Collectif de réflexion sur l'air des lampions (lampions@hotmail.com)
Dans la foulée des événements de Gênes, le ministre de la Sécurité
publique, M. Serge Ménard, a fait une déclaration il y a deux semaines
visant à blanchir les forces policières qui ont sévi à Québec en avril
2001. Nous proposons une analyse de cette déclaration pour montrer en
quel sens précis l'institution policière est devenue le bras de
l'intervention politique autoritaire.
L'État policier est à nos portes : une enquête publique indépendante
s'impose plus que jamais !
Nous sommes un groupe de réflexion qui croit avoir trouvé un angle de
vue relativement peu remarqué sur la question de la violence politique
exprimée dans la rue. Nous avons commis l'audace de prétendre qu'il y
a différents genres de violence et qu'en l'occurrence, la violence
expressive des manifestations contre la globalisation économique
néolibérale et la violence structurelle de l'institution policière ne
pouvaient absolument pas être amalgamées dans la voie du mal. Nous
nous sommes donnés comme mission de désarticuler cet amalgame honteux
prôné par la classe politique et relayé par les mass media, et de
dénoncer la violence intimidatrice, voire terroriste des agents de la
paix engagés dans des opérations essentiellement militaires de défense
de territoires exclusifs lors des rencontres au sommet des promoteurs
de la globalisation néolibérale. L'effort de distinction conceptuelle
et d'analyse de la vie concrète que nous proposons connaît déjà un
certain succès auprès du mouvement militant qui, avec raison, n'en
peut plus de crier sa légitimité en réponse à la profusion de
sophismes et de mensonges qu'il doit encaisser [cf. « L'après-sommet
de Québec : lettre ouverte à Philippe Duhamel »
(http://montreal.indymedia.org/front.php3?article_id=814),
« La Banque mondiale recule : réplique à Paule des Rivières »
(http://montreal.indymedia.org/front.php3?article_id=881)
« Considerations on violence in the context of mass mobilization » et
(http://italy.indymedia.org/front.php3?article_id=11021&group=webcast)].
Ce que nous n'avions pas prévu cependant, c'est de voir notre cher
ministre québécois de la Sécurité publique, M. Serge Ménard,
littéralement nous damer le pion dans les mass media. Seulement, il ne
s'agit plus pour lui de distinguer la violence des militants et celle
de la police mais de comparer et distinguer la violence exercée par
différents corps policiers. C'est qu'aussitôt les événements de Gênes
terminés, M. le ministre a cru opportun de faire une déclaration où il
dit en substance que comparativement aux opérations policières de
Göteborg et de Gênes, celles de Québec ont certainement été moins
violentes au point qu'il se demande maintenant de quoi parle la Ligue
des droits et libertés lorsqu'elle parle de la violence policière à
Québec (La Presse, 25 juillet 2001). En somme, il prétend donc trouver
une réelle légitimité à la violence de la police à Québec alors que
les opérations des forces suédoises et italiennes en seraient
dépourvues. Son entreprise s'appuie sur une étude comparative minute à
propos de l'état de « préparation » des forces policières d'Italie et
du Québec. Si l'exercice est risible, il est cependant extrêmement
révélateur du danger réel que représentent les forces policières que
l'on retrouvera désormais sur le chemin de la mobilisation toujours
grandissante. Aussi avons-nous cru qu'il n'était pas inutile de faire
la déconstruction minute de l'intervention scandaleuse de notre
ministre et d'en tirer toutes les leçons.
Nous ne nous étendrons pas sur la lâcheté du ministre, que ne laissait
nullement présager l'auto-proclamation de sa qualité de « maître es contrôle de foule » au service du monde après les
événements de Québec. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'après
avoir eu l'immense générosité d'envoyer ses précepteurs armés
enseigner aux italiens l'art de la violence non-violente - ce qui a
été crié sur tous les toits -, il n'entend pas prendre quelque part
que ce soit du blâme pour les dérapages de la police italienne. Il
n'est pas question qu'il remette en cause ses enseignements ni sa
pédagogie. Il sait de toute façon que l'échec de la police italienne
est l'échec d'une « police délinquante » qui aurait bien plus besoin
de l'école de redressement que de ses enseignements ou celui de ses
vassaux. Cela, il préfère par contre nous le laisser deviner ; c'est
moins gênant pour lui. Cependant, il ne fait aucun doute qu'il veut
nous convaincre que sa doctrine aura été fructueuse au moins à Québec.
