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Solutions face à l'absence de débatsvieuxcmaq, Martes, Marzo 6, 2001 - 12:00 (Analyses)
Rémi Bachand (lagriculture@hotmail.com)
Le Sommet des Amériques: Solutions face à l'absence de débats. Du 20 au 22 avril prochain, la ville de Québec recevra les 34 chefs d'États «démocratiquement élus» des Amériques afin de poursuivre, voire de conclure, les négociations en vue de la mise en place d'une zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA). En effet, plusieurs sources nous indiquent que les fonctionnaires chargés de négocier en catimini les textes et accords nécessaires à la formation de cette ZLÉA ont terminé leur travail et que les chefs d'États n'auront à l'occasion du sommet qu'à y apposer leur signature. Tout porte à croire que la création de cette ZLÉA ne sera en réalité ni plus ni moins que l'élargissement de l'Accord de libre-échange Nord-Américain (ALÉNA) qui est en vigueur depuis le premier janvier 1994 entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, et qui représentait déjà à cet époque un élargissement de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis (ALÉ). C'est actuellement neuf groupes de négociations qui préparent les accords sectoriels devant être à la base de la ZLÉA. Or, une brève comparaison entre ces groupes de négociation et les différents chapitres de l'ALÉNA nous convainquent de la concordance entre les deux accords de libre-échange, voire de l'extension de l'ALÉNA à l'ensemble des Amériques. Ces groupes de négociation sont le groupe sur l'accès aux marchés (chapitre 3 de l'ALÉNA), l'agriculture (chapitre 7), droits de propriété intellectuelle (17), investissements (11), marchés publics (10), politique de concurrence (15), règlement des différends (19), services (12) et subventions, droits antidumping et droits compensateurs (19). Depuis 1994, l'ALÉNA représente pour les hommes d'affaires américains, canadiens et mexicains une occasion rêvée d'avoir accès à un nouveau marché et à de nouveaux consommateurs. Une éventuelle ZLÉA ne ferait qu'agrandir une fois de plus ce marché. D'ailleurs, ces hommes d'affaires, tout comme les chefs d'États, ne cessent de vanter le processus d'ouverture des frontières et mettent sur son compte l'augmentation du taux de croissance et les bons résultats macro-économiques des dernières années. La richesse créée grâce à l'augmentation des échanges et à la hausse de productivité engendrées par cette libéralisation des marchés disent-ils, théories économiques néo-libérales à l'appui, se trouve redistribuée à l'ensemble de la population. Leur discours est cependant démenti par les faits. Et il ne s'agit même pas ici de démontrer, comme le fait par exemple Paul Bairoch, qu'historiquement le libre-échange n'a profité qu'à la nation qui était alors la plus industrialisée, la plus forte économiquement, et ce, au détriment des nations qui l'étaient moins. L'évolution de la situation économique et sociale des travailleurs et des classes populaires à l'intérieur des trois pays membres de l'ALÉNA est assez équivoque pour nous démontrer le sophisme du discours intéressé de ces hommes d'affaires et d'États libre-échangistes. Au Canada, par exemple, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU s'inquiétait d'apprendre, lors d'un rapport présenté en 1998, que le nombre de banques alimentaires avait presque doublé entre 1989 (date d'entrée en vigueur de l'ALÉ) et 1997, démontrant une augmentation du nombre de gens dont le revenu s'avérait insuffisant pour assurer leur autonomie alimentaire. Il soulignait également que lors des cinq dernières années: «le nombre de locataires consacrant plus de 50% de leur revenu au paiement de leur loyer a augmenté de 43%». De plus, un document de Statistique Canada de 1996 démontrait que le pourcentage des enfants vivant dans la pauvreté est passé de 16,3% en 1989 à 22% en 1996, et que le revenu moyen des ménages canadiens avait chuté, en dollars constants de 1996, de 38 754$ en 1989, à 36 462$ en 1995. Finalement, c'est afin de ne pas affecter la compétitivité de l'économie québécoise que la ministre du travail Diane Lemieux n'a pas augmenté le salaire horaire minimum en 1999, puis ne l'a augmenté que de 10 sous en 2000, augmentation qui a fait rugir le chef de l'opposition Jean Charest qui, lui aussi, craignait que le Québec ne perde sa compétitivité face à l'Ontario (mais aussi face à ses compétiteurs américains ajoutons-nous ironiquement). Au Mexique, un document de l'Institut national de statistique, géographie et informatique nous apprenait que pour la période 1994-2000, la proportion des travailleurs mexicains gagnant moins que le salaire minimum quotidien (environ 4 dollars américains) avait augmenté de 8 à 10,6%. