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Cultures de la sécurité [une adaptation du Anarchist Cookbook]Anonyme, Lunes, Marzo 21, 2011 - 11:03 Voici un texte adapté de l’anglais, trouvé dans un chouette bouquin édité aux USA par CrimethInc. sous le titre Recipes for disaster — an anarchist cookbook. Un texte adapté parce qu’on l’a lu, des bouts nous ont plu, mais pas tout, alors on l’a pris, malaxé avec nos petites mains pour en faire un truc qui nous convient mieux et que tu lis présentement. La sécurité, c’est pas une notion qui nous plaît. Toujours une sorte de prétexte pour s’aplatir, se soumettre à l’État, à la norme qui circule pour faire de nos vies des chemins lisses, rectilignes, avec de jolis horizons pastels et policiers tout rassurants. Pourtant, on ne va pas le cacher, nous aussi on a peur. On a la rage, mais on a peur. Peur de se faire chopper, des keufs, de la tôle. Et cette peur est paralysante. C’est cette peur qui me retient dans le droit chemin, quand tout le reste en moi m’inspire la sortie de route, la destruction de cet environnement lisse, apprivoisé, prévisible, lisible. Alors quoi, construire les cultures de sécurité qui donnent son titre à cette brochure, c’est construire en groupe, entre complices, une confiance suffisante pour chasser la peur, faire tout notre possible pour que personne ne se fasse attraper. Une culture de la sécurité est une série d’habitudes, de coutumes partagées par une communauté dont les membres peuvent être impliqué·e·s dans des activités illégales, et dont la pratique minimise les risques encourus. Avoir mis en place une telle culture peut éviter aux membres du groupe de réinventer à chaque fois la roue en la matière, et contribue à limiter les sentiments de paranoïa et de panique dans des situations stressantes — ça peut aussi vous éviter d’aller en tôle. La différence entre protocole et culture est qu’une culture devient inconsciente, « instinctive », et bouffe donc au final peu d’énergie ; une fois que le comportement le plus sûr est devenu commun à toustes dans les cercles au sein desquels vous voyagez, vous pouvez passer moins de temps à en souligner le besoin, à souffrir des conséquences de ne pas en disposer, et à vous inquiéter de savoir à quel point vous êtes en danger, sachant que vous faites déjà tout ce que vous pouvez pour être prudent·e. Si vous avez l’habitude de ne pas confier quoi que ce soit de sensible à votre propos, vous pouvez collaborer avec des inconnu·e·s sans vous demander s’illes sont des indics ou non ; si chacun·e est au courant de ce dont il ne faut pas parler au téléphone, vos ennemi·e·s pourront mettre vos lignes sur écoute tant qu’illes voudront, cela ne les mènera nulle part (« Mais les taupes et les indics, vous en faites quoi ? », demandait un agent de CrimethInc., il y a longtemps, lors de sa première grande mobilisation. « Nous les mettrons de corvée de patates. » fut la réponse circonstanciée d’un organisateur expérimenté…). Personne ne devrait être mis au courant d’une information sensible s’ille n’a pas besoin de la connaître, tel est le principe central de toute culture de la sécurité, le point sur lequel on n’insistera jamais trop. Plus les informations compromettantes pour des individu·e·s ou des projets — qu’il sagisse de l’identité d’une personne ayant commis un acte illégal, du lieu d’une réunion privée, ou de plans pour une action future — sont répandues, plus y a de chances pour qu’elles tombent entre de mauvaises mains. Partager de telles informations avec quelqu’un·e qui n’en a pas besoin ne lui rend pas du tout service : ça crée une situation inconfortable où une erreur individuelle peut foutre le souk dans la vie de plusieurs autres personnes. S’ille est interrogé·e, par exemple, ille aura quelque chose à cacher, plutôt que d’être en mesure de clamer « honnêtement » son « innocence ». Ne posez pas de questions, ne (vous la) racontez pas. Ne demandez pas aux autres de partager une info confidentielle dont vous n’avez pas besoin. Ne racontez pas sur tous les toits les actions (illégales) que vous ou d’autres avez réalisées, ni des choses qui vont arriver, ou risquent d’arriver ; ne faites même pas référence au fait qu’une autre personne s’intéresse à de telles activités et voudrait s’y engager. Restez attentif·ve·s quand vous parlez, ne vous laissez pas aller sans y penser à des allusions maladroites, des sous-entendus