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Monterrey : le cercueil et les clous

Carl Desjardins, Viernes, Abril 12, 2002 - 13:08

José Pablo Feinmann

A Monterrey, pendant que les riches affirment qu'ils n'aideront plus les pauvres. Pendant qu'ils disent que n'ont rien à voir avec les conflits économiques des pays endettés. Pendant que par exemple 2.400 millions de personnes ne jouissent pas des services sanitaires élémentaires. Pendant que le discours néolibéral est devenu plus agressif et arrogant que jamais, il faut démonter le nouveau discours que le FMI, les banquiers du monde, et leurs puissances militaires protectrices -les Etats Unis- ont monté pour expliquer en se dédouanant de toute éventuelle culpabilité de ce pan de l'histoire.

Que dit ce discours, il reprend et inverse le vieux discours de la gauche nationale, qui -entre les années 60 et 70- était structuré sur l'impérialisme perfide comment étant la cause de tous les maux des pays sous développés. Pendant des années, les libéraux ont ri du caractère simpliste de ce discours, qui plaçait tous les maux sur le dos du « monstre extérieur », l'impérialisme, affirment qu'était plus facile de lui faire porter le chapeau au lieu de s'analyser eux même.

Les libéraux d'aujourd'hui -et les leaders mondiaux comme le peu éclairé George Bush et l'intelligent militaire Colin Powell- récupèrent en leur profit le schéma de «l'impérialisme perfide» et de la «nation innocente » et bien évidemment « victime » Non -nous disent-ils- aujourd'hui les pays pauvres sont extrêmement pauvres, comme l'Argentine, à cause du « monstre intérieur ». Aucune culpabilité ni responsabilité incombent au FMI dans la pauvreté catastrophique du monde. Si ce n'est aux élites des pays endettés, qui se sont appropriés de l'argent que le FMI a donné pour le développement, et qui est allé à la corruption. C'est à dire qu'ils l' ont volé. Le mal dont souffre ce monde, selon le FMI et ses idéologues, ce n'est pas le capital, mais la corruption indécrottable des pays débiteurs.

Le coupable n'est plus « l'impérialisme » mais la « nation ». Cela n'étonnera personne que Paul O'Neill, secrétaire du trésor américain, tienne de tels propos : « l'Argentine est comme elle est car c'est une société désarticulée » Ce que revient à dire que l'Argentine est la seule coupable, à cause de sa classe politique et syndicale corrompue, et le faible vocation de ses habitants à vivre dans l'ascétisme.

Dessinant ainsi un monde partagé entre pays riches, responsables, qui savent gérer leurs économies, et les pays pauvres, irresponsables, qui vivent au milieu du chaos, et de la corruption sans fin.

«Cela n'a pas de sens -dit Bush- de donner de l'argent à des pays qui sont corrompus, parce que cela n'aide pas la population, mais juste une élite et cela n'est juste ni pour les gens de ces pays, ni pour ceux qui payent des impôts aux Etats- Unis ». O combien de tendresse y a t-il dans ses paroles! C'est touchant que Bush se préoccupe tant des habitants de notre pays. Nonobstant, parions qu'il se préoccupe plus des bons contribuables nord-américains. Peu importe, en tout le cas le discours est bien ficelé, le gouvernement des Etats Unis gère l'argent de ses bons contribuables et sont responsables que cette immense masse de nord-américains pensent que le reste du monde n'existe pas ou qu'il existe seulement pour leur demander de l'argent, et de ne pas les aimer comme il se doit. C'est injuste pour ses contribuables -argumente Bush- de donner de l'argent à des pays corrompus. C'est injuste aussi de demander des efforts aux organismes financiers internationaux, toujours disposés à aide. Mais plus maintenant. Puisque leur patience est épuisée. Ils ne désirent plus jamais financer la corruption de ces débiteurs « va nu-pieds » du monde. En somme, si les choses avaient été faites comme le FMI le préconisait, tout se serait passer autrement. La faute n'incombe pas au FMI et à ses recettes mais aux élites corrompues, évidement.

