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Des mots qui tranchent: boycottons les élections!

Anonyme, Domingo, Febrero 27, 2011 - 22:25

Le Drapeau rouge

En politique, la langue des bourgeois est maintenant une langue vieillie, pétrifiée, qui n’a plus de sens, et que de moins en moins de travailleurs et de travailleuses écoutent avec respect et soumission. Le prolétariat a besoin plus que jamais de parler et d’agir par lui-même. Et en l’espèce, aujourd’hui, il est écœuré de voter pour le «parti unique» de la bourgeoisie.

Que ce «parti unique» soit bicéphale ou tricéphale, qu’il se compose d’un gros corps obèse et totalitaire libéralo-conservateur et de deux flancs: un flanc gauche et un flanc droit plus ou moins visible ou discret selon les époques et les circonstances, cela importe tout compte fait assez peu. Ce qui compte vraiment, c’est que les mêmes intérêts (ceux des capitalistes) règnent à la fois au gouvernement et dans l’opposition, si bien que quand la représentation parlementaire change d’une élection à l’autre (et elle doit changer pour que l’édifice tienne), la nature du Parlement, elle, reste la même.

La société bourgeoise actuelle cherche son souffle, cela est évident. Mais une chose est certaine, c’est qu’elle a beaucoup de peine à trouver ce souffle supplémentaire du côté de la démocratie. Son parlementarisme apparaît de plus en plus une œuvre du passé, déconsidéré dans le présent, et dépourvu de toute utilité pour l’avenir.

Les militantes et les militants d’aujourd’hui aspirent à renouveler la participation des pauvres et des exploitéEs à la transformation radicale de la société. C’est ce qu’on appelle la révolution. En boycottant les élections, ils et elles nous disent clairement deux choses. D’abord: qu’il n’y a pas de pauvres ni de travailleurs ou de travailleuses révolutionnaires dans les parlements, et qu’il est inutile de les y chercher. On y retrouve certes des bourgeois, des petits-bourgeois et des labour lieutenants, mais pas de pauvres ni de travailleurs ou travailleuses révolutionnaires.

Cela en soi est significatif. Mais plus significative encore est la deuxième chose qu’ils et elles nous disent, à savoir que les pauvres et les travailleurs et travailleuses révolutionnaires ne cherchent surtout pas à entrer au Parlement! Leur politique va plutôt dans le sens de le détruire et avec lui, de détruire les autres appareils de l’État bourgeois qui sont, considérés dans leur ensemble, les moyens de la domination de classe de la bourgeoisie sur les travailleurs et les travailleuses.

Mais alors, si les pauvres ne cherchent pas spécialement à entrer au Parlement, qui sont ces pléthores de candidats et de candidates qui veulent «renverser» le gouvernement et installer une alternative sur les banquettes de la Chambre des communes? Ceux-là et celles-là s’offrent seulement pour remplacer les bourgeois, les petits-bourgeois et les labour lieutenants qui les ont précédés et que les circonstances mettent maintenant au rancart. C’est une offre de substitution, non pas de transformation, encore moins de révolution.

Le mouvement communiste (dès 1920) a qualifié cela de parlementarisme organique. Il en a fait la critique la plus sévère et l’a rejeté totalement, mais s’est trompé au fil des ans sur la manière de le combattre.

Le parlementarisme organique, c’est la fusion, à travers les parlementaires ouvriers et populaires, de la classe ouvrière et de la démocratie bourgeoise. C’est le Parlement bourgeois qui bouffe, assimile et digère les députés des classes subalternes. C’est la reclassification du prolétariat en simple roue fixée au mécanisme de la société bourgeoise.

