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Les effets pervers de la criminalisation des clients des prostituées

Anonyme, Miércoles, Junio 22, 2011 - 14:03

Nicole Nepton

Résumé d'un rapport sérieux et documenté sur les impacts négatifs du modèle suédois sur les prostituées vs les conséquences de la décriminalisation de la prostitution en Nouvelle-Zélande.

Pour en finir avec la prostitution, certaines féministes préconisent la criminalisation des clients et la décriminalisation des prostituées comme en Suède. L'été 2010, le gouvernement suédois publiait une évaluation des impacts de son approche envers la prostitution adoptée depuis 1999. D'après celle-ci, la prostitution de rue aurait beaucoup diminué, de même que la traite des femmes et la demande.

Précisons que les deux principales approches préconisées par des féministes concernant la prostitution – l'approche prohibitionniste dite abolitionniste comme en Suède et la décriminalisation comme en Nouvelle-Zélande – traitent de la question selon deux points de vue qui partent de lieux opposés.

Le mouvement de défense des droits des travailleuses et travailleurs du sexe part des réalités du terrain dans leur diversité et leur complexité. Ça va des pires expériences aux meilleures en passant par toutes les nuances possibles, qui peuvent aussi varier dans le temps, le tout, en lien avec un contexte de répression de la prostitution et de stigmatisation des prostitué-es qui a de nombreux impacts sur ces personnes.

Pour leur part, les prohibitionnistes abolitionnistes partent de la conviction que la prostitution est de la violence exercée par les hommes sur les femmes, qu'elle est donc toujours préjudiciable et que les prostituées seraient des victimes à « sortir de là ». Et des victimes, il y en a effectivement. Les seuls témoignages qui compteraient sont ceux des femmes qu'on a forcées à se prostituer, qu'on a exploitées, violentées, et ces témoignages sont instrumentalisés pour susciter des émotions et démontrer qu'il faut abolir la prostitution. Les prostituées qui ont un discours différent sont vues comme aliénées - elles seraient incapables de prendre conscience de leur propre oppression - ou complices de l'industrie du sexe. Il ne serait donc pas pertinent de tenir compte de leurs opinions et analyses ni des solutions qu'elles préconisent.

C'est ainsi que l'évaluation du gouvernement suédois ne se base que sur 14 témoignages de prostituées - sept ex prostituées et sept actives. Les sept prostituées actives ont rapporté qu'elles sont pourchassées par la police et qu'elles sont plus stigmatisées qu'avant. Pour le gouvernement suédois, ceci montrerait que la criminalisation des clients est un succès parce que ça inciterait à ne pas se prostituer. Pourtant, nous savons que plus on est stigmatisée, plus on est aussi discriminée et moins on a recours aux services de santé et au sécurisexe, plus on a donc des chances d'être infectée par des ITSS et plus on est aussi à risque d'être victime de violence.

En fait, l'évaluation du gouvernement suédois est beaucoup critiquée tant pour l'absence de méthodologie scientifique, pour ses prétendus succès non démontrés par des faits et parce qu'elle ne tient pas compte des effets pervers de la criminalisation des clients sur les prostituées. Selon La loi suédoise contre l’achat d’actes sexuels : succès affirmé et effets documentés (une traduction en français de The Swedish Sex Purchase Act: Claimed Success and Documented Effects de Petra Östergren et Susanne Dodillet), un rapport très documenté qui l'analyse sérieusement en la confrontant aux faits :

• En Suède, la stigmatisation des prostituées a effectivement augmenté. On les dit victimes, faibles, exploitées, ce qui propage des stéréotypes. Elles sont vues comme des membres non valables de la société, on ne les respecte donc pas et elles sont victimes de discriminations. Elles sont sans pouvoir. Ce sont les « expert-es » qui ont le pouvoir de définir ce qu'elles vivent de même que leurs besoins.

• La prostitution de rue aurait diminué du tiers, mais c'est une tendance mondiale causée par la généralisation de l'utilisation des cellulaires et d'internet ces dernières années. Elle s'est aussi déplacée dans des rues plus isolées ou à l'intérieur ainsi que dans des pays limitrophes. Les prostituées sont donc plus difficiles à rejoindre par les intervenant-es.

• Dans certaines villes, il y a moins de clients sur la rue, ce qui augmente leur pouvoir de négociation. Il faut aussi faire vite. Il leur arrive donc d'accepter des clients qu'elles auraient refusé avant, de baisser leurs prix – elles doivent donc faire plus de clients et prendre plus de risques - et d'accepter du sexe sans condoms. Et elles vont dans des lieux plus isolés avec leurs clients.

• Comme les contacts directs avec les clients sont devenus plus difficiles à faire, les prostituées sont plus dépendantes d'intermédiaires.

• Quand on les identifie comme étant des prostituées, les propriétaires des logements qu'elles louent doivent annuler leur bail s'ils ne veulent pas être criminalisés. Elles perdent donc leur logement. Et elles ont peur qu'on leur enlève aussi la garde de leurs enfants.

