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<b>Alternative aux « petites vues » du Sommet des Amériques (I)</b>

critique, Miércoles, Marzo 6, 2002 - 11:32

<i>L'air des lampions</i>

Critique de la stratégie de résistance de Philippe Duhamel et de sa compréhension des forces en présence au Sommet des Amériques en avril 2001.

Analyse du Collectif «L'air des lampions»

« In a great democracy like Canada we have the ability to allow peaceful protest as part of the process »

- Lynn Myers, secrétaire parlementaire du Solliciteur général du Canada, ex-directeur de la police de Waterloo (CounterSpin, CBC, mai 2001)

Cette lettre ouverte fut la première intervention du Collectif de réflexion sur l'air des lampions en mai 2001. Elle nous apparaît pertinente encore aujourd'hui au moment où l'anniversaire des événements entourant le Sommet des Amériques est anticipé par le lancement d'un film médiocre où ces événements sont présentés sous l'angle dit « complexe » du capharnaüm des intérêts et des croyances divergents et de la mécompréhension mutuelle. Mis à part la confusion, le cinéma-vérité de l'ONF contemporain n'a pas grand-chose de plus à apporter que ce qui constitue l'essence des médias d'information aujourd'hui, alors que le mythe de l'objectivité s'est confondu avec le direct. Voilà pour la critique d'art. Ceux qui ont participé à la manifestation, et qui ont été à même de voir dans la rue le ferment d'une fantastique solidarité entre ceux qui avaient choisi divers modes d'expression de résistance contre la mauvaise foi de nos représentants politiques, savent combien est vaine la prétention des réalisateurs à vouloir « susciter la discussion » par leur film qui, sans surprise, fait resurgir le sens « complexe » de ces événements du « destin personnel » de certains de ses « acteurs ». Cela dit, le film va inévitablement devenir la navrante narration officielle de la complexité des enjeux et de l'importance de ces événements. Dans notre grande démocratie, « as part of the process » dirait Lynn Myers, beaucoup semblent convaincus que l'on ait besoin d'une narration filmique de ces événements qui serait à la fois une sorte de dernier mot - puisque les images, en en valant mille, les valent tous - et un support pour notre mémoire collective de ces événements. À cela, nous opposons que la mémoire de notre solidarité lors des événements de Québec n'a pas à prolonger son sens dans une représentation appauvrie constituée d'une concaténation de témoignages confus recueillis dans le feu de l'action.




Ne laissons surtout pas nos réflexions sur ces événements être laminées par un film opportuniste.




Nous vous convions à lire une lettre polémique qui visait précisément à faire état de toute la réussite des événements de Québec du point de vue de la résistance.