Mais l'enseignement du ministre et ses résultats pratiques sont si
profonds et inédits que la non-violence de la police de Québec ne nous
était pas intelligible avant d'avoir pris connaissance de la violence
dont Göteborg et Gênes ont été le théâtre. Qui plus est, même le
maître est surpris des résultats pratiques de sa doctrine. Car en
effet, si le ministre s'est fermement opposé à la tenue d'une enquête
publique sur les agissements de la police à Québec, ce n'était pas,
jusqu'à présent, parce qu'il croyait réellement que la police n'a posé
aucun acte violent - ce qui aurait été une négation de la réalité.
Nul besoin d'un tel délire pour le ministre : jusqu'aux événements de
Gênes, le ministre a certainement soigneusement sondé l'opinion
publique afin de mesurer le niveau d'indignation. Il aurait pu
éventuellement céder à la pression si elle avait été importante et il
n'aurait pas perdu ses avantages et sa légitimité parce que, de toute
façon, tout le monde s'entendait déjà pour dire que 906 balles de
plastique et aucun mort, c'est un bon compte. Mais voilà que les
événements de Gênes lui révèlent la signification profonde de ce
pointage : il n'y a tout simplement pas eu de violence policière à
Québec !
L'asymétrie du rapport de force n'a jamais été aussi lourdement
affirmée que dans cette proposition. Pendant que l'on entend parler de
façon incessante d'« escalade de la violence » nourrie par le
radicalisme prétendument « terroriste » d'une partie de la gauche -
ce qui engage évidemment à contrecoeur la police dans l'usage de
techniques plus violentes pour la seule protection des citoyens -,
une interprétation atténuatrice des agissements violents de la police
est pourtant produite, interprétation qui se veut proportionnelle à
l'« escalade de la violence » chez les militants. Mais dans les faits,
qui a vraiment les moyens de faire augmenter de manière exponentielle
l'intensité de la violence, sinon la police ? Alors que les militants
les plus « durs » en restent très majoritairement à la force d'impact
de la pierre dans la vitrine ou sur le bouclier d'un policier qui a
tout le temps de voir venir, chacun des policiers peut passer de
l'agression d'une personne avec du poivre de Cayenne à l'arme à feu en
un rien de temps. Minimiser l'importance de la violence de la police,
n'est-ce pas essayer de cacher le fait qu'il n'y a qu'elle qui, par
les moyens mêmes qu'elle met en oeuvre, est toujours sur le seuil de
l'intensification exponentielle de la violence ? C'est en tous cas ce
que révèle de manière éclatante l'observation du ministre à propos du
meurtre politique de Carlo Giuliani à Gênes : « on voit ce que ça
donne quand on n'a pas d'armes d'impact qui ne sont pas mortelles [les
fusils tirant des balles de plastique]. On passe rapidement à l'arme
ultime et mortelle ».
Attardons-nous sur cette ahurissante observation et voyons tout ce
qu'elle implique : les fusils à balles de plastique nous protègent non
pas d'abord par leur propriété intrinsèque qui est de tirer des balles
qui ne serait pas fatales - ce qui est évidemment discutable -, mais
ils nous protègent surtout des policiers eux-mêmes qui ont tout
bonnement la gâchette facile ! - ce que le meurtre de Gênes rend
évident. On n'aurait jamais espéré avoir un tel aveu du ministre il y
a deux mois, au moment où tout le monde était scandalisé d'apprendre
qu'il s'était tiré 900 et quelques balles de plastique à Québec et que
tout le monde se demandait pourquoi. On le sait maintenant, c'est pour
être protégé de la police elle-même. Mais on notera que celle-ci a
tout de même à l'occasion tenté de rendre plus meurtriers les
projectiles de plastique en tirant à bout portant et au visage alors
qu'il était recommandé de n'en faire usage qu'à bonne distance et sous
la ceinture ! Mais même ces faits radicalement incriminants doivent
être oubliés. Nous avons eu une leçon de vie incontournable : 900
balles de plastique ne tuent pas mais deux balles réelles dans la tête
sont fatales. C'est assez pour dire qu'il n'y a pas eu de violence à
Québec et que les balles de plastique ne sont tout simplement pas
mortelles. Nous ne somme pas convaincus. Il nous semble d'abord que la
prudence pointilleuse dont les représentants politiques font si
souvent montre afin de donner l'impression qu'ils ont les mêmes soucis
que le reste des concitoyens fait ici défaut. Si l'on décide de
retirer du marché des jouets guerriers sous prétexte qu'ils peuvent
causer des lésions ou même la mort, il n'y a qu'une raison pour
décrire le fusil à balle de plastique comme une « arme d'impact non
mortelle » : c'est la mauvaise foi. Personnellement, nous ne faisons
pas confiance à l'expertise empirique du ministre qui lui fait dire
que les balles de plastique ne sont pas mortelles et nous ne nous
offrirons certainement pas comme cobayes pour une étude comparative
afin de constater la différence d'impact de deux balles de plastique à
bout portant sur la tête par rapport au résultat bien connu de deux
balles d'acier. Le militant qui a perdu l'usage de la parole à cause
de cette arme n'en sera pas non plus.
