Suite à la projection publique du film Vues du Sommet, un débat a eu lieu sur le forum de discussion du CMAQ, donnant différents points de vue sur l'action à poser en cas de manifestation/contestation citoyenne et sur la légitimité de ces dernières. Certaines oppositions ont tôt fait émerger les prémisses qui sous-tendent les positions défendues - et le débat ne sembla plus, à ce point, pouvoir se résoudre, plongeant dans le silence d'où il fut d’abord issu. Le nihilisme, face au mouvement de protestation contre la ZLEA, qui donna une direction certaine à des actions concrètes, semble pointer ces actions en tant que non-légitimes, car non-Vraies. Un éclaircissement semble devoir être fait ici sur quelques points.

D’abord faut-il orienter les enjeux les plus saillants de cette opposition. Le nihilisme, tel q’alors énoncé, donne la valeur de néant aux absolus moraux de Justice, de Liberté, d’Harmonie, de Vertu, etc., imputant à ces derniers la valeur finale de mensonges injustifiés. En revanche, le mouvement pour une mondialisation égalitaire (communément nommé anti-mondialisation) dénote, par ses discours et ses actions, une volonté de tendre vers ces mêmes Idéaux qui, selon les porteurs d’un discours Nihiliste, n’existent tout simplement pas.

Le Nihil du nihil-isme est cette négation même de la possibilité de répondre à la question de la vérité. Il est d’ailleurs une négation pure et simple de la possibilité de poser la question relative à la vérité - et à la vérité morale. Par ailleurs, le ...isme, comme mouvement ou position résolue en elle-même, mène tout droit vers une staticité de la pensée, comme prisonnière de cette position initiale. Pourtant, un nihil-iste est un être humain vivant dans un environnement parmi d’autres êtres humains. Dans ce milieu, il est amené a faire des choix qui le conduisent dans diverses situations. La position initiale menant vers ces choix est une position totalement arbitraire (lieu de naissance, parents, langue, culture, etc.), ce que reconnaît le nihil-isme, mais ce qui devient en fait son Absolu. Cependant, les choix faits par la suite dans ces positions ne sont quant à eux aucunement arbitraires, car ils dépendent entièrement de celui qui les fait. Dans cette position, l’homme ne peut plus nier la direction vers laquelle tendent ses actes, car il en fait le choix lui-même.

Le nihil-isme remet l’homme dans cette position d’arbitrarité, où tout est possible. Il dit : nous choisissons cela, mais nous aurions pu tout aussi bien choisir cela : tout est arbitraire et rien n’est une vérité statique ! Cette position est le premier pas vers une pensée beaucoup plus fondamentale. Mais d’abord faut-il éviter le danger d’y rester, car la position nihil-iste est une position possédant son absolu propre qui est celui de dire qu’il n’y a pas de vérité. Dans ses écrits sur Nietzsche, Heidegger nous fait ressortir précisément cette opposition Être - Devenir dans laquelle le nihilisme reste prisonnier.

Dès lors, il semblerait plus approprié d’appréhender le réel en tant qu’il ne possède pas d’absolu statique EN-SOI et que donc, il ne possède non plus de non-vérité statique EN-Soi. La vérité devient participante de la non-vérité dans un mouvement cinétique. La pensée ne s’oppose ainsi plus à l’acte, mais les deux deviennent intimement liés, tout comme la raison ne s’oppose plus à l’émotion, mais participe de cette dernière. De ce point, l’homme se voit dans un mouvement continu ou tout entre dans une relation extrêmement complexe, le liant au monde et à la communauté humaine d’où il prend son origine.

Le nihil-isme, comme postulat sous-tendant une critique du mouvement de l’action communautaire comme Objet-Exterieur-ne-l’affectant-pas, ne peut donc légitimer une critique continue et statique de ce mouvement s’opposant à la ZLEA, car les nihil-istes sont amenés eux-aussi a agir dans le monde et dans ce mouvement. Le mouvement s’opposant à une mondialisation corrompue et exploiteuse est une réponse globale a une répression globale, voir a un nihil-isme des autres possibilités issues de l’arbitrarité initiale. Personne n’y est donc extérieur, car nous sommes tous appelés à agir dans notre milieu. Cette illusion d’extériorité de l’individu face à sa communauté et à son milieu est bien une illusion propre à notre civilisation occidentale, divisant en dualisme la pensée et la vie quotidienne. Pourtant, tout nous indique qu’ils sont en relation continuelle les uns avec les autres.

Ainsi, il semble que la situation où nous sommes, provenant d’un amalgame d’arbitrarité et de déterminité, nous pousse nous aussi à faire des choix dans ce milieu communautaire et naturel qui est le nôtre. Les choix que nous faisons ne doivent donc pas devenir des choix imposés comme des ABSOLUS, mais ils doivent être compris comme des choix engendrant un schème de possibilité pointant une direction précise, éliminant d’autres possibilités indésirables. Le mouvement du rassemblement communautaire, en réaction aux actions irrespectueuses d’une élite, a ainsi TOUTE sa légitimité de choix d’action et de pensée, en tant qu’il est partie du monde et qu’il agit dans ce même monde.

Diviser le monde des discours qui portent sur ce monde est une action dangereuse. Le Nihil-isme, tout comme son opposé Idéal-iste, sont de ces discours qui trompent en divisant le monde d’où ils sont issus du contenu qu’ils émettent sur ce monde. Ainsi faut-il penser davantage aux schèmes de possibilités qu’impliquent nos actions et nos discours, sans tomber dans la simplicité d’un dualisme manichéen. Ouvrons notre pensée au monde et visons le chemin sur lequel nous voulons marcher. Nos actes et nos discours nous lient au monde : choisissons ce qui nous appartient de choisir.