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L'esprit de Ben Laden

critique, Miércoles, Marzo 27, 2002 - 06:38

un commando Critique immuable

Oyez ! Oyez ! Voici un texte écrit par un combattant d'élite mobilisé pour la nouvelle opération de réflexion radicale : « Critique immuable ». N'hésitez pas à vous rendre aux quartiers généraux de la résistance de la raison : www.critiqueimmuable.org. Le texte qui suit est au sujet de « l'effet Ben Laden » sur la politique et la psyché américaine.

On se souviendra de l'opération cousue de fil blanc du gouvernement américain qui consistait à lancer en primeur, le 13 décembre 2001, un film soi-disant «compromettant» pour Ben Laden (cf. la transcription anglaise) simplement pour que l'espace médiatique, finalement assez restreint, soit saturé et ne puisse aménager la place qui convient à l'importante décision américaine annoncée au même moment : celle de ne plus respecter le traité ABM et de mettre de l'avant son projet de bouclier anti-missiles (cf. l'article « Ce fut, de fait, un 13 décembre “treize important” »). On se rappellera la valse-hésitation - doit-on, oui ou non, diffuser le film où Ben Laden montre toute sa cruauté - exécutée par les principaux danseurs des grands ballets américains qui, pendant 3 ou 4 jours, nous ont fait participer à leur hésitation en partageant avec nous leurs impressions sur l'horrible film à propos duquel on apprenait çà et là quelques détails. Bref, on a mis tout le monde en attente du film pour finalement le diffuser au moment même où le gouvernement annonçait qu'il ne reconnaît plus le traité ABM sur les missiles balistiques. Et qu'a-t-on découvert de si répulsif dans ce vidéo-appât? Une conversation manière « mystique musulman » sur l'épiphanie du 11 septembre 2001. On nous annonçait une incursion insoutenable dans l'intimité d'un fou sanguinaire ; des représentants de la Maison Blanche parlaient avec émotion de son rire froid et satisfait des événements du 11 septembre 2001 autant que d'un «  disgusting body language » - ce dont il ne fallait pas s'étonner : les incultes assumés et maîtres du monde, croient qu'il est sain de ne rien comprendre à une langue barbare autant qu'il est sain de penser qu'elle ne peut rien dire pour se rabattre sur l'impression que l'on a de ce qui effectivement ne dit presque rien : la gestuelle du locuteur. Et que découvre-t-on d'autre dans ce film ? Un homme articulé et extrêmement rusé dont on devrait tout craindre s'il se déclarait notre ami, mais qui pourtant suscite l'admiration par sa vive intelligence si on la compare à la bêtise des Bush, Rumsfeld et
consorts.

Alors qu'on s'attendait à être témoin chez Ben Laden d'une satisfaction obscène manière « méchant » qui remporte la première manche dans les films hollywoodiens - c'est ce à quoi on nous avait préparés - , on constate plutôt que Ben Laden fait de l'esprit. Le moment où Ben Laden raconte, amusé, sa conversation avec un de ses combattants est savoureux. Voilà la petite histoire. Quelques jours avant l'attentat, un combattant lui aurait confié qu'il a rêvé qu'un attentat en Amérique aurait lieu, qu'un grand édifice serait touché, etc. Ben Laden raconte que, soucieux de préserver le secret de l'opération, il conseille à ce combattant de ne révéler ce rêve à personne parce qu'il risquerait de choquer les gens. Au-delà de l'exotisme de l'anecdote - qui n'est tout de même pas à négliger - il faut souligner le machiavélisme de Ben Laden à l'égard de ses interlocuteurs qu'il manipule avec aisance.

