Titre:Débat sur le projet de loi C-35 amendant la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales: Criminalisation de la dissidence.
– Sandra L. Smith –
Le projet de loi C-35 qui amande la Loi sur les missions
étrangères et les organisations internationales, a été déposé à
la Chambre des communes le 1er octobre par le ministre des
Affaires étrangères John Manley. Il a été présenté comme étant de
nature «administrative» et «technique». Son but, disent les
libéraux, est uniquement de mettre à jour la loi de 1991 pour
«faciliter des événements internationaux comme des sommets au
Canada» et «peut-être faire du Canada un meilleur choix pour les
rencontres internationales afin de profiter des retombées
économiques de ces rencontres». Le projet de loi dit que son but
est de «se conformer aux engagements du Canada en vertu de
traités internationaux et de réagir aux récents développements en
matière de droit international».
Le dépôt du projet de la loi en chambre a à peine été
mentionné par les médias. Mais en chambre il a fait l'objet de
beaucoup de débat. Le débat précédant la deuxième lecture a
débuté le 5 octobre, soit quatre jours après son dépôt, et s'est
poursuivi le 18, 22 et 23 octobre. Le débat de la deuxième
lecture porte sur le principe du projet de loi. Il a donc été
adopté en principe par un vote de 171 contre 63, après quoi il a
été référé au Comité permanent sur les Affaires étrangères et le
Commerce international.
Le projet de loi élargit la définition légale
d'«organisation internationale» dont la sécurité doit être
assurée par le Gouvernement du Canada lors de rencontres
internationales. Elle inclura dorénavant des organisations non
issues de traités et auxquelles le gouvernement n'a donc pas à
rendre compte de sa participation à la Chambre des communes. Cela
comprend des sommets du G-8 et du G-20, des rencontres de l'OSCE
et les Sommets des Amériques. Le projet de loi «établit
clairement que la Gendarmerie royale du Canada a la
responsabilité première d'assurer la sécurité des conférences
internationales» et élargit les privilèges et immunités des
étrangers et agences étrangères venant au Canada pour assister à
des rencontres internationales. Le projet de loi ne le précise
pas, mais il est sûrement question ici d'agences comme le FBI et
des forces de sécurité accompagnant les délégations étrangères.
Les documents de référence mentionnent spécifiquement que le
projet de loi est déposé suite à l'enquête sur l'APEC et les
événements entourant le Sommet des Amériques à Québec cette
année.
Durant le débat sur le principe du projet de loi, ni le
ministre des Affaires étrangères John Manley, ni d'autres membres
du Cabinet libéral ni aucun des chefs de parti n'est intervenu.
Mais le débat a quant même touché à des points importants en ce
qui concerne la portée du projet de loi pour criminaliser la
dissidence et les dangers qui s'ensuivent lorsqu'on accroît les
pouvoirs de la police lors de conférences internationales ou
intergouvernementales.
Durant le débat en deuxième lecture, Aileen Carroll,
secrétaire parlementaire du ministre Manley, a expliqué que le
projet de loi était nécessaire parce que la définition actuelle
de l'organisation internationale ne s'applique qu'aux
organisations issues de traités. «Ainsi, nous faisons face à la
situation bizarre où, par exemple, le Sommet de la Francophonie
est visé par la loi, étant donné qu'il y a un traité relatif à
l'Agence de la Francophonie dans ce cas-là, mais le Sommet des
Amériques et le G-8 ne le sont pas. C'est une anomalie que nous
voudrions corriger avant juin 2002, date à laquelle le Canada est
censé être l'hôte du Sommet du G-8.»
