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L'OMC à l'assaut du marché de la santévieuxcmaq, Lunes, Marzo 5, 2001 - 12:00 (Analyses)
Laurence Kalafatides Agnes Bertrand (info@transnationale.org)
Après la seconde guerre mondiale, éducation et santé publique ont fait leur apparition parmi les grandes missions des gouvernements. Les objectifs de santé, la protection sanitaire, le droit aux prestations et surtout l'égalité d'accès aux soins, ont été élaborés au cours des décennies de l'après guerre dans la presque totalité des pays occidentaux et dans un certain nombre de pays du Sud. Dans le même courant, l'Organisation mondiale de la santé avait pour mission d'universaliser ces objectifs et d'œuvrer pour l'accès au soins sur toute la planète. Mais depuis le début de la décennie, un changement s'est opéré, qui n'a fait que s'accentuer depuis. Pour l'ancien directeur de l'OMS, Hirochi Nakajima, il s'agit de faire entrer la santé de plein droit dans la sphère marchande, et devenir LE nouvel objet privilégié de consommation. Comment expliquer ce revirement ? Tout simplement parce que le complexe pharmacético-médical, dépasse aujourd'hui le complexe militaro-industriel. Les bénéfices potentiels sont colossaux. Mais pour que la santé devienne le grand secteur de croissance pour le 21e siècle, les politiques publiques ne doivent pas en brider le développement commercial. Sa privatisation et sa mondialisation s'imposent donc " naturellement ", selon les géants de la filière. En fait de naturel, de puissants lobbies s'activent au niveau mondial pour en accélérer le processus, aussi efficacement et discrètement que possible. Justement, l'échéance, extraordinairement opportune se présente : le prochain cycle de négociations qui s'ouvrira à l'OMC (Seattle, 30 novembre - 3 décembre). Sous le nom grandiose de " Round du millénaire ", les 134 ministres de l'économie des pays membres de l'OMC se retrouveront pour lancer la nouvelle vague de libéralisation commerciale globale. A l'affiche, la révision de l'accord général sur le commerce des services (AGCS). Cette révision de l'AGCS, comme celle de l'accord sur l'agriculture et celui sur la propriété intellectuelle, était inscrite avec la signature de l'Acte final instituant l'OMC. Dans le jargon de l'OMC c'est ce qu'on appelle la pré-programmation du calendrier (" built-in agenda ") : des dé mantèlements postérieurs à la signature sont inscrits dans chaque accord. Le contenu de cette révision fait l'objet d'un " input " sans précédent de la part des grands lobbies du secteur, en particulier pour la Coalition américaine des industries de services, qui la présente comme " L'occasion de croissance exponentielle " (" oportunity for quantum leap ").2 Le champs des services est aussi vaste que mal défini. D'ailleurs traditionnellement en économie ne les appelle-t-on pas les invisibles ? Des bordels de Bangkok aux McDonald's de Moscou, en passant par les télé communications, les transports, la distribution, les assurances, la construction, les services professionnels, le tourisme, l'environnement... Selon l'OMC, les services engagés par l'AGCS concernent pas moins de 160 secteurs distincts. S'il n'y a guère de consensus sur leurs définitions et classification, l'Organisation de Genève avait pris soin d'inscrire d'emblée l'éducation et la santé dans la liste fourre-tout des domaines promis à la libéralisation. Le fait ne donna lieu à aucun débat politique, même pas à un article dans la grande presse. La question agricole fut l'occasion d'un bras de fer entre les Etats Unis et l'Europe, et l'accord sur les services passa presque inaperçu. La signature du 8e Round du GATT instituant l'OMC fut une opération sous pression. Lors de sa ratification, au pas de course, par les parlements, combien d'élus prirent réellement la mesure de l'AGSC ? Aussi invraisemblable que cela puise paraître, la liste des secteurs concernés ne leurs fut jamais transmise ! Elève zélé du tout libéral, Monsieur Juppé, alors ministre des affaires é trangères du gouvernement Balladur précisait dans son exposé des motifs de " la loi autorisant la ratification