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Le faux débat sur la violence dans les manifestations anti-globalisation

vieuxcmaq, Jueves, Agosto 23, 2001 - 11:00

Collectif de réflexion sur l'air des lampions (lampions@hotmail.com)

Au cours des derniers mois, plusieurs manifestations anti-
globalisation ont eu lieu. Ces actions ont suscité partout la même
réaction moraliste dans les médias et même chez certains militants. On
oppose ainsi les citoyens « bons et respectueux de la loi » aux
anarchistes « mauvais et violents ». Il nous semble que la situation
exige une analyse qui dépasse cette dichotomie simpliste.

Le faux débat sur la violence dans les manifestations anti-globalisation

La présente réflexion nous est inspirée par les multiples
manifestations contre la globalisation qui se sont déroulées ces
derniers mois. Nous avons participé à la manifestation anti-ZLÉA à
Québec en avril et nous avons suivi les autres événements semblables
dans les médias corporatifs et alternatifs. Dans chaque cas, le
scénario était à peu près identique. En gros, les actions des
militants peuvent être réparties en deux catégories : d'une part, des
forums de discussion et des grandes marches organisées en général par
des syndicats ou des ONG, d'autre part, des actions (soit spontanées,
soit organisées par des mouvements anti-capitalistes) qui font appel à
une diversité de tactiques d'action directe allant jusqu'au
démantèlement de périmètres de sécurité, au bris de vitrines ou au
lancer de pierres.

Ceci a inspiré partout la même réaction moraliste dans les médias et
même chez certains militants. En effet, on claironne partout que les
militants participant à la deuxième catégorie d'actions sont des
voyous et des hooligans. On les critique pour leur « violence »,
tandis que les militants participant à la première catégorie d'actions
sont félicités pour leur pacifisme et leur esprit démocratique. Il
nous semble que la situation mérite mieux que cette dichotomie
simpliste. C'est à une autre analyse que nous vous convions
maintenant.

En guise de critique des actions « violentes », on entend souvent
qu'elles sont contre-productives et qu'elles discréditent les
militants et la cause elle-même en ce sens que ces actions ne
constituent pas une façon démocratique d'exprimer la dissidence. On
entend beaucoup plus rarement des objections à propos des forums de
discussion, des marches et des autres formes de manifestation « grand
public ». En fait, elles laissent indifférent et du coup deviennent
facilement l'objet d'une récupération cynique de la part de la classe
politique assoiffée de légitimité démocratique : les manifestants
prennent part à une grande manifestation « démocratique », les
autorités, grâce à leur grand sens « démocratique », les laissent
manifester et, au bout du compte, rien n'a véritablement changé. Dans
une émission d'affaire publique diffusée après les événements de
Québec (Counterspin, CBC, mai 2001), Lynn Myers, secrétaire
parlementaire du Solliciteur Général du Canada, a fait ce commentaire
très révélateur : « Dans une grande démocratie comme le Canada, nous
avons la capacité de permettre les protestations pacifiques comme
faisant partie du processus ». Ce commentaire mérite une analyse : en
faisant « partie du processus », les protestations pacifiques
démontrent à quel point le Canada est une grande démocratie mais, en
tant que « partie du processus », ces manifestations ne peuvent pas
arrêter ou même modifier ledit « processus » qui, de toutes façons,
n'est pas le « processus » démocratique mais bien le « processus »
d'imposition de ce qui a déjà été décidé. Inutile de dire que ce
« processus » n'a finalement rien à voir avec le but des protestataires.
Il semble donc que le fait de « jouer selon les règles » n'a pas
beaucoup d'impact, peu importe le nombre de manifestants impliqués et
peu importe à quel point ces manifestants sont convaincus de la
justesse de leur cause.