qui ne disent rien mais laissent tout entendre… Vous pouvez dire non n’importe quand, à n’importe qui, à propos de n’importe quoi. Vous pouvez refuser de répondre à des questions — pas seulement à celles des officiers de police, c’est aussi valable avec les camarades, y compris les plus proches : s’il y a quoi que ce soit que vous trouviez imprudent de partager, gardez-le pour vous. Cela signifie aussi apprendre à accepter que vos complices fassent de même avec vous : s’illes désirent avoir une conversation/réunion entre elleux, s’illes vous demandent de ne pas vous impliquer dans un projet, essayez de leur faire confiance, et de ne pas le prendre trop violemment — illes cherchent sans doute à faire pour le mieux, après tout, ce sont elleux que vous avez choisi·e·s pour camarades. De même, ne vous impliquez pas dans un projet que vous ne sentez pas, ne collaborez pas avec une personne avec qui vous vous sentez mal à l’aise ; quelle que soit la situation, ne cherchez pas à ignorer ce que vous ressentez « instictivement » : si quelque chose tourne mal par la suite, vous risqueriez de le regretter. Il est de votre « responsabilité » de ne laisser personne vous parler de quelque chose qui vous fasse prendre des risques que vous n’êtes pas prêt·e à assumer. Ne balancez pas vos ami·e·s. Si vous êtes capturé·e, ne donnez jamais aucune information susceptible de mettre en danger quelqu’un·e d’autre. Certain·e·s recommandent que chaque participant·e au groupe d’action directe prête serment de manière explicite : ainsi, dans le pire des scénarios envisageables, au moment où la pression peut rendre difficile la distinction entre donner quelques détails peu compromettants et se mettre à table complètement, chacun·e saura exactement quels engagements ille a pris vis-à-vis des autres. Ne facilitez pas la tâche à vos ennemi·e·s, ne les laissez pas deviner trop facilement ce que vous allez faire. Ne soyez pas trop prévisibles dans les méthodes, les cibles, les lieux et les moments de réunion que vous choisirez. Ne soyez pas trop visibles publiquement au sein d’une lutte pour laquelle vous préparez une action directe sérieuse ; peut-être est-il même préférable d’éviter tout association avec les organisations et la campagne « officielles » ; ne laissez pas traîner votre nom sur les listes email et/ou dans les médias. Si vous êtes impliqué·e dans de sérieuses activités clandestines avec quelques camarade, vous pouvez choisir de limiter vos interactions en public, voire de vous éviter complètement les un·e·s les autres. Par ailleurs, il est très facile pour les flics d’avoir la liste des numéros composés depuis votre téléphone, et de l’utiliser pour établir des connexions entre les individu·e·s ; il en va de même pour vos emails. Ne laissez pas de trace : chaque utilisation de votre carte bancaire, chaque coup de fil passé avec un téléphone, etc., laisse une trace de vos mouvements, achats, contacts. Il vaut mieux avoir un alibi, que vous pourrez soutenir, avec des faits vérifiables. Vos poubelles peuvent en apprendre beaucoup sur votre compte — y’a pas que les freaks qui font les poubelles ! Sachez exactement où se trouve chaque document qui pourrait vous incriminer — et détruisez-les dès que possible. Le mieux est encore qu’il y en ait le moins possible dès le départ : apprenez à utiliser votre mémoire. Assurez-vous aussi de ne laisser aucun double « fantôme » de tels documents, imprimé malgré vous sur les surfaces où vous avez écrit, qu’il s’agisse d’un bureau en bois ou de blocs de papier. Gardez aussi en mémoire que chaque utilisation d’un ordinateur laisse des traces, ne croyez pas les geek·e·s qui prétendent le contraire. Ne suggérez en public aucune idée d’action directe que vous pourriez tenter vous-mêmes à un moment ou à un autre. Avant de proposer une action, discutez et préparez-la en détail avec un·e complice, puis réunissez un groupe d’individu·e·s qui pourraient être sérieusement intéressé·e·s — il sera plus prudent de le faire hors de chez vous et en vous assurant de ne pas être écouté·e·s. Ne faites part de votre projet à personne jusqu’à ce que vous pensiez que le temps est venu de le mettre en pratique, pour raccourcir au maximum la période de vulnérabilité pendant laquelle il est dans l’air sans être traduit en action. N’invitez que celleux dont vous êtes quasi-sûr·e qu’illes se joindront à vous — inviter quelqu’un·e qui finalement