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Aux origines de la crise argentine

vieuxcmaq, Sábado, Diciembre 22, 2001 - 12:00

Arnaud Zacharie (cadtmcontact@skynet.be)

L'Argentine est connue pour être un des élèves privilégiés du FMI (Fonds monétaire international). Le pays a depuis les années 80 appliqué rigoureusement les lettres d'intentions des experts de Washington.

Aux origines de la crise argentine
L'objectif des programmes est désormais bien connu : désendetter le pays et l'ajuster structurellement au marché mondial, afin de rompre définitivement avec les politiques "dirigistes" du passé, responsables de la crise de la dette du début des années 80.

Suivant la théorie néolibérale, on a ainsi "dégraissé" la puissance publique, vendu les entreprises aux capitaux étrangers, ouvert les frontières économiques aux capitaux internationaux et aux multinationales. Aujourd'hui, alors que 90% des banques et 40% de l'industrie sont aux mains de capitaux internationaux, la dette extérieure du pays a quasiment quadruplé entre 1983 et 2000, la santé et l'éducation sont en lambeaux et le salaire moyen vaut la moitié de ce qu'il valait en 1974. L'échec est dramatique, autant économiquement que socialement, et la crise qui explose aujourd'hui va encore dégrader la situation. La raison est, bien que peu souvent invoquée, évidente : le FMI et les gouvernements argentins n'ont pas répondu aux véritables problèmes et ont au contraire appliqué des mesures les aggravant.

Aux origines de la crise d'endettement argentine : un mécanisme bien huilé de décapitalisation

Des preuves existent désormais, fruit d'une enquête judiciaire de 18 ans faisant suite à une procédure déposée par un journaliste, Alejandro Olmos, dès 1982 : la crise de la dette argentine a pour origine un mécanisme de dilapidation et de détournements de fonds mettant en scène le gouvernement argentin, le FMI, les banques privées du Nord et la Federal Reserve américaine. C'est pourquoi la Cour Fédérale argentine a, en juillet 2000, déclaré "illégitime" la dette contractée par le régime Videla, car contraire à la législation et à la Constitution du pays. Le Tribunal a recommandé au Congrès d'utiliser cette sentence pour négocier l'annulation de cette dette odieuse.

Retour sur les faits : en 1976, la junte militaire de Videla prend le pouvoir et instaure une dictature qui durera jusqu'en 1983. Durant cette période, la dette extérieure argentine est multipliée par cinq (passant de 8 à 43 milliards de dollars), alors que la part des salaires dans le PNB (produit national brut) passe de 43 à 22%. La dictature mènera à la crise de la dette puis à l'entrée officielle du FMI aux commandes financières du pays.

La sentence du Tribunal argentin, lourde de 195 pages, retrace l'histoire de cet endettement originel. Divers types d'acteurs sont mis en présence : côté argentin, on trouve dans les rôles principaux le président Videla, le ministre de l'économie "offert" par le Conseil des chefs d'entreprise, Martinez de la Hoz, et le directeur de la banque centrale, Domingo Cavallo (celui-là même qui a démissionné le 20 décembre 2001).

On trouve ensuite le FMI, qui octroie un important prêt à l'Argentine dès 1976, apportant par là la garantie aux banques occidentales que le pays est un endroit privilégié pour recycler leurs surplus de pétrodollars. Mais le rôle du FMI ne s'arrête pas là, puisqu'on retrouve tout au long de la dictature Dante Simone, cadre du FMI au service du régime. Le FMI se justifie en affirmant qu'il avait octroyé un congé à Dante Simone et que celui-ci s'était mis à la disposition de la banque centrale du pays (p. 127 de la sentence). Cette dernière payait ainsi les frais de séjour et de logement de l'expert. Reste à savoir qui payait le salaire et si le congé était payé par le FMI…

Quoi qu'il en soit, Dante Simone a rédigé un rapport adressé à Domingo Cavallo de la banque centrale argentine (on a retrouvé un double au FMI), rapport assurant que d'importantes marges existaient en matière d'endettement avant qu'un danger économique majeur ne survienne (p. 31 de la sentence). Et le rôle de M. Simone a clairement été de rechercher d'importants et discrets financements externes…

Ces financements externes n'étaient de toute façon guère difficile à trouver, tant les banques occidentales, regorgeant de pétrodollars impossibles à placer suite à la crise dans les pays riches du Nord, étaient avides de débouchés nouveaux. L'enquête montre ainsi que la banque centrale argentine a pu réaliser des placements discrétionnaires auprès des banques américaines, ceci sans passer par l'accord du ministre de l'économie, mais en s'appuyant sur le généreux intermédiaire de la Federale Reserve américaine !

