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Pourquoi s'opposer au nouveau round de négociations de l'OMC...

vieuxcmaq, Sábado, Mayo 26, 2001 - 11:00

. RMJ (urfig.jel@noos.fr)

Un exposé du Dr.Raoul Marc Jennar présenté à l'occasion d'un séminaire de trois jours (21-23 mai)dont les invités étaient des journalistes des Pays les Moins
Avancés (PMA). Le thème de ce séminaire était : « Le commerce global et les PMA : la position de l'Union européenne. » Organisé par la Direction Générale du Commerce de la Commission
européenne, cet évènement avait lieu dans la suite de la IIIe Conférence des Nations Unies sur les Pays les Moins Avancés (PMA). L'attention principale était accordée à la position de l'UE en faveur d'un
nouveau cycle de négociations commerciales à l'OMC. Cette présentation fut la seule occasion donnée au mouvement non lucratif d'exprimer son
opposition au nouveau cycle.

Pourquoi plus de 1500 organisations à but non lucratif, dans le monde
entier, qui travaillent sur le terrain dans des secteurs comme le
développement, la santé, l'éducation, l'environnement, les droits des
consommateurs, l'agriculture, les droits des citoyens et des femmes
sont-elles opposées au nouveau cycle ( « new round ») de négociations
commerciales à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) proposé par l'Union
Européenne ? Pourquoi un grand nombre de pays en développement expriment-ils
la même opposition ? C'est ce que je me propose d'expliquer. Les raisons se
trouvent aussi bien dans les accords existants (1) que dans les nouvelles
matières proposées pour la négociation (2).

1. Les accords existants, signés à Marrakech à la fin du Cycle de l'Uruguay,
ne sont pas complètement et correctement appliqués. La question décisive de
la mise en oeuvre des accords existants réclame avant tout une évaluation de
la manière dont ils ont été appliqués et de leur impact social et
environnemental. La deuxième étape indispensable est la révision de ces
accords conformément à leur évaluation. Et la troisième étape est la réforme
des procédures institutionnelles au sein de l'OMC, ce qui signifie une
transformation complète de cette organisation. Nous sommes convaincus de la
nécessité de procéder à une telle évaluation et adaptation du système
commercial international avant d'aller plus loin. C'est un préalable à toute
négociation sur toute nouvelle matière.