Dans ce contexte, nous croyons que le débat qu'on entend souvent sur
les moyens d'exprimer notre opposition - violents ou non violents -
est totalement impertinent. Entre autres, les militants ne devraient
pas perdre leur énergie dans un débat moral à savoir quelles actions
sont violentes et lesquelles ne le sont pas, lesquelles sont
acceptables et lesquelles sont inacceptables. Malheureusement,
beaucoup de militants entrent dans ce débat du haut de leur point de
vue pacifiste avec la conviction que leur vision pacifiste est
moralement supérieure. Ils opposent la « bonne » désobéissance civile,
vue comme une forme respectable d'illégalité, et la « mauvaise »
violence qui mène à l'apocalypse. Ils confortent ainsi l'affirmation
martelée par l'État que tous les violents sont des voyous et que ceux
qui les approuvent sont des voyeurs irresponsables. Ils contribuent au
travail de propagande visant à faire apparaître comme dépolitisée la
résistance radicale. Nous pensons donc que le débat
violence/non-violence est stérile. La vraie distinction qui devrait
être faite est celle qui oppose la violence politique, juste, mesurée
et légitime, d'une part, et la violence terroriste de l'État d'autre
part. Les pacifistes devraient donc abandonner leur ligne éditoriale
condamnant toute forme de violence ; ils devraient plutôt apprendre à
qualifier les violences.

À ce sujet, nous aimerions proposer quelques éléments de réflexion
propres à élargir le débat sur la violence. Dans la violence mobilisée
par l'État, on trouve en germe ce que tous les pacifistes craignent :
la démesure de l'effort subjectif qui brutalise. Par le calcul et la
technicisation, la violence de l'État devient inévitablement terreur,
c'est-à-dire que le calcul et la technicisation anesthésient l'effort
subjectif qui brutalise et mène à la démesure. Ceci dit, il existe une
forme de violence politique juste et mesurée et son seul but est
l'expression de la colère. C'est l'expression d'une pure force
impulsive qui, grâce au caractère ponctuel de son impulsivité, limite
les effets de ses « coups » - le programme du Black Bloc est
exemplaire à cet égard (notre avis favorable à l'égard de ce programme
ne veut pas dire que nous participons nous-mêmes aux actions Black
Bloc... si cela peut rassurer certaines personnes). Cette forme de
violence trouve sa mesure dans sa propre impulsivité, expression
incandescente de cet impérieux appel à l'autre devenu terroriste.

La terreur tend irrépressiblement vers le contrôle absolu de l'essence
souffrante de la subjectivité - la terreur trouve son expression la
plus cristalline dans la torture - mais, pour sa part, la violence
impulsive s'estompe immédiatement dans l'essence souffrante de l'autre
révélée à lui-même. Nous espérons que ces quelques idées sur la
violence que nous venons d'ébaucher sauront titiller lesff esprits
métaphysiques des adeptes mystico-dogmatiques de la non-violence.
Laissons-les gruger cet os conceptuel et allons examiner quelques
raisons qui font que dans la dialectique des conflits politiques, le
recours à l'expression violente de l'opposition peut être utile et
presque nécessaire.

Comme nous l'avons dit plus tôt, le fait que des milliers de personnes
participent à une manifestation ou que des résistants pacifiques
s'enchaînent à une clôture n'a presque pas de résonance dans les
médias et n'a virtuellement pas d'impact sur le plan politique. Ceci
explique partiellement pourquoi les militants sont devenus plus
radicaux. À notre avis, leurs actions plus radicales, combinées aux
autres actions, peuvent être efficaces à tout le moins pour faire
comprendre qu'il existe bel et bien un conflit politique. Les actions
des militants sont efficaces à chaque fois qu'ils font la
démonstration de l'asymétrie qui existe entre leurs moyens et ceux,
démesurés, déployés par les forces policières. L'occupation passive,
le bris de la vitrine ou l'assaut contre la police ont tous une portée
politique quand la police contribue par ses actions à expliciter le
conflit politique que l'état de nos « démocraties » dénie par
lui-même. La police n'est pas qu'une institution saine pervertie par
un penchant malheureux des hommes. Sa violence est le symptôme de la
ténacité du cynisme barbare de ceux qui ne cessent de nous parler de
démocratie tout en ordonnant de matraquer et de gazer les citoyens qui
s'opposent de manière légitime.

La résistance passive et la dialectique de l'arrestation politique

De plus, les pacifistes prêts à se faire arrêter en faisant de la
résistance passive doivent comprendre que leur conscience morale n'a
rien à voir a priori avec la portée politique des arrestations qu'ils
choisissent de subir. C'est une conjoncture complexe dépendant entre
autres des visées de l'appareil juridico- policier qui permet qu'une
arrestation ait éventuellement une signification politique. Les
chorégraphies de désobéissance civile qui culminent paisiblement dans
les bras de la police, laquelle participe du coup à ce grand ballet,
ont une portée politique principalement dans l'esprit idéaliste de
ceux qui y participent. Certes, ces actions n'ont pas toujours été
stériles, mais cela ne dépendait pas de la vertu des militants. Quand
ces actions ont été efficaces, c'est parce que la société, qui se
représentait comme une société pacifiée, fut surprise de voir que des
gens pouvaient être arrêtés parce qu'ils défendaient des idées.

