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Le Théâtre du Bien & du Mal [Eduardo Galeano]vieuxcmaq, Miércoles, Septiembre 26, 2001 - 11:00 (Analyses)
Eduardo Galeano (zumbi500@hotmail.com)
Texte traduit du célèbre écrivain urugayen en rapport avec les derniers événements aux Etats-Unis Le Théâtre du Bien & du Mal Eduardo Galeano Article paru dans Página 12 (Argentine) en septembre 2001. Dans la lutte du Bien contre le Mal, c'est toujours le peuple qui fournit les morts. Les terroristes ont tué, à New-York et à Washington, des travailleurs de cinquante pays au nom du Bien contre le Mal. Et au nom du Bien contre le Mal, le président Bush a juré vengeance: "Nous allons éliminer le Mal de ce monde", annonce-t-il. Eliminer le mal? Que serait le Bien sans le Mal. Les fanatiques ne sont pas les seuls à avoir besoin d'ennemis pour justifier leur folie. L'industrie de l'armement et le gigantesque appareil militaire des Etats-Unis a aussi besoin d'ennemi pour justifier son existence. Bons et mauvais, mauvais et bons: les acteurs changent de masques, les héros deviennent monstrueux et les monstres des héros, en fonction de ceux qui écrivent le drame. Cela n'a rien de neuf. Le scientifique allemand Werner von Braun était mauvais quand il inventa les fusées V-2 qu'Hitler déchargea sur Londres. Mais il devint bon le jour où il mit son talent au service des Etats-Unis. Staline était bon durant la seconde guerre mondiale et mauvais après celle-ci, quand il en vint à diriger "l'Empire du Mal". Durant les années de la guerre froide, John Steinbeck écriva: "Peut-être que tout le monde avait besoin des Russes. Je parie qu'en Russie aussi ils ont besoin de Russes. Peut-être qu'ils les appellent Américains". Ensuite, les Russes (re)devinrent des bons. Maintenant aussi, Poutine dit que "le Mal doit être châtié". Saddam hussein était bon, et bonnes étaient les armes chimiques qu'il employa contre les Iraniens et les Kurdes. Par après, il a mal tourné. On l'appellait déjà Satan Hussein quand les Etats-Unis, qui venaient d'envahir le Panama, envahirent l'Irak parce que l'Irak avait envahi le Koweit. Bush Père eut cette guerre contre le Mal à sa charge. Avec l'esprit humanitaire et compatissant qui caractérise sa famille, il tua plus de 100.00 Iraquiens, des civils dans leur grande majorité. Satan Hussein continue d'être où il était, mais cet ennemi numéro un de l'humanité a chuté dans la catégorie des ennemis numéro deux. Le fléau du monde s'appelle maintenant Osama Bin Laden. La CIA lui a enseigné tout ce qu'il sait du terrorisme: Bin Laden, aimé et armé par le gouvernement des Etats-Unis, était un des principaux "guerriers de la liberté" contre le communisme en Afganisthan. Bush père occupait la viceprésidence quand le président Reagan dit que ces héros étaient "l'équivalent moral des Pères Fondateurs de l'Amérique". Hollywood était d'accord avec la Maison Blanche. C'est à l'époque que fut filmé Rambo III: les Afghans musulmans étaient les bons. Maintenant ils sont les plus mauvais des mauvais à l'ère de Bush fils, treize ans plus tard. Henry Kissinger fut parmi les premiers à réagir à la récente tragédie. "Sont aussi coupables que les terroristes ceux leur apportant appui, financement et inspiration", jugea-t-il avec des mots que le président Bush répéta quelques heures après. Si c'est ainsi, il faudrait commencer par bombarder Kissinger. Il est coupable de beaucoup plus de crimes que ceux commis par Bin laden et par tous les terroristes qu'il y a dans le monde. Et dans davantage de pays: en agissant au service de divers gouvernements nord-américains, il fournit "appui, financement et inspiration" à la terreur d'Etat en Indonésie, au Cambodge, à Chypre, en Iran, en Afrique du Sud, au Bangladesh et dans les pays sudaméricains qui souffrirent de la guerre sale du Plan Condor. Le 11 septembre 1973, exactement 28 ans avant les feux d'aujourd'hui, avait brûlé le palais présidentiel au Chili. En commentant le résultat des élections, Kissinger avait anticipé la disparition de Salvador Allende et de la démocratie chilienne: "Nous n'avons pas à accepter qu'un pays devienne marxiste à cause de l'irresponsabilité de son peuple". Le mépris pour la volonté populaire est un des nombreux points communs entre le terrorisme d'Etat et le terrorisme privé. Pour donner un exemple, l'ETA, qui tue des gens au nom de l'indépendance du Pays basque, a dit, à travers un de ses portes-paroles: " Les droits n'ont rien à voir avec des majorités et des minorités". Il y a beaucoup de similitudes entre le terrorisme artisanal et celui de haut niveau technologique, entre celui des fondamentalistes religieux et celui des fondamentalistes du marché, entre celui des désespérés et celui des puissants, entre celui des fous en liberté et celui des professionnels en uniforme. Tous partagent le même mépris pour la vie humaine: tant les assassinats des 6.600 citoyens broyés sous les décombres des tours jumelles, qui s'écroulèrent comme des châteaux de sable sec, que ceux des 200.000 Guatémaltèques, majoritairement indigènes, qui ont été exterminés sans que, jamais, la télé ni les journaux du monde ne leur prêtent la moindre attention. Eux, les Guatémaltèques ne furent pas sacrifiés par un fanatique musulman mais par les militaires terroristes qui reçurent "appui, financement et inspiration" des gouvernements successifs des Etats-Unis. Tous les amoureux de la mort se rejoignent aussi dans leur obsession à réduire en termes militaires les contradictions sociales, culturelles et nationales. Au nom du Bien contre le Mal, au nom de l'Unique Vérité, tous résolvent tout en tuant premièrement et en posant des questions ensuite. Et par ce chemin, ils finissent par alimenter l'ennemi qu'ils combattent. Ce furent les atrocités du Sentier Lumineux qui en grande partie permirent au Président Fujimori, avec un appui populaire considérable, de mettre en place un régime de terreur et de vendre le Pérou au prix de la banane. Ce furent les atrocités des Etats-Unis au Moyen-Orient qui en grande partie générèrent le terrorisme d'Allah. Tandis que, maintenant, le leader de la Civilisation est en train d'exhorter à une nouvelle Croisade, Allah est innocent des crimes qui se commettent en son nom. Finalement, ce n'est pas Dieu qui ordonna l'holocauste nazi contre les fidèles de Jehova et ce ne fut pas Jehova qui dicta la tuerie de Sabra et Chatila ni qui demanda l'expulsion des Palestiniens de leurs terres. Peut-être que Jehova, Allah et Dieu ne sont pas les trois noms d'une même divinité? Une tragédie d'équivoques: on ne sait pas qui est qui. La fumée des explosions fait partie d'un beaucoup plus grand rideau de fumée qui nous empêche de voir. De vengeance en vengeance, les terrorismes nous obligent à marcher à cahot. La spirale de la violence engendre la violence et la confusion aussi: douleur, peur, intolérance, haine, folie. A Porto Alegre, au début de cette année, l'algérien Ahmed Ben Bella avertit: "Ce système qui a déjà rendu folles les vaches est en train de rendre fou les gens. Et les fous, fous de haine, agissent comme le pouvoir qui les génère. ces derniers jours, un enfant de trois ans, qui s'appelle Luca, commenta: "le monde ne sait pas où est sa maison". Il était en train de regarder un plan. Il aurait pu être en train de regarder les infos.
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