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Les labos paniquent face aux génériques

vieuxcmaq, Miércoles, Febrero 27, 2002 - 12:00

Libération (journal français) (info@transnationale.org)

Ces animaux-là sont hargneux. Prêts à mordre à pleines dents les mollets bien gras de l'industrie pharmaceutique. Ils? Les «génériqueurs». Leurs proies? Les médicaments des grands laboratoires tombés dans le domaine public et donc à la merci de n'importe quel copieur industriel. Leurs armes? Le harcèlement juridique. Le jeudi 7 février, Sanofi-Synthelabo a compris qu'il fallait maintenant les prendre très au sérieux. Au risque d'aller au-devant de gros problèmes.

Une faille. A la suite de la demande du laboratoire canadien Apotex de commercialiser une copie du Plavix, un médicament vedette de Sanofi, le laboratoire français a vu plonger son cours de Bourse de 9 % en deux jours. Il lui a fallu publier en toute urgence un communiqué pour préciser que son Plavix chéri (qui représente 33 % du résultat opérationnel du groupe) était protégé par une batterie de brevets qui n'arriveront pas à expiration avant 2011 aux Etats-Unis. Mais voilà, le canadien a cru déceler une faille, affirmant qu'un des multiples brevets de la molécule tombait en 2003. Intox? Peut-être. Mais cela a suffi pour paniquer la petite communauté des investisseurs du secteur, de plus en plus susceptible avec ces questions de copie.

Toute l'industrie pharmaceutique mondiale avait, ces dernières semaines, les yeux rivés sur les courbes de vente du Prozac, l'antidépresseur vedette d'Eli Lilly, concurrencé par un générique, vendu beaucoup moins cher, depuis le mois d'août. Le bilan est catastrophique. En l'espace de cinq mois, les ventes du Prozac ont chuté de 84 % aux Etats-Unis.

C'est d'autant plus dramatique pour le laboratoire américain que l'antidépresseur représente à lui tout seul environ un quart de son chiffre d'affaires. Et encore, le pire est à venir. Depuis le début du mois de février, six autres génériqueurs ont débarqué, attirés par l'odeur des dollars. La fameuse petite pilule verte et blanche va-t-elle disparaître des officines américaines? Pas tout de suite. Voyant venir le coup de la chute des brevets, Lilly a pris les devants en commercialisant, en début d'année dernière, un Prozac à avaler non pas tous les jours mais une fois par semaine. Un pis-aller marketing pour repousser la mort de la star mondiale des anti-dépresseurs.

La violence de la dégringolade du Prozac est en train de faire gamberger toute l'industrie. «Perdre 80 % de ses ventes en quelques mois, c'est du jamais vu», assure Claude Le Pen, professeur à l'université Paris-Dauphine et spécialiste du secteur. «La concurrence des génériqueurs est maintenant devenue très très agressive.» Les patrons des grands labos sont sur les dents. Le britannique AstraZeneca vient de prévenir les analystes financiers du secteur qu'il ne faudra pas attendre des merveilles cette année en matière de bénéfices. Motif? Son Losec, un antiulcéreux, qui réalise 35 % de ses ventes totales, est sur le point de tomber dans le domaine public. Jeudi 14 février, à l'occasion de la présentation de ses résultats financiers, c'était au tour de Jean-Pierre Garnier, directeur général français de Glaxo SmithKline, de rassurer les marchés sur l'avenir de l'Augmentin, son antibiotique vedette, lui aussi lorgné avec envie par plusieurs génériqueurs. «Je suis certain que les licences qui protègent notre médicament sont solides comme un roc», a-t-il déclaré. Mais, en attendant, Glaxo SmithKline n'a pas pu faire autrement qu'entamer une longue guérilla juridique pour repousser les assauts de ces envahisseurs.

Croche-pattes. Cet antijeu systématique des laboratoires, à coups de recours judiciaires, commence à agacer beaucoup de monde. En décembre, ce sont, par exemple, 29 Etats américains qui ont décidé d'attaquer en justice le laboratoire Bristol-Myers, l'accusant de faire des croche-pattes illégaux aux fabricants de génériques. Le but des multinationales étant toujours le même: gagner le plus de temps possible pour sauver ce qu'il reste des bénéfices sur leurs médicaments. «On peut être favorable au développement des génériques et continuer à défendre nos médicaments. Il en va de notre responsabilité vis-à-vis de nos salariés et de nos actionnaires», réplique Bernard Poussot, le directeur de la division pharmaceutique d'American Home Products. De son côté, le patron d'Eli Lilly, Sidney Taurel, demande, en guise de paix des braves, un peu de répit et de sérénité: «Il faudrait des règles claires et surtout plus simples pour éviter ces procès à répétition. Qu'on fixe une bonne fois pour toutes la date à laquelle tombe un brevet et que tout le monde s'engage à la respecter.»

Les gros laboratoires ont longtemps pensé qu'en fabriquant eux-mêmes leurs propres génériques, ils pourraient occuper le terrain et mieux gérer la retraite de leurs vieilles stars. Beaucoup ont dû se résoudre à l'idée que c'est malheureusement un peu plus compliqué. Fabriquer un générique et le vendre entre 30 % et 50 % moins cher s'avère être un métier un peu à part. «On a pensé qu'il pouvait y avoir des synergies entre la vente de génériques et celle de nouvelles molécules. Mais ce n'est pas le cas», affirme Bernard Poussot. Faire du volume pour faire baisser au maximum les prix, voilà la seule obsession des génériqueurs. Ces industriels de la copie possèdent souvent un énorme catalogue pouvant compter jusqu'à une petite centaine de molécules, tandis que les labos ne vendent que quatre ou cinq médicaments réellement performants.

Rares paris. «Nous sommes les hypermarchés de la profession», explique un génériqueur. Aujourd'hui, à l'exception du français Aventis, du suisse Novartis et de l'américain Merck, rares sont ceux à avoir fait le pari de garder une grosse activité de génériques. Les autres labos l'ont déjà vendue ou cherchent activement des repreneurs. L'allemand Bayer est ainsi en train de vendre sa filiale française, spécialisée dans les copies (250 personnes et une usine à Sens) à un industriel israélien, Teva, parti de la chimie et aujourd'hui gros bonnet du marché. «Demain, les gros labos vont de plus en plus souffrir», avertit Stéphane Joly, le patron de Bayer Classics et président de l'Association française du générique.

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