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU faisait pour sa part remarquer que plusieurs emplois avaient été perdus depuis l'entrée en vigueur de l'ALÉNA (selon une autre source, 28 000 petites entreprises mexicaines auraient dû déclarer faillite entre 1994 et 1997 à cause de la concurrence des multinationales étrangères) et que la plupart des emplois nouvellement créés l'étaient dans le secteur des maquiladoras, particulièrement attrayant pour l'industrie étrangère à cause du faible coût de sa main d'oeuvre (il y avait un peu plus de 546 000 personnes travaillant dans les maquiladoras lors de l'entrée en vigueur de l'ALÉNA contre plus de 983 000 en avril 1998). Or justement, à l'intérieur de ce secteur, le salaire horaire est passé, à cause de la dévaluation ayant suivi la crise financière de 1994 (crise financière facilitée notamment par les dispositions concernant les transferts de capitaux inclues dans le chapitres 11 de l'ALÉNA sur les investissements) de 0,71 à 0,39 dollars américains. Le Comité déplorait justement les mauvaises conditions de travail à l'intérieur de ces maquiladoras, notamment les mauvais traitements faits aux femmes, majoritaires dans ce secteur. Une organisation non-gouvernementale américaine, Public Citizen, fait remarquer qu'entre 1993 et 1997, malgré une hausse de leur productivité de 36,4% entre 1993 et 1997, le salaire des ouvriers mexicains a chuté de 29%. Aux États-Unis enfin, il est faux de penser que les choses se passent autrement ou que le libre-échange est favorable à l'ensemble de la population. Une autre ONG américaine, Food First, nous apprend par exemple que les États-Unis affichent aujourd'hui le plus grand écart de richesse entre les riches et les pauvres parmi les pays industrialisés. Selon cette organisation, c'est dans ce pays que le pourcentage de jeunes enfants vivant dans la pauvreté est le plus élevé parmi les pays industrialisés. Aujourd'hui, c'est un enfant américain sur cinq qui vit dans la pauvreté et environ 2,2 millions de ces enfants vivent dans des familles dont le revenu est inférieur à la moitié du seuil de la pauvreté tel que défini par le gouvernement. Loin de diminuer ce chiffre, l'ALÉ et l'ALÉNA n'ont fait que contribuer à l'augmenter pouvons-nous rajouter. Et au taux de chômage qui est, selon les dirigeants de ce pays, un des plus bas jamais enregistré, Public Citizen répond que depuis l'entrée en vigueur de l'ALÉNA, la majorité des nouveaux emplois créés l'ont été dans le secteur tertiaire, où les emplois sont traditionnellement moins bien rémunérés que dans les secteurs primaires ou secondaires, où plusieurs postes ont été perdus depuis 1994 (citant des données gouvernementales, cet ONG fait remarquer que 70% des emplois perdus depuis 1994 l'ont été dans le secteur manufacturier). Le taux de chômage a été rabaissé grâce à la création d'emplois dans le secteur des services, emplois bien souvent peu payés et à temps partiel. L'objectif de cette lettre d'opinion n'est pas encore de participer pleinement au débat pro-ZLÉA ou anti-ZLÉA, mais justement de déplorer le fait que ce débat n'existe pas au Canada et plus particulièrement au Québec. Les exemple cités plus haut, exemples qui ne sont qu'un échantillonnage très restreint des illustrations qui auraient pu être utilisées afin d'exprimer notre propos, montrent qu'il existe une corrélation très forte entre l'adhésion à une politique libre-échangiste et la redistribution des richesses. Tout porte en effet à croire qu'une telle politique favorise grandement la centralisation des richesses dans les mains d'une bien petite partie de la population, au détriment des masses populaires, de la majorité de la population. Une telle analyse empirique nous force à conclure à une exacerbation de la contradiction entre le capital et le travail, entre le patronat d'une part, et les travailleurs et classes populaires d'autre part. De par essence, une société démocratique prévoirait un débat large et public sur un tel sujet avant que le gouvernement ne prenne position et engage la société toute entière dans cette voie compromettante. Trop préoccupés à défendre les intérêts des investisseurs et commerçants, nos gouvernements cooptés par ceux-ci font plutôt acte de parcimonie