L'entente entre ces différents protagonistes sera telle que des prêts bancaires octroyés à l'Argentine ne prendront jamais la direction du pays, mais seront directement détournés par les banques dans des paradis fiscaux au nom de sociétés-écrans. La dette n'a ainsi pas profité aux populations locales, mais bien au régime dictatorial et aux banques du Nord, apportant au passage un important soutien d'ingénierie financière.

Le reste des fonds furent dilapidés dans de généreuses subventions aux grands groupes privés amis du ministre Martinez de la Hoz.

De l'eldorado…

Le gouvernement Alfonsin qui succèda à la dictature Videla n'arrivera pas à reconstruire le pays, rongé par l'hyper-inflation et la corruption (stigmate de la dictature Videla). L'arrivée au pouvoir de Carlos Menem en 1989 et la signature d'un Plan Brady au début des années 90 sortent enfin le pays de sa léthargie économique.

Les réformes appliquées par le gouvernement Menem sont parmi les plus radicales du continent : privatisation des entreprises publiques (y compris du secteur pétrolier, contrairement au Mexique), hausse des taux d'intérêt, libéralisation de l'économie (y compris du secteur agricole) et, surtout, instauration d'une nouvelle monnaie liée au dollar, le peso (1 peso valant 1 dollar, à l'image du real brésilien). A la barre du "super-ministère" de l'économie, on retrouve à nouveau Domingo Cavallo.

Les réformes ont raison de l'inflation et entraînent une reprise des investissements étrangers. Après des années de marasme financier, l'Argentine enregistre en trois années une croissance de 25% de son PIB !

Fin 1994, l'enthousiasme pour ce développement rapide est général. Les marchés ont confiance, les capitaux internationaux affluent et le déficit courant se réduit.

… aux crises financières à répétition

La seconde partie des années 90 seront tragiques pour l'Argentine, puisque la crise mexicaine et son "effet tequila" vont entraîner le pays dans une crise financière brutale, les flux de capitaux internationaux refluant massivement à partir de 1995.

Le déficit courant, inexistant avant les réformes de Menem, n'a cessé de se creuser parallèlement à l'endettement extérieur. Le pays doit alors débourser des sommes sans cesse croissantes pour rembourser sa dette (le service annuel de la dette passant de 6 à 21 milliards !), alors que les revenus gouvernementaux se font dramatiquement rares (l'évasion fiscale est démentielle) et que le peso se retrouve surévalué.

Le problème est que la libéralisation totale de l'économie facilite les rapatriements de bénéfices et la fuite frauduleuse des capitaux locaux : l'évasion fiscale, qui s'élève en 1998 à quelque 40 milliards de dollars, prive l'Etat de la moitié des recettes fiscales qu'il devrait normalement encaisser. Ainsi, seuls 17% des hauts revenus paient un impôt sur le revenu ! Parallèlement, l'impôt sur les bénéfices des entreprises est faible (33% pour 45% aux Etats-Unis). Ce sont en réalité, comme un peu partout dans le Tiers Monde, les populations pauvres qui supportent la majorité de la pression fiscale : la TVA est passée de 14 à 21%, ce qui frappent de plein fouet ceux qui consacrent la majorité de leur revenus aux besoins de première nécessité - c'est-à-dire les plus pauvres.

La parenthèse De la Rua ou le changement dans la continuité

Alors que les crises asiatiques et russes focalisent l'attention des analystes, le Brésil sombre à son tour dans une crise financière qui éclate au grand jour en janvier 1999 : le real et l'économie s'effondrent. Or, le Brésil aspire 30% des exportations argentines.

Ce manque à gagner est dramatique pour l'Argentine. Pourtant, on l'a vu, sous les deux mandats de Carlos Menem, le pays a suivi à la lettre les programmes d'ajustement du FMI et de la Banque mondiale : 40% des entreprises et 90% des banques ont été privatisées, tandis que des centaines de milliers de fonctionnaires ont été licenciés et que l'éducation a été sacrifiée.

Le 24 octobre 1999, Fernando de la Rua succède à Carlos Menem et hérite d'un pays en proie à la récession. Les finances du pays sont en ruine et sur les 36 millions d'Argentins, 14 millions vivent officiellement sous le seuil de pauvreté.

Au cours de l'année 1999, la dette argentine augmente encore de 12 milliards de dollars et le pays est celui dont la dette à l'égard des marchés financiers augmente le plus - plus des trois quarts de sa dette est alors due aux marchés financiers (des proportions semblables à celles constatées au Brésil, au Mexique ou en Corée du Sud).

Mais cette politique d'emprunts massifs sur les marchés financiers ne suffit pas à rembourser les dettes et le pays signe un accord avec le FMI (7,2 milliards) le contraignant à réduire son déficit fiscal de 7,1 à 4,7 milliards en un an - ce qui implique une coupe de 2,5 milliards dans le budget 2000.