ne participera pas est une prise de risques inutile, et cela peut devenir doublement problématique si cette personne pense que l’action proposée est stratégiquement ridicule ou « mauvaise » d’un point de vue éthique. N’invitez que des personnes sachant garder des secrets — c’est un point critique, qu’ille décident ou non de se joindre à vous. Développez un code secret pour communiquer en public avec vos camarades. Il est important de trouver une façon de communiquer très discrètement entre complices sur les questions de sécurité et de niveaux de confiance en situation publique, comme par exemple une réunion pour discuter de la possible mise en place d’actions directes. Savoir percevoir les ressentis les un·e·s des autres à propos d’une situation ou d’un·e individu·e, sans que personne ne puisse le remarquer, vous évitera de vous prendre la tête à chercher à les deviner. Cela vous permettra d’agir moins bizarrement lorsqu’il est impossible de prendre vos camarades à part, au cours des évènements, pour partager vos réflexions. Lorsque vous aurez réuni un groupe suffisamment large pour proposer votre plan d’action, vous devriez formuler collectivement, explicitement vos intentions respectives, vos envies de courir des risques, vos niveaux d’engagement ; ainsi, vous gagnerez du temps et vous éviterez des ambiguïtés inutiles. Si vous n’avez auparavant jamais fait partie d’un groupe d’action direct, vous serez surpris·e de constater à quel point ces trucs peuvent se révéler compliqués et alambiqués, même quand chacun·e arrive préparé·e. Développez des méthodes pour prendre acte du niveau de sécurité d’un groupe. Lorsqu’il n’apparaît pas clairement à tout le monde, une procédure rapide qui peut être utilisé en début de réunion est le jeu du « qui répond de qui » : pour chaque personne présente, toustes celleux qui peuvent se porter garant·e·s d’elle lèvent la main. On peut espérer que chaque personne soit connectée à une autre par un maillon de la chaîne ; sinon, chacun·e sait au moins à quoi s’en tenir. Un·e camarade qui comprend l’importance de la sécurité ne se sentira pas insulté·e si personne ne peut répondre d’ellui, et que les autres lui demandent de partir. Le lieu de réunion est un facteur important de sécurité. Vous ne voudrez ni d’un endroit potentiellement surveillé (une résidence privée…), ni d’un lieu où vous pouvez être observé·e·s toustes ensemble (le parc à côté du lieu de l’action du lendemain…), ni d’un endroit d’où l’on peut vous voir entrer et sortir et où quelqu’un·e pourrait entrer inopinément — organisez un guet, verrouillez les portes une fois les discussions entamées, soyez attentive·f·s à tout élément suspect. (Je n’oublierai jamais le moment où je suis sorti d’une réunion à très haut niveau de sécurité, dans le sous-sol d’une université, pour découvrir que pendant que nous étions enfermé·e·s, une foule de militant·e·s de gauche avaient envahi la salle adjacente pour assister à une projection : toustes les organisateurices du black block du lendemain ont alors été obligé·e·s de traverser cette salle dans l’embarras ! Oups !) Un petit groupe peut causer tout en se promenant, tandis qu’un groupe plus conséquent peut se réunir dans un lieu tranquille, en extérieur — partez camper ou en randonnée, si vous avez le temps — ou dans une salle d’un bâtiment public où il est possible de s’isoler (salle d’étude de bibliothèque, salle de classe, etc.). Mieux encore, vous êtes potes avec le patron du café du coin, qui vous laissera son arrière-salle à disposition pour l’après-midi, sans vous poser de question. Sachez à quel point vous pouvez compter sur celleux qui vous entourent, et avec qui vous pourriez mener des activités délicieuses (euh, délictueuses). Posez-vous les questions suivantes : depuis combien de temps les connaissez-vous ? Jusqu’où peut-on retracer leur implication dans la communauté et leurs vies « à l’extérieur » ? Comment se sont passées leurs expériences dans d’autres groupe ? Les ami·e·s d’enfance qui ont toujours une place dans notre vie sont les meilleur·e·s compagnon·ne·s possibles pour la pratique de l’action directe : vous connaissez leurs forces, leurs faiblesses, et la manière dont illes vivent les coups de pressions ; enfin, vous pouvez être sûr·e qu’illes sont bien ce qu’illes disent être. Assurez-vous de ne confier votre sécurité et la sécurité de vos projets qu’à des camarades avec qui