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La crise de l'électricité en Afrique du Sud: Plongés dans le noirvieuxcmaq, Martes, Febrero 26, 2002 - 12:00
Daphnée Dion-Viens (daphneedv@hotmail.com)
En 1994, lors des premières élections démocratiques du pays, le gouvernement de Nelson Mandela promettait l’accès gratuit à l’électricité à l’ensemble de la population. Sept ans plus tard, la situation s’est plutôt sérieusement aggravée: suite à une augmentation générale des coûts, il est devenu impossible pour les plus démunis de défrayer ce service de base, si bien que des milliers de foyers sud-africains se sont fait couper l’électricité depuis le début de l’année. Dans les différents towships entourant les grands centres, l’accès à l’électricité est beaucoup plus qu’une question de confort; c’est avant tout une question de santé et de sécurité. En l’absence d’électricité, plusieurs ménages ont recours à des sources d’énergie alternatives, comme le charbon et la paraffine, qui sont la cause de nombreuses brulûres et problèmes respiratoires. De plus, lors d’une enquête menée en mai dernier par l’Université Witwatersrand auprès de 200 résidents de townships, 73 % des répondants ont affirmé que l’absence de lumière causée par les nombreuses coupures d’électricité favorise l’augmentation de crimes dans le voisinage. À Soweto, l’un des plus importants townships situé en périphérie de Johannesburg, jusqu’à 20 000 foyers sont privés d’électricité chaque mois, depuis qu’Eskom, la compagnie paragouvernementale qui fournit l’électricité à l’ensemble du pays, a décidé de ne plus tolérer de retard de paiement. En effet, la compagnie annonçait en mars dernier que le service d’électricité serait interrompu chez tout usager ayant une dette de 5000 Rands (l’équivalent de 1000$ CAN) dûe depuis plus de trois mois. Selon l’étude de l’Université Witwatersrand, 50% des résidents de Soweto ont accumulé une dette de plus de 6000 R envers Eskom au cours des dernières années. Plusieurs raisons expliquent l’accumulation de ces dettes, à commencer par le passage, en 1994, d’un prix fixe par mois, relativement abordable, à une facturation par kWh, beaucoup plus coûteuse. L’abonné est maintenant facturé selon sa consommation mensuelle d’électricité, au grand mécontentenment de plusieurs citoyens. «Lors des élections de 1994, les gens croyaient sincèrement que le plus dur était derrière eux, et que leur conditions de vie ne pouvaient que s’améliorer. À leur grande surprise, la période qui suivit les élections ne fit que diminuer leur niveau de vie, et la situation dans les townships amena les gens à croire que le gouvernement de l’apartheid était meilleur que ce nouveau gouvernement élu démocratiquement. Les gens affirment qu’avant 1994, ils n’ont jamais manqué d’électricité.» déclare Virginia Setshedi, porte-parole du Soweto Electricity Crisis Committee (SECC), une organisation qui revendique l’accès à l’électricité comme étant un droit, et non un privilège. Une partie du problème s’explique aussi par un taux de pauvreté élevé, puisqu’entre 35% et 40% de la population de Soweto est sans emploi, rendant ainsi difficile le paiement d’un tel service de base. Injustices et inégalités sociales La crise de l’électricité qui sévit présentement à Soweto est aussi le résultat d’une situation plus générale, dépassant les limites du township. Comme le démontre l’étude réalisée au printemps dernier, «le coût élevé du service d’’électricité dans les townships est aussi le produit d’un système inéquitable d’instauration des prix, favorisant les grandes compagnies au détriment des plus démunis.» A titre d’exemple, les résidents de Soweto paient 32 cents par kWh, alors que les grandes entreprises des secteurs manufacturiers et miniers paient 12 cents par kWh, sous prétexte que l’industrie doit rester compétitive. En fait, il a été démontré que les entreprises sud-africaines bénéficient des prix les plus bas au monde en matière d’électricité. Une importante différence de facturation existe aussi entre les résidents des townships et ceux des banlieues aisées, puisque ces derniers ne paient que 16 cents