• Au lieu de les protéger, la police les harcèle et abuse d'elles. Par exemple, la police tourne des vidéos de prostituées à l'oeuvre avec leurs clients, saisit leurs condoms en preuve et les fouille à nu. Elles ont donc moins confiance dans la police et sont moins susceptibles de rapporter un vol, un viol, une raclée. En cour, elles sont des témoins mais n'ont ni les droits des accusés ni ceux des victimes.

• Rien ne prouve que la demande ait diminué. Les hommes se fichent autant de cette loi que des limites de vitesse. Par contre, ça les rend vulnérables au chantage et à la stigmatisation. Certains perdent leur emploi parce qu'ils sont soupçonnés d'être des clients (pas des agresseurs, des clients). Ils ne sont plus disposés à informer la police ni à témoigner en cour s'ils sont témoins qu'une femme est exploitée, forcée à se prostituer, trafiquée. On a aussi cessé de faire la promotion du sécurisexe auprès des clients de prostituées.

• On ne peut pas se fier sur les données de la police suédoise concernant la traite des femmes car elle inclut dans ses statistiques les femmes d'origine étrangère qui offrent volontairement des services sexuels. Il demeure que la traite des femmes n'aurait jamais été un gros problème en Suède, mais qu'aujourd'hui, les femmes d'origine étrangère, même avec un permis de résidence, peuvent se faire refuser l'entrée au pays si on croit qu'elles vont peut-être se prostituer.

• Le gouvernement suédois n'a pas pris la peine de documenter les violences subies par les prostituées, mais elles en parlent quand on les écoute. En fait, leurs conditions de vie se sont dégradées, et ce, d'autant plus pour les femmes qui oeuvrent sur la rue, qui sont dépendantes de drogues ou d'alcool, et qui font partie d'autres groupes discriminés - mais la prostitution continue quand même autant qu'avant l'adoption de cette loi en 1999.

En fait, le seul moyen d'être pour le « modèle suédois », c'est de ne pas tenir compte de ce que les prostituées ont à dire sur ce qu'elles vivent sur le terrain, ce qui fait qu'on a une compréhension stéréotypée et très mal informée de leurs réalités.

Il n'y a qu'en Nouvelle-Zélande où les lois régissant le travail du sexe ont été élaborées avec la collaboration des principales personnes concernées. Selon Patrice Corriveau, les principes au coeur de la décriminalisation qu'on y a voté en 2003 : 1) la protection des droits humains; 2) la protection contre l'exploitation; 3) la promotion de la santé et du sécurisexe; 4) la prohibition de la prostitution juvénile. Notez que la décriminalisation de la prostitution n'est pas une porte ouverte à n'importe quoi : il y a beaucoup d'autres lois pour protéger tant les adultes que les mineur-es contre les abus.

Dans Taking the crime out of sex work, les auteures ont interrogé 772 travailleuses et travailleurs du sexe. Il y a aussi un rapport du gouvernement de la Nouvelle-Zélande qui a évalué les impacts de la décriminalisation après cinq ans qui va dans le même sens que ce livre.

En Nouvelle-Zélande, les travailleuses du sexe sont désormais plus en sécurité et en meilleure santé. Elles ont plus de pouvoir pour insister sur le sécurisexe et plus d'outils pour agir sur leur environnement de travail. Connaissant leurs droits, elles sont plus en mesure de les faire valoir auprès des propriétaires d'établissements et des clients. La relation entre la police et les travailleuses du sexe - particulièrement celles qui oeuvrent sur la rue - s'est aussi améliorée. Elles sont donc plus susceptibles de signaler la violence qui leur est faite. Et il n’y a aucune preuve d’expansion de l'industrie du sexe ou d’une augmentation de la prostitution des mineur-es, de la traite, du crime organisé, de l’exploitation ou de l’usage de drogues.

Voici un commentaire d'une travailleuse du sexe de rue inclus dans ce livre : « Pour les dernières années, la police a été vraiment bien, vraiment impliquée. Donc nous avons eu plus de voitures de patrouille descendant dans la rue. Donc ça c’est bien. Maintenant ils en ont quelque chose à faire. Avant la loi ils s’en foutaient. Vous savez, si une fille, une travailleuse se faisait violer, ou quelque chose comme ça, il n'y avait pas grand-chose qu'on pouvait faire. Mais maintenant que la loi a changé, ça a changé tout ça. »

Bien sûr qu'il reste encore du travail à faire. La décriminalisation est nécessaire mais non suffisante pour protéger la santé et les droits humains des travailleuses et travailleurs du sexe. Il y a aussi des sous-groupes très vulnérables. Des siècles de marginalisation ne s'arrêtent pas du jour au lendemain non plus. Mais c'est LE point de départ qui rend d'autres améliorations possibles.



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