Le parlementarisme organique, c’est la liquidation de l’action révolutionnaire. Pas surprenant que tous les opportunistes, tous les sociaux-démocrates réformateurs, sont littéralement obsédés, au Québec et ailleurs au Canada, par l’idée de pénétrer le Parlement et de s’y mouler comme des polymères informes. En vérité, ils ont surtout peur des pauvres, peur de la rue, peur de la justice faite acte, peur du changement. Peur de l’embrasement! Ils et elles feignent d’ignorer que la révolution prolétarienne, à l’instar du feu qui régénère la forêt, peut seule régénérer la démocratie.

Les raisons du boycott

Les militantes et les militants qui font campagne pour le boycott des élections, à l’instar de ceux et celles du Parti communiste révolutionnaire (PCR), ne cachent pas une seule seconde que les options qui seront soumises à l’électorat lors de la prochaine élection fédérale suffiraient à elles seules à justifier le mot d’ordre radical: boycottage prolétarien du cirque électoral!

Le parti unique va reprendre le pouvoir. Grosse surprise! Ses deux ailes, le Parti libéral et le Parti conservateur sont, parmi tous les partis bourgeois d’Occident et du monde impérialiste, au nombre des cinq ou six partis, tout au plus, qui ont construit les liens les plus durables, qui ont assis leur longévité sur l’implantation dans les milieux capitalistes et la défense des intérêts communs à toute la bourgeoisie, parmi les plus solides qu’on puisse trouver à travers tous les parlements bourgeois.

Si chaque monopole a sa réserve, alors au Canada le Parti libéral et le Parti conservateur sont le coffre-fort attitré au monopole politique de la bourgeoisie sur la société canadienne. C’est un coffre-fort que le prolétariat devra faire sauter!

À côté d’eux, les oppositions constituées par le Nouveau parti démocratique et le Bloc québécois, ainsi que les spectres translucides qui tentent désespérément d’être vus dans la cour des grands – le Parti vert canadien et le Parti «communiste» canadien – sont chacun à leur façon des dérivatifs parlementaires confus aux luttes réelles des travailleurs, des travailleuses et des pauvres. Même les plus progressistes parmi eux sont aussi maladivement électoralistes et nuisent à la lutte des masses. Paradoxalement, les succès de ces oppositions (NPD et Bloc québécois) servent de caution au monopole du parti unique et forcent périodiquement la bourgeoisie à se recentrer sur les intérêts politiques communs à sa classe – en tant que classe dominante – plutôt que sur des intérêts de cliques ou de fractions.

Jamais la coloration qu’apporte à la Chambre des communes un parti comme le NPD (et la chose serait identique s’agissant d’un nouveau parti socialiste ou d’une quelconque alliance progressiste ou «citoyenne») ne produit autre chose que ceci: aider la bourgeoisie à assumer ses fonctions et à gouverner, officiellement au nom de toute la société (!), tout en restant confortablement à l’intérieur de sa ligne générale à elle qui est d’assurer les meilleures conditions pour la reproduction du capital.

La réalité d’une chose, y compris la réalité d’une chose déplaisante, est toujours ce qu’elle est objectivement, et rien ne sert de l’embellir au moyen d’artifices ou de chimères spéculatives, surtout si c’est seulement pour modifier l’impression que produit cette réalité plutôt que la réalité elle-même.

En l’occurrence, la réalité du champ électoral canadien, pour sinistre qu’elle soit, ne peut faire illusion. L’illusion viendrait plutôt de la tentation récurrente d’embellir l’impression moche produite par cette réalité.

Que nous dit cette réalité? Que la démocratie, c’est la stabilité, puisque le pouvoir ne change jamais. Que les capitalistes ont toujours le haut du pavé. Que les politiciens parlent tout le temps même s’ils n’ont rien à dire. Que les élections, c’est 36 jours de publicité. Que la démocratie, c’est regarder la télévision et aller voter. Qu’il y a l’apathie et la démocratie. L’apathie, c’est quand les jeunes, les pauvres et les prolétaires gueulent, luttent et manifestent, mais ne vont pas voter; et la démocratie, c’est quand ils et elles vont voter, mais ne gueulent pas, ni ne luttent ni ne manifestent!

