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Dans le monde entier, des grèves de grande ampleur s'opposent aux effets de la mondialisation. Pourquoi n'est-ce pas le cas auxvieuxcmaq, Viernes, Febrero 15, 2002 - 12:00
Courriel d'information ATTAC (jeanpy@hotmail.com)
Dans le monde entier, ces dernières années, les organisations salariales se sont mobilisées face à la mondialisation et à son impact, par des actions politiques générales ou de grande ampleur. En Argentine, en Inde, en Espagne, en Corée du Sud, en Bolivie et en France, les fédérations de salariés ont appelé leurs membres et parfois l'ensemble des travailleurs à se mettre en grève pour protester contre les privatisations, l'austérité, les réductions de personnel et d'autres symptômes de la puissance croissante des entreprises. Il n'y a pas si longtemps, le syndicat canadien Ontario Federation of Labour a organisé des grèves générales d'une journée dans les villes de cette province, baptisées Journées d'action. En 1998, le mouvement des travailleurs de Porto Rico, regroupant la majorité des syndicats AFL-CIO (American Federation of Labor and Congress of Industrial Organizations), a organisé une grève contre la vente de la compagnie de téléphone publique. Pour réagir face au développement rapide de la Zone de libre-échange des Amériques, pourquoi ne pas se mobiliser dans une grève générale couvrant tout l'hémisphère, y compris les États-Unis ? C'est une idée innovante pour le mouvement salarial qui, en particulier depuis les années 1940, a centré son action sur des luttes industrie par industrie ou société par société Puisque cette stratégie de réaction individuelle ne fonctionne pas à l'époque de la mondialisation, certaines modifications sont peut-être à l'ordre du jour. LE SYSTÈME AMÉRICAIN Il est de notoriété publique que les grèves générales sont aussi rares aux États-Unis qu'un employeur généreux. L'une des raisons à cela réside tout simplement dans le fait que les syndicalistes à la tête de la majorité de nos organisations n'y sont pas favorables. Au milieu des années 1970 déjà, George Meany, alors président de l'AFL-CIO, déclarait : " Nous croyons au système américain. Nous ne descendons pas dans la rue, nous n'appelons pas à la grève générale et nous n'organisons pas de grèves politiques. " Dans un certain sens, Meany se trompait. Nous descendons dans la rue, et ce pas uniquement dans les années 1930 ou 1960. Souvenez-vous des rues entourant les mines de charbon de Pittston, dans l'ouest de la Virginie en 1989, ou des autoroutes bloqués par les " road warriors " [guerriers de la route] de Hormel au milieu des années 1980, ou de Staley dans les années 1990. Et qu'en est-il des " Latino drywallers " de Los Angeles, il y a dix ans ? Sans oublier les milliers de personnes qui ont occupé en juin dernier les rues de Columbia, en Caroline du Sud, pour soutenir le groupe Charleston, ces membres de l'ILA menacés par une action judiciaire pour avoir tenté d'arrêter des briseurs de grève. Et Seattle, ça ne vous rappelle rien ? Meany se trompait. Les travailleurs américains descendent régulièrement dans la rue, tout à coup, ensemble, dans un but commun. Cela est dû en grande partie à la faible conscience de classe des travailleurs américains, qui est à la fois la cause et la conséquence du syndicalisme professionnel. Au fil des ans, cette situation a été encore accentuée par une période prospère, des divisions raciales et une approche des programmes politiques et sociaux spécifique aux syndicats des États-Unis. Les principales raisons de l'enracinement du syndicalisme professionnel après la Seconde Guerre mondiale résident notamment dans l'omniprésence de clauses interdisant la grève dans les contrats syndicaux, la purge des personnalités de gauche du CIO, la dépendance croissante envers le parti démocrate, la bureaucratie croissante du mccarthysme et, bien évidemment, le Taft-Hartley Act. Tous ces éléments ont joué un rôle dans le triomphe de l'idéologie et des pratiques étriquées du syndicalisme professionnel. Mais il est essentiel de comprendre ce que ce mouvement a accompli et ce qu'il a manqué. Tous ces événements et ces tendances ont affaibli les organisations salariales d'une manière importante. Ils ont saboté les plans visant à développer les organisations dans le Sud, faisant de cette région un havre pour les ateliers clandestins jusqu'à ce jour. Les négociations dans l'industrie électrique ont été fragmentées et sérieusement minimisées par les attaques portées contre le syndicat United Electrical Workers après qu'il eut été forcé de quitter le CIO. Cependant, la majorité des syndicats au sortir des années 1940 avaient gagné de nouveaux membres et étaient plus forts institutionnellement. Nombre d'entre eux ont continué leur croissance entre les années 1950 et 1970, bien que le syndicalisme dans le secteur privé ait vécu des ralentissements. Il y a eu plus de grèves dans les années 1950 que pendant les années 