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Davos - Etat militaire (un compte-rendu intéressant de la répression policière davossienne)

vieuxcmaq, Martes, Enero 30, 2001 - 12:00

Jésover Laurent (journal@attac.org)

Samedi le 27 janvier, environ 1500 manifestants contre le World Economic Forum n'ont pas eu la possibilité de manifester. Arrêtés, encerclés, contenus violemment par l'armée et la police, leurs libertés de déplacement, d'expression et de libre association leur ont été déniées.

"Messieurs, est-il constitutionnel d'utiliser du purin contre les manifestants?" La veille des manifestations le chef de la police des Grisons posait la question lors d'une émission télévisée qui réunissait outre lui des experts et des paysans. Les paysans interrogés lui ont répondu que le purin en hiver est solide et que, d'autre part, pour eux, il était un moyen de fertilisation. L'un d'entre eux a ajouté qu'il ne voyait pas bien le rapport entre le purin et la mondialisation économique.

La région de Davos était militarisée depuis quelques jours. Des centaines de kilomètres de fils de fer barbelés longeaient les routes, aux endroits stratégiques: ceux par lesquels les manifestants auraient pu s'échapper lors des contrôles, autour des voies ferrées. La protection du WEF a entraîné un dispositif si imposant que les habitants eux-mêmes ont fini par s'en émouvoir. Les rues de Davos, quant à elle, étaient toutes fermées par des grilles de fer gardées. Il y en a environ tous les 500 mètres. La dernière au centre de la ville, quelques centaines de mètres avant le palais des congrès, est impressionnante. Les militaires y sont particulièrement vigilants. Elie Wiesel, sorti du camp retranché pour aller discuter avec un ami, s'est retrouvé bloqué plus de 30 minutes avec sa femme car il n'avait pas sur lui le badge. La petite troupe qui gardait le passage barbelé et grillagé, uniformes noirs, cagoules noires, n'a rien voulu entendre. La presse n'est pas mieux traitée.

La veille à Zurich lors de la conférence internationale qui a réuni 800 participants, un très grand succès pour un après-midi et une soirée extrêmement studieuses autour de thèmes variés, un photographe de l'agence Gamma m'explique comment un barrage l'a arrêté, fouillé et refoulé. Son crime? Avoir son matériel avec lui qui comprenait, comme pour toute manifestation, de grosses lunettes afin de protéger ses yeux des gaz lacrymogènes. Confisquées! Accréditation, coups de téléphone d'un attaché de l'ambassade suisse de Paris, rien n'y a fait. Les militaires et la police ont le pouvoir. Les représentants de l'État suisse ne peuvent plus rien.

Tôt le matin, samedi, sept bus affrétés par ATTAC Suisse partent de Zurich direction Davos. L'ambiance est tendue. Les informations reçues depuis la veille ne prêtent pas à l'optimisme, bus et voitures refoulés à la frontière, une autoroute complètement fermée (celle du Sud qui vient de l'Italie). D'autres groupes choisissent de prendre le train. Depuis la veille, des voitures privées et le train ont permis à quelques manifestants d'atteindre Davos, fouilles complètes au programme, et déguisement du touriste parti pour un week-end à la montagne obligatoire.

Après deux heures de route, premier barrage à 50 kilomètres de Davos, au tout début de la vallée juste à la sortie de l'autoroute où, de loin en loin, voitures et camionnettes de police surveillaient étroitement tous les déplacements suspects. Une auto-mitrailleuse blindée barre la route, des rangs d'hommes en uniformes noirs et cagoulés entourent chaque bus. Quelques délégués sortent pour aller négocier avec les autorités après s'être rendus compte qu'il nous serait impossible de continuer notre chemin.

"J'ai reçu l'ordre de tenir la position", déclare le responsable, utilisant un langage plus militaire que policier. Nous n'irons pas plus loin. Il nous est interdit de poursuivre notre chemin alors que tout le monde est en règle et que personne ne possède avec lui un objet pouvant s'apparenter à une arme, même pas un couteau suisse... Nous décidons alors, nous aussi, de tenir la position et tout le monde descend des bus calmement, se masse sur la chaussée. Le ton devient menaçant. Le gradé utilise le chantage et dit qu'il peut attaquer la compagnie de bus pour lui retirer sa licence de transporteur, il peut aussi attaquer les chauffeurs pour retirer leur permis de conduire.

Nous renvoyons les bus pour les protéger; ils font péniblement demi-tour sur la route étroite engorgée par un embouteillage monstre causé par le barrage militaire. Un rang de policiers se met en travers de la voie, l'auto blindée se met en position. L'homme dont on aperçoit la tête sortir de la tourelle pointe la mitrailleuse qui se trouve à son sommet. Quelques hélicoptères passent. L'un d'eux descend vers nous et nous survole lentement pour nous filmer. Le ton du gradé se fait plus menaçant et nous demande de faire vite...