- Claude Pupitre
Commando de l'opération Critique immuable

Lettre ouverte à Philippe Duhamel

Monsieur Duhamel,



La présente lettre est certes opiniâtre mais elle est tout autant une interpellation visant à communiquer un contenu de réflexion. En un mot, c'est une intervention intellectuelle qui, par sa rhétorique autant que son contenu, vise à vous reprocher tout court de ne pas avoir pensé de manière sérieuse notre situation commune de militants, comme il vous incombait. Pourquoi pouvons-nous vous demander d'être plus conséquent intellectuellement, vous l'activiste plus souvent qu'autrement appelé à prendre des décisions pragmatiques ? C'est que vous êtes aussi quelqu'un qui accepte volontiers de livrer ses idées dans les mass media. Et votre situation n'est plus alors celle de l'activiste qui offre deux ou trois conseils à l'attention de celui qui veut résister passivement à une arrestation, mais bien celle d'une personne à qui l'on demande de légitimer de manière plus réflexive ce au nom de quoi elle pose des actes illégaux. Le problème tient pour nous dans le fait que dans vos plaidoyers médiatiques, vous optez pour la voie facile du moralisme anti-violence qui n'a pour effet que de soumettre d'autres formes de militance aussi politisées que la vôtre à une réputation d'illégalité aggravée en regard de la résistance passive. Conséquemment, malgré tous vos efforts, votre activisme n'apparaît plus d'abord comme étant mû par une conviction pacifiste, mais comme une expression modérée et respectable d'illégalisme. Lorsque tout est ainsi laminé par l'idée que le moins illégal est préférable au plus illégal - et qu'en sus, votre moralisme laisse croire que le plus illégal est nécessairement plus irresponsable, tout débat sur la dialectique de l'opposition politique se trouve exclu. Vous nous direz que vous n'êtes pas un dialecticien : nous vous répondrons que là est votre irresponsabilité. À chaque fois que vous parlez de la violence et que vous en faites le synonyme de l'excès impardonnable, et que vous pensez ne parler que du point de vue de la force tranquille de votre vertu, vous jouez en fait le jeu du légalisme : dans le cadre de votre assumance de l'illégalité, vous inventez alors la loi de la non-violence qui vous permet de transformer la militance de résistance passive en croisade préventive contre les militants qui ont choisi des stratégie plus musclées. La goutte qui a fait déborder le vase pour nous fût votre intervention à l'émission radiophonique de Michel Lacombe du samedi 28 avril 2001, où vous vous êtes non seulement montré mesquin à l'égard de la mobilisation inespérée contre la ZLÉA dont la ville de Québec fut le théâtre, mais où finalement vous avez vous-même fait étalage des limites de vos tactiques et, en dernière instance, des lacunes de votre analyse.



Votre mesquinerie s'est exprimée dans le fait que votre analyse embryonnaire de ce qui s'était passé à Québec a cédé rapidement le pas à vos spéculations imaginatives sur ce qui aurait pu arriver si vous aviez été désigné organisateur d'un festival de désobéissance civile de masse. Nous sommes estomaqués du fait que vous ne soyez pas capable de regarder la réalité en face : la mobilisation de Québec est celle que vous devez accepter parce qu'elle est le fruit d'une forme de mouvance sociale.



Mais avant de pouvoir regarder la réalité en face, il faut souvent travailler sur soi-même. Nous allons vous aider un peu. En l'occurrence, nous croyons qu'il faudrait perdre cette naïveté qui vous fait croire que votre pacifisme vous met à l'abri de la mauvaise foi politiquement motivée de nos adversaires. Car en effet, ce n'est pas vous qui allez ultimement décider si vos agissements sont violents ou non-violents. La présomption juridico-policière selon laquelle Jaggi Singh était un artilleur potentiel est exemplaire à cet égard. La leçon que l'expert criminologue - Jean-Paul Brodeur - a voulu vous donner lors de l'émission radiophonique à propos de votre fantasme de corvée de pinces le long de la clôture relève de la même logique. C'est l'État et la police - et plusieurs alliés discrets comme Brodeur qui, malgré son hésitation à juger la police sous couvert de réserve d'expert, a affirmé de manière définitive l'inutilité d'une enquête publique sur les agissements de la police - qui, au nom de la sécurité civile, en sus de l'usage « légitime et exclusif » de la violence, s'arrogent le privilège d'invoquer tactiquement le « danger appréhendé » à la mesure de l'ampleur imprévue de la mobilisation politiquement significative. Il est heureux de savoir que vous avez reconnu le caractère politique de l'arrestation de Singh en signant la pétition en faveur de sa libération provisoire. Mais pourtant, vous n'avez pas trouvé l'occasion de voir la portée politique du verbiage de Michel Lacombe qui, lors de l'émission, a tranché la querelle de chiffres entre la police (bien représentée par M. Brodeur) et les syndicats (ainsi que d'autres groupes d'activistes politiques) à propos de la mobilisation en invoquant l'aveuglement subjectif de part et d'autre. Vous avez manqué l'occasion de demander pourquoi la police, qui prétendument ne fait pas de répression politique mais plutôt du travail professionnel de contrôle des foules, aurait intérêt à maintenir qu'il y avait 30 000 personnes plutôt que 60 000 le samedi du Sommet ? Ne serait-il pas normal qu'en tant qu'institution professionnelle désintéressée, la police affirme fièrement qu'elle a contribué à contrôler 60 000 personnes plutôt que 30 000 ? Quoi qu'il en soit, nous ne sommes pas sûrs que vous tirerez les conclusions qui s'imposent pour vos propres actions et pour vos interventions médiatiques. C'est pourquoi nous allons encore insister un peu.



