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Mondialisation et consommation

vieuxcmaq, Martes, Julio 10, 2001 - 11:00

. . (felin@cablevision.qc.ca)

Mondialisation: un mot à la mode que reprennent en choeur éditorialistes, politiciens, entrepreneurs et financiers. Un nouvel ordre économique à l’échelle planétaire qui s’établit au-dessus des frontières et des États quelque part dans le cyberespace.

Une réalité complexe qui échappe au simple citoyen transformé, pour la cause, en simple consommateur du marché unique et soumis au matraquage publicitaire de la pensée unique qui l’accompagne. Un discours dominant aux arguments chiffrés et "irréfutables". Mais voilà que partout en Occident des voix s’élèvent contre ce raz-de-marée économique et ce discours unique. Des journalistes, des syndicalistes, des économistes, des sociologues, des scientifiques et mêmes des politiciens sonnent l’alarme et dénoncent ce qu’ils qualifient de capitalisme sauvage. Des notes dissonantes que refusent d’entendre les défenseurs de la mondialisation, mais qui mettent pourtant à jour les failles d’un système qui semble échapper à tout contrôle.

La mondialisation des marchés, c’est l’abolition ou la diminution à leur plus simple expression des barrières tarifaires ou légales qui se dressent entre les États. Des frontières qui sont, du point de vue des entreprises, autant d’obstacles à la libre circulation des produits, des services et des capitaux. Ce n’est pas d’hier que se développent des multinationales, mais au début des années 1990, les développements technologiques (Internet et autres) et la signature des grands accords comme celui de l’ALENA et de la CEE et les réaménagements du GATT ont appuyé sur l’accélérateur de la mondialisation. Reliés par des systèmes informatiques ultra-performants, soulagés de multiples contraintes frontalières, les spéculateurs et les grandes entreprises allaient désormais pouvoir faire de la planète un immense marché.

Sanctionnées par l’idéologie néolibérale du plus petit prix et du plus gros profit possible, les multinationales déplacent désormais leurs centres de production vers la main-d’oeuvre à bon marché du tiers-monde, avalent des milliers de petites entreprises et ont le champ libre pour transgresser les contraintes environnementales, sociales ou syndicales que tentent de maintenir, tant bien que mal, même les États les plus industrialisés. Fusions, rationalisation et déréglementation sont à l’ordre du jour mondial. Un ordre du jour rédigé par les transnationales, les banques et les financiers. La mondialisation ouvre les frontières et fait miroiter des profits planétaires...

Un chômage et une pauvreté planétaires

Des profits planétaires, certes, pour une poignée de grandes entreprises et de banques, mais surtout un chômage et une pauvreté planétaires, répondent les détracteurs de la mondialisation. «Une véritable guerre que les partisans du libéralisme ont déclaré à tous les travailleurs, où qu’ils se trouvent, cassant tous les systèmes de protection sociale, et favorisant par là même la montée des extrémismes de droite et des fondamentalismes de tous bords.» Cet énoncé brutal se retrouve sur la jaquette d’un livre devenu un best-seller en Occident, "Le piège de la mondialisation". Dans ce livre choc, publié en 1996, deux journalistes allemands, Hans-Peter Martin et Harald Schumann, livrent le produit d’une enquête internationale sur les véritables enjeux de la mondialisation. Truffée de chiffres et de statistiques, l’enquête dénonce avec véhémence les abus du nouvel ordre mondial dont les travailleurs du monde entier font déjà les frais.

En 1945, Paul Valéry écrivait: «Le temps du monde fini commence.» Une toute petite phrase qui vient nous rappeler que le monde des hommes est bien petit. À l’heure de la mondialisation, les hommes doivent tenir compte de la finitude de la planète et mettre un frein à cette consommation effrénée des ressources. Il leur faut aussi trouver des solutions pour que les richesses qui sont produites soient mieux réparties entre les hommes. Une révolution que devront entreprendre eux-mêmes ceux qui gouvernent le monde pour éviter le chaos...

«Déstocker, simplifier, supprimer et licencier - l’économie de la haute performance et du high-tech dévore le travail de la société de prospérité, et licencie ses consommateurs. Un tremblement de terre économique et social aux dimensions inconnues jusqu’ici s’annonce. Qu’il s’agisse de construction d’automobiles ou d’ordinateurs, de chimie ou d’électronique, des télécommunications ou des services postaux, du commerce de détail ou de l’économie financière: à chaque fois que les produits et les prestations de services sont négociés librement, par-delà les frontières, les employés sont pris dans un tourbillon apparemment irrésistible de dévalorisation et de rationalisation», soutiennent les auteurs.

