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Repenser la lutte pour la démocratievieuxcmaq, Jueves, Octubre 5, 2000 - 11:00
Pablo Gonzalez Casanova (alternatives@alternatives.ca)
À l’heure qu'il est, nous sommes si habitués à penser la démocratie exclusive comme quelque chose de logique et de naturel, que lorsque nous faisons appel à ce terme nous n'imaginons jamais un gouvernement de tout le peuple. Dans notre subconscient collectif, nous avons une idée oligarchique de la démocratie : une idée propre aux élites. Seule notre conscience morale et politique nous conduit à concevoir la démocratie de tous comme une utopie porteuse de solutions. Je postule et je soutiens que la liberté ne peut être atteinte que grâce à une démocratie non exclusive, qu'une politique moins injuste n'est possible que par la voie d'une démocratie inclusive et que l'avènement d'un monde moins violent et autodestructeur dépend de l'instauration d'une démocratie inclusive. La démocratie qui inclut et qui exclut Ceux qui construisent la démocratie en définissent le concept et la délimitation de la réalité. Les esclavagistes ont construit la démocratie grecque qui excluait les esclaves et les femmes. Les bourgeois des républiques hanséatiques et des îles britanniques s'adjugèrent à eux seuls la condition de citoyens. Les complexes militaires transnationaux de notre temps identifient la démocratie au libre marché, qu'ils dominent. Leurs théoriciens comme Milton Friedman considèrent qu'Auguste Pinochet est un héros de la démocratie et que Fidel Castro est un tyran. La pensée conservatrice de notre temps s'est appropriée la pensée libérale pour forger une démocratie exclusive d'élite, qui est en train de démanteler les concessions sociales auxquelles la bourgeoisie avait été contrainte lors de l'ascension des luttes ouvrières dans les métropoles et des luttes de libération nationale dans les colonies. Partout, cette politique conservatrice a établi des systèmes électoraux qui limitent la participation démocratique, la représentation et la prise de décisions. Quand il s'agit de gouverner, ce projet s'est opposé à la démocratie électorale universelle et a mis en place les bases d'une "abstention structurale et fonctionnelle". Son projet contemplait l'activité discontinue de citoyens qui voteraient de temps en temps, et correspondait à des gouvernements oligarchiques et dépendants. L'héritage de la social-démocratie La démocratie a également été définie par la social-démocratie. La contribution principale de la social-démocratie a consisté à lutter en faveur du suffrage universel et de la participation des ouvriers organisés dans le gouvernement, à accroître les dépenses publiques et à favoriser l'accumulation du capital social et d'État. Cependant, la social-démocratie a accepté de pactiser avec les grandes entreprises et les complexes politiques et militaires dominants, en vue de limiter la démocratie et la justice sociale. Elle a contribué à limiter celles-ci aux pays et aux centres métropolitains, le plus souvent aux dépens des pays et des peuples dépendants ou maintenus dans une situation coloniale. Mais à la suite de la victoire mondiale du néolibéralisme dans les années 70 et 80, plusieurs gouvernements sociaux-démocrates ont accepté d'appliquer les politiques néolibérales d'ajustement et de démantèlement de la participation de l'État dans les activités et les responsabilités sociales. Les pays hégémoniques dont le commerce avec les pays du Sud est considérable ont réussi à maintenir les politiques sociales du welfare-state dans la mesure où les conditions d'échange leur étaient favorables. Mais même dans ces pays, on voit poindre une politique de harcèlement et de restriction à l'encontre des travailleurs industriels et des couches moyennes. Le nationalisme révolutionnaire Une troisième définition de la démocratie apparaît liée au nationalisme révolutionnaire des pays dépendants (révolution chinoise, nicaraguayenne, cubaine, etc.). La définition de la démocratie par le nationalisme révolutionnaire reprend certains éléments de la social-démocratie. Elle unit la démocratie représentative et participative et, dans certains cas, admet en son sein le pluralisme idéologique et politique. Dans la lutte pour le pouvoir du nationalisme révolutionnaire se reproduisent les formes autoritaires du caudillismo et du caciquismo. Les États tendent