Elle a poursuivi en disant: «À la suite des violentes
manifestations qui ont marqué des événements internationaux, à
Gênes par exemple, et, plus récemment, des attaques terroristes
aux États-Unis, il serait opportun pour le gouvernement de
clarifier dans la loi le pouvoir que la common law accorde à
l'heure actuelle à notre corps policier national d'assurer la
sécurité et la protection des participants lors d'événements
internationaux importants.[...]Les dispositions vont clarifier
les pouvoirs actuels de la Gendarmerie royale du Canada de
prendre les mesures appropriées pour que de telles conférences et
réunions internationales puissent se dérouler sans problème, en
toute sécurité.» Donner l'exemple des événements de Gênes ne
définit pas ce qu'elle entend par «violentes manifestations» et
ça ne dit pas non plus qui est la cause de la violence. Mme
Carroll n'explique pas non plus l'existence d'un rapport entre
les manifestations comme celles de Gênes et les attentats
terroristes du 11 septembre. On crée l'impression qu'il y a un
rapport entre les deux et que les manifestants de Gênes sont les
auteurs de la violence. On ne dit rien de la police et des
pouvoirs extraordinaires qui lui sont conférés durant ces
manifestations et où cela mène. En fait, les amendements contenus
dans le projet de loi autorisent la GRC «à prendre les mesures
appropriées, raisonnables, justifiées et adéquates dans les
circonstances».
Le député de l'Alliance canadienne Gurmant Grewal a dit que
la façon dont le projet de loi définit les pouvoirs de la GRC
«pourrait donner lieu à d'interminables contestations fondées sur
la Charte parce que les termes utilisés sont vagues» et «risque
également de restreindre la liberté d'expression et le droit de
manifester et de s'assembler de façon pacifique». «Le
gouvernement utilise des mots comme raisonnable, approprié et
justifié et ainsi de suite, poursuit-il. Cela signifie-t-il que
le gaz poivré, la matraque électronique et même les balles
pourraient être considérés comme des mesures appropriées et
raisonnables?» Mais plutôt que de poursuivre de raisonnement à
conclusion, M. Grewal a préféré en profiter pour ramener les
plaintes partisanes de l'Alliance sur la concentration des
pouvoirs par le Parti libéral et en particulier le Cabinet du
premier ministre. Et là-dessus non plus il n'a pas cherché à
expliquer ce qui mène à cette concentration des pouvoirs, parce
que cela convient à leur stratégie de s'attaquer aux libéraux,
mais a pour effet de détourner le débat du fonctionnement actuel
du système de «démocratie représentative». Le fond du problème
est que les gouvernements ne répondent qu'à l'oligarchie
financière internationale. C'est le problème que personne ne veut
discuter à chaque fois que cette affaire de l'enquête sur l'APEC
est amenée sur la table.
Le député Grewal a dit: «Je me demande si cela pourrait être
une échappatoire pour le premier ministre, pour lui permettre
d'échapper à la controverse politique comme celle qui a été
soulevée par suite de l'utilisation de gaz poivré au Sommet de
l'APEC en 1998. La raison pour laquelle le premier ministre et
son gouvernement ne veulent pas préciser les pouvoirs de la GRC
et les inscrire dans la common law, c'est qu'ils veulent pouvoir
continuer de pratiquer une certaine ingérence politique. Ils
préfèrent ne pas trop préciser les directives, ce qui leur permet
d'exercer une influence politique chaque fois qu'il leur est
nécessaire de le faire.»
Il revient sur sa crainte que la définition des pouvoirs
policiers mènent à des contestations aux termes de la Charte:
«Comment la police pourrait-elle arriver à répondre aux exigences
de la Charte? Si le projet de loi était adopté, cela pourrait
donner lieu à d'interminables contestations fondées sur la Charte
parce que les termes utilisés sont vagues. Les mots appropriés et
raisonnables ne peuvent être définis clairement. Cela donnerait à
la GRC des pouvoirs étendus lui permettant de prendre n'importe
quelle mesure contre des gens qui protestent de façon pacifique.
Cela ne saurait être justifié.» Pourquoi tant s'inquiéter des
contestations aux termes de la Charte et non de la
criminalisation de la dissidence?