Selon ces derniers, les concentrations des banques et des grandes entreprises coûteront des millions d’emplois au cours des prochaines années. Pour le seul secteur financier, on parle d’une réduction de 50 % des emplois. Martin et Schumann soutiennent qu’au sein de l’Union européenne 15 millions de travailleurs risquent de perdre leur emploi à plein temps au cours des années à venir, soit autant que ceux qui étaient inscrits au chômage en 1996. Des chiffres que confirment de nombreuses études et beaucoup d’autres observateurs.

Même le boom informatique qui annonçait des années de prospérité pour des milliers de programmeurs et de techniciens ne tiendra pas ses promesses. L’autoroute de l’information, autour de laquelle s’articule la mondialisation, fait elle aussi des victimes et c’est maintenant par milliers que les programmeurs de l’Inde et de l’Europe de l’Est sont mis sous contrat par les géants de l’informatique à une fraction des salaires des programmeurs occidentaux.

Des travailleurs "concurrentiels"

Des salaires plus bas, voilà le credo des transnationales qui déplacent quotidiennement des milliers d’emplois sur l’échiquier mondial, réduisant au silence les travailleurs syndiqués et les États au nom de la saine concurrence et des impératifs du marché. Des impératifs qui, selon le discours néolibéral, échapperaient à tout contrôle et seraient soumis à des lois dites naturelles.

Voici ce qu’en écrit Michel Bernard, c.a., professeur à la chaire d’études socio-économiques de l’UQAM et auteur du livre L’utopie néolibérale, une critique acerbe du néolibéralisme, paru en 1997: «Nike, Levi, Wal-Mart et compagnie encaissent des milliards en payant 30 cents de l’heure en Indonésie et 50 cents de l’heure en Haïti; on nous dit que c’est le prix du marché, une "utilisation optimale des ressources"; 30 dollars par mois au Vietnam, c’est une loi aussi déterministe qu’une loi de la nature. Lorsque les compagnies congédient ceux qui les ont enrichies, on dit que c’est un dégraissage commandé par le marché [...] le marché à la Team Canada n’a pas l’air de craindre le travail des enfants aux Philippines ou la radiation en bloc des droits du travail en Corée du Sud».

Et cet esclavagisme libéral pratiqué dans le tiers-monde n’est pas sans conséquences dans les pays occidentaux où les travailleurs doivent négocier au rabais leurs conditions de travail pour demeurer "concurrentiels", sans compter le chômage provoqué par cette même concurrence de la main-d’oeuvre.

Au Québec, des milliers de travailleurs ont déjà fait les frais de ces déplacements, fusions, rationalisations exigés par la concurrence. Même aux États-Unis, qui sont sans contredit les grands gagnants et les instigateurs de la mondialisation et qui affichent fièrement un taux de chômage relativement bas, les travailleurs ont dû faire d’énormes concessions, comme le soulignait Bernard Cassen dans Le Monde diplomatique de juin 1997: «Les salaires et l’emploi, nous dit-on, auraient tout à gagner de la libéralisation généralisée. Ce n’est pas ce que l’expérience enseigne aux travailleurs américains: ceux d’entre eux qui n’ont pas de diplôme de fin d’études secondaires ont vu leur salaire horaire moyen chuter d’un tiers en vingt ans. [...] Il a fallu que les sociologues inventent pour eux une nouvelle catégorie, celle des "working poor", des travailleurs qui s’appauvrissent en travaillant [...].»

Un des aspects les plus pernicieux du discours néolibéral, selon Léo-Paul Lauzon, directeur de la chaire d’études socio-économiques de l’UQAM, consiste à laisser entendre qu’il existe un taux de chômage naturel soumis aux lois du marché. «On nous présente le chômage comme un phénomène chimique inévitable. Le taux de chômage naturel d’un pays comme le nôtre serait de 10,5 %! Avec nos 11,4 %, faut-il en conclure que nous avons presque atteint le plein emploi? Comme si l’économie n’était pas le fruit d’une planification ou de stratégies, mais plutôt celui d’un "ordre spontané" attribuable à une force "naturelle" incontrôlable. De tels énoncés sont de véritables aberrations.»