Il faut comprendre que votre conscience morale de pacifiste n'a rien à voir a priori avec la portée politique éventuelle des arrestations que vous choisissez de subir. C'est une conjoncture complexe dépendant entres autres des visées de l'appareil juridico-policier qui permet qu'une arrestation ait éventuellement une signification politique. Vos chorégraphies de désobéissance civile passive qui culminent paisiblement dans les bras de la police, laquelle participe du coup à ce grand ballet, ne sont politiques que pour l'idéaliste en vous. Vos actions n'ont certes pas toujours été stériles, mais cela ne dépendait pas de votre vertu. Quand vos actions ont été efficaces, c'est parce que la société qui se représentait comme société pacifiée fut surprise de voir que des gens pouvaient être arrêtés parce qu'ils défendaient des idées. Mais à part vous-mêmes, les résistants passifs et tout ceux qui ont le fantasme d'en être (ils ne sont pas si nombreux, et vous le savez quand vous affirmez sur le ton de l'entrepreneur que les syndicats ont manqué le virage de la désobéissance civile), personne n'a vraiment pensé que ce fût la paisibilité de votre ardeur, votre force tranquille, qui avait une portée politique. On a bien sûr admiré votre courage - le « making of » filmique de l'action de Salami nous en a donné l'occasion - mais ce n'est finalement que la seule surprise contextuelle de l'arrestation massive de gens simplement assis dans la rue au sein d'une société pacifiée qui a eu une signification politique.



Voici où nous voulons en venir : c'est chaque fois l'explicitation des tactiques d'intimidation terroriste de la police, c'est-à-dire la puissance calculatrice spécifique que lui confère son monopole d'usage de la violence, qui a immédiatement une signification politique autant d'ailleurs lors de vos meilleures actions que lors de celles du Sommet des Amériques dont vous boudez la réussite. Vos actions pacifiques, si elles ont une quelconque efficacité, ne l'ont d'abord que par le sens inattendu qui en émerge lorsque sont déployées les forces démesurées de la police. Vos actions comme les actions dites violentes, qu'elles soient tactiques ou même simplement expressives, sont marquées par une asymétrie essentielle par rapport au moyen de la police. L'occupation passive, le bris de la vitrine ou l'assaut ultimement inoffensif à l'égard de la police, ont tous une portée politique quand la police contribue par ses actions à expliciter le conflit politique que l'état de nos « démocraties » dénie par lui-même. La police n'est pas qu'une institution saine pervertie par un penchant malheureux des hommes. Sa violence est le symptôme de la ténacité du cynisme barbare de ceux qui ne cessent de nous parler de démocratie tout en ordonnant de matraquer et gazer les citoyens qui s'opposent de manière légitime. On entend souvent de votre bouche, et de celles d'autres consciences apaisées par l'espérance idéaliste, qu'il est hors de question d'opposer à la « violence institutionnelle » quelqu'autre forme de violence. Mais vous rendez-vous compte que d'appeler la violence de la police une violence « institutionnelle » est un euphémisme qui trahit votre incapacité de regarder les choses en face ? C'est d'abord faire bien mauvaise presse au concept d'institution lui-même. À ce que nous sachions, il s'agit d'un concept qui, dans les sciences humaines, veut saisir la capacité de la société de réfléchir sur sa destinée et de concrétiser des idéaux pour elle-même. Par ailleurs, nous serions étonné d'apprendre que sous le vocable de « violence institutionnelle », ce que vous visez soit la violence que vous jugeriez, d'un point de vue anarchiste, inhérente à toute institution - après tout, vous avez bien montré dans les mass media que la métaphysique politique n'est pas votre affaire. Nous sommes donc amenés à croire que vous dites « violence institutionnelle » pour ne pas dire « violence exercée en fonction d'un but proprement politique », but qui ne peut être que la terreur quand cette violence est exercée par l'État au nom de la démocratie contre les voix qui s'opposent. Appeler un chat un chat : voilà ce à quoi nous vous invitons.