Cette réalité sinistre fait de moins en moins illusion. Tous les bourgeois du pays ont été stupéfiés de constater lors de l’élection de l’an 2000 que seulement 61,2% des électeurs et électrices étaient allés voter, le résultat le plus bas depuis le 62,9% de l’élection de 1926. Depuis, cette tendance s’est accentuée (58,8% de participation le 14 octobre 2008). Les politiciens ont commandé des études pour les aider à comprendre ce qui se passait, d’autant plus que la désaffection est constante depuis plusieurs élections.

Mandatés par Élections Canada, les professeurs Jon H. Pammett de l’Université Carleton et Lawrence LeDuc de l’Université de Toronto, aidés du Centre de recherche Décima, ont dit en mars 2003 aux politiciens bourgeois (et à leurs petits amis tout aussi inquiets du Bloc et du NPD): …attention, les électeurs vous coulent entre les doigts comme du sable.

Questionnés par les enquêteurs de Décima sur les raisons de leur abstention, 59,4% des non-votants interrogés ont donné comme raison une attitude négative à l’égard des politiciens, du gouvernement, des candidats, des partis et/ou des chefs de parti; 24,2% ont mentionné l’apathie et l’indifférence; 14,5% l’inutilité de leur participation et 8,6% le manque de compétition. Par ailleurs, seulement 5,0% ont donné comme raison un manque de connaissance ou d’information, 1,2% un problème administratif et 0,5% un système électoral insatisfaisant.

Ces informations statistiques ont commandé chez les politiciens bourgeois de mener bataille pour reconquérir la jeunesse et pour donner l’illusion qu’un renouvellement profond des pratiques politiques est déjà en marche au Canada.

C’est donc dire qu’à la bataille au sein du Parlement entre les partis, entre les différentes ailes de la bourgeoisie, s’en superpose une autre, peut-être plus importante, plus profonde, plus complexe, plus dangereuse, qui s’explique par la tendance historique sous la démocratie bourgeoise à la séparation entre le Parlement et les masses, c.-à-d. le problème pour la bourgeoisie de son isolement politique.

Alors, combattre ou accroître cette tendance?

Quelle attitude doivent adopter les militantes et militants du prolétariat? Nous ne parlons pas ici des partisans du parlementarisme organique qui, c’est bien connu, ont des hauts-le-cœur devant cette situation, tellement cela contrarie leur souhait d’aller au Parlement comme des pucerons dans une moquette. Mais des autres, les militantes et militants sincères, anticapitalistes, qui ont comme horizon la libération des travailleurs, des travailleuses et des autres oppriméEs?

Il apparaît évident dans la façon dont les militants et les militantes du PCR parlent du boycott des élections qu’il y a là l’introduction et le développement d’un élan profond de contestation de la toute-puissance de la bourgeoisie dans la politique du pays.

Ce n’est pas seulement une réponse à l’offre insuffisante des partis existants (du genre… il n’y a pas d’alternative satisfaisante!). Ça, c’est encore rester les deux pieds dans le ciment, bien à l’intérieur des limites convenues du parlementarisme organique.

Le boycott des élections apparaît plutôt comme une cohérence retrouvée dans l’action, une perspective de classe claire et puissante. C’est une volonté nouvelle dans la politique canadienne d’amorcer la marche inexorable des pauvres et des exploitéEs vers le pouvoir populaire et révolutionnaire au pays.

C’est le changement de contenu plutôt que le simple changement de forme. Mais en même temps, c’est aussi le changement des formes de lutte par le renouvellement de leur contenu révolutionnaire!

Le prolétariat n’existe qu’envers et contre ses propres exploiteurs. Boycotter, c’est exister! Boycotter, c’est combattre!

(Adapté d’un article paru dans Le Drapeau rouge nº 49, juin 2004)
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