Même son de cloche chez Martin et Schumann: «Les profiteurs de l’économie sans frontière transforment volontiers la crise en une sorte de processus naturel. [...] L’intégration de l’économie par-delà toutes les frontières ne suit cependant pas du tout une loi naturelle ou un progrès technique linéaire aux conséquences inéluctables. Elle est au contraire le résultat d’une politique menée consciemment depuis des décennies [...].»

Néolibéralisme

C’est pourtant sur ces principes d’ordre spontané ou de loi naturelle du marché que s’appuie une bonne partie de l’idéologie néolibérale qui a servi de rampe de lancement à la mondialisation.

Ce néolibéralisme économique, qui a servi de base aux politiques des gouvernements occidentaux depuis les années 1980 et qui s’est particulièrement épanoui sous le règne des Reagan et Tatcher, prône le désengagement de l’État dans les mécanismes de contrôle du marché qui, grâce à ses lois "naturelles", s’autoréglementerait. «Complètement faux», rétorquent les observateurs interrogés.

Albert Jacquard. Entrevue accordée à Protégez-Vous, décembre 1997

«Les entreprises n’ont pas en charge l’équilibre collectif, explique Albert Jacquard, généticien, mathématicien et humaniste français de réputation internationale. Leurs dirigeants n’ont en charge que l’équilibre et les profits de l’entreprise. Il y a une opposition entre les intérêts limités de ces grandes entreprises et l’intérêt global de la planète. Par exemple, les grands intérêts commerciaux et financiers s’acharnent à vouloir augmenter le taux de croissance; même les hommes politiques donnent leur aval à cette théorie qui veut que l’augmentation de la croissance soit LA solution au chômage, mais il n’en est pourtant rien. La plupart des spécialistes vous confirmeront, chiffres à l’appui, qu’un taux de croissance de 2 à 3 % par année pendant 30 ans conduirait à une catastrophe, à l’épuisement des ressources de la planète. Mais les entreprises n’assument aucune responsabilité pour ces ressources et n’ont d’objectif que le profit.»

«La mondialisation des marchés crée une pression vers l’uniformisation par le bas des normes juridiques, écrit de son côté Michel Bernard. On invoque de plus en plus la mobilité des capitaux pour obtenir des gouvernements la réduction des normes environnementales. En effet, il se trouvera toujours un pays prêt à accueillir les entreprises polluantes. Le capital international n’a pas de conscience, il se déplace où il peut le plus facilement épuiser les ressources à meilleur compte.»

«Les entreprises cherchent à produire aux coûts les plus bas, elles iront donc toujours vers les solutions les moins chères qui malheureusement se trouvent parfois dans des pays dont les structures politiques et sociales permettent le travail des enfants ou la négligence environnementale. C’est pourquoi il faut aider ces pays à s’organiser et se structurer pour pouvoir mieux résister. Cette tendance du néolibéralisme à laisser tout le contrôle au marché ne peut résulter qu’en des abus qui ont déjà été constatés ici et que les gouvernements tentent déjà de corriger depuis un certain temps», ajoute pour sa part Gérald Lacoste, président de la Bourse de Montréal.

Des tentatives de redressement pourtant bien modestes et qui ne résistent pas longtemps aux pressions qu’exercent les financiers et les multinationales sur les gouvernements, qui en sont réduits à un rôle minimal, pris au piège des déficits zéro imposés par les magnats de la
finance. «Même le gouvernement des États-Unis suit désormais docilement le verdict de ceux qui dirigent le flot des capitaux, écrivent Martin et Schumann. Lorsque Bill Clinton est entré à la Maison-Blanche, il a promis un vaste programme de réformes. Mais aucun de ses projets n’était réalisable sans une augmentation des dépenses de l’État. Immédiatement après les élections, le cours des obligations américaines a commencé à chuter, les banquiers d’investissements firent ouvertement front contre les réformes. [...] Après quelques mois seulement les projets de réforme étaient déjà abandonnés.»

Consommation et coûts sociaux

Peut-être parce qu’elle se joue quelque part dans le cyberespace dans des centres de décision éloignés d’eux, la mondialisation des marché ne retient encore que très peu l’attention des consommateurs. Pourtant, la mondialisation des marchés c’est aussi la mondialisation de la consommation et des consommateurs.