Une fois que l'on a été à même de constater que cette violence terroriste est effectivement déployée contre les opposants dans les régimes prétendument démocratiques - on n'avait pas à attendre les événements de Québec pour en être sûr - , il vous incombe à vous, l'activiste démocrate, de faire les distinctions nécessaires non pas entre la « violence institutionnelle » et la « non-violence », mais entre la violence politique, juste, mesurée et légitime d'une part, et la violence terroriste de l'État d'autre part. En tout cas c'est sur cette voie que s'est engagée, de manière tout à fait inopinée, madame Françoise David, le 28 mai 2001 à l'émission de Marie-France Bazzo, et nous vous conseillons d'en faire autant. Pour cela, il faut évidemment que, comme Françoise David l'a fait, vous abandonniez votre ligne éditoriale condamnant toute violence. Il faut savoir qualifier les violences. Cela étant dit, votre sentiment d'être appelé à donner l'exemple vous fait peut-être croire qu'il importe que l'on ne puisse soupçonner que vous ayez un goût pour l'expression violente de l'opposition. N'ayez crainte, ne pas condamner de manière absolue la violence ne vous rendra pas violent pour autant, et si par hasard vous aviez en cachette un goût plus engageant pour les actions musclées, n'écoutez pas votre conscience ; ne vous confessez pas aux inquisiteurs médiatiques de nos démocraties.



