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Tromperie sur la marchandisevieuxcmaq, Jueves, Febrero 7, 2002 - 12:00 (Analyses)
Oiseau tempête Revue (abirato@free.fr)
" Tromperie sur les mots, tromperie sur la marchandise : les ultralibéraux ont compris que la conquête des esprits passait par le balisage du terrain lexical ", écrit encore Cassen. On voit que les postaliniens (4) poursuivent eux-mêmes un " balisage " entrepris de longue date en pratiquant, grâce à " l'arme terminologique ", une double tromperie : sur leur propre marchandise d'une part, et sur la nature du capitalisme, royaume de la marchandise, d'autre part. Directeur du Monde diplomatique, président de l'Association pour la taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens (Attac), Bernard Cassen donne dans un petit ouvrage publié par cette association une leçon de manipulation politique sous l'apparence d'une critique des tenants du libéralisme sauvage : " Il est bien connu en politique que la meilleure stratégie de défense consiste souvent à détourner l'attention en parlant d'autre chose que du sujet, à attaquer des épouvantails que l'on se fabrique pour la circonstance : il y a en rhétorique, de faux ennemis, comme il y a des faux amis dans le lexique (1). " La leçon porte d'autant mieux que l'auteur en fournit, dans le même opuscule, l'illustration pratique immédiate, en proposant à la vindicte des militants d'Attac un superbe épouvantail : " les marchés ". Ce qui est supposé donner un peu de chair à cette silhouette, c'est que c'est l'ennemi lui-même, voulant trop bien faire, qui l'aurait révélé comme cible : " À force de nous dire que "ce sont les marchés qui gouvernent" […] l'adversaire - le capital financier, les "marchés" - est enfin clairement identifié (2). " Pauvres de nous qui ignorions jusqu'ici quel pouvait être notre " adversaire " ; le voilà identifié, et clairement encore : c'est le capital financier. Lorsque, par extraordinaire, l'un des auteurs invités de Bernard Cassen s'aventure à affirmer qu'" à travers la finance, c'est le capitalisme qui est visé, parce que la spéculation n'est rien d'autre qu'une forme exacerbée de la mise en valeur du capital ", il se croit obligé d'atténuer ce que cette révélation pourrait avoir de traumatisant, en la faisant précéder d'un constat désolé : " Puisque la totale liberté du capital conduit à l'anarchie financière et à la régression sociale, il faut en tirer les conséquences (3). " Et en effet, puisque le capitalisme se révèle - en novembre 2000 ! - conduire à " l'anarchie financière [sic] et à la régression sociale [sic] ", il va bien falloir en tirer les conséquences… Peut-être faut-il reconnaître dans l'étonnement douloureux du trotskiste Michel Husson (Attac, LCR, AC ! etc.), auteur de ces lignes, non la démagogie simplette du militant pédago, mais la marque de la méthode scientifique matérialiste ? Après tout, si le capitalisme n'avait pas conduit à la régression sociale, il n'y aurait eu aucune conséquence à en tirer… Ça valait le coup d'attendre ! La conquête des esprits " Tromperie sur les mots, tromperie sur la marchandise : les ultralibéraux ont compris que la conquête des esprits passait par le balisage du terrain lexical ", écrit encore Cassen. On voit que les postaliniens (4) poursuivent eux-mêmes un " balisage " entrepris de longue date en pratiquant, grâce à " l'arme terminologique ", une double tromperie : sur leur propre marchandise d'une part, et sur la nature du capitalisme, royaume de la marchandise, d'autre part. Le Monde diplomatique se flatte ainsi d'avoir inventé le terme " pensée unique ", qui vient remplacer l'idéologie dominante. Cette dernière expression évoque trop brutalement la domination d'une classe, constitutive d'un système, quand on veut bien, au Diplo, dénoncer une " dictature " des marchés interne au capitalisme, sorte de tumeur qu'il suffira d'exciser sans risque vital pour l'organisme. Au passage, pour sacrifier le terme d'idéologie (ensemble d'idées figées), on donne acte aux marchés (?), aux ultralibéraux (?) qu'ils développent une pensée, fut-elle unique. ATTENTIFS aux signes de renouveau du mouvement social (décembre 1995), comme au succès, aussi considérable qu'inattendu, d'une critique désamorcée de l'économie (L'Horreur économique, novembre 1996 ; 500 000 ex. vendus), les animateurs du Monde diplomatique proposent, par la voix d'Ignacio Ramonet, de " désarmer les marchés " (décembre 1997), en créant " en liaison avec les syndicats et les associations à finalité culturelle, sociale ou écologique, […] un formidable groupe de pression civique ". Dès juin 1998, la plate-forme d'Attac définit le mouvement pour ce qu'il est : une tentative de revivifier le système démocratique par le militantisme associatif, en partant de l'échelon local, tout en affichant une solidarité internationale envers les peuples les plus démunis. " Au moment où la politique et les partis souffrent d'un discrédit profond, nourri de renoncements et alimenté par certaines conduites indignes, il convient de ne pas confondre l'objet lui-même et la crise qui l'affecte, et