qui se taille une réputation internationales et dont le mandat pour la fourniture d’eau au Libye (450 M $ CAN) soutiendra la stratégie de croissance dans ce domaine. Ces multinationales détiennent des contrats dans toute la chaîne de production et d’épuration de l’eau potable, sur tous les continents. Les mégalopoles de Paris, Los Angeles et Mexico sont leurs clientes. Mais les gouvernements nationaux ou locaux commencent à déchanter. En France, en mai 2001, une étude de l’Institut français de l’environnement a démontré qu’il en coûtait 27 % de plus pour la distribution de l’eau et 20 % de plus pour l’assainissement des eaux usées par l’entreprise privée, par rapport à une Régie municipale. Une autre étude de la Cour des comptes française (équivalent de notre Vérificateur Général), en 1997, montrait que le prix de l’eau au robinet avait augmenté de 60 % en sept ans de gestion par le privé. L’embauche de l’ex-maire Jean Doré (passé à SNC-Lavalin après sa défaite de 1994) comme consultant par le parti au pouvoir à Montréal, l’Union des citoyens, ravive les craintes des opposants à la privatisation. La généralisation des compteurs d’eau dans les foyers pourrait ouvrir la porte à la privatisation de l’eau municipale. « Oui, ce sera un service public, mais qui en aura la responsabilité ? », demande André Bouthillier. « Qui s’occupera de la planification ? Avec le problème d’harmonisation de la taxe avec le coût réel et le lobbying constant des firmes-conseils auprès des élus, les risques d’une privatisation en catimini sont bien réel », soutient-il. Eau-Secours ! croît que la meilleure garantie réside dans la création d’une société d’économie mixte qui devrait obtenir la permission du ministre de l’Environnement pour confier des services au secteur privé. Le gouvernement du Québec saurait-il mieux que les municipalités résister aux pressions des multinationales de l’eau ? Johannesburg La question de l’eau sera au cœur des débats au Sommet mondial sur le développement durable, à Johannesburg, en août 2002. Des ministres de l’Environnement, dont Juergen Trittin, d’Allemagne, ont mis les États en garde, lors du Sommet mondial de l’eau, en décembre 2001, contre le lobbying des multinationales pendant les conférences préparatoires du Sommet. Des pays disent par contre ne pouvoir se passer de leur expertise et de leur compétences techniques. Les Nations Unis estiment à 1,1 milliard (18 % de la population mondiale) le nombre d’individus n’ayant pas accès à de l’eau potable. Un autre 2,5 milliards vit sans services d’égout. Cinq millions de personnes meurent chaque année de maladies causées pas une eau polluée, dont deux millions de diarrhées, principalement des enfants de moins de 15 ans. Et les gens d’affaires rappellent que la planète accueillera deux nouveaux milliards d’habitants d’ici 25 ans. Pour entrer dans le giron de l’économie mondiale, les pays en développement auront aussi besoin d’irrigation agricole, laquelle accapare 90 % de la consommation d’eau sur Terre. Au Sommet du Millénaire, en septembre 2000, les chefs d’États ont reconnu qu’il fallait investir 20 milliards annuellement (le double d’aujourd’hui) pour régler ces problèmes d’approvisionnement en eau potable. Plusieurs États sont incapables de tels investissements. Le secteur privé, oui. Vivendi Environnement fait valoir auprès des Nations Unis qu’elles peut agir là où les gouvernements n’en n’ont pas les moyens. Elle a l’appui d’organisations non-gouvernementales de pays pauvres. Kofi Annan, Secrétaire général des Nations Unies, N’est pas sourd à cette offre et il fait référence régulièrement au partenariat avec le privé dans ses appels pour un monde juste et équitable. « Au Québec, on a les moyens de régler les problèmes. Ça prendrait 10 milliards $ sur 15 ans », calcule Pierre Hamel. « Ce n’et pas en demandant aux citoyens d’économiser l’eau que ça va en donner plus au Sahel. Ce n’est pas là qu’il faut faire des pressions. Mais, observe Pierre Hamel, investir dans l’eau, ce n’est jamais glamour. Ça N’est pas visible, politiquement ». Référence : 1- Pour une gestion montréalaise de l’eau intégré et autonome, 2e rapport d’étape au Comité de transition de la nouvelle ville de Montréal, par le Groupe de travail sur les infrastructure urbaines, 9 juillet 2001. - Publié dans la revue Recto Verso du mois mai-juin 2002, no 296 |
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