Pris dans le tourbillon des coupures budgétaires, des récentes récessions, de la psychose du chômage et soumis à un constant matraquage publicitaire, ces derniers sont engagés dans la course aux bas prix à la consommation. Un bas prix qu’il faut parfois payer bien cher socialement. La pollution et l’épuisement des ressources planétaires ont des effets directs sur l’environnement et l’avenir de tous les pays, le chômage crée des tensions et des détresses sociales partout et, depuis 10 ans, le raz-de-marée ne frappe plus seulement les plus pauvres mais aussi la classe moyenne.

«Le modèle économique libéral ne tient pas compte des coûts sociaux, soutient Michel Bernard. Cela signifie qu’une entreprise peut avoir réalisé un profit élevé aux dépens de coûts sociaux infiniment plus élevés sans que le phénomène ne soit relevé financièrement. L’entreprise ne recevant pas la facture des coûts sociaux, elle ne le fait pas entrer dans le prix de revient de ses produits. Il y a là une appropriation hors marché d’une ressource collective. Les consommateurs ne paient pas le prix réel que leurs choix impliquent.»

«La surconsommation stimulée par la mondialisation et le discours publicitaire transforme le citoyen en consommateur et le consommateur en prédateur, en exploiteur, ajoute Léo-Paul Lauzon. Parce que nous désirons payer moins cher pour des produits, nous acceptons tacitement qu’ils soient fabriqués dans des conditions d’esclavage par d’autres êtres humains.»

«Le jeu de la croissance à tout prix et de la mondialisation fait de nous les complices de l’esclavagisme et de l’épuisement de la planète. Il faut remettre nos choix de consommation en question et s’interroger sur le prix global que nous sommes prêts à payer pour vivre selon l’idéologie commerciale», ajoute Albert Jacquard.

Un nouvel ordre mondial?

Outre les catastrophes environnementales, les crises sociales créées par l’appauvrissement et le chômage, les spécialistes brandissent aussi le spectre du crash économique. Sur l’autoroute de l’information, des milliards de dollars transigent à la vitesse de l’éclair chaque jour, menaçant l’équilibre des monnaies nationales comme ce fut le cas au Mexique il y a quelques années. Une catastrophe que le Fonds monétaire international a évité de justesse pour une facture astronomique de plusieurs dizaines de milliards de dollars. Sans compter les cataclysmes boursiers comme celui qui a secoué l’Asie et par ricochet le reste du monde il y a quelques mois.

«Il est clair que la mondialisation, avec la mobilité des capitaux, a amplifié au-delà du seuil tolérable les déséquilibres présents dans des économies comme celles de la Thaïlande ou de la Corée du Sud. Et il est aussi clair que la mondialisation avec son régime de vases communicants a rendu les autres pays, même solides, même sains, vulnérables aux soubresauts amorcés en Asie. [...] Ce sont des mouvements qu’il faudra contrôler un jour ou l’autre», écrivait le 22 décembre dernier l’éditorialiste de La Presse, Alain Dubuc.

Contrôle, voilà semble-t-il le mot clé face aux inquiétudes que fait surgir la mondialisation. L’économique ayant largement supplanté le politique au sein des États, de plus en plus de spécialistes, tant chez les opposants que chez les tenants de la mondialisation, réclament des structures de contrôle politique à l’échelle internationale. Les accords environnementaux ou en matière de droits de l’homme ou de droit du travail qui existent au sein des grandes alliances économiques comme la CEE (on y a même procédé, contrairement à l’Amérique du Nord, à une harmonisation des lois visant la protection du consommateur) ou l’ALENA comportent encore de nombreuses failles et n’incluent pas tous les pays, surtout les plus défavorisés.

Pour contrer la menace que représente la mondialisation pour les droits humains et l’avenir de la planète, les mécanismes de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et du Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation internationale du travail (OIT) ne semblent plus suffire. Même les membres du Conseil canadien des affaires, qui réunissait 150 chefs d’entreprises en 1996 sur le thème Mondialisation, commerce et droits humains, réclament plus de contrôle au niveau international.

Plusieurs auteurs vont jusqu’à suggérer la création d’un gouvernement mondial. Mais dans la perspective où les capitaux seraient toujours détenus par quelques centaines de grandes multinationales, on peut s’interroger sur le pouvoir réel qu’aurait un tel Big Brother.

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