1.1 Cinq années d'application des accords existants fournissent une
démonstration évidente que cette mise en oeuvre est loin d'être équilibrée.
Comme le disait l'Ambassadeur d'Egypte à l'OMC, M. Faiza Aboulnaga,
pendant le cycle de l'Uruguay, on nous a promis la lune, mais qu'avons-nous
obtenu aujourd'hui ? » A la signature des accords de Marrakech, il fut
convenu qu'une analyse des résultats du cycle de l'Uruguay serait suivie d'
une évaluation à laquelle on n'a jamais procédé. Pourquoi ? Parce que
cette analyse fournit deux indications décisives :
a) l'observation du contenu des différents accords fait apparaître un
déséquilibre entre les droits et les obligations au préjudice des pays en
développement ;
b) l'application des règles de l'OMC provoque une concurrence inégale.
Prenons quelques exemples.
1.2 l'Accord sur l'Agriculture de l'OMC organise une concurrence entre des
produits agricoles subsidiés (directement ou indirectement) dans le Nord et
des produits non subsidiés du Sud. D'une part, l'Europe et les Etats-Unis
ont le droit de soutenir leurs exportations et leur production intérieure et
sont autorisés à instaurer des limites à l'importation tandis que, d'autre
part, les pays en développement se sont vus interdire l'adoption de mesures
identiques. D'un côté, environ 300 milliards de $ US de subsides agricoles,
de l'autre côté, rien (chiffre de l'OCDE). Cette concurrence déloyale est
accrue par l'obligation d'importer 5% de denrées alimentaires.
1.3 L'Accord de l'OMC sur les Droits de Propriété Intellectuelle ayant un
rapport avec le Commerce (ADPIC) est caractérisé par un déséquilibre très
important entre les détenteurs des droits de propriété intellectuelle et les
droits des usagers et de la société dans son ensemble. Quatre-vingt-quinze pour cent des brevets
appartiennent au Nord. Mais les règles de l'OMC s'imposent à tous. Cet
accord viole le Pacte International sur les Droits Economiques, Sociaux et
Culturels qui protège la souveraineté des peuples sur leurs ressources
naturelles. Comme l'a déclaré la Sous-Commission des Droits humains des
Nations Unies, « étant donné que l'application de l'ADPIC ne
rend pas compte comme il convient de la nature fondamentale et de
l'indivisibilité de tous les droits humains, notamment le droit de chacun
de jouir des bienfaits des progrès scientifiques et de leurs applications,
le droit à la santé, le droit à la nourriture et le droit à
l'autodétermination, il y a des conflits apparents entre le régime relatif
aux droits de propriété intellectuelle contenu dans cet accord, d'une part, et
le droit international relatif aux droits humains, de l'autre. » (ONU,
Conseil Economique et Social, E/CN.4/SUB.2/RES/2000/7).
1.4 L'Accord de l'OMC sur les Textiles et les Vêtements devait réaliser une
complète libéralisation de ce secteur au terme d'une période de dix ans.
Mais les Etats-Unis et l'Union européenne ont été et demeurent protégés par
un droit d'appliquer des quotas et des restrictions. Aucun progrès n'a été
accompli par les pays industrialisés en ce qui concerne l'ouverture de leurs
marchés. Cet accord est un des accords les plus déséquilibrés de tous les
accords de l'OMC : il ne prévoit aucune sanction formelle à l'encontre des
pays importateurs, mais par contre il met en place un mécanisme favorable au
secteur textile des pays développés. Les USA et l'EU refusent la concurrence
dans ce secteur et utilisent des mécanismes de protection comme, par
exemple, les règles anti-dumping. L'UE a obligé le Bangladesh à retirer des
centaines de licences d'exportation et cette forme de partenariat européen a
provoqué la perte de centaines de milliers d'emplois dans ce pays.
1.5 L'accès au marché, la réduction des barrières tarifaires, les subsides,
les mesures anti-dumping, les services sont, parmi beaucoup d'autres, les
matières qui fournissent la substance d'une démonstration éclatante de la
nature totalement déséquilibrée des accords de l'OMC. Parmi ceux-ci, le
dernier que je veux évoquer est l'accord sur l'OMC elle-même. La
transparence, l'obligation de responsabilité et la démocratie sont absentes
de cette institution. Les décisions les plus importantes sont prises lors
de réunions informelles entre un petit nombre de pays conduits par l'UE, les
USA, le Japon et la Canada. C'est la méthode connue sous le nom de « méthode
de la chambre verte ». Les problèmes posés par l'accès à l'information et la
participation aux multiples comités et groupes de travail créent un
déséquilibre au détriment d'un grand nombre de pays du Sud qui ne disposent
pas des ressources humaines suffisantes pour participer aux négociations
quotidiennes sur un très grand nombre de matières d'une complexité extrême.
Les entreprises multinationales communiquent aux délégations des pays
industrialisés de nombreuses analyses et recommandations. L'OMC cumule des
pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires en l'absence de tout contrôle
démocratique. Les « gouvernants » sont également les juges. Le Mécanisme de
Règlements des Différends n'est pas indépendant et ne fournit pas la
