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Enquête du coroner : la CRAP appuie la famille Bennis

lacrap, Miércoles, Abril 27, 2011 - 16:47

La Coalition contre la répression et les abus policiers a écrit au ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, pour lui demander d’assumer les frais de représentation légale de la famille Bennis à l’occasion de l’enquête de la coroner Catherine Rudel-Tessier sur le décès de Mohamed Anas Bennis, qui doit s’ouvrir le 27 avril 2011. Une famille qui souffre déjà de la perte d’un être cher ne devrait jamais avoir à assumer le fardeau financier que représentent les honoraires d’avocats dans le cadre d’une enquête du coroner.

***

C’est avec déception que nous avons appris le refus du Bureau du coroner d’assumer les honoraires de l’avocat qui représentera la famille Bennis à l’occasion de l’enquête du coroner sur les causes et circonstances du décès de Mohamed Anas Bennis.

Voilà qui nous donne la triste impression d’assister à la répétition du scénario survenu à l’enquête du coroner sur les causes et circonstances du décès de Fredy Villanueva, alors présidée par le juge Robert Sansfaçon.

On se rappellera que le ministre de la Sécurité publique de l’époque, M. Jacques Dupuis, avait refusé pendant plusieurs mois d’assumer les honoraires d’avocats des deux jeunes qui avaient été blessés par balle au cours de l’intervention policière qui a couté la vie à Fredy Villanueva.

Lors de l’audition de requêtes préliminaires, le 8 avril 2009, un des représentants de la Ligue des droits et libertés avait d’ailleurs proposé au coroner Sansfaçon de se prononcer sur la question, en l’invitant à recommander que les familles des victimes soient représentées par des avocats payés par l’État.

Le coroner Sansfaçon avait alors répondu qu’il s’abstiendrait de faire tout commentaire, en notant que le législateur ne lui avait confié aucun pouvoir à cet égard.

C’est ainsi qu’à l’ouverture de l’enquête du coroner Sansfaçon, le 25 mai 2009, cette épineuse question n’avait toujours pas été réglée, de sorte que neuf des quinze parties intéressées, incluant la famille Villanueva et les deux jeunes blessés, avaient renoncés à participer à l’enquête.

Puis, au commencement de la seconde journée d’audition, le coroner Sansfaçon a fait fi de la réserve qu’il avait manifesté précédemment et a commenté la situation lors d’une longue allocution, dont il convient ici de citer certains extraits :

Suite à l'examen d'hier, tous ont bien compris que la famille de la personne décédée, et que les deux autres personnes qui ont été blessées à la même occasion, ont renoncé à leur droit d'être reconnu comme personne intéressée, indiquant donc qu'ils ne désiraient plus à ce titre participer comme personne intéressée […]

Lorsque hier, j'ai constaté cette position des parties intéressées, certaines personnes d'ailleurs, avec beaucoup d'acuité, je pense, ont réalisé que je tentais de faire en sorte que ces personnes puissent demeurer personnes intéressées et que effectivement on puisse faire en sorte que des avocats soient fournis pour que leurs droits soient respectés à l'occasion de l'enquête publique, et, comme je l'ai indiqué, cette démarche n'a pas été positive. […]

L'iniquité procédurale se pose avec acuité et on doit y faire face avec responsabilité à partir du moment où l'on met en péril la crédibilité existentielle de la raison d'être même de l'enquête du coroner. Le débalancement fondamental quant à la représentation des intérêts de toutes les personnes impliquées ne peuvent qu'empêcher de faire ressortir une preuve crédible quant à l'analyse de toutes, dans le sens large du terme, les circonstances de cet événement tragique. […]

J'ai trop de respect pour les officiers de justice, pour la fonction de juge que j'exerce depuis 24 ans et pour le rôle dans une société de droit que les avocats ont à jouer pour aider chacun représentant les intérêts par contre de ses clients mais tout en demeurant officier de justice, j'ai donc beaucoup de respect pour le fait qu'à l'occasion d'un témoignage, il y ait réellement un interrogatoire, un contre-interrogatoire et un réinterrogatoire, le cas échéant, qui puisse être pertinent et efficace aux fins de faire ressortir la vérité dans son entièreté. […]

