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Colombievieuxcmaq, Domingo, Diciembre 30, 2001 - 12:00 (Analyses)
Frédéric Léveque (fleveque@brutele.be)
Reportage dans la ville de Barrancabermeja, centre pétrolier de la Colombie. Aux yeux non avertis, rien ne paraît plus calme que le centre de Barrancabermeja, cette ville de 300.000 habitants écrasée par les rayons du soleil et dominée par les immenses cheminées de la raffinerie de pétrole. Rien ne semble perturber le train-train quotidien de la capitale pétrolière colombienne et, pourtant, Barranca vit aujourd'hui une des époques les plus douloureuses de son histoire. Comme le rappelle un hebdomadaire local en première page, le port pétrolier est devenu la ville la plus violente de Colombie totalisant 700 assassinats au cours des derniers 500 jours. Barrancabermeja est aujourd'hui au centre de la stratégie paramilitaire de l'Etat colombien, elle est l'exemple précurseur de la pénétration urbaine de la guerre. La ville a été historiquement un haut lieu de la résistance sociale et jouit d'une grande tradition d'auto-organisation des mouvements ouvrier, paysan et populaire. Cette ville s'est construite au rythme de la lutte sociale (1). C'est là notamment qu'est née la Unión Sindical Obrera (USO), syndicat des travailleurs de l'entreprise public ECOPETROL en cours de démantèlement, politique fondomonétariste oblige. Mais les temps ont bien changé. Jusque dans les années 50, la majorité de la population était composée d'hommes travaillant à la raffinerie et de prostituées venues d'un peu partout. La ville n'a cessé de croître tout au long du siècle par les " invasions " ; c'est-à-dire par des vagues de gens cherchant du travail. C'est eux qui ont créé la ville et composé les quartiers populaires qui portent le nom de leur date d'arrivée (1er mai, 25 août, etc.). Aujourd'hui, les " envahisseurs " sont les populations déplacées, les communautés paysannes fuyant les atrocités de la guerre dans la région du Magdalena Medio. Leur arrivée en ville ne fait qu'accroître davantage la crise sociale et le problème du chômage qui atteint 50% dans certains quartiers. Les paras à l'assaut du Magdalena Medio On peut dater à 20 ans le développement de la stratégie paramilitaire d'Etat dans le Magdalena Medio avec la formation, en 1981, des MAS (Muerte a los secuestradores - Mort aux kidnappeurs) groupes de " sicarios " (tueurs à gages) financés par le secteur privé et qui s'attaquaient essentiellement aux leaders d'organisations sociales. Mais c'est à partir du début des années 90 que ces groupes fascistes se structurèrent en intégrant, notamment, à Barrancabermeja, un réseau de renseignement de l'armée (Red Armada 07) auquel participa le département d'Etat étasunien et l'inévitable CIA, et visant à créer un réseau d'escadrons de la mort identifiant et assassinant les civils suspectés de collaborer avec la guérilla. Les paramilitaires effectuèrent ainsi leur transition d'un groupe qui accomplissait sa mission et disparaissait ensuite à une force organisée d'occupation établissant peu à peu sa permanence dans les municipes du Magdalena Medio à partir de Puerto Boyaca, et développant une stratégie connue sous le nom de " drainer la mer pour tuer les poissons " et frappa durement le mouvement paysan, comme l'organisation ANUC-UR dont beaucoup de dirigeants furent assassinés et ses bases déplacées. Cette campagne brutale provoqua dans toute la région massacres, disparitions et déplacements forcés de la population civile. A la fin des années 90, Barrancabermeja était l'unique centre du Magdalena Medio sans présence permanente des groupes paramilitaires. Cette ville était une des rares interruptions de la chaîne infernale de contrôle paramilitaire s'étendant du Nord du pays, depuis le Panama, vers l'Est, jusqu'au Venezuela. La première grande incursion des 'paracos' eut lieu le 16 mai 1998 dans des quartiers populaires sous influence des insurgés de l'ELN. Durant une nuit de terreur, les Autodefensas Unidas de Colombia (AUC) assassinèrent quelques 11 personnes et en emportèrent 25 avant de les tuer également. Cette tragédie fut le symbole du début d'une stratégie d'actions militaires à grande échelle. Stratégie qui prit toute son ampleur à partir du mois de décembre 2000. L'armée arrive, les paramilitaires suivent L'offensive paramilitaire commença immédiatement après une série de réunions à Cuba du gouvernement colombien avec les insurgés de l'ELN, des rencontres envisageant la