Comme si ce n'était pas assez, M. le ministre ajoute que contrairement
à ce qui s'est passé à Gênes, la police n'a pas eu recours à la
tactique de la charge sauvage à Québec - charge sauvage qu'il désigne
de manière colorée comme un « free for all ». Cela veut probablement
dire que lors de cette opération, les brutes italiennes jouissaient du
privilège de l'immunité. Et cette retenue, nous la devons au cours
préparatoire de 15 jours dispensé par le « maître es contrôle
de foule » où nos agents de la paix québécois ont été initiés à la
retenue à « grands coups de madrier »( !), affirme M. le ministre. Ils
ont également été formellement avertis qu'il fallait respecter la
chaîne de commandement et ne pas prendre d'initiative personnelle en
plus d'être soumis à la surveillance vidéo. Bref, sachant très bien
que les « fusils-jouets » ne feraient pas tout le travail de
prévention du carnage, on a décidé de battre préventivement la police
à coup de madrier (afin que les policiers comprennent par renforcement
négatif qu'il ne faut pas utiliser la matraque, l'autre grand plan du
ministre) et de l'intimider en lui rappelant qu'elle était sous haute
surveillance. Tout cela pour nous protéger !
Enfin, M. le ministre a eu la bonne idée d'inclure dans sa formation
la « sensibilisation des policiers aux droits des manifestants ». Mais
on croit rêver ! Qui sont ces policiers qui, en plus de devoir être
battus, intimidés et divertis avec des armes prétendument
inoffensives, doivent encore être « informés » à propos des droits des
citoyens qui prennent la rue pour manifester leur opposition politique
? Comment est-il possible que les représentants de l'ordre, qui ont le
privilège de porter une arme à feu, doivent encore être informés sur
nos droits ? Ne doivent-ils pas les connaître et les comprendre - ce
qui permet de ne pas en oublier la substance - avant de porter
quelque arme que ce soit et d'avoir le privilège d'en user le cas
échéant ?
La déclaration post-Gênes du ministre Ménard est, dans l'ensemble,
d'une grossièreté inquiétante. Comme la petite séance ministérielle
d'encouragement des troupes armées du 20 avril 2001, dans le théâtre
de l'action, cette déclaration exhibe un orgueil triomphaliste nouveau
genre absolument déplacé qui ne peut que conforter l'esprit fascisant
naissant des forces policières du Québec, esprit qui s'est révélé à
l'occasion des événements d'avril 2001 - rappelons que tout le
dossier de l'intimidation et de l'humiliation des détenus à
Orsainville ainsi que des personnes circulant les soirs des 20 et 21
avril dans le quartier St-Jean-Baptiste reste ouvert.
Cette déclaration témoigne du dérapage sans précédent qui guette
l'institution policière non pas seulement à partir d'une faiblesse
interne mais à force des pressions exercées par la classe politique
sur celle-ci. La tendance spontanée et dangereuse à l'esprit de corps
dans l'institution policière ne peut être que confortée dans un
contexte où elle est appelée par les instance politiques à jouer un
rôle pour lequel elle n'est pas faite. Si la stratégie visant à
contrer l'auto-légitimation de la police par l'esprit de corps a pris
la forme d'une procéduralisation de toutes les interventions et
actions ainsi que d'une évaluation suivie du « rendement » procédural
des policiers et que cette stratégie n'a pas fonctionné, ce n'est
certainement pas en demandant aux policiers de participer à des
opérations telles que celles de Québec ou de Gênes que l'on peut y
remédier. Alors qu'ils sont en principe des agents de la paix à qui
l'on demande de « protéger » les citoyens, la propriété privée et les
biens publics contre des méfaits et agressions perpétrés par des
individus ou des petits groupes d'individus, voilà que les policiers
sont mis dans la situation de devoir protéger des territoires à la
façon des militaires contre des mobilisations massives de citoyens
tout en essayant de conserver l'apparence de « générosité » envers le
citoyen dont l'agent de la paix est censé faire preuve. En quelque
sorte, on demande aux policiers de faire la guerre aux citoyens sans
avoir le droit de les tuer alors qu'en fait la mission l'exige. On
leur demande de voir les citoyens tactiquement comme des agresseurs
alors que chaque policier sait qu'ils ont un droit réel et inaliénable
de circuler où ils sont susceptibles de pouvoir faire entendre de
manière significative leur opinion - ce que les policiers avaient
appris lors de leur formation mais qui n'est plus vrai lorsqu'ils
défendent comme des militaires une forteresse. Pas surprenant que la
police, qui ne sait plus où donner de la tête, prenne sa revanche la
nuit et dans les coins sombres des centres de détention.
