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Brève note sur le rassemblement pour « la démocratie réelle », Paris 29 maiAnonyme, Sábado, Junio 4, 2011 - 18:52 (Extra) À 14H, heure prévue du début du rassemblement, il y avait, Place de la Bastille, à Paris, une cinquantaine de personnes... Par rapport aux manifs parisiennes des dernières années - en particulier celles du mouvement contre la “réforme” du régime des retraites – c’est une foule moins nombreuse. Quelques jours auparavant, la manifestation contre le racisme et en soutient à l’immigration sans papiers, avait attiré plus de monde. Quoi dire ? Toute réflexion construite à partir d’un moment, d’un événement isolé, à ses limites. La photo passagère d’une mobilisation libre et spontanée comme celle-ci fige son mouvement, ne distingue pas les possibles inscrits dans sa dynamique. Il y a dans la Place, à la fois une atmosphère d’enthousiasme et la sensation de participer à une mobilisation embryonnaire plaquée sur l’exemple de ce qui se passe en Espagne. Mouvement largement relayé par les médias. De façon superficielle on peut faire la “sociologie” des participants : un mélange d’âges avec une prédominance d’une jeunesse parisienne, étudiant et précaire, ou les deux à la fois. Beaucoup de personnes se sont déplacées par curiosité, concernés par l’événement, comme moi... Les militants d’organisations politiques sont manifestement en nombre aussi, même s’ils ne s’affichent pas en tant que tels, peu de tracts sont distribués et je ne vois pas de presse militante en vente. Il y a aussi une totale absence de présence syndicale, même des organisations de la gauche syndicale comme SUD ou encore la CNT. De ce point de vue, l’atmosphère est bien plus respirable que lors des grandes manifestations classiques, dominées par les organisations syndicales et politiques, avec leurs moyens sonores étourdissants. A écouter la majorité des interventions et à la lecture des grandes banderoles accrochées, on est tenté de dire qu’on est en retrait, en termes d’énergie et de combativité, par rapport aux mobilisations qu’on a vécu les dernières années en France. Mais cette différence traduit peut-être quelque chose de nouveau. Les slogans sont peu imaginatifs, essentiellement centrés sur la revendication d’une “démocratie réelle” et sur le caractère pacifique de la mobilisation. Le ton des interventions est parfois d’une grande naïveté, dans le style « indigné » à la mode, éloigné de la rage exprimée les années précédentes sur la nature de classe de la crise du système. Mais l’esprit d’une mobilisation ne se retrouve nécessairement pas, et de façon directe, dans les textes, les slogans, les paroles. Ce rassemblement réunit sûrement plus d’idées, de projets, de rêves, de révoltes, que ceux qui s’y expriment explicitement. Une de ces situations où « les actes vont plus loin que les paroles » (comme le dit un texte arrivé d’Espagne). Les jeunes qui animent ce rassemblement avaient-il participé, l’année dernière, au mouvement contre la « réforme » des retraites ? Ou se sont-ils engagés plus récemment, dans la foulée du mouvement en Espagne ? Il y a probablement un mélange des deux. L’exigence d’une “démocratie réelle” est-elle seulement une copie du mouvement en Espagne ? Pas seulement. Elle répond aussi au sentiment largement répandu d’une crise profonde du système représentatif en France, caractérisé par la corruption et la dégénérescence de la classe politique, l’approfondissement des inégalités et l’arrogance des puissants. Après l’échec du puissant mouvement de l’année dernière, cette revendication (la « démocratie réelle ») exprime aussi la nécessité de sortir de l’impasse des manifestations syndicales à répétition, la volonté de rebondir dans la contestation du système. S’il est vrai que l’ambiance d’allure democratico-humaniste domine le rassemblement, la détermination à se confronter au pouvoir n’est pas disparue. Voici deux exemples qui vont dans ce sens . Une version rénovée de la “La Marseillaise”, chantée au micro par deux jeunes, a provoqué les huées d’une bonne moitié des présents. Puis, lorsque la police tente de fermer l’accès au parvis c’est une clameur de colère qui monte de la foule, ceci malgré les appels à une attitude pacifique de la part de ceux qui tiennent les micros. Il s’est fallu de peu pour que l’ambiance bon enfant du rassemblement bascule et seul le recul de la police fini par calmer les esprits. Manifestement, comme en Espagne, deux tendances cohabitent, celle qui croit vaguement à un perfectionnement du système démocratique et celle qui rejette en bloc la forme de représentation actuelle avec son système des partis et syndicats. En attendant, la majorité des présents se plie respectueusement aux règles du jeu (démocratie et pacifisme). Mais on sent qu’il se faut de peu (une provocation policière peut suffire) pour faire éclater cette cohabitation et pour qu'on revienne à un niveau d’antagonisme plus affirmé. Seul une extension de la mobilisation pourra faire mûrir ces différences. Importante, sans doute, est l’appropriation de l’espace public comme lieu de débat et de discussion. Importante également, est l’auto-organisation nécessaire à la préservation de cet espace. Essentiel, est l’écho que cette préoccupation de démocratie de base, directe, rencontre chez de secteurs larges de la société. Le discours