vous partagez des priorité, des engagements, et qui n’ont rien à prouver. Sur le long terme, il est nécessaire de construire une communauté faite d’amitiés de longue date, d’habitudes et de pratiques communes, en particulier pour ce qui est de l’action directe ; les groupes affinitaires au sein desquels nous agissons, à Diên-Biên-Phú comme à Paris, ne sont que des éléments de l’élaboration de cette communauté. Ne passez pas votre temps à vous demander si untel est un flic ou non ; ça ne devrait pas avoir d’importance si vos mesures de sécurité sont efficaces. Ne dilapidez pas votre énergie dans des délires paranos, à suspecter toustes celleux que vous rencontrez. Si vous ne laissez pas les informations sensibles sortir du cercle des personnes concernées, si vous ne collaborez qu’avec des camarades sur qui vous pouvez compter, ni les flics ni les indics ne pourront prouver quoi que ce soit contre vous. Dès lors qu’une culture de la sécurité efficace existe, la question de savoir si la flicaille est présente dans votre communauté devient inutile. Vous pouvez dénoncer à la police politique les soi-disant activités subversives d’innocent·e·s citoyen·ne·s. Ainsi, la première aura de quoi s’occuper, et les second·e·s pourront continuer d’être scandalisé·e·s par la violation de leurs « libertés » — qui, sans cela, nous serait réservée. L’important n’est pas de savoir si telle personne travaille avec les flics, mais si elle représente un risque pour votre sécurité ; si vous considérez ne pas pouvoir faire confiance à cette personne (qu’elle manque simplement d’assurance ou qu’elle soit soupçonnée d’être un·e indic), vous ne devriez jamais laisser survenir une situation où la sécurité de toustes dépend d’elle. Apprenez à respecter les exigences en matière de sécurité de chacune des personnes avec qui vous interagissez, et respectez les différences « de style ». Pour collaborer avec d’autres, vous devez vous assurer qu’illes se sentent en confiance avec vous ; évitez de les placer dans une situation inconfortable ; n’oubliez pas qu’illes peuvent comprendre certains dangers mieux que vous (quand bien même leurs exigences de sécurité les empêchent de vous l’expliquer). Quand il s’agit de conspirer en prévision d’une action directe, ne pas tenir compte de la culture de sécurité partagée dans un groupe donné peut réduire à néant non seulement vos possibilités de travailler ensemble sur un projet, mais aussi la possibilité même qu’il soit concrétisé — si par exemple vous exposez, dans un contexte qu’illes jugent peu sûr, un coup que d’autres avaient prévu de tenter, illes peuvent être forcé·e·s d’abandonner leur plan, puisqu’il est désormais possible de les y associer. Demandez aux gens de vous communiquer leurs exigences spécifiques en terme de sécurité, avant de vous mettre à causer d’action directe. Vous pouvez utiliser un arc ou un lance-pierre pour éteindre des lumières difficiles à atteindre, si l’obscurité vous est nécessaire. Merci la nuit ! Faites connaître aux autres vos exigences particulières en matière de sécurité. Si vous tenez compte des attentes des autres, vous devez leur faciliter le respect des vôtres. Au début d’une relation intime, insistez sur le fait que vous devez garder secrets certains pans de votre vie. Cela pourra vous éviter de compliquer des situations déjà suffisamment tendues : vous disputer avec votre amoureux·se au retour d’une opération qui a mal tournée est bien la dernière chose dont vous avez besoin : « Si tu me faisais vraiment confiance, tu me dirais c’qui va pas ! » Ce n’est pas (du tout) une question de confiance entre vous — une info sensible n’est pas une récompense qu’un peut gagner ou mériter. Faites attention aux autres. Faites comprendre à votre entourage les risques que votre présence ou les actions que vous avez prévues impliquent pour elleux, du moins autant que votre culture de sécurité le permet. Informez-les, autant qu’il est possible, des risques que vous-même courrez : par exemple, s’il est possible que vous soyez arrêté·e (s’il existe un mandant d’arrêt contre vous, si vous êtes sans-papier, etc.), si vous pouvez être appelé·e ailleurs par des responsabilités dont vous ne pouvez pas parler, si vous êtes fan de Jean-Jacques Goldman… Soyez conscient·e·s du danger que vous faites — involontairement ou non — courir à d’autres, et de ce que vous comptez faire s’illes viennent à se faire