à des politiques plus populistes que populaires. lis redéfinissent les inégalités et les injustices au moyen de garanties et de concessions en faveur des clientèles des différents chefs ou des caudillos, ou des noyaux de travailleurs organisés, surtout urbains. Ils favorisent avant tout les nouveaux riches qui plus tard s'associent aux transnationales. Nationalisme révolutionnaire, populisme et système de clientèle utilisent le système de clientèle, le corporatisme et la participation afin de consolider le corporatisme populiste et ses politiques sociales de bienfaisance. Dans les structures représentatives et participatives, la démocratie n'obéit guère aux modèles formels du néolibéralisme. Comme dans le libéralisme réellement existant, les partis, les Parlements, les souverainetés et les autonomies demeurent soumis aux élites régionales et locales et à leurs classes politiques respectives. La principale différence consiste peut-être en ce que le nombre des bénéficiaires est plus grand et que les négociations sociales acquièrent plus d'importance que dans "l'ancien régime". Les aventures du marxisme-léninisme Les marxistes-léninistes ont également construit et défini la démocratie avec de sérieuses limites et des exclusions surprenantes. Ils ont oscillé entre la critique à la "démocratie" en général - qu'ils ont identifié à la définition libérale et bourgeoise de systèmes de gouvernements utiles aux intérêts et à la domination du capital - et l'exaltation d'une "démocratie populaire" ou d'une "démocratie socialiste" dont ils ont occulté les structures de pouvoir autoritaires et même le totalitarisme que régnait réellement. La prise de décisions de "dernière instance", basée sur une logique de "sécurité", a été identifiée, depuis Engels, à l'expression malencontreuse de "dictature du prolétariat". Sa légitimité, pour ce qui concerne la défense des intérêts et de la sécurité des grandes majorités, s'est vite perdue dans les pays communistes. Au lieu de l'imposition de la dictature d'ouvriers souverains détenteurs d'un pouvoir de décision en "dernière instance", est apparue chaque fois plus clairement la dictature d'une "nomenclature" contre les ouvriers, les paysans et les habitants dont celle-ci disait être l'avant-garde. L'autoritarisme personnel et de groupe vint à être si fort que même les dangers et les menaces réelles de l'impérialisme et de la contre-révolution perdirent leur signification. La réorganisation des nouvelles oligarchies, des fonctions de direction et de commande s'est faite sous l'égide de l'idéologie marxiste-léniniste entendue comme rhétorique, et au milieu de processus de corruption et d'accumulation privée qui ont exclu l'immense majorité des travailleurs. Ceux-ci ont été exclus de la représentation et de l'élection de politiques authentiques, même si pendant longtemps ils ont bénéficié de prestations et de concessions accordées sur la base d'une logique paternaliste et autoritaire revêtue de symboles révolutionnaires. En fin de compte, le "totalitarisme" marxiste-léniniste n'a été que l'expression d'une réflexion creuse, d'une recherche dogmatique, d'une interprétation vide de sens, et d'une éducation pour ne savoir ni penser ni agir. Lorsque le théâtre a pris fin, la culture officielle s'est défaite de ses oripeaux en se défaisant du pays lui-même. Une exception qui confirme la règle ? Cuba a vécu un exemple de démocratisation particulier. Le gouvernement révolutionnaire a réussi à maintenir le lien entre les bases et les cadres; en premier lieu grâce à une morale politique qui vient des grands courants que Marti a représentés; et ensuite grâce à la réorganisation de la lutte "communiste" autour de l'émancipation nationale avec le concours des bases populaires. La participation démocratique du peuple cubain s'est accrue avec l'éducation et l'organisation des bases. Elle repose également sur une politique de sécurité nationale et de justice sociale en accord avec l'immense majorité du peuple cubain. La direction politique s'est ouverte à un cadre théorique et culturel plus vaste que le marxisme-léninisme, celui de la pensée libertaire et indépendantiste. À partir de cette double référence, elle a ébauché une lutte pour l'insertion dans la "globalité", tout en défendant les conquêtes sociales et émancipatrices. Et également en mettant en place des projets d'ouverture démocratique qui, bien