1930 et nombre des grandes réussites dans le domaine des négociations collectives ont vu le jour pendant cette décennie. Les salaires réels, ajustés avant l'inflation, ont augmenté de 250 % entre 1945 et 1975. Sous de nombreux aspects, les syndicats des années 1950 étaient bien plus puissants qu'ils ne l'ont jamais été. UNE VISION ÉTRIQUÉE Cependant, le formidable succès de la voie choisie dans les années 1940 a abouti à restreindre la notion de mouvement de travailleurs à la représentation d'une classe, et à rétrécir la vision de la majorité des syndicats. Frustrés à la fin des années 1940 par un Congrès républicain et un parti démocrate glissant vers la droite, les dirigeants des syndicats individuels se sont raccrochés à une tendance lancée par les mineurs en 1946, lorsque John L. Lewis a négocié un fonds social financé par les employeurs. " Si nous ne pouvons apporter cette protection à nos membres par le biais de la législation, nous devons exiger qu'elle fasse partie de nos contrats ", déclarait le président du syndicat des ouvriers du textile, William Pollock. Cette approche visant à obtenir des avantages sociaux syndicat par syndicat, au lieu d'une négociation impliquant la classe entière des travailleurs, a bénéficié du Taft-Hartley Act qui, en tentant de contrôler les plans des syndicats, les a en fin de compte encouragés. Cela signifiait bien entendu que les programmes tels que l'amélioration des retraites et l'assurance santé, qui étaient considérés par des millions de personnes comme devant bénéficier à l'ensemble d'une classe sociale et même à d'autres individus, étaient maintenant limités aux syndicalistes suffisamment forts pour les arracher à leurs employeurs réticents. Alors qu'en 1946, les principaux syndicats industriels avaient engagé des négociations simultanément sur les mêmes revendications et que beaucoup s'étaient battus ensemble, dès lors, chaque syndicat suivit son propre chemin et ne se battit que pour le bien de ses propres membres. Qu'ils administrent des plans dirigés par les syndicats couvrant toute une branche de l'industrie, comme les Mine Workers ou les Teamsters, ou des plans de retraite et de protection sociale s'appliquant à une seule entreprise, comme ceux négociés dans l'automobile, la sidérurgie ou la production d'électricité, les grands leaders syndicaux se retrouvaient à la tête d'un " État-Providence privé " très complexe qui encourageait une plus grande bureaucratie et le renfermement sur le bien-être d'une entreprise spécifique. En fin de compte, c'étaient les entreprises, et non le gouvernement ou le secteur public dans son ensemble, qui semblaient " payer la facture " de l'assurance sociale et des retraites. Ainsi, le souci des dirigeants et des cadres de préserver les bénéfices de la société, déjà très présent, fut renforcé et accentué. C'est pourquoi les organisations et la force syndicale cédaient régulièrement face aux dirigeants, en s'accrochant à des bénéfices supposés acquis par la productivité des salariés. Cela a entraîné l'abandon des programmes de négociation inter-industries, puis l'érosion de ceux restreints à une industrie, puisque les chefs syndicaux centraient leurs efforts sur la " santé " des grandes entreprises qui finançaient ces avantages sociaux. Mais surtout, cela a engendré une identification accrue avec l'entreprise, non seulement parmi les leaders syndicaux, mais également dans les rangs des salariés. Cela ne signifiait pas que les travailleurs n'éprouvaient aucune haine pour la direction ni aucun ressentiment face à l'indignité et à la pression physique exercée par la demande de production ; mais savoir que leur retraite et leurs prestations sociales dépendaient de l'entreprise, même si cela avait été acquis par les syndicats, ne pouvait qu'affecter leurs perspectives. UNE RÉSISTANCE FRAGMENTÉE La tendance agressive à l'accélération du rythme de travail et à l'augmentation de la productivité de la fin des années 1950 et de la décennie suivante provoquèrent une renaissance du militantisme de base, exprimée par des grèves sauvages et la formation ou la reformation de mouvements parmi les mineurs de charbon, les mécaniciens de l'aviation, de l'automobile, de la sidérurgie, les employés des postes, du secteur public et du transport routier. Pourtant, les mouvements et organisations créés ne se sont jamais regroupés ni eu de contact entre eux. L'audace et le militantisme de ces mouvements de travailleurs populaires des années 1960 et 1970 reflétaient la fragmentation liée à " l'État-Providence privé ", qui apportait à la fois une dose de prospérité à beaucoup et des cadences infernales à des millions. Au début des années 1980, cette situation s'est aggravée avec l'effort des entreprises de réduire systématiquement les coûts. Les salaires et les prestations sociales concédés par les employeurs en des temps plus rentables furent remis en cause, ainsi que les conditions de travail. L'espace laissé aux compromis