M. Grewal a également parlé d'un amendement contenu dans le
projet de loi qui permet de déroger aux dispositions de la Loi
sur l'immigration pour accorder l'immunité aux étrangers
participant à ces rencontres internationales. Mais il n'a pas
exigé de savoir qui aurait besoin d'une telle immunité et
pourquoi. Pourrait-il s'agir d'un membre d'une délégation
étrangère qui serait considéré comme criminel de guerre, par
exemple, que le gouvernement voudrait protéger contre une
arrestation? Ou de forces policières étrangères qui à l'heure
actuelle n'ont pas le droit de porter des armes ou de se livrer à
des activités illégales au Canada? M. Grewal demande plutôt:
«Qu'arriverait-il si un leader ou un représentant d'un pays était
un criminel ou un terroriste? La modification de dérogation à la
Loi sur l'immigration permettrait à ce criminel d'avoir plus
facilement accès au Canada parce que cet accès lui serait donné
par le ministre des Affaires étrangères ou le ministre de
l'Immigration qui n'a peut-être pas tous les mécanismes de
vérification en place.» Il soulève la question: «Où fixer la
limite quant à la nature et à la gravité de la criminalité? Quel
genre de délit mineur serait exempté? Quelle est la définition de
délit mineur? Nous ne le savons pas.» Et poursuit en disant:
«Prenons un exemple moins neutre, pas celui de Nelson Mandela
mais d'un leader connu pour avoir commis des violations des
droits de la personne ou pour avoir soutenu le terrorisme: le
gouvernement aurait le pouvoir de l'admettre pour des raisons
politiques s'il jugeait que cela servait les intérêts canadiens.
Quelle idée ridicule.»
Sur la façon dont le projet de loi centralise davantage les
pouvoirs entre les mains du gouvernement, le député allianciste a
dit: «Il est déjà évident que la loi centralise le pouvoir au
sein du ministère des Affaires étrangères et du Commerce
international. Qui décidera, les bureaucrates, le premier
ministre ou le Cabinet? Nous ne le savons pas, parce que le
projet de loi ne le précise pas. La modification proposée est
vague et donne une trop grande marge de manoeuvre qui pourrait
mener à des abus ou même, de manière non délibérée, à des
erreurs.[...]Cela signifie non seulement qu'un terroriste ou un
criminel potentiel qui entre au Canada en tant qu'agent
diplomatique jouit de l'immunité au Canada, mais aussi que les
autorités canadiennes sont tenues d'assurer sa sécurité. C'est
donc dire qu'on déroule le tapis rouge pour tous les terroristes,
espions, criminels et même dictateurs cruels de ce monde.» Il est
évident que lorsqu'il parle d'«espions» étrangers, il ne fait pas
allusion au FBI.
Autrement dit, le député Greval utilise le même langage
tendancieux et indéfini qu'il reproche au gouvernement. Il est
évident que le débat se fonde sur les préjugés des uns et des
autres plutôt que de répondre aux questions fondamentales:
comment définit-on la menace à la sécurité précisément et quelles
mesures peut-on prendre qui respectent le régime de droit? Il n'y
a pas de cas récent où un manifestant aurait menacé la sécurité
personnelle d'un dignitaire étranger, alors il n'y a rien qui
permette de croire que c'est de là que vient la menace. Jusqu'à
présent des violations des libertés civiles ont été permises
durant des rencontres comme celles qui font l'objet du projet de
loi en faisant une distinction illégitime entre manifestations
«légitimes» et manifestations «illégitimes». C'est précisément
ainsi que les manifestations qui ne sont pas considérées comme
«légitimes» sont automatiquement classées comme «violentes» et
criminalisées. Tant qu'on ne réglera pas ce problème en se
fondant sur les principes et le régime de droit, parler de
«manifestations illégitimes» ne sert qu'à prêcher pour son
clocher.
Gary Lunn de la coalition du Parti conservateur et de la
Représentation démocratique, a lui aussi soulevé que le projet de
loi n'est pas spécifique dans ses définitions. Il a parlé en
particulier des recommandations du Rapport Hughes sur les
rencontres de l'APEC à Vancouver. «Il conviendrait que le
gouvernement étoffe un peu le projet de loi, au lieu de dire en
des termes généraux que la GRC est la principale organisation
responsable des réunions internationales. En matière de sécurité,
il faut établir des paramètres pour éviter l'ingérence politique
qui a été flagrante à Vancouver.» L'article 5, paragraphe 2, du
projet de loi se lit: «Dans l'exercice de ses
responsabilités[...]la Gendarmerie royale du Canada peut prendre
les mesures qui s'imposent, notamment en contrôlant, en limitant
ou en interdisant l'accès à une zone dans la mesure et selon les
modalités raisonnables dans les circonstances.»