Pour vous aider à libérer votre conscience de ces démons, nous vous proposons maintenant une analyse visant à mettre en valeur la solidarisation des résistants dans le respect réciproque des tactiques - ce qui n'exclut pas la critique ponctuelle réciproque - , ce à quoi l'on a assisté à Québec. Nous croyons qu'il s'agit d'une voie prometteuse s'il faut penser la mobilisation encore minoritaire comme l'expression d'une opposition politique efficace. Quoi que vous en ayez pensé jusqu'à maintenant, cette tactique a réussi à mettre au jour l'essence répressive de la violence de l'État sans que cela soit trop onéreux du côté des résistants. Grâce à elle, les expressions diverses de l'opposition ont réussi à faire en sorte que l'indifférence de la classe politique à l'égard de l'opinion critique se retourne contre elle-même. Et là nous ne parlons pas d'exposer la mauvaise foi de l'État devant la critique des faits concernant la ZLÉA - car, comme vous le savez, cette mauvaise foi n'a pas encore mauvaise presse - , mais de commettre l'État dans des mesures extravagantes où l'indifférence - évidemment feinte - de la classe politique à l'égard des résistants est mise en contradiction explicite avec tout ce qui est mis en oeuvre pour tenter de les faire taire. La classe politique se commet ainsi à chaque fois qu'elle prend des moyens ou laisse la police prendre à sa place des moyens pour intimider les résistants, c'est-à-dire des mesures policières exceptionnelles, illégales et démesurées. Il ne s'agit pas d'espérer séduire les masses par le martyre des résistants dû à l'aveuglement policier : par la juste mesure de leur propre force mobilisée contre la police, il est évident que là n'est pas leur but. En effet, il n'est aucunement nécessaire de frapper un « grand coup » et de risquer la mort pour réussir à compromettre la classe politique et sa police. On a vu que des actions titillant l'appareil policier sont suffisantes pour déclencher la répression démesurée dont les conséquences sont atténuées d'emblée par la mesure de la force des résistants dans l'action. Cela dit, la raison pour laquelle, en dernière instance, l'État frappe ne tient pas, comme il le prétend, dans ce qui n'est au fond que des bravades à l'égard de la police. Ce que craignent la classe politique et la police est le plébiscite massif et spontané par tous les militants des « coups » justes et mesurés de ceux qui sont prêts à les commettre. L'approbation spontanée de la violence juste et mesurée à l'égard de la propriété des grandes entreprises capitalistes, de l'équipement des mass media, des barricades illégales et des armures de policiers, voilà sans doute ce qui inquiète le plus l'État parce que c'est une démonstration de solidarité réelle et massive dans l'opposition et la résistance réelles. L'État sait bien que cette solidarité n'a rien à voir avec le sens commun qu'il prétend dégager de la confusion des votants et de la volatilité des réponses aux sondages ; il sait aussi - malgré ce qu'il en dit, encore de mauvaise foi - qu'il ne s'agit pas non plus d'une forme d'enthousiasme sportif qui ferait des approbateurs des bravades à l'égard de la police, des amateurs d'houliganisme. Il sait qu'il s'agit d'une pure expression de la solidarité politique fondée en raison alors que lui-même ne peut que faire semblant d'être le fruit d'une telle solidarité. Mais malheureusement, les gens comme vous qui ont contribué, de notre côté de la barrière, à rendre opérante dans le sens commun médiatique la distinction entre la « bonne » désobéissance civile presque sur le point d'être légalisée et la « mauvaise » violence qui mène à l'apocalypse, faites le jeu de l'affirmation martelée par l'État que tous les violents sont des voyous et que ceux qui les approuvent sont des voyeurs irresponsables. Vous contribuez au travail de propagande visant à faire apparaître comme dépolitisée la résistance radicale.



Qu'à cela ne tienne, le tourment de l'État reste bien réel et c'est la démesure de la police qui en fait foi. La démesure ne trompe pas quand elle consiste à arrêter n'importe qui sous prétexte de participation à une émeute alors qu'au même moment, la police martèle dans les médias qu'il n'y a pas eu d'émeute pour ne pas donner l'impression qu'elle aurait perdu le contrôle. En fait, l'État policier ne ment pas quand il affirme que Québec n'a pas été le théâtre d'émeutes car il est vrai que les manifestants ne sont jamais devenus la foule de pillards que tous les réactionnaires attendaient. Mais l'État policier pêche tout de même par omission en ne disant pas qu'il a craint bien plus que l'émeute, ce que trahissent en fait les mesures qu'il a prises, lesquelles n'étaient pas simplement des mesures de contrôle de foule, mais des mesures anti-insurrectionnelles. Cela est évident quand on constate la militarisation dont la police fut l'objet, d'abord par sa mobilisation massive démesurée puis par ses manoeuvres visant à contrôler non pas les foules mais les territoires - nous référons à l'étanchéisation du quartier délimité par le périmètre de sécurité et l'évacuation systématique du quartier St-Jean-Baptiste dans la soirée du samedi 21 avril. Des tactiques terroristes qui sont typiques des États policiers en état de crise ont également été mises en oeuvre à Québec. La réputation de nos agents de la paix, selon laquelle ils sont doux comme des agneaux, a été définitivement démentie par leurs tactiques d'intimidation non plus seulement à l'égard de militants surchauffés - ce qui serait déjà illégal - mais de n'importe quel citoyen. Ces tactiques consistaient en des arrestations-kidnappings, des arrestations arbitraires sans chef d'accusation, des détentions abusives, des délais abusifs de toute sorte pour les détenus, voire de la torture blanche pendant la détention. En prime, la police a organisé non pas l'infiltration d'une dangereuse cellule de terroristes, mais celle d'un groupe d'étudiants militants pour éventuellement les commettre dans presque rien du tout et monter l'affaire en épingle dans les médias, ce qui relève encore des tactiques de propagande des États policiers. Évidemment, la justice ne pouvait qu'être complice de la police : des cautions inhabituellement élevées ont été exigées ; des manifestants pacifiques ont été gardés en prison sous prétexte qu'ils représentaient un danger pour la société ; un juge a même fait dire à un témoin qui parlait en faveur de J. Singh le contraire de son propos pour appuyer sa décision de garder J. Singh en prison.



