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Médias, finance et industrie en Belgique. Haro sur la démocratie

vieuxcmaq, Jueves, Enero 24, 2002 - 12:00

Geoffrey Geuens (raf.custers@euronet.be)

MEDIAS, FINANCE ET INDUSTRIE

HARO SUR LA DEMOCRATIE

Jadis muselés par le pouvoir politique, la plupart des médias belges sont aujourd?hui la propriété de grands groupes industriels et financiers. Pour les barons de l?économie qui siègent dans les conseils d?administration des principaux groupes, la presse est devenue une marchandise comme une autre. Concentrations, restructurations, disparitions de titres, le secteur est en crise. Une de plus diront certains. Du côté du nouveau " prolétariat " journalistique, c?est l?heure de la revue à la baisse des conditions de travail, de l?auto-exploitation et du désenchantement quotidien.

Juin 1999. Les journalistes et techniciens de Sud-Presse font bloc face au plan d?avenir concocté par la direction du groupe Rossel. Un tiers des effectifs sont visés dont 34 journalistes menacés de licenciement. Remarquable par sa durée, six mois de front commun émaillés sur la fin par des dissensions entre employés et salariés, le conflit était aussi symptomatique du mal-être social, économique et psychologique d?une profession, première victime d?un phénomène de concentration sans précédent dans l?histoire de la presse écrite en Belgique. En un peu plus de 50 ans, le secteur a vu disparaître près de la moitié de ses quotidiens et fusionner la majeure partie de ses entreprises (1). En 1945, pour la seule région francophone, 32 titres et 28 groupes se partageaient le marché. En 1977, on comptait alors 25 titres pour 11 groupes. Près de vingt ans plus tard, en 1996, il ne restait plus que 18 titres et 7 groupes. Au niveau national, on assiste à la même évolution : 57 titres en 1945, 50 en 1962, 38 en 1990, 31 en 1995 et 29 titres en 1999 ! La plupart de ces journaux, aujourd?hui disparus, appartenaient alors à la grande famille des quotidiens progressistes : Le Monde du travail, Le Peuple, La Wallonie et Le Journal de Charleroi pour le monde socialiste, Le Drapeau rouge, pour le monde communiste, ou encore La Cité, fleuron de la presse démocrate-chrétienne. La fin des années 90?, ce fut, enfin et surtout, le départ de 18 journalistes de l?agence Belga, les difficultés du nouveau Matin, les restructurations et le changement d?actionnariat au sein du groupe Medi@bel (ex-Vers L?Avenir), les menaces sur Nord-Eclair?.

Pour expliquer l?ampleur de la crise, les " experts " recourent traditionnellement à quatre facteurs : la concurrence des journaux gratuits (comme le nouveau venu Metro), celle des " nouveaux médias " (télévision, Internet etc.), le déclin de la conscience démocratique (disparition lente et progressive de l?intérêt de l?opinion pour la chose publique) et l?abaissement du niveau de vie du lectorat potentiel. Pour pallier aux défaillances du système, deux solutions sont généralement avancées. Primo, celle des aides de l?Etat à la presse, justifiées par la volonté du pouvoir politique de maintenir un " pluralisme " d?opinion. On se garde alors bien souvent de souligner les limites effectives du procédé : subventions au privé sans caution systématique du respect des engagements et légitimation relative du système par le pouvoir politique. Secundo, nécessité faite vertu, celle de l?autorisation de l?augmentation des rentrées publicitaires, notamment pour les entreprises publiques, parallèlement présentée comme un moindre mal.

Tout ces discours et pratiques, s?épaulant les uns les autres, masquent l?origine première de la crise : celle de l?imbrication croissante entre groupes de presse et groupes industriels et financiers.

Une presse écrite sous contrôle au nord?

En Flandre, le premier groupe, en termes de lectorat, est la VUM (Vlaamse Uitgeversmaatschappij), société privée éditrice des quotidiens catholiques conservateurs De Standaard, Het Nieuwsblad et De Gentenaar ainsi que du démocrate-chrétien Het Volk. Les actionnaires du groupe (2) sont la Synvest (Sofinim), Ortelius (Groupe Almanij-Gevaert), Krantenfonds sa, Ibel sa (Cobepa), De Eik sa, Lapide sa, Cecan Invest, Loro sa, Tradicor sa (Groupe famille Leysen) et Management. C?est ainsi que l?on retrouve aux commandes de la VUM, depuis 1976 et comme Président de son C.A. (Conseil d?Administration) depuis 1994, M. André Leysen, ancien Président de la FEB et l?un de ses actuels Présidents honoraires. Sa fonction de patron de presse n?empêche pas André Leysen de siéger dans les C.A. de sociétés européennes tels que Phillips, BMW ou Deutsche Telekom. Il est aussi dirigeant du holding Gevaert, société d?investissements ayant fusionné en 1997 avec Almanij, groupe financier flamand dans le secteur bancaire (Kredietbank). Almanij est actionnaire majoritaire de Gevaert et du holding KBC (KBC Bank et KBC Assurances). Au C.A. de la VUM on retrouve également Fred Chaffart, administrateur chez Gevaert et Agfa-Gevaert et ancien Président du comité de direction de la Générale de Banque de 1991 à juin 1998, ou encore, le Baron Piet van Waeyenberge, patron du groupe De Eik et du club d?investissements flamand Asphales, actionnaire minoritaire de Fortis AG.