garantie d'une justice commerciale impartiale aux pays faibles et pauvres. C'est pour cette raison que l'ambassadeur de l'Inde à l'OMC, M. Narayanan
affirmait que « le plus grand défi est de s'assurer que le système de l'OMC
basé sur des règles tel qu'il est supposé fonctionner est effectivement un
système basé sur des règles plutôt qu'un système basé sur des rapports de
pouvoir. » Le secrétariat de l'OMC est loin d'être neutre. Laissez-moi vous
donner un exemple : en dépit du fait qu'un grand nombre - peut être une
majorité, nous le vérifierons dans un avenir proche - d'Etats membres ne
sont pas en faveur d'un nouveau cycle de négociations commerciales, le
directeur général de l'OMC, M. Mike Moore, fait campagne à travers le monde
pour ce nouveau cycle. Tout le personnel de l'OMC est mobilisé pour cette
campagne. Et pourtant, le directeur général n'a jamais reçu un tel mandat. C'est cela la démocratie à la manière de l'OMC !
2. En mars dernier, à Genève, l'ambassadeur du Zimbabwe auprès de l'OMC, M.
Boniface Chidyausiku, déclarait que la mise en ouvre des accords existants
est « le premier point des ordres du jour et des décisions des pays en
développement. » Mais, si la mise en oeuvre de ces accords vieux d'à peine
six ans est la première raison pour la plupart des pays en développement et
des pays les moins développés d'exprimer à tout le moins une forte réticence
au choix européen en faveur d'un nouveau cycle, les nouvelles matières à
négocier proposées par l'UE accroissent cette forte réticence. La liste est
longue de ce qu'on appelle les « nouvelles matières » proposées par les pays
industrialisés. Ceux-ci veulent établir un lien entre le commerce - et cela
signifie des contraintes et des sanctions commerciales - et un certain
nombre de matières relevant de l'économie et d'autres qui lui sont
étrangères. En particulier, les pays européens veulent placer sous les
règles du commerce des matières qui ne relèvent pas du commerce comme l'
investissement, la concurrence, les marchés publics et l'environnement. La
pression la plus forte en faveur de ce nouveau cycle est exercée par l'UE
parce que, comme l'observait l'Ambassadeur du Pakistan à l'OMC, M. Munir
Akram, « l'Union Européenne, pour compenser ses pertes dans le dossier
agricole, a besoin d'obtenir des gains dans d'autres domaines comme l'
investissement et la politique de concurrence. »
2.1 Effectivement, l'UE veut introduire de nouvelles règles qui accorderont
de nouveaux droits aux investisseurs étrangers, « rendant plus facile, comme
le souligne M. Martin Khor, Directeur du Third World Network, l'entrée dans
les pays et la possibilité d'y opérer librement. » L'UE propose une version
délayée de l'Accord Multilatéral sur l'Investissement proposé par l'OCDE et
rejeté. Cette nouvelle version, qui introduit des alternatives et des
étapes, prépare le terrain à l'ancienne . A la fin du processus, « les pays
en développement trouveront de plus en plus de difficultés à défendre la
viabilité ou à donner la préférence aux investisseurs, aux firmes et aux
fermiers locaux qui sont tous, de loin, de plus petite taille que les
compagnies transnationales. » (Martin Khor)
2.2 En ce qui concerne la politique de concurrence, comme le soulignait M.
Nathan Irumba, Ambassadeur de l'Ouganda à l'OMC, « les pays en développement
ont besoin d'une législation nationale sur la concurrence et non pas d'une
législation internationale qui ne les aiderait pas. » L'UE pousse pour un
nouvel accord qui interdira, dans les pays en développement, des lois et
règlements nationaux favorisant les firmes locales sous prétexte que ces
lois et règlements sont contraires à la libre concurrence. Comment est-il
possible d'ignorer la conséquence ultime d'un système de droits commerciaux
identiques entre les grandes firmes internationales et les firmes locales ?
Il ne fait aucun doute que la politique de concurrence que l'UE veut imposer
conduira au monopole étranger sur les marchés des pays en développement.
2.3 la question des marchés publics n'est pas directement une question
commerciale, même s'il existe des liens avec le commerce. Sur cette
question, l'intention de l'UE est de placer sous l'autorité de l'OMC les
procédures et les décisions budgétaires des pays en développement. Les
soumissionnaires étrangers jouiront des mêmes droits que les autochtones.
Cette proposition va supprimer le droit des gouvernements de réserver aux
firmes locales une partie de leur marché. Elle détruira un instrument
important de soutien aux entreprises locales en vue du développement
national et de la réalisation d'objectifs socio-économiques. Même si, en
guise de première étape, seule une disposition sur la transparence est
imposée, cela signifiera que les pays devront soumettre leurs projets de
lois et de réglementations à l'OMC. C'est la fin de la souveraineté
nationale non pas en vue de la paix ou de la solidarité, mais aux seules
fins de satisfaire le profit. Une fois de plus, l'OMC est utilisée comme un
instrument en vue d'obliger les pays en développement à entrer dans un
système contrôlé par les entreprises.