Les militants pacifistes critiquent souvent les manifestants qui
commettent des actes « violents » en les blâmant pour les rafles
policières qu'ils provoquent et au cours desquelles des manifestants
n'ayant pas participé à la confrontation active sont toutefois
arrêtés. En d'autres mots, on accuse les radicaux de manquer de
solidarité avec l'ensemble des manifestants.

À cela, nous répondons que ces arrestations ne tiennent pas à
l'irresponsabilité de quelques militants actifs ; c'est toujours la
police qui doit être tenue responsable quand elle décide d'assaillir
arbitrairement les manifestants. En l'occurrence, c'est bien pour
parer à l'arbitraire de l'action policière, quand elle devient
répression politique, que la tactique consistant à déployer les
manifestants sur différentes zones désignées en fonction du degré de
risque d'arrestation que comporte le fait de s'y retrouver a été mise
en oeuvre, notamment à Prague et à Québec. Incidemment, il est
intéressant de noter que plusieurs militants ont décidé de prendre le
risque de l'arrestation non pas en commettant des actes violents mais
en décidant d'être présents là où la résistance était plus radicale
et, le cas échéant, en approuvant explicitement les actions musclées.
Parmi ces personnes, celles qui furent arrêtées l'ont été non pas
parce qu'elles l'avaient choisi (au sens où des résistants passifs
« choisissent » parfois d'être arrêtés) mais parce qu'elles avaient
choisi la résistance radicale. Et l'on ne voit pas pour autant ces
personnes condamner de manière unanime le fait qu'elles aient été
arrêtées alors que d'autres, plus compromises, ne l'ont pas été : les
personnes arrêtées sont pour la plupart convaincues du caractère
essentiellement politique de leur arrestation et elles en ont assumé
le risque. En un mot, c'est le caractère arbitraire de leur
arrestation qui confère à celle-ci son caractère politique et les
personnes arrêtées assument le risque d'être l'objet d'une arrestation
politique en sachant qu'elle n'est jamais juste. Bien des gens qui ont
participé aux manifestations de Québec l'ont compris : c'est en
débusquant l'intention systématique d'outrepasser la légalité chez
ceux-là mêmes à qui l'on confie l'usage exclusif de la violence dans
nos démocraties que l'on trouve le meilleur moyen de politiser le
procès des militants.

Cela dit, la raison pour laquelle, en dernière instance, l'État frappe
ne tient pas, comme il le prétend, dans ce qui ne sont au fond que des
bravades à l'égard de la police. Ce que craignent la classe politique
et la police est le plébiscite massif et spontané, par tous les
militants, des « coups » justes et mesurés de ceux qui sont prêts à
les commettre. L'approbation spontanée de la violence juste et mesurée
à l'égard de la propriété des grandes entreprises capitalistes, de
l'équipement des mass media, des barricades illégales et des armures
des policiers, voilà sans doute ce qui inquiète le plus l'État parce
que c'est une démonstration de solidarité réelle et massive dans
l'opposition et la résistance. L'État sait bien que cette solidarité
n'a rien à voir avec le sens commun qu'il prétend dégager de la
confusion des votants et de la volatilité des réponses aux sondages ;
il sait aussi - malgré ce qu'il en dit - qu'il ne s'agit pas non
plus d'une forme d'enthousiasme sportif qui ferait des approbateurs de
bravades à l'égard de la police, des amateurs d'hooliganisme. L'État
sait qu'il s'agit d'une pure expression de la solidarité politique
fondée en raison alors que lui-même ne peut que faire semblant d'être
le fruit d'une telle solidarité.

De Québec à Gênes : un développement ?