Svend Robinson du NPD a soulevé la question des pouvoirs
accordés à la police et dit clairement que le NPD voterait contre
le projet de loi. Le projet de loi C-35, dit-il, s'inscrit dans
«une tendance alarmante à donner plus de pouvoirs aux forces de
l'ordre». Il a ajouté: «C'est un renforcement considérable et
dangereux du pouvoir de la GRC. A la lumière des récents abus qui
ont eu lieu au sommet de l'APEC, nous ne devrions pas octroyer à
la légère de nouveaux pouvoirs à la GRC. Dans son rapport, le
juge Hughes soulève de sérieuses questions pour savoir dans
quelle mesure il est nécessaire de codifier en termes législatifs
la relation entre l'autorité politique et la GRC. Le projet de
loi C-35 n'apporte rien à cet égard.»
Il a ensuite dit: «Le récent sommet de Amériques constitue
peut-être la plus sérieuse illustration de cet abus de pouvoir de
la GRC. On affirme que la modification proposée à la Chambre
répond aux questions de sécurité soulevées par le sommet. Au lieu
de réagir par des mesures législatives renforçant le pouvoir de
la GRC, nous devrions nous poser de sérieuses questions au sujet
des abus du pouvoir policier et de la criminalisation de la
dissidence dont nous avons été témoins au sommet des Amériques
qui s'est tenu à Québec.» Mais il n'a pas poursuivi sur la
question cruciale à savoir comment «codifier en termes
législatifs la relation entre l'autorité politique et la GRC».
Scott Reid de l'Alliance canadienne a présenté un long
exposé sur les libertés civiles afin de retracer à ses origines
britanniques «le plus grand degré de liberté» qu'ils nous a été
«permis d'atteindre dans ce pays». Il a dit: «Quand nous analysons
l'ensemble du système de protection que nous avons pris la peine
de créer, nous nous apercevons qu'il existe des mesures de
protection très précises pour éviter justement l'érosion lente
mais progressive de nos droits fondamentaux. Voilà pourquoi, à la
lecture d'une déclaration des droits ou de notre propre Charte
des droits, nous nous apercevons que les mesures de protection de
nos libertés fondamentales tendent à nous protéger contre un
ensemble de petites violations au lieu de prendre la forme d'un
grand énoncé des droits qui devraient exister.»
On ne sait pas ou M. Reid tire son impression parce que ce
n'est pas ainsi qu'est écrite la Charte des droits et libertés.
Elle stipule clairement que tous les droits de la Charte sont
sujets à «des limites raisonnables» que le gouvernement peut
définir suivant les intérêts qu'il cherche à défendre. On ne peut
avoir plus «grand énoncé des droits» que celui-là. Contre cela,
aucune des «mesures de protection spécifiques» dont il parle ne
tient.
Reid présente ensuite un historique mutilé de la naissance
des libertés civiles. Il prend l'exemple de la liberté
d'assemblée dont il retrace les origines à la Grande-Bretagne
comme suit: «Il fut un temps où le Parlement britannique était
bien loin d'être le modèle qu'il est devenu aujourd'hui. Par
exemple, les femmes, les travailleurs et les hommes qui n'étaient
pas propriétaires ne pouvaient pas voter et ce droit était exercé
par une infime fraction de la population, moins de 10 p. 100 en
fait. De même, le système de représentation dans les bourgs était
extrêmement corrompu. A certains endroits, dans les bourgs
pourris comme on les appelait, à peine une douzaine de personnes
pouvaient élire un député au Parlement. D'autres bourgs étaient
immenses et étaient gravement sous- représentés.»
Il faut une imagination très fertile pour rattacher cela aux
libertés civiles car il s'agit ici de quelque chose de totalement
différent, il s'agit du système de gouvernement sur lequel il
vaudrait de revenir. Mais Reid fait le saut d'une catégorie à
l'autre comme suit.
«On a alors élaboré toutes sortes de théories pour
solutionner ce problème. À la fin, on a accordé le droit de
protester dans la rue, le droit de sortir manifester. Parfois les
participants à ces événements consommaient un peu d'alcool et la
manifestation dégénérait en émeute, mais ce phénomène était
compris et accepté.»