Tout d'abord, avec son petit récit, Ben Laden montre qu'il a un petit quelque chose de plus à dire sur les multiples «rêves prémonitoires» qui, à entendre ses interlocuteurs mystiques, ont partout annoncé l'attentat. Il va de soi que par son récit, il confirme que ses combattants sont eux aussi en contact avec Dieu à travers leurs rêves. Mais il y montre en prime qu'il a des soucis que ses interlocuteurs n'ont pas. C'est qu'il est embarrassé par le souffle enthousiaste de Dieu qui filtre dans la vie onirique de son combattant, et se voit obligé de tempérer les ardeurs de ce dernier. Il le fera cependant d'une manière empreinte de sérénité et de générosité malgré qu'il ait tout à craindre de son intimité avec le combattant. Car si d'aventure la révélation du combattant venait aux oreilles des chasseurs de terroristes, cette intimité même serait le révélateur du sérieux du «  rêve », la mission pourrait échouer et ceux qu'ils l'ont concoctée seraient d'emblée démasqués. La générosité et la sérénité de Ben Laden deviennent ici les indices révélant que le rêve de son combattant est en fait un message de Dieu à son attention spécifique: l'opération 11 septembre allait réussir, confie Dieu à Ben Laden. Fort de cette confidence, il n'était donc pas nécessaire de prendre d'autre mesure que celle de conseiller au combattant de se taire. Pour l'auditoire charmé d'avance par Ben Laden, ce récit est une autre preuve qu'il est transi par la volonté divine. Ils se disent que Ben Laden n'avait pas besoin de liquider le combattant dans la mesure où il sentait que le message divin qu'il a reçu protégeait le combattant autant que l'opération elle-même. Mais Ben Laden ne pouvait évidemment pas l'affirmer explicitement devant ses interlocuteurs car il aurait donné l'impression d'être absolument sûr de lui et aurait risqué de passer pour fou, en plus d'être jugé imprudent parce qu'il n'aurait pas pris les moyens ultimes au moment opportun pour faire taire le combattant rêveur. Ben Laden sait qu'il ne doit pas affirmer que ses actions sont prescrites directement par Dieu : il doit donner l'impression qu'il a lui-même un peu de l'innocence qu'il a reconnue au combattant. À défaut qu'on lui reconnaisse une telle innocence, il doit au moins donner l'impression indiscutable qu'il est d'une profonde humilité. Ce sont ses interlocuteurs seuls qui doivent lui confirmer qu'il agit selon la volonté divine, ce qu'ils ont fait d'ailleurs généreusement.

Bref, ce bout de film que les Américains prétendent avoir trouvé dans les décombres de l'Afghanistan bombardé est finalement bien plus intéressant que scandaleux - après tout, s'attendait-on à autre chose que voir les responsables de l'attentat heureux de sa réussite - et il ne fait aucun doute que la même quantité de piétage de film qui aurait été tournée lors d'un dîner privé de Bush avec Rumsfeld et tout autre de ses acolytes serait bien
plus gênante pour Bush que ne le fût le film de Ben Laden pour Ben Laden lui-même. Imagine-t-on la grossièreté de la scène ? En fait, pas besoin d'imaginer le mélange d'ennui, de scandale et de répugnance qui nous envahirait : Bush nous livre déjà tout ce qu'il faut en public pour le susciter. Comme je l'ai dit ailleurs, la propagande de Bush est transparente comme le vent qui lui souffle entre les oreilles (cf. La propagande selon Bush). Non seulement Bush est ignare et stupide au point que lorsqu'on lui adresse une question, il
lui est impossible de cacher derrière quelque mensonge que ce soit la stratégie concoctée par ses experts qu'il a peine à comprendre, mais tout ce qui lui reste pour se donner l'impression de pouvoir dire les choses avec conviction, c'est son fond de ressentiment raciste. On se
souviendra de sa réponse lorsqu'on lui a demandé tout récemment de commenter la situation tendue entre l'Inde et le Pakistan. Il a répondu une bêtise : «Les Pakistanais feront ce qu'ils doivent faire».