attaquer/arrêter/accuser à causer de vos actes : pourrez-vous, voudrez-vous les soutenir concrètement ? Que signifie répondre « oui » à ces questions ? Et répondre « non » ? (C’est une question de stratégie, pas d’humanisme, hein.) Une fois où Paul F. Maul et Nick F. Adams, agent de CrimethInc., voulurent regagner la partie continentale des États-Unis après quelques temps passés à se planquer en Alaska, illustre bien le truc. Doutant de la bienveillance des douaniers canadiens quant aux grandes quantités de munitions pour fusil d’assaut qu’ils transportent, il les dissimulent à l’intérieur des portes de leur voiture. Juste avant la frontière, ils prennent un auto-stoppeur parfaitement quelconque qui leur semble inoffensif. À la douane, nos deux camarades retiennent leur souffle pendant que leur identités sont vérifiées… puis leurs papiers leurs sont rendus sans incident. Rassurés, ils pensent alors passer la frontière sans accroc, jusqu’au moment où, après avoir contrôlé l’identité de l’auto-stoppeur, des flics armés encerclent le véhicule, tenant ses occupants en joue, et leur ordonnent d’en sortir. Il s’avère alors que l’auto-stoppeur est un activiste écologiste en cavale, sous mandant d’arrêt dans une trentaine de pays ! La voiture est alors fouillée, désossée, et au moment où les panneaux des portes sont démontés, des gerbes de munitions en tombent et se répendent sur la chaussée. S’ensuivent quatre heures d’interrogatoire, avec les flics qui hurlent « Où sont les flingues ? On sait que vous les avez, dis-nous où ils sont ! » sans prêter la moindre attention aux protestations de nos amis : « Il s’agit d’un bête malentendu, nous n’avons pas d’armes, nous sommes des artistes, des graphistes, et ces munitions doivent servir à notre projet de design ; sans déc’, m’sieur l’agent ! » La culture de sécurité est un genre d’étiquette, de pratique commune permettant d’éviter des incompréhensions inutiles et des conflits désastreux. Les questions de sécurité ne doivent pas servir de justification pour dévaloriser ou exclure des gens — ce qui nécessite pas mal de subtilité — et réciproquement, personne ne doit se sentir « en droit » d’être tenu·e au courant de quelque secret que ce soit. Celleux qui transgressent la culture de sécurité de leur communauté ne doivent pas être engueulé·e·s trop durement la première fois : la question n’est pas d’être assez « branché·e », « in », pour être mis·e dans le secret, tout comme être mis·e dans le secret ne te donnera pas « la classe » (ni de beaux cheveux, ni le teint hâlé, ni de bonnes raisons de te la péter). Il s’agit plutôt de définir ce que sont les exigences d’un groupe, et de permettre à d’autres d’en comprendre l’importance ; qui plus est, on entend toujours moins bien les critiques constructives lorsqu’on est mis·e sur la défensive. Pour autant, il faut toujours expliquer immédiatement, à cellui qui merdé, les risques qu’ille fait courir à ses camarades, et les conséquences qu’il y aurait s’ille recommençait : celleux qui ne captent pas ça doivent être tenu·e·s à l’écart des situations sensibles, avec tact, mais efficacement. Dans d’autres lieux, et avec l’aide d’un groupe affinitaire local dans lequel vous pouvez avoir confiance, vous pouvez mener à bien des actions risquées. La police ne pourra alors soupçonner que des camarades « innocent·e·s », qui seront paré·e·s à cette éventualité. La culture de la sécurité n’est pas l’institutionnalisation de la paranoïa, mais plutôt une façon de minimiser les risques pour éviter l’apparition de la paranoïa. Chaque heure passée à vous demander à quel point vous êtes surveillé·e·s est une heure que vous ne passerez pas à limiter le danger posé par cette surveillance ; remettre en cause constamment la validité de vos précautions, douter en permanence de potentiel·le·s camarades, ne peut que vous affaiblir. Une culture de sécurité adéquate doit rendre chacun·e plus confiant·e et détendu·e, et non le contraire. Enfin, il est stupide d’accuser de paranoïa celleux qui tendent à mettre en place, à intégrer des mesures de sécurité plus strictes que les vôtres : vous ne savez pas à quel degré de risques illes s’exposent, ni à quels types d’action illes se préparent… pour la semaine prochaine ou pour dans dix ans. Ne laissez pas prise à la suspicion. Si vous ennemi·e·s ne peuvent apprendre vos secrets, illes se rabattront sur une autre technique : vous monter les