se réduisit d'année en année. Pour la majorité des leaders syndicaux, cette situation s'est traduite par une attention accrue portée à la santé de l'entreprise. La cogestion de la main-d'œuvre, la coopération et le partenariat devinrent la planche de salut présumée de l'entreprise et du syndicat. Certains emplois pouvaient être supprimés à coup de réductions de personnel, mais la poule aux œufs d'or devait être sauvée, même si l'or qui revenait aux salariés se faisait de plus en plus rare. Cette soi-disant " stratégie " a cependant échoué. Elle n'a pas arrêté l'érosion des prestations sociales ni sauvé les emplois. La voie de la conciliation et de l'isolement ne peut pas fonctionner pour les salariés dans le monde des multinationales. Il peut paraître ironique que, dans la ruée post-11 septembre des entreprises vers une exploitation de la situation de guerre et les " cadeaux " du gouvernement, la question de la lutte des classes soit devenue bien réelle pour les millions de salariés qui ont dû sacrifier leur emploi face à la guerre et à la récession. Dans ce contexte, le combat contre la Zone de libre-échange des Amériques offre une opportunité de rassembler les mouvements de salariés et ses alliés. Il constitue une chance de recycler notre mouvement vers l'idée qu'une injustice faite à l'un est une injustice faite à tous. Une grève politique de masse aux États-Unis ? Réfléchissez-y ! BOX : Historique de la lutte Bien que rares, les grèves politiques de masse ne sont pas totalement absentes de l'histoire du salariat américain. Au cours de la guerre d'Indépendance, lorsque l'armée de Confédérés battait en retraite ou se désintégrait dans les États du Sud, des centaines de milliers d'esclaves ont marché sur les plantations au cours de ce que W.E.B. DuBois a appelé la " grève générale " qui a paralysé l'économie du Sud. Il n'y avait ni syndicats, ni coordination centrale, mais il y avait l'objectif commun de l'émancipation. Le 1er mai 1886, une grève générale pour la journée de huit heures fit s'arrêter une bonne partie de l'industrie et du commerce dans de nombreuses villes. Elle avait été appelée, non pas par les visionnaires Knights of Labor, mais par leurs prédécesseurs de l'AFL. En 1919, Seattle a été secoué par une grève générale. Ensemble, les syndicats, AFL et IWW prirent les rênes de la ville et de l'économie pendant quelque temps. Il y a eu des grèves générales à San Francisco, et à Terre Haute, dans l'Indiana en 1934. Cette même année, la menace de grèves générales a favorisé certaines victoires syndicales à Minneapolis, Toledo, Milwaukee et Pekin, dans l'Illinois. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les employeurs ont voulu prendre la mesure du nouvel équilibre des forces. Cela a non seulement provoqué la vague majeure de grèves qui secoua l'industrie en 1945 et 1946, mais également des grèves générales locales en 1946. Des arrêts de travail pratiquement complets ont eu lieu à Oakland, en Californie, Stamford, dans le Connecticut, Lancaster et Pittsburgh, en Pennsylvanie, Rochester, New York et Houston, au Texas. Celles-ci ont débuté comme des grèves de soutien à un groupe de salariés particulier, mais se sont muées en confrontations politiques, de lutte de classe. À la fin des années 1940, les grèves générales n'étaient plus que des rêves dans les esprits des militants syndicaux. La direction du CIO rejeta les propositions de grève générale en opposition à la loi Taft-Hartley de 1947, bien qu'un demi-million de membres de l'UAW aient cessé le travail pendant cinq heures. BOX : L'échec de la dépendance envers le parti démocrate La dépendance de la masse salariale américaine envers le parti démocrate a bloqué le développement des partis fondés sur les travailleurs, qui étaient caractéristiques de la majorité des autres nations industrielles à cette époque. Même si la préférence des syndicats pour les démocrates remonte loin, leur dépendance s'est renforcée en 1943 avec la formation du Comité d'action politique du CIO et le rejet explicite de l'action politique indépendante. Cela signifiait que le programme politique ambitieux du CIO, y compris l'assurance maladie, le logement pour tous, le plein emploi, les droits civils, etc. devint dépendant du bon vouloir des démocrates. Ce qui se révéla rapidement un mauvais choix. La stratégie politique du CIO fut un échec complet. Le vote uniforme des salariés s'effondra entre 1948, où 81 % des syndicalistes votèrent pour Truman, et en 1952 où seulement 57 % votèrent démocrate. Dès lors, ce pourcentage n'atteignit le taux des années 1940 qu'une seule fois, en 1964, lorsque Barry Goldwater mena la première campagne républicaine vraiment à droite. La dépendance envers le parti démocrate a privé les syndicats de moyens pour suivre de manière indépendante leur programme politique. Kim Moody.
Association pour une taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens
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