Malgré la grossièreté de l'esprit de Bush et de ses acolytes, il faut voir l'indice d'un reste d'intelligence dans le fait qu'ils semblent envier l'aisance d'esprit de Ben Laden. Ils ont sans
succès tenté de le faire passer pour un monstre plus grand que celui que l'on s'imagine. Et à chaque fois que Ben Laden a envoyé un message à l'attention du monde, ils se sont stupidement sentis obligés de nous avertir qu'il essayait de nous manipuler, un peu comme ces gens qui
vous invitent à voir un film afin d'avoir le plaisir de réciter les péripéties en même temps qu'elles se déroulent et, ultimement, de dévoiler le dénouement avant qu'il advienne. S'il est compréhensible que Bush, le mauvais rhéteur, ait le sentiment de ne pouvoir nous convaincre de rien, il y a quelque chose de pathétique à le voir insister sur le fait qu'il sait ce que Ben Laden fait. Il est assez absurde de voir Bush et consorts dire inlassablement que tout ce que Ben Laden déclare au monde est de la propagande... qui ne l'avait pas deviné d'emblée ?!

Mais Rumsfeld et Bush ont dépassé les bornes quand ils ont été pris de court par la diffusion d'un bande vidéo récente qui aurait été enregistrée au moment où tout le monde commençait à croire Ben Laden mort. Ben Laden y lance des appels à l'attentat contre les
intérêts économiques américains - car il semble avoir compris qu'il pouvait faire autant de tort à l'Amérique en vidant les centres d'achats qu'en tuant les gens. Eh bien, Bush et consorts n'ont trouvé rien d'autre à dire que Ben Laden « ment » comme d'habitude : c'est un menteur... Est-il besoin de dire que cette remarque absolument impertinente, expressive d'une volonté de
dénégation de la réalité est offensante pour l'intelligence de tout leur auditoire ? On a envie de leur crier dans la gueule que l'on ne doit pas badiner avec un appel à la guerre de la part de celui qui a provoqué l'hystérie de l'Amérique et, par voie de conséquence, la contamination de son économie, et qui connaît maintenant très bien les
effets de son coup. Car Ben Laden n'a pas à s'en tenir qu'au nombre de morts dus à l'effondrement des tours - ce qui aurait été une information importante pour un guerrier traditionnel - , il a tout loisir de comptabiliser quotidiennement les effets de son coup, effets qui prolifèrent toujours d'ailleurs. On ne doit pas laisser les Bush et consorts appeler «mensonge» ce qui est une menace qui a toutes les chances d'être une promesse, car dès lors, il y a tout lieu de croire que les imbéciles qui nous tiennent lieu de protecteurs, sont aussi dangereux que Ben Laden lui-même.

En attendant de voir des attaques contre les Walmart et le reste, commis par des «combattants illégaux», comme les appelle Rumsfeld, par des «Pakistanais» comme les nomme Bush, je recommande au gouvernement américain de ne pas sous-estimer le pouvoir dévastateur de l'esprit de Ben Laden sur les citoyens des
démocraties occidentales. Évidemment, je ne parle pas de mon cas, moi qui n'a qu'un respect bien inoffensif pour l'intelligence de Ben Laden, je pense plutôt aux désespérés américains qui ont commencé à entrer en transe sans avoir besoin de déchiffrer quelque message codé que ce soit dans les communications vidéo de Ben Laden pour émuler les
« martyrs » du 11 septembre 2001 - je pense à cet adolescent qui a percuté la tour de la Bank of America à Tampa en Floride, le 5 janvier dernier (cf. « Tampa pilot voiced support for bin Laden »).

Il s'agissait de la misson 36 contre l'opération américaine « liberté immuable ».

Ce texte a été écrit par un auteur qui tient à rester anonyme et qui ne doit pas être confondu avec Stéphane Bureau. Il oeuvre pour la nouvelle opération de réflexion radicale : « Critique immuable ». N'hésitez pas à vous rendre aux quartiers généraux de la résistance de
la raison : http://www.critiqueimmuable.org.

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