lorsque vient le temps de distribuer de l'information à ce sujet. Les électeurs du Canada, du Mexique et des États-Unis viennent tous trois de se prononcer sur le choix de leur chef d'État (chef de gouvernement au Canada puisque le chef d'État demeure toujours officiellement le lieutenant-gouverneur). Dans ni l'une ni l'autre des trois campagnes électorales les électeurs n'ont eu l'occasion d'entendre les candidats se prononcer sérieusement sur le sujet. On a bien sûr effleuré le sujet à quelques reprises, mais jamais le sujet ne s'est traité en profondeur. Cette situation est bien facile à expliquer: les partis principaux des trois campagnes électorales avaient tous la même position sur le sujet. Cette position est claire: faciliter la tâche de nos commerçants et de nos investisseurs au détriment d'une redistribution équitable de la richesse. Comme pour redonner une fois de plus raison à Gramsci, ces partis ont tous agi comme un «parti unique de classe», c'est-à-dire qu'ils ont tous décidé de favoriser le même camp, la même classe, le camp du capital au détriments des classes populaires. N'ayant pas à se défendre contre les attaques des partis concurrents et ayant des positions différentes sur la question, les partis principaux ont profité du silence complices des médias pour esquiver le sujet, évitant ainsi une éventuelle peau de banane sur laquelle ils auraient pu glisser. Voilà justement qui nous amène à parler du rôle de ces médias. Au Canada, et plus particulièrement au Québec doit-on l'avouer, la presse ne remplit pas ses fonctions de tenir la population informée des enjeux reliés à la ZLÉA. Alors que nous le troisième Sommet des Amériques aura lieu chez nous dans moins de quatre mois et que le gouvernement se fait silencieux sur le sujet, les médias continent à faire le jeu de ceux-ci en nous servant les informations avec une parcimonie exemplaire. Non contents de ne pas avoir embêté les Chrétien, Duceppe, Day et compagnie lors de la campagne, ils se contentent de nous livrer quelques paragraphes par mois sur le sujet, et encore en prenant bien soin de ne pas aborder les sujets sensibles, tels que les poursuites intentées par des compagnies privées contre les gouvernement canadien, américain et mexicain en vertu du chapitre de l'ALÉNA sur les investissements. Certaines de ces compagnies demandent des milliards de dollars à nos gouvernements parce que ceux-ci ont, par exemple, refusé de leur permettre de faire le commerce d'eau potable en vrac à l'intérieur de tankers (voir la poursuite de Sun Belt Water contre le Canada) ou parce qu'ils leur ont refusé le droit d'installer un site d'enfouissement de déchets au dessus d'une nappe d'eau approvisionnant une communauté entière en eau potable (Matalclad contre le Mexique). Au fait, ce silence complice des médias pourrait-il être expliqué par les nouvelles possibilités d'investissements qui pourraient s'offrir à leurs propriétaires qui font, eux aussi, partie des classes favorisées par ce libre-échangisme? Ce silence partisan et intéressé est meurtrier pour les groupes d'opposition. Ceux-ci tentent actuellement de mobiliser la population pour les activités qui entoureront le Sommet des Amériques à Québec mais les gens ignorent les enjeux de ce sommet, quand ils n'en ignorent pas l'existence même. Même les gens scolarisés et/ou plus politisés ont pour la plupart une connaissance presque nulle de ces enjeux. Cette ignorance des dangers qui accompagnent l'ALÉNA, la ZLÉA ainsi que l'ensemble des outils que se donnent ces hommes d'affaires explique leur manque de motivation à combattre la dictature des marchés qui est sous-jacente à cette continentalisation et à la mondialisation de l'économie. Afin d'informer ces gens, les groupes d'opposition n'ont d'autres moyens que de faire de l'éducation populaire, comme le fait le Groupe opposé à la mondialisation des marchés (GOMM) par exemple Face au silence des médias et face aux gens d'affaires qui continuent d'utiliser l'État et ses politiciens afin d'accroître leurs richesses et leur pouvoir sur le monde, l'éducation populaire menant directement à la lutte contre cette dictature des marchés ainsi qu'à la prise de possession des pouvoirs politique et économique par l'ensemble des masses populaires nous semble être, pour le moment, la solution la plus adéquate. Rémi Bachand pour le Groupe opposé à la mondialisation des marchés (GOMM).
Groupe opposé à la mondialisation des marchés (GOMM).
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