création d'un " zona de despeje " de l'autre côté du fleuve Magdalena et d'où la force publique se retirerait pour, un peu comme dans le cas des FARC-EP, laisser place aux dialogues de paix. " Barrancabermeja et son mouvement populaire signifiait un appui très fort pour les processus de paix en discussion, surtout pour celui avec l'ELN dans le Sud de Bolivar. Barranca ne signifie pas seulement un appui politique à ce processus, mais aussi une entrée pour cette zone probable de rencontre. L'objectif paramilitaire était d'empêcher cela ", affirme Gladys Rojas de la Table régionale pour la paix du Magdalena Medio et de la campagne " Colombia clama justicia ". Mais au-delà de cette dimension, Barranca est aussi un centre pétrolier fournissant plus de 60% du combustible dont nécessite le pays. C'est une ville stratégique situées près des routes principales et bordant le fleuve Magdalena (le plus grand du pays) avec une sortie sur l'Atlantique. La ville est également proche des immenses richesses des mines d'or, d'argent et d'uranium de la Serrania de San Lucas. Les paras s'emparèrent de la ville en deux mois grâce à la complicité et à la coopération des forces de sécurité colombiennes. L'agression débuta le 23 décembre à l'occasion de l'opération " Joyeux Noël " (sic) de l'armée qui, officiellement, avait pour but d'assurer la paix pour les fêtes de fin d'année et de combattre les trafiquants de drogue et d'essence, sources de financement des groupes paramilitaires. Le Maire en appela aussi, pour répondre à la mort de 600 personnes dans la ville au cours de l'année 2000, aux forces spéciales de la police dont un effectif d'un millier entra, le 12 janvier, dans la cité portuaire. La présence policière et militaire recouvrait dès lors chaque centimètre du port pétrolier et, au même moment, les paramilitaires se répartirent dans les quartiers populaires pour y rester après la fin de ces opérations. Selon le commandant militaire de la région, le Général Carraño, diplômé de la tristement célèbre Ecole des Amériques, le problème se situe au niveau des ressources financières. Un de ses objectifs est d'augmenter de manière permanente le déploiement militaire dans la région. Proposition qui, bien évidemment, fait froid dans le dos aux mouvements sociaux et populaires de Barranca qui exigent la paix accompagnée d'investissements sociaux et que soit mis fin à l'impunité totale dont jouissent les militaires et leurs collaborateurs paramilitaires. Le peuple colombien fait face à une stratégie coordonnée. La thèse selon laquelle la collaboration entre forces de sécurité publiques et groupes paramilitaires ne se limiteraient qu'à quelques éléments isolés, thèse défendue tant par le gouvernement colombien que par l'ambassadeur belge à Bogotá, ne résiste pas aux faits et aux témoignages. Sur place, un étasunien des Equipes chrétiennes pour la paix, qui travaillent dans les quartiers populaires de Barranca, me confia que l'on rencontrait régulièrement les mêmes individus portant un jour un bracelet de l'armée et le lendemain un des AUC. Toujours dans cette logique, lors d'une interview, un membre de la Commission des Droits de l'Homme de la USO m'affirma : " Quand il y avait présence de la guérilla à Barranca, il y avait, entre les forces de sécurité et les insurgés, de manière permanente, des affrontements ". Et alors que les groupes paramilitaires sont officiellement illégaux, " aujourd'hui il n'y a pas un seul affrontement. Les affrontements qui ont eu lieu dans le pays - entre forces publiques et paras - peuvent se compter sur les doigts d'une seule main ". Face à cette offensive, la présence urbaine des insurgés s'est évanouie. Les paramilitaires imposèrent à la population l'alternative de s'en aller, de coopérer ou de mourir. Beaucoup des sympathisants des guérillas qui ne s'enfuirent pas ou ne furent pas tués, surtout parmi les jeunes de 17 à 20 ans et donc parmi des combattants potentiels, furent recrutés par les A.U.C. qui leur offrirent un salaire, une bicyclette, et souvent un téléphone cellulaire. Ce sont ces gamins, qui n'ont l'air de rien, qui surveillent les quartiers populaires où tentent de résister tant bien que mal et sous la menace permanente syndicalistes, paysans déplacés, organisations de femmes et de droits de l'homme face à une stratégie criminelle qui nous rappelle trop bien l'Amérique centrale des années 80. -------------------------------------------------
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