de savoir, aux pratiques politiciennes, opposer l'engagement citoyen. " (Document d'orientation, Conseil d'administration, mars 2000, in Tout sur Attac). Le réformisme utopique comme outil de régression Utilisant comme moyen et visant comme but le brouillage idéologique, Attac se présente comme " réaliste " (la taxe Tobin sur les mouvements de capitaux serait une réforme simple, immédiatement réalisable), offrant donc un gain par rapport aux engagements révolutionnaires jugés utopiques, dans le même temps où elle mobilise le vocabulaire et l'imaginaire de l'utopie en plaquant sur des " Reconquérir ", " se réapproprier ", le mouvement proposé est un retour à un état antérieur, jugé préférable - nous verrons en quoi - du capitalisme. Proposition rétrograde au sens strict, et doublement telle : mécaniquement puisqu'elle propose un retour en arrière, politiquement puisqu'elle omet la critique de cet état antérieur, qui gagne logiquement dans la comparaison les couleurs de l'humain, du " supportable " (on parle par exemple de " développement soutenable (5) "). Les reproches adressés au capitalisme dit ultralibéral et aux marchés semblent de deux ordres (rappelons qu'ils n'atteignent jamais le principe même du système). I - LE CAPITAL FINANCIER est devenu immatériel, donc irréel. Intangible, il s'éloigne de l'humain, donc de l'effort, donc de la morale. "Au nom de la modernité, 1500 milliards de dollars vont et viennent chaque jour sur les marchés des changes à la recherche d'un profit Nous sommes fondés à penser qu'une exploitation classique, au détriment de prolétaires de chair, d'os et de sueur, pratiquée par de vrais capitalistes " experts (7) ", avec horaires de travail surchargés, stress et ulcère à l'estomac, serait plus acceptable moralement ou au moins plus délicate à critiquer. II - EN S'AFFRANCHISSANT de la production, de la prétendue " économie réelle " - comme si l'économie était autre chose qu'une vision du monde, une idéologie, comme si elle avait davantage de réalité que la prétendue " loi du marché " -, le capital serait devenu fou ; il se serait éloigné du bon sens (terrien, prosaïque) de l'histoire. Cassen parle des " ravages du capital en folie ". Un magistrat, invité par Attac pour réclamer davantage de frontières, de flics et de juges, estime que " le capitalisme mondialisé joue ici au docteur Folamour (8). " Les investisseurs institutionnels (fonds de pension, Sicav, etc.) sont appelés plaisamment les " zinzins (9) ". Affligés, nous apprend-on, de " comportements de "contagion mimétique" très fréquents sur les marchés financier : les traders (courtiers) forment leur jugement non en fonction de leurs propres critères, mais en supputant ceux des autres (10). " En vérité, cette prétendue pathologie est commune à quiconque cherche à anticiper les réactions d'autrui pour lui vendre ou/et lui voler quelque chose. Simuler la critique - stimuler le système Récusant, sans jamais formuler sa récusation, donc sans avoir à l'argumenter, la voie d'une rupture anticapitaliste (11), Attac se place de facto dans la perspective d'une cogestion critique, donc aussi d'une rationalisation capitaliste, qu'il s'agisse de la proposition de taxer les mouvements de capitaux ou d'autres mesures supposées apporter un surcroît de démocratie. " Attac joue le rôle de stimulateur démocratique, comme on parle de stimulateur cardiaque ", explique son conseil d'administration (mars 2000). On observera, même sans y attacher une importance excessive, l'évolution radicale qui mène de la traditionnelle image de " mouche du coche ", qui, bien que réductrice et vaguement péjorative, évoque néanmoins une gêne, une critique, dont la faiblesse ne Lorsqu'Attac s'intéresse, par exemple, au droit de vote des immigrés, c'est de maîtrise capitaliste qu'elle nous parle : " Le droit de vote des étrangers résidents en France devient une exigence démocratique de bon sens, un facteur de développement maîtrisé des villes et des quartiers. " (Appel de Morsang-sur-Orge, janvier 2000). S'agissant de la taxe Tobin, dont les " experts " d'Attac s'épuisent à imaginer dans le vide les détails de la définition, elle a " pour principal objectif de contribuer à la stabilisation des mouvements de capitaux, prélude à des réformes beaucoup plus amples. […] Elle agirait à titre préventif en rendant non profitables certaines opérations spéculatives, et éviterait ainsi les attaques destructrices contre les monnaies. " (Séminaire international, Paris, 25 janvier 1999). La " position du stimulateur " a pour effet de se trouver enfermé à chaque instant dans des logiques annoncées comme critiques qui, en fait, reprennent les catégories les plus caricaturales de la gestion et de l'ordre capitalistes. J'ai fait allusion plus haut à la revendication des moyens d'une répression accrue de la délinquance financière, qui se trouvent être les mêmes que ceux de la répression tout court. Ainsi laisse-t-on proclamer sous l'étiquette Attac la nécessité d'un " espace judiciaire européen ", que même la gauche parlementaire critiquait avant d'arriver aux affaires, et que toute la