Quant à moi, avec une grande sincérité judiciaire, et personnelle d'ailleurs, il m'apparaît qu'il est dans l'intérêt de la Justice et dans l'intérêt de l'Institution que si le processus pour partie, à savoir le témoignage de tous les témoins, de tous les témoins pertinents à l'événement lui-même du 9 août 2008, soit, les agents de la paix et les jeunes, se tient dans un contexte inéquitable et non crédible, alors un tel exercice ne peut donc se tenir que lorsque sera rétablie la crédibilité de l'essence même de la raison de l'enquête publique du coroner, soit l'équité. […]

Tant et aussi longtemps qu'un moyen juridiquement acceptable ne modulera pas de façon substantielle le débalancement fondamental qui empêche de faire ressortir une preuve crédible et complète permettant alors un examen complet et crédible des circonstances de ce décès, ce qui est l'exercice même, ce qui est de l'essence même de l'exercice de l'enquête publique, je ne permettrai pas que les témoins, ou le volet témoin, des éléments essentiels de l'événement soient présentés. […]

C’est donc par ces paroles éloquentes que le coroner Sansfaçon a annoncé la suspension l’enquête publique sur les causes et circonstances du décès de Fredy Villanueva.

Cette décision a provoquée une onde de choc, dont les effets se sont faits ressentir jusqu’à l’intérieur des murs de l’Assemblée nationale du Québec, provoquant une soudaine volte-face de la part du ministre Dupuis qui s’était montré intransigeant jusqu’alors.

« Si le coroner en venait à la conclusion que ces deux personnes devaient être représentées par avocat, bien sûr, le gouvernement va se plier à la décision du coroner et à la décision du juge Sansfaçon », avait ainsi déclaré le ministre Dupuis en chambre dans l’heure qui a suivie l’annonce de la décision du coroner Sansfaçon.

Il y avait toutefois quelque chose d’ironique dans le fait qu’un membre de la législature déclarait qu’il allait écouter ce que lui dira ce même coroner qui avait déjà indiqué pour sa part, quelques semaines plus tôt, que le législateur ne lui avait confié aucun pouvoir de recommandation au chapitre des honoraires d’avocats…

Durant cette fameuse allocution, le coroner Sansfaçon s’était même questionné tout haut à savoir si la loi ne devait pas être revue ; une suggestion qui est apparemment restée lettre morte.

Deux ans plus tard, nous voici donc confronté à une situation analogue : des avocats payés aux frais des contribuables pour défendre les intérêts des policiers impliqués (les agents Yanick Bernier et Jonathan Roy), leur syndicat (Fraternité) et leur employeur (Ville de Montréal) alors que la famille du défunt ne bénéficie d’aucune aide financière de l’État.

Il est d’autant plus consternant de constater que ceux qui vont bénéficier d’une représentation légale financée à même les fonds publics à l’enquête Anas sont les mêmes qui se sont opposés à la tenue de cette enquête publique.

On se rappellera en effet que la Fraternité, les agents Bernier et Roy, avec l’appui de la Ville, avaient intenté un recours demandant à la Cour supérieure d’annuler l’enquête du coroner sur le décès de M. Anas, sans succès.

À l’instar de la situation survenue au commencement de l’enquête Villanueva, c’est la crédibilité même de l’enquête du coroner sur les causes et circonstances du décès de Mohamed Anas Bennis qui est ici en jeu.

Si le coroner Sansfaçon a vu, à juste titre, que le débalancement au niveau de la représentation des intérêts devenait source d’iniquité procédurale, l’ignominie est certainement encore plus criante dans le cas de l’enquête Anas : après tout, on ne parle plus de refuser d’assumer les honoraires des avocats des survivants, mais bien de ceux de la famille du défunt.

Une famille qui souffre déjà de la perte d’un être cher ne devrait pas avoir à assumer le fardeau financier que représentent les honoraires d’avocats dans le cadre d’une enquête du coroner.

C’est tellement évident que cela devrait aller de soi.



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