de l'accord instituant de l'Organisation mondiale du commerce " : " La définition du champs d'application de l'accord (AGCS) donné par l'article 1er couvre tous les services de tous les secteurs, à l'exception des services fournis dans l'exercice du pouvoir gouvernemental. Ainsi l'éducation et la santé sont couvertes par l'accord lorsqu'elles sont fournies dans le cadre d'une concurrence entre au moins deux prestataires de services. "3 Les buts sont clairs : après les télécommunications, et les services financiers, la poste, le transport aé rien (en cours), c'est au tour du secteur de santé de s'ouvrir à la concurrence et à la convoitise des grands groupes. Celle ci serait plus efficace, permettrait des économies d'échelle, des pôles de spé cialisations hyper-compétitifs. Tous les sous secteurs sont concernés : Soins hospitaliers et autres soins, ambulances, services aux personnes âgées, santé humaine, et même vétérinaire, télémedecine, sans oublier la filière lucrative de la chirurgie esthétique. Les patients seraient désormais des clients, les hôpitaux des supermarchés de soins. A quand les soldes ? Il faut rappeler quelques évidences. Tout d'abord dans la logique libérale, seule la demande solvable est prise en compte. C'est donc sur les soins hauts de gamme, pour les clients aisés, que les firmes privées construisent leurs stratégie de conquête et mondialisation du marché des soins de santé. Tous les autres devront se contenter d'une médecine au rabais dispensée par des services hospitaliers sous contrainte budg étaire. Liste d'attente, pénurie d'équipement, et exploitation du personnel. Livrer les domaines de la santé et de l'éducation à la concurrence et à la seule règle du marché, aggraverait la fracture sociale. En Angleterre déjà, dix hôpitaux ont été fermés l'année passée dans la région du grand Londres. En France, des hôpitaux, comme celui d'Ales dans le Gard, voient certains de leurs services " déclassifiés " pour cause de restrictions budgétaires. Alors que de grands groupes avancent leurs pions, dans le même dé partement Vivendi à pris des parts dans deux cliniques. La réforme hospitalière prévoit une économie dans le secteur hospitalier dans les cinq prochaines années et la fermeture de 100 hô pitaux dans la seule région parisienne.4 De plus, il faut bien avoir à l'esprit que ce n'est pas la santé qui rapporte, mais la maladie. La pré vention, dans une logique de profit, n'a strictement aucun intérêt, au contraire. Les médecines douces sont décrétées l'ennemi. La récente attaque sur l'homéopathie, par l'interdiction de 27 médicaments qui sont essentiels pour l'exercice de l'homéopathie va dans ce sens. La redéfinition des pathologies aussi. On parle aujourd'hui d'épidémie d'obésité. Il faut préciser qu'avec 7% des dépenses de santé aux USA consacrés à combattre le surpoids et ses effets, le créneau aiguisent les appétits. Jusqu'à la vieillesse sont désormais redéfinie comme maladies ! Quand la recherche médicale, un peu d'imagination suffit pour anticiper le sort qui lui est promis. La presse est d'ailleurs truffée d'articles promotionnels soulignant les avancées de la science sur les thé rapies dites d'avenir. La génomique et la thérapie génique viennent en tête. Les financements publics européens sont colossaux, l'exploitation sera privée, les contribuables devenant les otages de cette dé possession. Services 2000 Pour la révision de l'AGCS, l'OMC a repris à son compte le slogan avancé par les lobbies : ce sera Services 2000. La Coalition américaine des industries de services, le Transatlantic Business Dialogue (TABD), qui regroupent les cents plus grosses firmes de part et d'autres de l'Atlantique, et le plus ré cent European Services Network, tout spécialement mis en place pour l'échéance, sont fin prêts.5 Les milieux d'affaires ont de longue date préparé l'événement, cautionnés par Léon Brittan, dès 1998, à l'occasion d'un séminaire " Toward GATS 2000 ".6 Mais cette révision de l'AGCS comporte des risques proportionnels aux attentes. Car encore va-t-il falloir ne pas répéter le fiasco de l'Ami, cet accord torpillé par la résistance des