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La Caraïbe face à la mondialisation: David contre Goliath

vieuxcmaq, Martes, Febrero 26, 2002 - 12:00

Daphnée Dion-Viens (daphneedv@hotmail.com)

La mondialisation n’est pourtant pas étrangère aux Caraïbes; d’un point de vue historique, elle en est même l’origine. C’est en fait la première région du monde à avoir connu un tel phénomène, dès le XVIe siècle, alors que l’exploitation coloniale entraîna des mouvements d’hommes, de capitaux et de marchandises en provenance des quatre continents. Seulement aujourd’hui, la mondialisation à saveur néo-libérale fait peur. Devant l’inégalité des joueurs, les petits pays de la mer des Antilles demandent le maintien des accords préférentiels et favorisent l’intégration régionale.

Si les Caribéens sont si craintifs devant l’affaissement des barrières commerciales, c’est qu’ils ont déjà été durement éprouvés. Selon Mme Cecilia Babb, coordonnatrice ajointe du Caribbean Policy Development Center (CPDC), le début de la mondialisation économique et de ses effets pervers remonte à la mise en place des programmes d’ajustement structurel imposés par la Banque mondiale et le Fond monétaire international, à partir du milieu des années 70. « L’implantation de ces politiques néo-libérales favorisa l’entrée de produits étrangers, menaçant ainsi la production locale et causant des milliers de pertes d’emplois. La conséquence première de l’ouverture des marchés se traduit par une augmentation générale du taux de pauvreté dans l’ensemble de la région des Caraïbes ». Aujourd’hui, près d’une personne caribéenne sur deux vit dans la pauvreté absolue, avec moins de 1$ US par jour.

En Jamaïque, par exemple, les problèmes ont commencé au début des années 90. Soumis aux politiques imposées par les institutions de Bretton Woods, le gouvernement jamaïcain s’est trouvé dans l’obligation d’ouvrir ses frontières aux importations, ce qui eût pour effet d’anéantir l’industrie laitière locale. Beaucoup moins coûteux, le lait en poudre européen subventionné remplace maintenant le lait produit localement comme matière première pour l’industrie laitière jamaïcaine. Plusieurs producteurs laitiers se sont donc retrouvés à la rue, ne pouvant plus vivre des revenus de leurs fermes.

Cette situation de concurrence déloyale est loin de s’être améliorée avec les premières négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) conclues en 1994, en Uruguay. L’accord a mené à une réduction des subventions directes aux exportations, mais les mesures de soutien indirect sont de plus en plus nombreuses. L’Europe en a profité pour augmenter ses subventions à l’agriculture, si bien que le prix du lait en poudre a chuté davantage.

Accords préférentiels menacés

Avec le premier cycle de négociations de l’OMC, c’est aussi tout le principe des accords préférentiels qui est remis en question. Ces clauses spéciales permettent, par exemple, à un groupe de pays de fixer le prix des produits au-dessus de celui du marché, accordant ainsi un «traitement de faveur » aux pays en voie de développement, afin de compenser pour les inégalités historiques. Un groupe de pays peut aussi décider de limiter la concurrence en ouvrant son marché uniquement aux produits des pays moins favorisés. Depuis la signature de la Convention de Lomé en 1975, la communauté européenne accorde des tarifs préférentiels aux pays de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP) sur des produits tels que le riz, la banane, le sucre et le rhum.

Ces accords sont menacés par les fondements même de l’OMC. Basée sur un principe de non-discrimination, l’organisation met tous les pays membres sur un pied d’égalité, interdisant ainsi le traitement spécial accordé par l’Union européenne à certains pays en voie de développement. En raison des pressions exercées par l’OMC, l’Union européenne modifia son entente avec les pays de la zone ACP lors de la signature de l’Accord de Cotonou en juin 2000, qui succède à la Convention de Lomé. La nouvelle entente signe l’arrêt de mort des accords préférentiels : d’une durée de 20 ans, elle prévoit à terme le remplacement du régime de préférence commerciale par de nouveaux accords de partenariat économique, basés sur l’abolition réciproque et progressive des entraves aux échanges commerciaux.