Essaie-t-il de dire qu'on ne savait pas trop comment définir
une émeute à l'époque? Ou cherche-t-il plutôt à nous convaincre
qu'il y a deux types d'émeutes? Dans ce cas, il devrait nous dire
quelle est la distinction entre les deux. Mais selon lui cette
imprécision est «le cadre qui nous a permis, dans notre pays,
d'atteindre un plus grand degré de liberté. Cela s'applique aussi
aux Britanniques et aux Américains. Ce fut un tournant crucial.»
Crucial comment et pour qui? Si on le prend au mot, il dit
qu'une manifestation qui dégénère en émeute à cause de la
présence de l'alcool, c'est acceptable ou ce n'est pas vraiment
une émeute. Par contre, lorsque les travailleurs vont en grève et
qu'ils sont attaqués par la police, s'ils se défendent, là c'est
une émeute! Ce qui est crucial, c'est de comprendre pourquoi l'un
est traité d'une manière et l'autre traité d'une autre manière.
La distinction est que le premier aide les cercles dominants, ou
ne leur cause pas de tort, tandis que l'autre touche à leurs
intérêts.
Par ce soi-disant compte-rendu de la naissance du droit
d'assemblée, Reid montre tout simplement qu'il n'a jamais saisi
l'essence de la question, qu'il se propose pourtant de nous
révéler. Il fait spécifiquement abstraction du problème qui se
posait à l'époque, à savoir que l'État capitaliste devait créer
des lois qui le protègent contre l'insurrection. Le droit
d'assemblée devait être protégé sous une forme ou une autre parce
que l'État devait continuer de convaincre le peuple qu'il a des
droits et aussi pour donner aux factions au sein de la classe
dirigeante des moyens de rivaliser pour le pouvoir avec une
certaine équité entre eux. Mais ce pouvoir devait être défendu à
tous prix contre toute tentative d'usurpation par la classe
ouvrière.
C'était l'époque où de nouveaux arrangements étaient
institués au nom de «la paix, l'ordre et le bon gouvernement». Le
système de gouvernement de partis a été conçu pour garder le
peuple à l'écart du pouvoir. C'est ce qu'on a appelé «le bon
gouvernement». Les forces armées avaient pour rôle de supprimer
toute lutte anticoloniale: «la paix». Et les forces policières
avaient pour rôle de supprimer la «dissidence illégitime»:
c'était l'«ordre». Le concept de «régime de droit» devait garantir
que chaque officier de police était responsable de maintenir
l'ordre sans se placer au-dessus de la loi. C'était pour
s'assurer, par exemple, qu'un policier ne puisse dire que c'est
une «émeute» quand cela n'en était pas une. Ce n'était pas à lui
à définir ce qui constitue une «émeute» et pouvait être tenu
comme responsable pour avoir illégalement arrêté une personne
pour «participation à une émeute». Il ne pouvait pas dire qu'il
«obéissait à des ordres».
Mais tant que ce sont les classes dominantes qui déterminent
ce qui est légitime et illégitime comme dissidence, selon ce qui
convient aux intérêts minoritaires qu'elles représentent, parler
de mesures à prendre pour déclarer certaines dissidences
illégitimes, c'est toujours prêcher pour son clocher.
À la lumière des tentatives actuelles, par ce projet de loi
et le projet de loi C-36, le bill omnibus sur le terrorisme, de
permettre à la police de commettre légalement des actes illégaux,
le résultat sera d'enchâsser dans la loi la tendance du système à
la criminalisation de la dissidence. Au lieu d'établir un régime
de droit qui correspond aux besoins de l'époque actuelle, où le
besoin de renouveau du processus politique est devenu crucial
pour ouvrir la voie au progrès de la société et investir le
peuple du pouvoir souverain, on cherche à «légaliser» les
violations des principes fondamentaux du régime de droit et cela
ne fera qu'ériger l'anarchie en autorité. C'est un autre terme
pour terreur d'État. Il s'agit d'un développement très sérieux
pour ce qui est de la loi et ce qu'ont dit les députés à la
Chambre ne fait que détourner l'attention de ce développement.
Ces origines britanniques des droits contenus dans le Bill
of Rights ou la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi
que de la conception du régime de droit et du «degré de liberté»
qu'«il a été permis d'atteindre dans ce pays», tout cela est
balayé sous le tapis. C'est pour cette raison que le gouvernement
est incapable d'établir des définitions et des critères objectifs
dans la loi.