un·e·s contre les autres. Des agent·e·s infiltré·e·s peuvent répandre des rumeurs ou lancer des accusations pour faire naître des dissensions, de la défiance et du ressentiment à l’intérieur des collectifs, ou entre eux. Dans des cas extrêmes, illes peuvent, entre autres, falsifier des lettres pour dénigrer des personnes. Les médias bourgeois sont susceptibles d’y apporter leur aide, par exemple en affirmant mensongèrement qu’un·e informateur·ice de la police a infiltré tel collectif, en déformant les positions politiques ou l’histoire d’un groupe ou d’un·e individu·e pour en éloigner de potentiel·le·s allié·e·s, ou en insistant lourdement sur le conflit existant entre deux branches d’un mouvement, jusqu’à ce qu’elles en arrivent à se suspecter mutuellement. Encore une fois, une culture de la sécurité bien pensée favorise un niveau de confiance suffisamment élevé pour ne pas laisser prise à ces provocations, au niveau personnel ; pour ce qui est de vos relations avec les tenant·e·s de tactiques différentes, pour savoir qui sont vos camarades et qui sont vos ennemi·e·s, basez-vous sur ce qui vous lie et ce qui vous sépare, évaluez la qualité de vos rapports, plutôt que de vous en remettre aux comptes-rendus des médias, qu’ils soient officiels, alternatifs, ou parfaitement informels (la rumeur…). Ne vous laissez pas intimider par le bluffe. L’attention de la police, la surveillance, ne signifient pas forcément qu’illes connaissent quoi que ce soit de précis sur vos projets et activités : elles indiquent souvent qu’illes n’en connaissent pas grand-chose, et qu’illes tentent de vous dissuader de continuer. Développez une intuition qui vous dira si votre couverture est réellement décrédibilisée, ou si vos ennemi·e·s essaient seulement de vous faire faire leur travail. Soyez préparé·e·s à la possibilité d’être surveillé·e·s, mais ne confondez pas le fait d’attirer la surveillance avec le fait d’avoir été/d’être efficaces. Même si vous agissez dans le cadre légal, il se peut que vous soyez la cible de l’attention et des persécutions de la police politique, pour peu qu’illes aient l’impression que vous disconvenez à leurs maîtres. D’un côté, tant mieux ; plus illes ont à surveiller, plus ils dispersent leur énergie, et plus il leur est difficile de localiser et neutraliser les éléments subversifs. En même temps, ne vous laissez pas avoir par l’excitation d’être sous surveillance, et ne partez pas du principe que plus les autorités vous prêtent de l’attention, plus vous êtes dangereuxes pour elles — elles ne sont pas si intelligentes que ça. Elles tendent à se préoccuper principalement des organisations résistantes dont les approches ressemblent le plus aux leurs ; tirez-en avantage. Les meilleures tactiques sont celles qui touchent des gens, marquent des points, et poussent au soulèvement sans pour autant être démesurément visibles sur les radars des puissant·e·s… jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour ces dernier·e·s. Dans le meilleur des cas, vos activités seront connues de tous et toutes, sauf des autorités. Une culture de la sécurité implique un code du silence qu’il ne faut pas confondre avec un code du mutisme. Nos courageux exploits anticapitalistes doivent être racontés, d’une façon ou d’une autre, afin que chacun·e sache que la résistance est une possibilité réelle, mise en œuvre concrètement par des personnes faites de chair et d’os ; inciter publiquement à l’insurrection est nécessaire, afin que les futur·e·s révolutionnaires se reconnaissent entre elleux, et que puissent ressurgir les sentiments révolutionnaires profondément enfouis dans les cœurs des masses. Une bonne culture de la sécurité devrait préserver autant de confidentialité qu’il le faut pour que les individu·e·s ne courent pas trop de risques dans leurs activités clandestines, tout en offrant autant de visibilité que possible aux perspectives révolutionnaires. La majeure partie des traditions de sécurité actuelles du milieu activiste provient des vingt dernières années de luttes écologistes et pour les « droits » des « animaux » [1] ; c’est pourquoi, tout en étant parfaitement adaptées à de petits groupes perpétrant des actes illégaux isolés, elles ne sont pas toujours adéquates à des campagnes moins clandestines visant à encourager la désobéissance/l’insurrection généralisées. Dans certains cas, bafouer la loi ouvertement peut avoir du sens, pour