Groupe d'intervention « Critique immuable » (info@critiqueimmuable.org)
Oyez ! Oyez ! Voici un texte écrit par un combattant d'élite mobilisé
pour la nouvelle opération de réflexion radicale : « Critique immuable
». N'hésitez pas à vous rendre aux quartiers généraux de la résistance
de la raison : www.critiqueimmuable.org. Le texte qui suit porte sur
le bombardement de l'entrepôt de la Croix-Rouge en Afghanistan par les
forces armées américaines le 16 octobre 2001.
Après que les forces américaines se soient fait tirer l'oreille pour
confirmer qu'elles avaient bombardé un entrepôt de la Croix-Rouge en
Afghanistan le 16 octobre, le président Bush s'est cru autorisé d'en
remettre dans le but de minimiser l'erreur. À cette fin, il a dit que
son pays est de toute manière le plus grand pourvoyeur d'aide
humanitaire... La maladresse proverbiale de Bush en matière de
propagande est à son comble dans cette remarque qui se voulait
seulement incidente mais qui est d'une obscénité innommable. Je ne
déclinerai pas les faits susceptibles de conforter l'indignation
devant un tel mensonge. Mais je vais dire un mot sur l'arrogance de la
puissance américaine qui veut nous faire croire que le parachutage
opportuniste de beurre d'arachide et de confiture en Afghanistan peut
se comparer le moindrement à l'assiduité et au désintéressement
relatifs depuis des années, non seulement de la Croix-Rouge, mais de
multiples institutions humanitaires.
À la différence de celle des Américains, les
initiatives humanitaires cherchent à distribuer les denrées
nécessaires à l'apaisement de la faim sans s'enorgueillir
particulièrement de leur puissance de don. Généralement, ceux qui
mettent sur pied de telles initiatives trouvent justement qu'ils n'ont
pas assez de cette puissance devant l'ampleur de ce qui est à
accomplir, et qui ne se mesure qu'à ce qui est nécessaire pour la
survie des humains. Cela étant dit, ces organismes humanitaires
préféreraient ne pas être obligés de revendiquer la puissance
nécessaire pour apaiser la souffrance. Et jamais n'affirment-ils que
cette puissance, dont ils déplorent le manque, serait en elle-même
source de contentement. C'est exactement le contraire chez les
Américains et l'obscénité de la remarque de Bush en fait état. Par
cette remarque, Bush et l'Amérique montrent clairement qu'ils ne
donnent que pour jouir de la puissance de leur geste de don, sans même
quelque égard aux besoins effectifs des souffrants. Les mesures dites
humanitaires des Américains ne sont que l'expression purement
symbolique du pouvoir immédiat de réquisition et de déploiement de
l'aide vers l'autre, et le contentement américain, dans la mesure même
où la mission ne remplit pas sa promesse et que cela ne peut échapper
aux Américains, relève de la jouissance perverse.
On me dira qu'une telle évaluation de type
psychopathologique est simplement revancharde. Soit. Soyons plus
généreux : tentons une interprétation religieuse du geste
humanitaire américain. Car de toute évidence, il ne peut s'agir d'une
tactique visant le ralliement des civils afghans - et de leurs
sympathisants musulmans à travers le monde - , à la cause de
l'« éradication du mal taliban ». Des oublis et incongruités
sont là pour en témoigner, notamment le danger, dont nous avons été
alertés par les organismes humanitaires, encouru par les gens qui
veulent récupérer la nourriture dans les champs de mines, ainsi que le
fait que cette nourriture ne soit pas une nourriture de survie, mais
en fait des rations « happy meal » qui servent usuellement à
« contenter » la gourmandise des jeunes Américains.
L'opération peut cependant être vue comme une
opération d'éradication de toute montée de culpabilité et de doute
chez les Américains. Bush, tout à fait conséquent, a rapidement invité
les enfants de l'Amérique à donner non pas 10 sous mais un gros dollar
afin que l'Amérique puisse continuer à livrer des friandises par les
airs. S'il est possible de convaincre des enfants qu'ils font leur
juste part ainsi, Bush recommandent cependant aux adultes de
l'Amérique, pourtant derrière lui à 90 %, d'acheter des indulgences -
ce qui est très étonnant dans l'Amérique si protestante. « We'll
bomb them and we'll feed them », a déclaré le président américain
à ses concitoyens... Il est assez difficile de voir là une
manifestation du génie de la propagande. En effet, qui pourrait avaler
que l'opération « beurre d'arachide » soit stratégique quand
tout est mis à plat ainsi ? Nous sommes contraints de penser qu'à
l'instar de la remarque sur la puissance généreuse de l'Amérique, le
message d'une simplicité mystique « We'll bomb them and we'll
feed them » - dont la logique boiteuse commande l'humilité du
fidèle devant ce qui semble être l'expression de la raison
impénétrable de la volonté divine elle-même - s'adressait directement
à l'intimité religieuse qui lie entre eux tous les Américains.
Acheter des indulgences n'empêche cependant pas de
jouir de la puissance infinie de Dieu sur terre qui commande que l'on
bombarde et que l'on nourrisse les mêmes personnes. Il était
impossible que le don américain ne soit pas l'objet d'une jouissance
pour le peuple élu et, en l'occurrence, ce n'est certainement pas la
destruction d'un peu de riz de la Croix-Rouge qui allait troubler la
fusion mystique de la communauté américaine. C'est peut-être là la
conviction inavouable du président Bush qui l'a mené à affirmer avec
une parfaite désinvolture que l'Amérique est aussi un
« blockbuster » de l'humanitaire. Parce que l'Amérique agit
au nom de Dieu, elle n'a pas à s'excuser et à dissiper, auprès de ceux
qui reconnaissent la convention de Genève, quelque doute que ce soit
sur l'agression de la Croix-Rouge dont la neutralité est en principe
assurée par la convention. Quand Bush affirme : « America is
good », cela veut dire que « Goodness is
America » ; et si la Croix-Rouge est bonne, l'Amérique est
meilleure.
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