citoyens. Il s'agit donc de brouiller les pistes par une grille de clauses incompréhensibles mais savamment entrelacées, et comme à l'habitude, ne pas mettre tous les œufs dans le même panier. Aucune piste n'est négligée. La CSI préconise des processus de négociations " innovantes " et " flexibles ", des définitions qui permettent de " capturer les secteurs ".7 Les lobbies ne sont pas les seuls à s'activer. Déjà acquis à ces positions, le Conseil du commerce des services de l'OMC est prêt à parer aux réticences politiques que pourraient susciter la libéralisation du secteur de la santé jusqu'au niveau des gouvernements. Contrairement aux USA, la santé est en effet pour l'électorat européen un " domaine sensible ". Indispensable d'avancer masqué et de verrouiller la négociation. Des mesures techniquement limitées en apparence sont proposées, à ceci près : les pays ne pourront protéger des secteurs et sous secteurs que provisoirement, et en prenant par ailleurs des engagements de libéralisation à terme. En ce qui concerne les hôpitaux, les pays européens ont posé de nombreuses restrictions en pensant protéger ce domaine. Le Conseil des services de l'OMC a donc imaginer des méthodes de contournement. En effet, a titre de l'article 1-3-C, pour qu'un service soit considéré comme relevant du pouvoir gouvernemental et donc exemptable, il doit être gratuit. Or " les hôpitaux et les cliniques facturent les traitements aux patients ou à leurs assurances... il n'est donc pas réaliste dans de tels cas de prétendre qu'on a appliqué l'article 1-3-C. "8 Dans les secteurs engagés ceci indique que les subventions (sic), ou autres avantages économiques similaires conférés à un groupe, devrait être soumis à l'obligation de traitement national stipulé par l'article 17. En cas de consensus dans un secteur, la méthode horizontale préconise l'extension des clauses consensuelles, à tous les autres secteurs. Si toutefois cet arsenal se révélait insuffisant, les solutions de rechange sont prévues à travers notamment l'accord sur les marchés publics, lui même doublé de l'accord sur les politiques de concurrence. En effet, outre la révision des accords existants (agriculture, services, propriété intellectuelle) le Round du millénaire, dont Sir Léon Britan se targue d'avoir été le principal promoteur, prévoit toute une série de nouveaux accords: investissement, marchés publics, politique de concurrence et facilitation commerciale... Il est essentiel de ne pas se laisser intimider par la fausse technicité de ces " dossiers ". C'est en ré alité assez simple. Les budgets de santé représentent des milliards. " Dans de nombreux pays les marchés publics s'octroient selon des procédures fermées qui opèrent à l'encontre des fournisseurs étrangers " se plaint la CSI.9 Il faut des règles claires pour l'octroi des marchés aux firmes compétentes, quelque soit le mode de fourniture : transfrontière, consommation à l'étranger, présence commerciale du fournisseur et mouvement des personnes physiques. Ce n'est, comme nous l'avons vu, qu'une question de définition. Redé finir la santé comme marché public présente un immense avantage : les sommes dépensées, en l'occurrence les cotisations de sécurité sociale, peuvent être alors captées par des firmes privées, étrangères ou nationales. Déjà en France le groupe Axa demande la gestion d'une caisse d'assurance maladie dans au moins un département.10 Le jour où il y aura satisfaction, en respect de la clause du traitement national, les mêmes conditions devront être consenti aux firmes étrangères qui en feraient la demande. Le même scénario se prépare pour les caisses de retraite. Les discussions sur la réforme des retraites en France afin d'introduire les fonds de pensions, visent à ouvrir ce secteur à la concurrence. Quand à l'accord sur les politique de concurrence, il propose non pas des définitions mais des " principes contraignants " et des " disciplines ". Les législations nationales devront en tenir compte, quelque soit le secteur sur lequel les parlements légifèrent. " Les lois nationales devront avoir quatre attributs principaux : adéquation, impartialité, non