On entend souvent dire à propos des événements de Québec et de Gênes
(en passant par Göteborg) qu'on est en train d'assister à une
« escalade de la violence ». Malheureusement, les représentants de la
gauche institutionnelle entonnent spontanément et sans distance
critique ce refrain adopté par les médias et la classe politique.
Rétablissons les faits. Il n'y a pas eu plus de violence politique
légitime à Gênes qu'à Québec. Règle générale (peut-être y a-t-il eu
des exceptions, compréhensibles après le meurtre d'un manifestant),
les groupes radicaux s'en sont tenus à leur confrontation habituelle
avec la police et à la destruction symbolique de la propriété du grand
capital. Ceci dit, le simple fait qu'il y ait de plus en plus de
manifestants, et donc de plus en plus de manifestants radicaux,
contribue à exacerber la situation paradoxale des policiers qui
doivent préserver leur statut d'agents de la paix tout en effectuant
les tâches militaires que l'État leur confie. À Québec comme à Gênes,
les forces policières ont dû créer une zone territoriale
exceptionnelle excluant spécifiquement les militants, c'est-à-dire
ceux qui croient justement que leur grand nombre constitue en soi la
légitimité qui devrait leur ouvrir les portes. Le rôle de la police
devient donc celui de protéger le territoire contre ces envahisseurs
(les militants) ; en principe ce n'est pas une tâche policière. On ne
peut pas blâmer ceux qui témoignent d'un minimum d'analyse politique
d'essayer de confronter la police de façon à révéler à quel point elle
est devenue une entité militaire.

Un mot à propos du « contrôle de foule ». Nous sommes consternés
d'entendre de la part de porte-parole de la gauche institutionnelle
(ATTAC-France par exemple), que la police a échoué dans son rôle de
« contrôle de foule » puisqu'elle a été incapable de neutraliser les
manifestants radicaux de Gênes. Ce faisant, ces porte-parole
marginalisent illégitimement certains militants et encouragent le
terrorisme policier. De plus, en sommant les forces policières de
faire leur devoir - qu'elles ne peuvent pas accomplir puisqu'elles
sont engagées dans des manœuvres militaires contre l'ensemble des
manifestants - ces porte-parole collaborent avec les médias et les
autorités pour donner l'impression que l'ensemble des manifestants
forme une « foule » au même titre que le seraient, par exemple, des
fans de football à la sortie d'un stade. Mais les manifestants n'ont
pas besoin d'une police pour protéger les individus qui forment la
foule contre la foule elle-même. Tous ceux qui ont participé à ces
manifestations, ou qui en ont été simplement les témoins, savent qu'il
existe une solidarité rare entre tous les manifestants et que les
manifestants les plus radicaux ne constituent en aucune façon une
menace pour les autres manifestants.

L'attitude des représentants de la gauche institutionnelle à propos de
la violence n'est pas aussi claire qu'ils voudraient bien nous le
faire croire. Ils savent faire montre, à certains moments-clés, d'une
ambivalence toute teintée d'opportunisme. Ils se félicitent de
l'importance de la mobilisation et de la grande détermination des
militants mais, en même temps, ils ne perdent pas une occasion de
cibler la violence venant de groupes de militants radicaux et anonymes
comme un facteur de démobilisation potentielle, ce qui dans les faits
ne s'est jamais vérifié. Ils traitent les Black Bloc et les autres
militants radicaux comme des lâches et des voyous irresponsables dont
le but est de transformer les manifestations en émeutes. Mais dès
qu'un de ces militants radicaux et anonymes est tué, son meurtre fait
l'objet d'une récupération cynique : ce militant devient
l'indispensable martyr de la brutalité policière et l'on explique son
recours aux actions violentes en invoquant la misère sociale. Nous
condamnons cette condescendance à l'égard d'un militant qui a été tué
injustement en défendant ses convictions politiques : les actions
courageuses et politiquement motivées de Carlo Giuliani ne peuvent
tout simplement pas être assimilées à de la violence
socio-pathologique. Sans aucun doute, nous pouvons dire que ceux qui
sont prêts à récupérer de la sorte la violence politique - parmi
lesquels nous devons malheureusement compter le père de ce militant -
constituent le vrai danger qui guette la mobilisation anti-
globalisation sans cesse grandissante.

Collectif de réflexion sur l'air des lampions*

* Ce collectif se propose de réfléchir sur les nouvelles formes
expressives des revendications populaires qui reprennent la rue.
« L'air des lampions » est un nom qui sert à désigner les slogans
revendicatifs populaires et qui en évoque un très célèbre datant de
1848, revendiquant un meilleur éclairage des rues de Paris.



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