ultra-démocratique de base de la majorité des intervenants paraît néanmoins suspendu dans le vide. En effet, quel sens concret donner au concept de démocratie de base dans une foule de quelques milliers de personnes qui ne se connaissent pas, qui ne partagent pas une même condition (d’exploitation, de vie, de logement…), qui n’ont pas des tâches précises à assumer (autre celle de rester ensemble)? Même si cette idée peut difficilement être appliquée dans ce cadre de rassemblement éphémère de rue, il n’en reste pas moins qu’elle est portée par des milliers de personnes et fait son chemin dans la société. Pour le moment la seule démocratie de base est celle de la parole. C’est déjà beaucoup. En France, on ne peut pas dire que ces rassemblements naissent dans une société résignée et passive. Loin de là. On a vécu, au cours des dernières années, une succession de luttes et de mouvements de grande ampleur. Il y a une continuité, une progression contradictoire, dans cette attitude anti-système dont ces rassemblements pour la « démocratie réelle » en font partie. Malgré les défaites, les ravages de l’atomisation et des peurs charriés par la crise sociale, des luttes et des mobilisations importantes continuent à marquer le quotidien. L’agitation est presque devenue endémique dans l’enseignement et dans le secteur de la santé, la grogne contre la destruction des services publics ne retombe pas, des écoles sont occupées par des parents et des profs, des immigrés luttent collectivement pour régulariser leur situation, des grèves dures éclatent (dans la grande distribution et dans l’industrie), contre les conditions de travail et les bas salaires. Les rassemblements des « indignés » interpellent et attirent sûrement beaucoup de celles et de ceux qui se sont battus hier et qui luttent aujourd’hui. Lors du mouvement contre la « réforme » des retraites, des secteurs minoritaires ont cherché à créer des liens horizontaux et autonomes, à casser les séparations entre les différents secteurs en lutte. Tout naturellement, les structures syndicales s’y sont fortement opposées. Ces aspirations réapparaissent manifestement dans les mobilisations actuelles. Seul le temps permettra qu’elles se concrétisent. Pour ne prendre qu’un exemple, les liens semblent déjà s’établir avec le réseau de soutien aux jeunes tunisiens sans papiers récemment échappés de Lampedusa, régulièrement chassés par la police des lieux qu’ils occupent à Paris. Tant que les rassemblements des « indignés » ne s’élargissent pas, ils deviendront inévitablement les lieux privilégiés du militantisme partidaire et groupusculaire. On sait que l’influence des organisations politiques sur un mouvement social est inversement proportionnellle à sa propre dynamique autonome. Lorsqu’un mouvement s’affaiblit les manipulations des organisations apparaissent clairement. C’est également le cas lorsqu’un mouvement ne parvient pas à prendre son élan indépendant. À la Bastille, les professionnels des organisations et des groupuscules sont à l’œuvre, avançant, de façon masquée, leurs propositions. Se pliant aux règles du jeu de la “démocratie de base” leurs militants se trahissent en déroulant un discours paternaliste, comme s'ils parlaient à des enfants peu au fait de la complexité de la politique dans ce bas monde... Et puis il y a le danger de bureaucratisation de ces structures qui se mettent en place, les commissions. Il semble difficile pour le quidam de passage de connaître leur degré réel d’autonomie par rapport aux organisations qui, fidèles à leur nature, cherchent le contrôle. Compte tenu de l’expérience accumulée les dernières années, on serait tenté de dire que cette jeunesse est mieux armée pour le combat contre la manipulation politicienne. Là aussi, seule l’extension des mobilisations peut confirmer ou infirmer le pronostique Ces rassemblements n’ont pas l’ampleur ni les potentialités de ceux qui se sont développés en Espagne. Ici, ce n'est pas un mouvement auquel on assiste mais plutôt à une tentative pour créer un mouvement… Pour le moment, ces rassemblements semblent plaqués, peu consistants. Ils peuvent, certes, cristalliser une colère qui s’alimente depuis des années de la crise sociale. Colère qui n’est pas retombée depuis l’échec des mobilisations contre la “réforme” du système de retraites. Dans la société française, et compte tenu de la radicalisation de secteurs de la jeunesse et des salariés, l’objectif d’une « démocratie réelle » risque bien d’évoluer vers l’affrontement contre les formes de pouvoir en place. Nous en sommes loin. Dès maintenant, la seule existence de ces rassemblements et la sympathie sociale qu’ils suscitent, exprime plus que le malaise social. Venant après les mobilisations et les luttes des années précédentes et les signaux négatifs de défaite, ils se veulent des repères positifs dans un processus en cours. Peut-être, nous indiquent-ils que nous sommes en train de basculer dans une nouvelle période. On quitte le revendicatif, on ne s’adresse plus à l’Etat, on ne revendique plus un retour à un passé mythifié abîmé par le néo-libéralisme. On prend acte de la faillite de l’action des partis et syndicats pour se projeter dans la recherche de nouvelles méthodes pour bâtir un futur différent. Un long chemin qui sera inévitablement jalonné d’avancées et de reculs. C.R. |
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