provoquer la participation d’une masse de personnes qui, du coup [2], sécuriseront l’opération par leur nombre. Il faut toujours trouver un équilibre entre la nécessité de ne pas se faire détecter par nos ennemi·e·s et celle de rester accessible à des ami·e·s potentiel·le·s. À long terme, la discrétion seule ne peut nous protéger — tôt ou tard illes nous trouveront toustes, et si personne d’autre ne comprend ce que nous faisons et ce que nous voulons, illes pourront nous liquider impunément. Seule la puissance d’un public informé et sympathisant (et, il faut l’espérer, équipé de façon similaire, hé hé) peut nous venir en aide. Il devrait toujours y avoir des points d’entrée dans les communautés au sein desquelles l’action directe est pratiquée, afin que de plus en plus de gens puissent les rejoindre. Celleux qui font des actions vraiment sérieuses doivent les garder pour elleux, évidemment, mais chaque communauté devrait avoir une personne ou deux qui s’occupe de prendre parti (à l’oral) et de transmettre du savoir pour l’action directe, puis d’aider discrètement les novices dignes de confiance à se trouver mutuellement. Dans des situations où il est malvenu de faire du feu, et que vous voulez malgré tout vous débarrasser de quelques papiers gênants, vous pouvez les faire bouillir, puis en faire une grosse boule que vous jetterez dans les toilettes par petits bouts. Lorsque vous organisez une action, vous devriez commencer par définir le niveau de sécurité approprié, et ensuite agir en fonction. Apprendre à jauger les risques inhérents à une activité, une situation données, n’est pas seulement un facteur crucial pour ne pas se retrouver sous les verrous ; ça aide aussi à être conscient·e de ce qui ne pose pas problème, pour ne pas dilapider d’énergie dans des mesures de sécurité inadéquates et pénibles à mettre en œuvre. Gardez en tête qu’une action donnée peut avoir plusieurs aspects, requérant chacun un niveau de sécurité différent ; faites attention à bien les garder distincts. Voici, à titre d’exemple, une échelle de niveaux de sécurité : 1. Seul·e·s celleux qui sont impliqué·e·s directement dans l’action ont vent de son existence. À titre d’exemple, les deux premiers niveaux de sécurité seraient appropriés à la préparation de divers types de sabotages, du graffiti à, euh… en passant par l’incendie d’un concessionnaire automobile. Les troisième et quatrième niveaux conviendraient à la convocation d’une réunion de préparation du black bloc d’une grande manifestation, ou à une nuit d’actions coordonnées, en fonction de la balance choisie entre la prise de risque et le besoin d’une certaine affluence. Le cinquième niveau, quant à lui, serait parfait pour un piratage de concert : tout le monde a ouï-dire que le concert d’Ani DiFranco finira en marche « spontanée » aux flambeaux dans les rues du centre-ville, afin que les gens puissent s’y préparer, mais personne ne sait d’où vient l’idée, pour que personne ne soit ciblé·e en tant qu’organisateur·ice. L’annonce d’une manifestation à vélo, elle, se prêterait à l’utilisation du sixième niveau : un tract est enroulé autour du guidon de tout vélo garé en ville, mais aucune annonce n’est faite aux journaux, histoire que les flics ne soient pas présent·e·s dès le début, lorsque le rassemblement est encore vulnérable. Une manifestation autorisée, une projection de films indépendants, se prêtent au septième niveau, à moins que vous ne soyez paranoïaque au point de vouloir garder secrets les projets publics de votre communauté. Si, pour chacun de vos projets, vous évitez la circulation d’informations sensibles et que vous appliquez les mesures de sécurité appropriées, vous serez en bonne voie d’accomplir ce qu’Abbie Hoffman, vétéran de CrimethInc., a décrit comme le premier devoir du/de la révolutionnaire : ne pas se faire attraper. La nuit est à vous, la nuit est à nous. Que vienne l’obscurité d’où jaillit la lumière. Collectif [1] Cette remarque, spécifique à la réalité étasunienne et également valable pour ce qui est du Royaume-Uni, n’est pas vraiment adéquate au contexte fRançais : même si ces pratiques n’ont pas attendu Euro-Tunnel™ pour traverser la Manche, c’est à bien d’autres cultures de luttes qu’on peut majoritairement imputer les actuelles traditions hexagonales en la matière. (N.d.T.) [2] Oui, c’est fait exprès. (N.d.T.)
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