Vous pourriez maintenir qu'il est inadmissible que plusieurs personnes paient de leur arrestation leurs convictions politiques sans avoir été pour autant impliquées dans la confrontation active avec la police et qu'elles ne se soient pas décidées de manière franche, comme vous le faites, à payer ce prix. Nous vous dirions d'abord que ces arrestations ne tiennent pas à quelque irresponsabilité des militants actifs : c'est toujours la police qui doit être considérée responsable quand elle décide d'assaillir arbitrairement les militants. En l'occurrence, c'est bien pour tenter de parer à l'arbitraire de l'action policière, quand elle est devenue répression politique, que la tactique consistant à déployer la manifestation sur différentes zones désignées en fonction du degré de risque d'arrestation que comporte le fait de s'y retrouver est mise en oeuvre. Incidemment, il est intéressant de noter que plusieurs militants ont décidé de prendre le risque de l'arrestation non pas en commettant des actes violents mais en décidant d'être présents là où la résistance était plus radicale et, le cas échéant, en approuvant explicitement les actions musclées. Parmi ces personnes, celles qui furent arrêtées l'ont été non pas parce qu'elles l'avaient choisi - comme il vous arrive parfois de le faire - mais parce qu'elles avaient choisi la résistance radicale. Et l'on ne voit pas pour autant ces personnes condamner de manière unanime le fait qu'elles ait été arrêtées alors que d'autres, plus compromises, ne l'ont pas été : les personnes arrêtées sont pour la plupart convaincues du caractère essentiellement politique de leur arrestation et elles en ont assumé le risque. En un mot, les manifestants qui n'ont pas suivi vos cours de désobéissance civile savent quelque chose qui vous échappe : c'est le caractère arbitraire de leur arrestation, qui confère à celle-ci son caractère politique et ils assument le risque d'être l'objet d'une arrestation politique en sachant qu'elle n'est jamais juste. Surtout, ils ont perdu cette naïveté, qui vous englue, de croire que le martyre de l'arrestation volontaire permet de politiser leur procès. C'est en débusquant l'intention systématique d'outrepasser la légalité chez ceux-là mêmes à qui l'on confie l'usage exclusif de la violence dans nos démocraties que l'on trouve le meilleur moyen de politiser le procès des militants. Et cela, bien des gens l'ont compris à Québec ; il serait temps que vous le compreniez aussi.



Tout n'est pas perdu. Nous avons remarqué que la gauche institutionnelle modérée a exigé une enquête publique concernant les agissements de la police à Québec et a même affirmé qu'elle comprenait l'expression de colère le long du mur de la honte. Nous imaginons que vous en êtes. Il faudra que vous soyez dans la rue les 22 et 24 mai avec tout ceux qui vont demander que cesse l'extravagance juridico-policière qui coûte cher aux personnes déjà emprisonnées abusivement et qui courent la chance d'avoir des condamnations démesurées.

À propos du Collectif de réflexion sur l'air des lampions

Ce collectif se propose de réfléchir sur les nouvelles formes expressives des revendications populaires qui reprennent la rue. « L'air des lampions » est un nom qui sert à désigner les slogans revendicatifs populaires et qui en évoque un très célèbre datant de 1848, revendiquant un meilleur éclairage des rues de Paris.

Vous pouvez maintenant trouver les analyses du Collectif sur le site de l'opération.
www.critiqueimmuable.org


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