L'assistance de la Banque mondiale est également sollicitée : fin 1999, l’Argentine émet une obligation en six tranches de 250 millions de dollars couverte par la Banque mondiale. Ce système de couverture permet aux marchés financiers d'éviter tout défaut de paiement sur leurs investissements argentins, puisqu'en cas de défaillance de l'Argentine, la Banque mondiale avancera l'argent nécessaire (l'Argentine remboursant la Banque plus tard avec intérêts).

Mais une nouvelle fois, tous ces artifices censés rendre confiance à des marchés instables par nature se révéleront une fuite en avant inefficace.

En décembre 2000, la pression est au plus fort et le gouvernement argentin épuise ses réserves en tentant de maintenir le lien fixe entre le peso et le dollar établi depuis 1991. Les avantages d'une telle parité étaient multiples à l'époque : juguler l'inflation, éviter tout risque de change sur les prix des matières premières (libellés en dollar pour la plupart) et inspirer confiance aux investisseurs étrangers quant à la valeur en dollar de leurs investissements argentins.

Mais lorsque plusieurs voisins importants ont dévalué leur monnaie (comme le Brésil), l'Argentine s'est retrouvée avec une monnaie surévaluée pour la région, ce qui a rendu plus cher ses exportations par rapport à plusieurs pays latino-américains et a aggravé son déficit courant.

Aussi, le choix se révèle délicat : faut-il dévaluer sa monnaie et risquer d'entraîner une panique irrationnelle faisant plonger le peso dans des abîmes incontrôlées (comme cela a été le cas au Mexique, en Thaïlande, en Russie ou au Brésil auparavant) ? Ou est-il préférable de conserver la parité avec le dollar et tabler sur la confiance des investisseurs étrangers, censés boucher le trou du déficit courant ?

Fin décembre 2000, le second choix est confirmé et le FMI concocte un paquet d'aide de 39,7 milliards de dollars. Evidemment, cette nouvelle ligne de crédit n'est pas sans condition : libéralisation du système de soins de santé, dérégulation de secteurs clés comme l'énergie et les télécommunications, contraction des importations, flexibilisation du marché du travail, renforcement des privatisations, etc. Durant l'été 2001, le gouvernement annonce en outre une coupe de 14% dans les salaires de la fonction publique.

Mais la spirale est inexorable : la libéralisation financière et la fiscalité inique imposées par le FMI permettent une évasion fiscale de plusieurs dizaines de milliards de dollars par an, tandis que l'Etat argentin surendetté est contraint, pour boucler ses fins de mois, d'emprunter à des taux insoutenables sur les marchés internationaux - la prime de risque atteint 40% fin 2001 !

Le gouvernement De la Rua devient ainsi dépendant d'un prêt de 1,2 milliards de dollars du FMI, que ce dernier conditionne à une politique de "déficit zéro", ce qui débouche sur les émeutes de la faim, la chute du gouvernement et l'effondrement d'un pays possédant pourtant d'importantes richesses économiques et humaines.

Que va-t-il ressortir du chaos ?

Aujourd'hui, la crise de la dette argentine éclate au grand jour, tandis que le pays est dans un véritable chaos. Dans un pays où pratiquement toutes les forces industrielles et financières ont été vendues aux capitaux internationaux, où les salariés de la fonction publique ont été massivement sacrifiés, où l'éducation et la santé sont réservés aux rares personnes solvables et où la pauvreté et les inégalités n'ont cessé de croître, que proposeront les stratèges du FMI, maintenant que le pays a été vendu dans sa totalité, à des populations laminées par des crises financières à répétition ? Et, par extension, que proposeront les futurs gouvernements argentins à leurs citoyens avec une telle charge d'endettement à assumer ?

On sait que la nouvelle n°2 du FMI, Anne Krueger, prône l'établissement d'un système de protection des faillites des Etats similaire à la loi américaine sur les faillites (le chapitre 11). Elle désire par là limiter le rôle du FMI comme prêteur en dernier ressort et laisser le secteur privé régler le problème de leurs dettes. Mais cette mesure possède un double tranchant : ce système place les débiteurs et les créanciers sur un même pied et permet à l'endetté de décréter un moratoire gelant le remboursement de ses dettes… ce qui pourrait aboutir à une procédure d'insolvabilité et à une annulation au moins partielle de la dette argentine. Or, l'Argentine possède une sentence déclarant la dette de la dictature Videla illégitime... Evidemment, Anne Krueger ne va pas jusque là dans sa démonstration.

Mais une autre question va maintenant se poser : l'Argentine va-t-elle entraîner dans sa chute le Brésil et déclencher, en créant une augmentation généralisée des primes de risque, un jeu de domino sur les marchés émergents, déjà privés de leurs principaux marchés d'exportation (les Etats-Unis et le Japon) suite à la crise au Nord ?

* Chercheur au CADTM (Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers Monde) et porte-parole d'ATTAC Belgique

CADTM (Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers Monde)
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