intrusion et transparence " clarifie Robert Vastine, président de la CSI dans Services 2000 : approches innovantes pour la libéralisation du commerce des services. Dans cette bagarre aux enjeux colossaux, il ne faudra pas trop compter sur les rivalités entre l'Europe et les Etats Unis. Sur le fond, leur connivence à la fois idéologique et d'intérêts, dépassent largement leurs divergences. Les grandes firmes des services, qu'elles soient d'origine américaine ou européenne, opèrent déjà sur un marché mondialisé. Leurs stratégies conjointes est de coopérer pour l'établissement de lois mondiales via le Round du millénaire. " Les membres de l'OMC devront envisager d'effectuer des ajustements de leurs régimes législatifs " spécifie Robert Vastine, repris en chœur par le Conseil du commerce des services. Dans le même esprit, la Transatlantic Business Dialogue préconise le renforcement du système de règlement des différends : " Les compensations sont insuffisantes. L'ORD doit insister sur la conformation aux règles de l'OMC ".11 En clair, cela signifie que dans le cas par exemple du refus de la viande américaine aux hormones, l'élévation des barrières douanières sur des produits européens d'exportation à hauteur de 114 millions de dollars n'est pas satisfaisant, que l'Union européenne doit tout simplement ouvrir son marché sans plus attendre et imposer la consommation de viande aux hormones aux citoyens de la communauté. Pourtant, ce bien précieux à la fois collectif et individuel qu'est la santé, les citoyens ne sont pas prêts à l'aliéner aux forces aveugles du marché. Mais il faudra aux mouvements sociaux une intelligence que dans leur arrogance nos technocrates et la plupart de nos hommes politiques ont perdu. Pour percevoir les enjeux dans leur complexité et dans leur globalité il faudra aussi admettre ceci : si la privatisation du secteur de la santé aurait des effets iniques pour les laissés-pour-compte du système en nombre croissant dans le nord, il en serait bien pire dans le sud. La mondialisation économique sous l'égide de l'OMC y ravalent des centaines de millions d'individus, non compétitifs, en dessous du seuil de pauvreté. L'accès à la terre et à l'alimentation leur est dénié. De plus, les soins devraient leurs être facturés ! Le Round du millénaire, et en particulier la révision de l'AGCS, est l'occasion où jamais de démasquer le projet délirant de mondialisation du marché de la santé. Agnès Bertrand, secrétaire générale d'Ecoropa, fondatrice de l'Observatoire de la mondialisation. Laurence Kalafatides, membre de l'Institut pour la relocalisation de l'économie, Gard. 1 Voir le Monde Diplomatique, avril 1999 2 J. Robert Vastine, président de la Coalision américaine des industries de services, témoignage orale devant l'" Interagency Trade Policy ", 19 mai 1999. 3 Projet de loi autorisant la ratification de l'accord instituant de l'Organisation mondiale du commerce, Assemblée Nationale, 15 décembre 1994. 4 Voir Le monde, août 1999. 5 Les lecteurs peuvent consulter les sites Web de ces trois lobbies : CSI : www.uscsi.org/, TABD : www.tabd.org, ESN : www.globalservicesnetwork.com 6 Discours de Leon Brittan " European objectives for services worldwide : how the WTO can help ". Brussels, 2 juin 1998. 7 In " Services 2000 : innovative approaches to services trade liberalization ". J. Robert Vastine, pré sident de la Coalision américaine des industries de services, 13 mai 1999, Tokyo. 8 Conseil du commerce des services de l'Organisation mondiale de commerce, Confidentiel, S/C/W/50, 18 septembre (98-3558). 9 In " Services 2000 : innovative approaches to services trade liberalization ". J. Robert Vastine, président de la Coalision américaine des industries de services, 13 mai 1999, Tokyo. 10 Le directeur du pôle santé du groupe Axa, François Mercereau, chargé de porter le projet sécurité sociale privée, est tout simplement... ancien directeur de la Sécurité Sociale ! (période 1983-1987) 11 In " Towards a succesful WTO Ministerial Meeting ", Transatlantic Business Dialogue, Mid year report, mai 1999.
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