Ce ne sont pas tous les secteurs de l’économie caribéenne qui peuvent bénéficier d’un tel sursis. L’entente spéciale conclue tout récemment afin de mettre un terme à la « guerre de la banane » met fin aux accords préférentiels dans un avenir beaucoup plus rapproché. La production bananière a fait l’objet d’un litige entre les États-Unis et l’Europe pendant de nombreuses années, alors que les géants américains Dole et Chiquita dénonçaient le régime européen en place qui accordait un traitement préférentiel aux bananes en provenance des pays de la zone ACP.

En 1998, l’Union européenne finit par céder aux pressions des États-Unis et de l’OMC, et décide de faciliter l’accès du marché européen aux bananes produites par les grandes sociétés américaines. Les conséquences sont désastreuses pour les petites îles des Caraïbes, leurs plantations ne pouvant rivaliser avec ces nouveaux concurrents. La Martinique, par exemple, où la production de bananes est le plus gros pourvoyeur d’emploi, perd 33% des emplois directement ou indirectement reliés à l’exportation de ce fruit.

Mais ce n’était pas suffisant pour les États-Unis. Ils ont continué à réclamer l’abolition complète des accords préférentiels en vertu des règles de l’OMC, puisque les pays moins développés bénéficiaient toujours de la plus grande part du marché de la banane. En 1999, Washington imposa même des droits de douanes sur les produits européens, afin de faire pression sur l’Union européenne. Les deux parties en sont venus à un accord en décembre dernier : les pays de la zone ACP conserve 83% du marché européen jusqu’à l’ouverture totale des barrières commerciaels en 2006.

Face à la ZLÉA

La perspective d’établir un marché commun dans l’ensemble des Amériques est bien inquiétante pour ces petits états de la mer des Antilles. Or, comme le rappelle Mme Cecilia Babb,, les pays des Caraïbes n’ont pas vraiment le choix : ils doivent participer à la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA) : « Que nous en fassions partie ou non, nous allons tous subir les conséquences de ce libre marché. Alors vaut mieux s’asseoir à la table de négociation et tenter de faire valoir notre position […]. Il est injuste et impossible pour nous de concurrencer les grands pays comme les États-Unis et le Canada, parce que nos économies sont trop faibles en comparaison. C’est pourquoi nous demandons la création d’une catégorie spéciale au sein de la ZLÉA, qui reconnaîtrait un statut particulier aux économies fragiles, afin de leur accorder un traitement préférentiel. »

Miguel Ceara-Hatton, directeur de l’Association des États de la Caraïbe, partage aussi cet avis. Dans une entrevue accordée au mensuel du Economic Research Center for the Caribbean, il affirme que « les accords préférentiels demeure la seule solution logique aux problèmes d’inégalités entre les pays de la ZLÉA ». Il est cependant très déçu des dernières négociations, et affirme qu’il sera difficile de faire avancer le dossier des petites économies: « les plus grands pays ne sont pas prêts à nous accorder un statut particulier parce qu’ils ne veulent tout simplement pas instaurer de préférences commerciales ».

Les Caraïbes se regroupent

Afin d’éviter la marginalisation au sein de l’économie mondiale et de bénéficier d’un poids démocratique plus important lors de négociations commerciales, les pays des Caraïbes ont décidé d’opter pour une stratégie d’intégration régionale. Depuis une dizaine d’année, on a pu assister à l’expansion de la communauté des pays de la Caraïbe (CARICOM) et la création de l’Association des États de la Caraïbe (AEC) en 1994.

CARICOM compte 14 pays réunis autour du même projet: la création d’un marché unique à l’intérieur de la zone des Caraïbes. Le but est de stimuler l’économie de la région par la libre circulation des biens, services, technologies, capitaux et de la main-d’œuvre. Il est à noter que dans les négociations avec CARICOM pour la zone de libre-échange des Caraïbes, un tarif préférentiel est accordé aux pays les moins développés de l’est des Caraïbes.

De son côté, l’AEC préconise une approche régionale globale, puisqu'elle regroupe tous les 25 pays du pourtour caribéen. L’organisation inter-gouvernementale est composée, entre autres, d’un comité de négociation qui travaille sur une proposition de traitement préférentiel pour les petites économies au sein de la ZLÉA. Le directeur de l’AEC croit en l’importance d’un front commun :« 16 pays représentent une masse critique importante dans un forum international. La clé tient dans le regroupement, la préparation adéquate de ces pays aux négociations et le partage d’une vision commune pour le futur, de façon à faire pencher la balance en notre faveur. » Mais il avoue que la partie est loin d’être gagné.

-Texte publié dans le journal d'Alternatives, février 2002



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