Derrière la VUM, on retrouve alors deux autres groupes privés dont les activités se réduisent actuellement au secteur du multimédia. Persgroep qui contrôle à 50% les chaînes télé Kanaal 2, VTM et ATV, et édite Het Laatste Nieuws (libéral), De Nieuwe Gazet (libéral) et De Morgen (progressiste); ainsi que la RUG, filiale du holding Concentra, éditant De Gazet van Antwerpen et Het Belang van Limburg (démocrate-chrétiens).

?comme au sud du pays

En Wallonie et dans la Région de Bruxelles-Capitale, le pluralisme de la presse écrite, le secteur de l?audiovisuel n?échappant pas à la règle (voir encadré), est lui aussi menacé.

Second groupe derrière Rossel, Medi@bel contrôle Les Médias de l?Avenir, éditeur des quotidiens catholiques conservateurs L?Avenir du Luxembourg, Le Courrier de l?Escaut, Le Jour-Le Courrier, Vers l?Avenir et Le Rappel. Il est aussi actionnaire du groupe IPM, éditeur de La Libre Belgique et de La Dernière Heure-Les Sports. A la tête des Médias de l?Avenir, on retrouve François Desclée de Maredsous, secrétaire général du groupe Tractebel, alors que l?actionnaire majoritaire de Medi@bel est la SBE (Société belge d?édition), consortium constitué par la VUM, le holding Arco (groupement de sociétés financières flamandes), la Mosane (Groupe Cobepa) ainsi que la Sodie (filiale du groupe Usinor).
L?audiovisuel en Belgique francophone

Présenté comme le nouveau " David européen " face au " Goliath américain ", RTL-Group, né en avril 2000 sur les cendres d?Audiofina, a été salué dans l?unanimité la plus confondante par la majeure partie des médias européens. A sa tête, le milliardaire et Baron Albert Frère, premier actionnaire de Total, de Suez-Lyonnaise, patron de GBL (Groupe Bruxelles Lambert) et co-propriétaire du holding CLT-UFA (RTL-TVI, Club RTL, Bel RTL, Radio Contact?) avec l?empire allemand Bertelsmann. A la présidence du conseil de la société TVI, on retrouve ainsi, depuis maintenant 13 ans, le Comte Jean-Pierre de Launoit, collaborateur proche d?Albert Frère chez GBL après avoir été celui du Baron Lambert, alors Président de la Royale Belge.

Face à TVI, la RTBF, devenue entreprise publique culturelle autonome le 8 juillet 1997, dispose maintenant de son propre contrat de gestion. Cependant, derrière les tournures rhétoriques, la vague de libéralisations amorcée depuis plusieurs années que connaît le secteur public, l?intrusion " forcée " de la logique de rentabilité dans la programmation, ou encore, l?accumulation de plans d? " avenir " ? " objectif 93 " et " Horizon 97 " - destinés entre autres à assainir les finances par une réduction de la masse salariale, laissent entrevoir le désengagement progressif de l?Etat dans le secteur. Certains craignent déjà, non sans raison d?ailleurs, une privatisation de la chaîne (3). De l?autre côté, élites éditoriales et dirigeants politiques ont décidé de préparer l?opinion à ces futurs bouleversements. Ainsi, le mois dernier, le Ciné Télé Revue, hebdomadaire le plus lu en Belgique francophone (tout types de presse confondue : 1.450.000 lecteurs), s?en prenait à la maison Reyers dans un article aux relents goliens et à l?antifiscalisme prononcé intitulé " Où va la RTBF ? ". Son rédacteur en chef glosait sur les " millions prélevés chez les contribuables qui continuent d?être gaspillés ", les présumées " lourdeurs du secteur public " ou, pis encore, le " poids de l?administration ertébéenne ". Pour simplifier, on rabattait à l?opinion les lieux communs sur le " mammouth " public (l?ex-ministre français de l?éducation nationale, M. Claude Allègre, paraît quant à lui du " mammouth de l?enseignement "), les " privilèges scandaleux des fonctionnaires " et autres " manigances de l?ombre ". Du côté politique, la Ministre de l?audiovisuel de la communauté française, la libérale Corinne De Permentier comparait, quant à elle, " notre paysage audiovisuel à un bouquet de fleurs où chaque téléspectateur peut puiser une senteur et une couleur à son goût. Il ne peut donc être que gagnant ! " (4). Elle oubliait, par la même occasion, de préciser qu?on avait beau créer de nouveaux bouquets et multiplier les chaînes télévisées, les propriétaires restaient, sauf exception, les mêmes. En ce qui concerne la RTBF, son parti n?affirmait-t-il pas dans son manifeste préélectoral : " leur caractère étatique (secteurs publics) ? et notamment le statut de fonctionnaire de leur personnel ? les rendent inadaptés aujourd?hui en raison de structures trop lourdes, d?un manque de souplesse et de réaction, d?un personnel pléthorique qui mange le budget (2/3 de dépenses du personnel). Ici aussi, pour mieux remplir ses missions, le service public de la radio-télévision devrait être allégé !". (5)