Le débat à la Chambre a repris 12 jours plus tard, soit le
18 octobre. Cela a permis à Reid d'étoffer son argument à propos
des pouvoirs policiers et de la liberté d'assemblée.
L'embrouillamini dans lequel il s'est alors aventuré montré où
mène le refus de garantir le droit de conscience et de s'opposer
à la criminalisation de la dissidence. Il a dit qu'il y a toute
une «gamme d'activités possibles» qui vont «des activités
complètement légitimes et protégées par les pouvoirs publics dans
lesquelles ceux-ci ne peuvent intervenir et, d'autre part, les
activités illégales dans lesquelles les pouvoirs publics doivent
intervenir pour protéger la société.»
La «gamme», selon Reid, évolue comme suit: «Les assemblées
publiques varient de la réunion de quelques personnes dans un but
anodin jusqu'à une grande assemblée menaçante pour l'ordre et la
sécurité publiques. La gamme est vaste, mais je vais expliquer
certaines possibilités en regard du projet de loi pour faire
valoir mon argument qui porte sur l'article 5.
«La forme la moins agressive ou la moins perturbante
d'assemblée publique est une réunion de personnes en vue de
discuter d'action politique. Il se peut que le grand public ne
soit même pas au courant. Il s'agit de la forme de liberté
d'association la plus clairement comprise et celle qui a le plus
clairement besoin de protection fondamentale.
«Passant à un échelon supérieur, on peut imaginer une
réunion qui vise à attirer l'attention sur un sujet de
préoccupation ou de plainte, mais dont seuls ceux qui ont voulu
s'y intéresser sont au courant. Il peut s'agir d'une réunion
spontanée visant à sensibiliser le public, mais seuls ceux qui se
sentent concernés par la question y porteraient une grande
attention.
«En grimpant encore d'un échelon, on pourrait trouver une
réunion un peu plus impressionnante pour attirer l'attention sur
un enjeu. Les gens se rassembleraient peut-être dans un endroit
public où ils savent que d'autres les verraient et où ils
espéreraient faire l'objet d'un reportage aux nouvelles et
attirer l'attention du public à leur cause. Dans des
circonstances normales, cela est à la fois défendable et
admirable.
«Le prochain échelon pourrait correspondre à un
rassemblement visant à attirer l'attention au moyen d'une forme
de perturbation préapprouvée et consensuelle de la marche normale
des affaires; par exemple, une manifestation pour laquelle on
aurait obtenu un permis. Une rue pourrait avoir été fermée pour y
laisser défiler les manifestants en interrompant le cours normal
des activités, mais d'une manière comprise et acceptée par les
autorités.
«Le droit municipal comporte des dispositions pour permettre
ce genre de choses. En effet, cela est parfois ritualisé sous la
forme d'événements politiques que nous tenons sur une base
régulière. Je songe par exemple au Jour du Souvenir lorsque les
rues d'une partie du centre-ville sont fermées à la circulation
afin que nous puissions rendre hommage, par un événement
politique, aux soldats tombés au champ d'honneur.
«Ensuite, dans la gamme des activités possibles, il pourrait
y avoir l'attroupement qui trouble directement le cours normal
des choses, sans qu'il y ait un consensus ou un accord complet.
Il pourrait s'agir, par exemple, d'une ligne de piquetage à
l'extérieur de la barrière d'une usine, dont le but ne se limite
pas à distribuer des tracts, mais à bloquer l'entrée ou la sortie
de l'usine. Aux États-Unis, un attroupement pouvait bloquer
l'entrée d'une prison et compliquer ainsi une mise à mort. Cela
frôle un peu l'illégalité, mais ce n'est pas aussi grave que les
exemples que je m'apprête à donner.
«Au cours d'une manifestation, il arrive que des biens
soient endommagés. Ce peut être le cas lors de grèves, de
manoeuvres antigrèves et de manifestations politiques. Puis, il y
a la manifestation et l'attroupement au cours desquels la
sécurité personnelle est menacée. On en arrive donc à ce qu'on
pourrait appeler l'émeute.