par kWh. Dudu Mphenyeke, coordonnatrice de SECC, s’insurge : «les résidents de Soweto paient le double de ce que paient les gens en banlieue, alors ce devrait être le contraire! Les pauvres subventionnent les riches!» La raison invoquée par Eskom pour expliquer cette situation ? Les résidents des banlieues paient leur électricité à la municipalité, alors que les abonnés des townships paient directement à Eskom. En plus d’injustices flagrantes dans le système de fixation des prix, plusieurs citoyens rapportent des anomalies dans la facturation du service d’électricité par Eskom. Les exemples de surfacturation abondent. Une résidente de Soweto raconte: «Lorsque je me suis fait couper l’électricité il y a trois ans, ma facture s’élevait à 7000 Rands. Même après m’avoir coupé l’électricité, Eskom a continué de me facturer pour un service que je ne recevais pas, si bien qu’aujourd’hui ma facture s’élève à 22 000 R.» Eskom de son côté a affirmé qu’il s’agit d’une erreur de service. En plus des multiples «erreurs de service», c’est tout le système de facturation qu’il faut réviser, explique Mme Mpenkele: «Eskom facture en se basant sur une estimation de la consommation d’électricité plutôt que sur la consommation réelle, si bien que la facture dépasse souvent le réel montant dû». Les citoyens s’organisent Devant tant d’injustice et de corruption, les citoyens de Soweto ont décidé de s’unir et de former, en août 2000, le Soweto Electricity Crisis Committee (SECC). Parmi leur requête, l’organisation demande une considération particulière pour les personnes agées, handicapées et sans-emploi, et l’instauration d’un prix mensuel de base, qui limiterait les erreurs de factures basées sur la consommation par kWh. Depuis quelques mois, SECC a aussi lancé une campagne nommée Opération Khansysa: une équipe spéciale de techniciens a été formée afin de reconnecter gratuitement les citoyens qui sont dans le besoin. Jusqu’à maintenant, plus de 2000 résidents ont bénéficié des services du SECC. Lorsqu’on l’interroge sur l’aspect illégal d’Opération Khansysa, Dudu répond sans hésiter: «il est toujours mieux d’enfreindre la loi que de s’acharner sur les pauvres. En déconnectant les plus démunis, Eskom aggrave leur situation en les privant d’un service de base essentiel». Malgré les diverses formes de pression exercées, la réponse d’Eskom demeure toujours la même: « nous avons organisé trois manifestations, nous avons rencontré les digireants de la compagnie à plusieurs reprises mais Eskom nous réfère toujours au gouvernement en affirmant qu’elle est une entreprise qui cherche avant tout à faire des profits», affirme la coordonnatrice du SECC. La réponse du gouvernement s’est traduit par l’adoption, en juin dernier, d’une politique de «service gratuit», qui garantie à tous les foyers, peu importe leurs revenus, une portion d’électricité gratuite. Cependant, la quantité d’électricité offerte correspond à moins de 10% de la consommation moyenne des familles à faible revenu, et fait donc peu de différence dans le montant total de la facture à payer. Un autre facteur menace aussi l’accès à l’électricité à un prix abordable: l’éventuelle privatisation d’Eskom. Depuis l’implantation de la politique néo-libérale du gouvernement en 1996 (GEAR – Growth, Equality and Redistribution), plusieurs services de base ont été vendus à des compagnies privées, tel que l’eau à la compagnie française Suez Lyonnaise. D’ici les prochaines années, Eskom devrait aussi faire partie de cette vague de privatisation, ce que condamme fortement le SECC: «Nous ne voulons pas qu’Eskom soit privatisé, puisque le gouvernement n’aura plus aucun contrôle sur le service d’électricité au pays, et la situation se détériorera davantage» affirme Mme Mphenyeke. Tout comme la lutte qu’ils ont mené contre l’apartheid pendant les années 70 et 80, les citoyens de Soweto sont plus que jamais déterminés à s’opposer encore une fois au gouvernement; cependant, c’est maintenant contre leur propre gouvernement qu’ils doivent résister. Publié dans le journal d'Alternatives, novembre 2001 |
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