Les quelque 300, 400 que nous sommes, en plein désarroi, tentons une nouvelle fois de négocier; peine perdue. Il nous est interdit de nous réunir, il nous est interdit de poursuivre notre chemin, il nous est interdit d'exprimer notre opinion de manière publique. Nous nous replions donc lentement vers les bus qui nous attendaient quelques centaines de mètres plus loin sur le parking d'une station essence.

Au même moment dans une petite ville à quelques kilomètres de là, Lanqvart, le train qui relie Zurich à Davos est bloqué. La ville est encerclée par la police et il nous est impossible d'y pénétrer. Les quelques 400 manifestants qui se trouvaient dans le train réussissent à sortir. Ils tentent alors de manifester, tentent de bloquer l'autoroute non loin, se font encercler par un dispositif policier qui comprend, outre les hommes en noir cagoulés et armés, une auto blindée et un engin équipé d'un canon à eau. Plus tard, on tirera sur eux avec des munitions spéciales et on les dispersera à coups de canon à eau. On apprend alors que la manifestation à Davos vient de débuter, ponctuelle, à l'heure annoncée: 13H30. 300 manifestants ont réussi à se regrouper en se jouant du dispositif sécuritaire qui a coûté aux contribuables helvètes une dizaine de millions de francs suisses.

Isabelle nous tient au courant par téléphone cellulaire. La manifestation est calme, presque festive. Face à elle les troupes se massent. La neige tombe drue. Il fait un froid pinçant et glaçant. D'un coup on joue du canon à eau et on commence à avancer pour refouler les manifestants vers la gare. On les force à prendre le train pour Zurich.

Oliver, un copain d'ATTAC Allemagne, et moi décidons de tenter notre chance alors que nos bus doivent rentrer sur Zurich. Nous nous éclipsons discrètement et attendons que tout ceci se calme autour de nous. Puis nous choisissons un endroit qui nous semble adéquat, assez loin du barrage policier pour faire du stop en espérant que la circulation reprendra après qu'officiellement nous ayons été refoulés.

Nous atteindrons Davos vers 17h00 non sans nous faire arrêter quelques fois par des barrages filtrants. Un couple de davossiens nous a pris dans leur voiture parce qu'ils en avaient vraiment assez de cette folie policière et du quasi-état de guerre de la région depuis le début de la réunion des puissants. Nous sommes à Davos et pouvons rencontrer les quelques personnes avec qui nous étions venus parler.

Plus tard dans la nuit, à Zurich quelques actes de violence de la part de certains des manifestants qui avait été refoulés toute la journée, dommage... 121 arrestations faites par la police qui n'a pas manqué l'occasion d'arrêter les « meneurs », malheureusement pas M. Smadja. Davos a montré toute la journée sa faiblesse, combien tout simplement ces puissants étaient ridicules et en panne. Alors que le WEF cette année s'est donnée comme thème "Bridging the divide" (réduire la fracture), on peut s'étonner de voir à quel point le discours (dont on dit de l'intérieur qu'il joue sur le pathos et le misérabilisme forcené: "ces pauvres pauvres") et la réalité sont éloignés. Le "Forum" est devenu une forteresse médiévale sourde et dangereuse, menaçante et violente. Il a su, alors qu'il s'agit d'une entreprise privée qui se nomme "World Economic Forum" et organise une réunion privée, utiliser les ressources de l'État et de la région en profitant de l'armée et de la police. Face aux petits commerçants de la ville de Davos qui se plaignaient du manque à gagner durant la tenue de l'événement et de la mauvaise image de la région défigurée par l'état de guerre dans laquelle elle se trouve, le WEF leur a rétorqué que ce n'était pas son problème.

Le WEF a créé un "état d'exception" où les droits les plus élémentaires n'ont plus été garantis aux citoyennes et citoyens venus pacifiquement exprimer une opinion qui n'a pas l'heur de plaire à M. Smadja. L'état suisse a fait une fois de plus la démonstration qu'il vaut mieux traiter avec des corrupteurs et bandits (certaines des transnationales représentées au WEF sont directement impliquées dans des affaires de corruption et d'évasions fiscales) et des dictateurs, même sanguinaires, qu'avec des personnes responsables, pacifiques et souhaitant défendre et utiliser leurs droits normalement garantis par la constitution et les lois du pays. Samedi 27 janvier entre 08h00 et 20h00 la loi n'existait plus en Suisse du fait de la police, de l'armée et des transnationales réunies.

Laurent Jésover. Rédacteur jour...@attac.org

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Tél. + 33(0)1 49 55 67 00 Fax +33(0)1 45 51 34 77
Email : vert...@par.rep.admin.ch
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