L?administrateur délégué de la SBE et directeur exécutif de Medi@bel est Philippe Delaunois, ancien administrateur délégué directeur général de Cockerill Sambre. On retrouve également dans le C.A. de Medi@bel, Thomas Leysen, fils d?André Leysen, le baron Jean Godeaux, gouverneur honoraire de la Banque nationale de Belgique ou encore Guy Keutgen, secrétaire général de la FEB (Fédération des Entreprises de Belgique). A la comparaison, le groupe Rossel, éditeur du Soir et des quotidiens de Sud-Presse (La Meuse, La Lanterne, La Province et La Nouvelle Gazette) apparaîtrait presque pour une entreprise familiale (famille Hurbain) si la Socpresse (Groupe français Hersant) n?était pas actionnaire minoritaire du groupe.

Pour la petite histoire, on évoquera également le cas d?Axemedia qui proposa sa candidature à la reprise du groupe Medi@bel avec, à l?époque, l?objectif avoué " de devenir le premier groupe media en Belgique francophone " (6). On retrouvait parmi ses responsables, Jean Stephenne, Président de Smithkline Beecham et de l?UWE (Union wallonne des entreprises) et Luc Willame?Président de Glaverbel et vice-président de la FEB.

Précarisation du journalisme et soumission à l?idéologie dominante

Une presse écrite passée sous le contrôle des barons de l?industrie et de la finance, une chaîne privée aux mains d?un des hommes d?affaire les plus puissants d?Europe, une télévision publique en voie de privatisation et, plus généralement, une info-marchandise sous la coupe des marchés. Comment imaginer que ces différents phénomènes, interagissant les uns sur les autres, ne puissent avoir d?effet sur l?évolution du journalisme ainsi que sur l?information elle-même.

Pour le patron de presse moderne, avant tout soucieux d?optimaliser son taux de profit et la rentabilité de ses produits, il s?agit avant toute chose " d?abaisser sur place le coût de production, d?une part en transformant toujours d?avantage les organes de presse en supports publicitaires, d?autre part et conjointement en prolétarisant une partie croissante des journalistes qu?il utilise, en commençant bien sûr par les plus vulnérables c?est à dire les plus jeunes " (7). On voit alors se développer pigistes, faux indépendants, CDD (Contrat à durée déterminée) et on assiste à l?apparition d?une main-d??uvre plus malléable, plus docile, moins syndiquée et prête à tout ? fusse trahir la sacro-sainte déontologie -, sous la pression du chômage. Avec la revue à la baisse des conditions de travail et l?accélération du rythme de production, les journalistes les plus précarisés, c?est à dire la majorité d?entre eux, sont dans l?impossibilité de mener à bien les investigations et les recoupements de l?information - faute de temps oblige -, nécessaires au bon fonctionnement d?une presse démocratique. Ils deviennent alors, le plus souvent sans en avoir conscience, les victimes toutes désignées des portes paroles autorisés du pouvoir. L?idéologie dominante apparaît alors comme le lieu où, pour reprendre le propos de Nicolas Will, " la presse vient chercher sa matière première " (8).

Auto-exploitation, auto-censure, valorisation excessive et décalée de la profession, mal-être psychologique, tel est le quotidien de ces nouveaux salariés modèles, taillables et corvéables à merci.

Geoffrey Geuens

Assistant et doctorant à l?Université de Liège

Notes

1. Source : Commission des communautés européennes, " Evolution de la concentration et de la concurrence de la presse en Belgique ", n°11, mai 1978 ; LENTZEN E., " La presse quotidienne francophone ", Courrier hebdomadaire, CRISP, n°1515-1516, 1996.
2. Source : site web de la VUM (http://www.vum.be)
3. Lire à ce sujet, MENU A., " RTBF : pas de privatisation mais? ", dans Avancées, mai 1999, pp.8-9.
4. Extrait de l?interview parue dans l?édition du 28 septembre 2000 du Ciné Télé Revue.
5. Parti Réformateur Libéral, Rendre confiance. Le manifeste libéral, Bruxelles, Luc Pire, 1997, p.346.
6. GREVISSE B., " L?année de la presse écrite ", dans Médiatiques, n°18-19, 2000, pp.3-28.
7. ACCARDO A. (sous la dir.de), Journalistes précaires, Bordeaux, Le Mascaret, 1998, p.8.
8. WILL N., Essai sur la presse et le capital, Paris, UGE, 1976, p.60.



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