Que la police soit utilisée comme une force militaire est aussi
évident dans la transformation du statut de la violence dans leur
opération. Alors que pour n'importe quelle intervention policière, les
procédures prescrivent très précisément les moyens violents « limités
et légitimes » ponctuellement nécessaires pour rétablir la paix dans
les rues, la police se voit maintenant appelée à faire usage de moyens
violents exceptionnels - non normés - non pas parce qu'elle
ramènerait plus rapidement la paix dans les rues, mais plutôt parce
qu'elle est elle-même engagée dans une opération qui trouble la paix.
La police n'use pas alors du minimum de force requise pour rétablir la
paix, mais de la « quantité nécessaire » pour qu'elle puisse elle-même
maintenir la situation illégale d'occupation exclusive de territoire
par des gens qui n'ont aucun droit pour ce faire - en l'occurrence,
des chefs d'État étrangers dont se font complices nos propres
représentants politiques. Les moyens violents illégaux que prendront
les policiers seront les plus efficaces et les moins dommageables dans
le projet de préserver cette occupation au sens d'une souveraineté sur
un territoire pris par la force. La police défend bel et bien des
occupants belligérants et a alors pour tâche de prendre les moyens
nécessaires afin de confisquer l'espace public à ceux qui ont un droit
légitime d'y circuler. En fait, les moyens violents exceptionnels et
susceptibles de modification technique et tactique selon les
transformations de l'expression d'indignation des citoyens sont
littéralement les mesures nécessaires minimales pour faire la guerre
aux citoyens sans qu'ils aient l'impression que ce soit le cas. On
notera que dans une logique tout à fait militaire, ces moyens «
exceptionnels » ne le seront plus jamais du fait même de leur
efficacité : on les utilisera chaque fois que le « champ de bataille »
des citoyens récalcitrants l'exigera et s'il le faut, on « raffinera »
les moyens. On oublie alors que l'usage « légitime de la violence » ne
l'est vraiment plus s'il n'est pas en soi tout à fait exceptionnel et
rigoureusement codifié par une institution en principe entièrement
imputable auprès de la société civile. Le ministre n'a que faire des
questions de principe concernant l'usage de la violence par la police.
Il nous convie plutôt à comprendre combien c'est l'esprit pragmatique
qui a présidé à l'élaboration des moyens violents exceptionnels (900
balles de caoutchouc, plus de 6000 policiers, 5000 bombes de gaz
lacrymogènes) qui ont paradoxalement permis qu'il n'y ait pas de
carnage à Québec. Voilà comment s'explique, à la québécoise, le
détournement de la mission de la police pendant les événements d'avril
2001 à Québec.
Sans d'aucune façon avoir l'espoir de voir la police devenir une
« bonne police », nous demandons tout de même de la voir désormais
exemptée de cette tâche militaire et aimerions bien que les vrais
professionnels de la guerre gardent les châteaux forts de la
globalisation de l'économie néolibérale. Cela aurait l'avantage
d'expliciter, parce que cela est encore nécessaire pour certains, le
fait que « l'overclass » politique est entrée en guerre
contre la société civile.
Il est plus réaliste cependant de harceler le ministre de la Sécurité
publique pour voir ce qui peut arriver. Témoignons de notre dégoût au
Conseil des ministres du gouvernement Landry et informons-en le
ministre de la Sécurité publique. Faisons-leur parvenir ce texte !! Et
disons-leur que nous exigeons plus que jamais la tenue d'une enquête
publique indépendante sur les agissements de la police à Québec. Elle
saura probablement confirmer quelque chose dont nous nous doutons
bien, mais que les politiciens persistent à nier. Qui sait, peut- être
en prime permettra-t-elle le débusquement de quelques psychopathes
policiers, ce qui saura nous protéger ultérieurement... bien plus que
les balles de plastique.
Le Collectif de réflexion sur l'air des lampions
Ce collectif se propose de réfléchir sur les nouvelles formes
expressives des revendications populaires qui reprennent la rue.
« L'air des lampions » est un nom qui sert à désigner les slogans
revendicatifs populaires et qui en évoque un très célèbre datant de
1848, revendiquant un meilleur éclairage des rues de Paris.
G20 Especial
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