2.4 Les pays occidentaux portent la plus haute responsabilité pour les
désastres écologiques. Ce sont eux pourtant, qui veulent maintenant lier des
mesures commerciales à l'environnement. Ils veulent imposer des concepts
comme l'internationalisation des coûts environnementaux, l'eco-dumping et
les méthodes de procédure et de production. Ces concepts sont liés entre
eux. La question principale est de savoir si tous les pays vont devoir
adopter les mêmes critères ou bien si ces critères vont correspondre aux
différents niveaux de développement. La mise en oeuvre d'un critère unique
serait injuste, car elle rendrait non compétitifs les produits des pays plus
pauvres. Les politiques et leurs applications pour résoudre les problèmes
environnementaux devraient être négociées au niveau international. Mais pas
à l'OMC. L'environnement n'est pas une matière qui relève du commerce.
3. Je voudrais terminer cette communication en réfutant un certain nombre d'
affirmations de l'UE et de l'OMC qui relèvent de la désinformation et de la
manipulation.
3.1 On nous dit que l'UE est désireuse de rencontrer, dans le cadre d'un
nouveau cycle de négociations, les attentes exprimées par les pays en
développement et par les pays les moins développés. Une telle affirmation ne
reflète pas les intentions réelles de la Commission européenne. Dans une
communication au Conseil des ministres de l'UE consacrée à l'amélioration du
fonctionnement de l'OMC, la Commission déclarait que « de telles questions
institutionnelles devraient être prises en considération dans le contexte où
parallèlement au nouveau cycle de négociations commerciales mais ne
devraient pas s'approprier le lancement du cycle. Celui-ci est la première
priorité pour le système commercial. » (Commission européenne. Note à l'
attention du Comité 133. Améliorer le fonctionnement de l'OMC : suggestions
pour un progrès. DG Commerce I, 25 janvier 2000).
3.2 On nous dit qu'un nouveau cycle est la seule voie possible pour
rencontrer les attentes des pays en développement. Ce n'est pas vrai. D'un
point de vue juridique, il n'y a aucune obligation de passer par un nouveau
cycle avec de nouvelles matières si on veut modifier les accords existants.
3.3 On nous dit que sans un nouveau cycle, l'ensemble du système commercial
va s'effondrer. C'est tout simplement du chantage. Y a-t-il eu un
effondrement après Seattle ? L'absence de nouveau cycle ne met pas fin aux
accords existants en vertu desquels les négociations sur l'agriculture, les
services et les droits de propriété intellectuelle vont continuer.
3.4 On nous dit que sans un nouveau cycle, les pays pauvres ne seront pas en
mesure de faire face à la récession qui s'annonce. Il n'y avait pas de
récession en vue avant Seattle, mais l'UE demandait déjà un nouveau cycle.
Je ne pense pas que davantage de matières placées sous l'autorité de l'OMC
ayant pour conséquence d'affaiblir la souveraineté et la force des Etats va
accroître la capacité des pays pauvres à faire face à la récession.
3.5 On nous dit que sans un nouveau cycle, les pays pauvres deviendront plus
pauvres encore. Mais il n'est pas besoin d'un nouveau cycle pour diminuer le
caractère déséquilibré de l'application des accords existants et pour créer
les conditions permettant aux plus pauvres de devenir moins pauvres.
3.6 Un nouveau cycle n'est pas un choix imposé par le droit. Il n'y a rien
dans les accords existants qui oblige les Etats membres à commencer un
nouveau cycle. Un nouveau cycle n'est pas un choix imposé par l'économie. Il
n'y a aucune obligation, d'un strict point de vue économique, à accroître le
nombre de matières sous l'autorité de l'OMC si la volonté est de mener à
bien une application loyale des accords existants. Le nouveau cycle est un
choix politique. Comme le constatait l'Ambassadeur du Pakistan, « faire du
nouveau cycle une condition, c'est imposer une condition politique », une
déclaration rejointe par celle de l'Ambassadeur du Zimbabwe : « la
préparation et l'ordre du jour d'un nouveau cycle et la préparation et l'
ordre du jour de la 4e conférence ministérielle (qui aura lieu en novembre
prochain à Doha, Qatar) sont des questions différentes et qui ne devraient
pas être confondues. »

Pour conclure, je donnerai, encore une fois, la parole à un représentant du
Sud qui soulignait l'hypocrisie des pays industrialisés lorsqu'ils demandent
un nouveau cycle. L'Ambassadeur Ransford Smith, de la Jamaïque, déclarait en
mars dernier « quand les choses vont bien pour l'économie globale, on nous
dit « nous avons besoin d'un nouveau cycle pour empêcher la rechute dans le
protectionnisme » ; quand les choses vont mal, on nous dit « nous avons
besoin d'un nouveau round pour empêcher le protectionnisme et pour sortir l'
économie globale du marasme. » La question pourrait être : quand donc
exactement n'avons-nous pas besoin d'un nouveau cycle ? »

(Toutes les citations dont la source n'est pas indiquée sont extraites de South-North Development Monitor - SUNS, 16 March 2001 - suns@igc.org )


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