Ce discours est puissant, c'est pour cela que nos libéraux en jouent à fleuret démoucheté, avec enthousiasme. C'est vrai sur un point. La corruption des pays endettés est indiscutable, mais aussi dévastatrice. Mais, rien n'est si simple. Ni la nation était le bien, ni l'impérialisme n'est le mal. Ceux qui ont pensé les choses ainsi, même avec intelligence, ont toujours affirmé que l'impérialisme s' approprié des nations avec la complicité de leurs élites puisque il y avait une très forte corrélation entre le monstre du dedans et celui du dehors, l'un ne peut exister sans l'autre. Le discours libéral implique dans son retournement le vieux discours schématique qu'il prétend condamner.

Ni le FMI est le bien, ni la nation.

Voulez-vous qu'on vous montre les photos de Bush père jouant au golf avec le président de l'époque, Menen? Il ne savait pas à qui il prêtait de l'argent ? Pourtant c'était des voix argentines qui prévenaient «Ils sont en train de tout voler ! Ils vident le pays, ils le vendent pour rien ! » « Ce sont des mensonges que les privatisations vont bénéficier aux usagers, provoquer la réduction des tarifs et l'augmentation de la productivité. C'est un mensonge que la convertibilité générera de la croissance ! Ecoutez, ils sont en train de tout voler ! »

Et l'ambassadeur James Cheek, grand ami de Menen, ne vous a pas tenu au courant ?

Et s'il ne vous a pas informé, vous n'étiez vraiment pas au courant ?

Bien sûr vous l'étiez ! Mais cela était si rentable de prêter de l'argent aux Argentins corrompus. De faire des affaires avec eux. De les maintenir au pouvoir.

Colin Powell a affirmé avec cruauté : « Avant, à cause des conflits avec l'union soviétique, nous regardions ailleurs, ce n'est plus le cas maintenant » C'est -à-dire, qu'avant ils toléraient la corruption parce qu'ils avaient besoin des alliés pour la guerre froide. Cette guerre finie, ils ne regarderont plus « ailleurs », maintenant, ils regarderont vers l'intérieur, vers nous et ils nous découvrent corrompus, pas fiable, faibles, déstructurés et même un peu imprévisibles. Bien sûr, les conflits sociaux sont toujours exaspérant à l'extrême pour le pouvoir économique.

La cruauté de la phrase de Powell réside dans son inexactitude et sa fausseté absolue. Jamais -et encore moins pendant la guerre froide- les nord-américains regardèrent ailleurs. C'est pour cela qu'ils sont complices et co-responsables du désastre subi par la partie saine, honnête du peule argentin. Se souviendra t-il Colin Powell que le coup d'état de mars 1976 fut salué par les Etats-Unis et le FMI quelques heures après avoir été mené. Regardèrent-ils ailleurs? Alors que les militaires venaient de s'installer à la Casa Rosada, le FMI offrait un crédit stand by de 350 millions de dollars. Henry Kissinger, peu après, autorise et réclame l'élimination -en marge des droits de l'homme, sans parler de la légalité de l'Etat ni de la démocratie- de tous les « éléments » liés à la « subversion ». Regardait-il ailleurs alors ?

La dette externe argentine arrive avec les pouvoirs
militaro-financiers à 45 000 millions de dollars. Les organismes financiers ne savaient-ils pas alors à qui ils donnaient cet argent? Ne se rendaient-ils pas avec cet appui économique complice d'un génocide, auquel ils prétendaient s'opposer du point de vue des droits de l'homme. Le capitalisme international a financé le massacre de plus de 30 000 argentins pour produire une dette de 45 000 millions, qui aujourd'hui nous esclavagise, et que personne ose tout simplement ne pas payer. Au moins, au nom des droits de l'homme, ne pas payer la partie de la dette contractée par la dictature : cela serait une logique irréfutable. Cette dette s'est cristallisée dans le système économique que nous subissons depuis lors à travers les mesures imposées par le FMI.

Nous avons reculé : en décembre l'Argentine était le symbole des échecs des recettes du FMI et un étendard pour le mouvement anti-mondialisation. Aujourd'hui avec le discours hégémonique des libéraux locaux et du FMI, l'Argentine est un pays irresponsable, corrompu, coupable dans sa totalité, qui devra souffrir pour avoir mal utilisé l'argent généreux des banquiers du monde, tous bons et innocents, puisqu'ils ne savaient rien.

Entre temps, une fois regonflé, le FMI -comme a dit le philosophe grec Cornelius Castoriadis- continue à clouer « des clous additionnels au cercueil des pays pauvres »

- Publié dans le courriel d'ATTAC



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