que limités par la guerre du blocus nord américain, expriment la pratique concrète du peuple dans sa lutte pour la défense des politiques sociales et de l'indépendance nationale. La définition démocratique de la réalité cubaine est supérieure à sa définition théorique. Construire le monde au Chiapas Dans un recoin du monde connu sous le nom de "la Lacandona", un mouvement armé d'indiens mexicains formule le projet d'une démocratie universelle qu'il qualifie, non sans ironie, d'"intergalactique". Pour ce faire, il part de l'une des cultures les plus anciennes et les plus riches du monde : la culture Maya. En même temps, il fait preuve d'une connaissance admirable de la culture occidentale et de la philosophie moderne et postmoderne. Parmi ses leaders, il compte des intellectuels du plus haut niveau, quelques-uns d'entre eux révolutionnaires, postmodernes et constructivistes. L'un d'entre eux a dit : "Nous n'avons pas à conquérir le monde. Nous devons seulement le construire". La construction de concepts et de réalités est menée à bien avec beaucoup de sérieux et beaucoup d'allégresse, dans un mélange de genres littéraires et philosophiques, de persuasion et d'éducation, de communication de hutte ou de caverne et d'Internet. Il s'agit là d'un phénomène rigoureusement "émergent", qui peut-être apparaîtra en diverses parties de la planète. En tout cas, il est l'héritier des luttes les plus profondes pour la démocratie, conçue comme le gouvernement des majorités, le respect du pluralisme religieux, politique, idéologique et culturel, et la participation et la représentation des peuples et des ethnies dans les prises de décision effectives du gouvernement. Les théories relatives à la démocratie assortie de justice sociale et de dignité, à la "démocratie de tous" comme l'appellent les zapatistes, englobent des conceptions scientifiques et humanistes supérieures à tout autre théorie relative à l'organisation du pouvoir et de la société dans les villes, les peuples, les nations et le monde. Mais si l'on veut faire en sorte que ses vertus deviennent effectives, il convient de reconnaître sans ambages que jamais jusqu'alors n'avait été pensé avec autant de profondeur et de sérieux le problème de la démocratie universelle, planétaire et non exclusive, et encore moins la configuration, la diffusion et la consolidation de celle-ci. Pour ce faire, il convient de s'orienter vers la construction et la création, en théorie et dans la réalité, d'un nouveau paradigme historique de démocratie universelle non exclusive, assorti de connotations pratiques et morales, humanistes et scientifiques, utopiques et politiques, de restructuration des intérêts particuliers et des intérêts généraux, de médiations et d'interactions propres à un système de systèmes ou à un réseau de réseaux autodirigés et autocréateurs, qui communiquent entre eux depuis des civilisations diverses et avec elles. Un monde fait de plusieurs mondes Plus que le miracle d'une espèce de néolibéralisme démocratique et social, ce qui va arriver, c'est un processus complexe de luttes pour la démocratie, la liberté, l'égalité, l'autonomie, et pour la justice sociale contre l'exclusion, l'appauvrissement, la prédation, le parasitisme et l'exploitation. À cette lutte multiple reviendra la construction, depuis tous les recoins de la Terre, d'un système démocratique universel et non exclusif. Un nouveau paradigme politique et scientifique fera de la connaissance orientée vers la démocratie universelle le pôle d'attraction le plus puissant pour poser et résoudre les problèmes. Pendant de temps, le paradigme central de nos recherches et de notre action sera celui de la démocratie universelle non exclusive, et dans le cadre de ce paradigme. nous étudierons la dialectique de l'histoire à l'aide de systèmes autoréglés et auto-créateurs, sans oublier qu'il est indispensable de connaître non seulement les sciences rebelles mais aussi les "nouvelles sciences" dominantes, si nous voulons construire "un monde fait de plusieurs mondes", qui nous sorte de l'univers désordonné et chaotique dans lequel nous sommes enfermés, et qui nous permette d'envisager un autre univers où l'intérêt général sera fait de plusieurs intérêts généraux. Ceci, bien entendu, compte tenu de ce que nous ne sommes jamais sûrs de pouvoir ou non le construire. |
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