«Enfin, à l'autre extrémité de la gamme, on trouve la
démonstration ou l'action collective au cours de laquelle la vie
est menacée. Il s'agit évidemment du genre de rassemblement que
l'on ne peut tolérer dans une société.»
Il cite ensuite les articles 63, 64, 65 et 66 du Code
criminel canadien portant sur l'attroupement illégal pour
soutenir que «la loi tient compte du fait qu'au même endroit et à
la même heure, il peut y avoir des gens qui manifestent en toute
légalité d'une manière qui est protégée par la loi et la
Constitution; des gens qui sont engagés dans un attroupement
illégal et qui peuvent être trouvés coupables d'une infraction
punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire;
et des gens qui participent à une émeute et peuvent être
condamnés à un maximum de deux ans de prison. Tout cela peut se
produire simultanément.» Il ajoute que: «De façon générale, ce
sont d'excellentes pratiques. Ce sont des conventions qui
existent de longue date dans la loi et qui ont fort bien servi
notre société, la société américaine et d'autres sociétés de même
tradition juridique.»
Reid ne fait que démontrer ses propres préjugés. Il est tout
à fait absurde de prétendre que c'est une explication du droit
d'assemblée. Il conclut d'ailleurs sont intervention par un
argument intéressé qui lui sert à justifier la criminalisation de
la dissidence. Il dit que le projet de loi C-36 est «probablement
tout à fait positif» dans la mesure où il donne à la GRC les
moyens d'appliquer ces pratiques à des situations comme les
manifestations de Québec où «il y avait une marge entre les
casseurs et ceux qui agissaient dans les limites de notre
constitution». Puis il démontre encore une fois son incapacité
totale à comprendre dans quelle crise est plongée le système de
«démocratie représentative» aujourd'hui. Le système de
gouvernement de partis se sert des élections pour maintenir au
pouvoir les partis qui représentent une infime minorité
d'intérêts influents. L'élection leur permet de prétendre avoir
un «mandat» et ce mandat est de préserver le statu quo par tous
les moyens. Il n'y a aucun moyen pour les citoyens de participer
aux décisions quant à la direction de l'économie ou de la
société. Au lieu de reconnaître la réalité, Reid affirme: «Ce qui
se passe, c'est que ces gens[les manifestants]partent du principe
qu'ils ne peuvent remporter le débat contre la mondialisation, ou
quelque autre question que ce soit, par l'entremise des moyens
démocratiques normaux, qu'ils sont incapables de convaincre les
gens dans le cadre d'assemblées démocratiques, ouvertes et
légales et qu'ainsi, ils profiteront de ces assemblées pour mener
des actions illégales. C'est répréhensible. Dans la mesure où ce
projet de loi répond à cela, c'est probablement une bonne chose.»
Mis à part le reste, ce genre de mutilation de la réalité et
de l'histoire ne fait que rabaisser le niveau du discours
politique. Après tout ce long exposé sur la «liberté
d'assemblée», Reid en vient à conclure qu'après tout, les
manifestations ne sont peut-être pas «un moyen démocratique
normal»?
À la fin, Reid révèle encore une fois que les intentions de
son parti dans ce débat sont de prouver que tout cela est la
faute aux libéraux qui forment le gouvernement. Selon lui, le
problème est que «malheureusement, la Gendarmerie royale du
Canada devient de plus en plus politisée.[...]Il me semble que,
pour parvenir à une meilleure sécurité, il faudrait que cette
mesure législative ou toute autre mesure législative essaie de
rétablir le type de séparation entre l'exécutif et les maîtres
politiques du Parti libéral qui ont un certain intérêt à veiller
à ce que la justice ne soit pas administrée de façon équitable.»
Un exécutif sans maîtres politiques? Ne faudrait-il pas plutôt
poser carrément la question à savoir qui l'exécutif sert?
Tant que sa critique porte non pas sur les fondements du
système qui criminalise la dissidence mais sur le fait que le
Parti libéral est au pouvoir, il ne fait encore une fois que
prêcher pour son clocher.
Il est important que la classe ouvrière, les femmes et les
jeunes examinent le fond du problème. Il est possible d'avoir un
régime de droit qui ne donne ni aux représentants du
gouvernement, ni aux forces de sécurité des pouvoirs qui leur
permettent de criminaliser la dissidence.
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