gauche extra-parlementaire a fustigé dans les années 80. Le comble du ridicule, la triple apologie de l'impôt, de la police et du fisc, se rencontre dans la brochure intitulée Les Paradis fiscaux (Mille et une nuits). On y trouve notamment ce titre de paragraphe, tout à la fois scandalisé et larmoyant : " Le fisc dépouillé " ! L'argent, la charité, la Nation Les niaiseries sécuritaires ci-dessus évoquées peuvent être mise en relation avec l'idée, omniprésente dans les textes publiés par Attac, que l'argent est le problème central de la politique. Non pas l'argent en tant que support de l'abstraction capitaliste de la valeur, mais l'argent comme richesse réelle et quantifiable, dont les pauvres seraient spoliés par les riches. " La source de la puissance de nos adversaires est l'argent, de très grandes quantités d'argent ", écrit par exemple le bureaucrate syndical Dan Gallin (12). Logique, puisque l'adversaire est le capital financier. Si le même syndicaliste prône " l'organisation du mouvement ouvrier ", soit le maximum de radicalité classiste dans les textes estampillés par Attac, l'association elle-même se propose simplement d'encourager les gouvernements à imposer aux marchés une redistribution effective (pas de fraude fiscale) et plus juste des revenus du capital. " Pour les mouvements de citoyens, imposer la spéculation afin qu'elle contribue à réparer les dégâts sociaux qu'elle provoque, constitue une motivation essentielle. " (Conseil scientifique d'Attac, mars 2000). On pourra donc acheter des permis de licencier, des permis d'exploiter, comme on achète des permis de polluer, ce qui se nomme pompeusement " mise de la finance au service d'un État [sic] du bien-être mondial " (Tout sur Attac, op. cit. p. 38). L'insistance sur l'argent des riches, injustement gagné et dissimulé à la communauté sociale (censément représentée par le ministère des Finances !), rappelle la rhétorique populiste stalinienne début de siècle : " 200 familles ", " Mur de l'argent ", etc. Or il ne s'agit pas de tirer argument des écarts entre très riches et très pauvres pour condamner le système qui les produit et s'en nourrit. On propose l'organisation politique d'une philanthropie sociale qui compense l'injustice capitaliste. On veut " démontrer qu'il existe des alternatives pour - au moins - limiter l'insécurité économique [pour précarité ?] et les inégalités sociales. " C'est le vieux rêve du capitalisme à visage humain. Même rhétorique populiste et charitable, nuance nationale en sus, lors du naufrage d'un pétrolier au large des côtes bretonnes. Bénévoles et travailleurs du service public donnent l'image d'un " peuple " exemplaire grattant les rochers à la cuillère au lieu de couvrir de goudron et de plumes les responsables de Total et ceux des ministères concernés… " La direction d'Attac exprime sa solidarité avec les populations frappées par la marée noire, et notamment avec les membres de ses comités locaux du littoral Atlantique qui, aux côtés des milliers d'autres bénévoles, des fonctionnaires et des agents des services publics, donnent au pays l'image exemplaire de la défense du bien commun face à l'arrogance et à la cupidité criminelle des Jouer sur les maux D'un point de vue socio-politique, on peut considérer Attac comme l'émanation d'une petite bourgeoisie inquiète de la précarisation croissante de ses conditions de vie. Au point de vue des appareils, il s'agit d'une tentative postalinienne d'unifier idéologiquement les mouvements dits " citoyens ", qui se proposent de porter, en en désamorçant les potentialités critiques, le programme L'argument le plus souvent entendu à propos d'Attac, et jusque dans un public sympathisant des idées libertaires, tient en peu de mots : c'est toujours mieux que rien. Que cette formule exprime le plus grand dénuement théorique et culturel, personne n'en disconviendra. Mais il s'agit moins d'une résignation des individus considérés (souvent jeunes et enthousiastes), que d'un symptôme parmi d'autres de la faiblesse actuelle de l'idée révolutionnaire, y compris lorsqu'elle se trouve confrontée au plus plat, au plus niais, au plus malhonnête des leurres réformistes. Il demeure rassurant que, pour effectuer leur sale boulot, réécrire le langage de la critique, et jouer sur les maux engendrés par le capitalisme, ces gens doivent (ou croient devoir) brandir l'étendard de l'utopie et singer les méthodes de l'action directe (Cassen saluant les " travaux pratiques " de Bové sur le McDo de Millau). Bref, le réformisme continue, pour paraître autre chose que ce qu'il est, d'avoir besoin des oripeaux de la radicalité. Sur ce terrain, nous devons faire en sorte de mettre à nu les bouffons du capital, et répondant ainsi à l'aimable invitation d'un Cassen, " appeler un chat un chat ", le capitalisme un système d'exploitation, révolution notre projet, et chiens de garde les staliniens reconvertis dans la vigilance citoyenne. NOTES : (1) - " Pour la reconquête du sens des mots ", in Contre la dictature des marchés, La Dispute/Syllepse/VO Éditions, 1999.
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