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Victimes du profilage racial: 14 personnes de couleur tuées par la police de Montréal depuis 1987François Du Canal, Miércoles, Junio 9, 2010 - 15:45
François Du Canal
Mémoire présenté à la Commission des Droits de la Personne et des Droits de la Jeunesse pour sa consultation sur le profilage racial Introduction Depuis 1987, des agents de la police de Montréal ont tué au moins 60 personnes.(1) Sur ce nombre, pas moins de 14 personnes étaient issues des soi-disant « minorités visibles » : 9 Noirs, 4 Latinos et 1 Arabe. Ils s’appelaient Anthony Griffin, José Carlos Garcia, Leslie Presley, Jorge Chavarria-Reyes, Marcellus François, Osmond Seymour Fletcher, Trevor Kelly, Martin Suazo, Rohan Wilson, Omar Albert Thompson, Troy Fesam Hakim, Mohamed Anas Bennis, Quilem Registre et Fredy Villanueva. Certains étaient très jeunes, plusieurs dans la vingtaine, les plus vieux avaient 43 ans. Notre thèse est que les personnes de couleur sont plus à risque que les personnes à la peau blanche d’être victimes de bavures policières. De plus, 8 de ces 14 personnes n’avaient aucune arme au moment de leur mort. Ceci nous pousse à avancer la thèse que pour les policiers, le simple fait qu’une personne soit de couleur la rend plus menaçante, augmentant ainsi le niveau de force utilisé contre elle par les policiers.(2) Ce problème peut s’expliquer par le fait que les policiers ont un trop grand pouvoir discrétionnaire et qu’ils utilisent les règlements municipaux et lois de manière trop souvent arbitraire et discriminatoire. Enfin, les limites des recours existants et l’impunité dont bénéficient les policiers au Québec font que ce problème se perpétue. Nous présenterons d’abord un résumé des quatorze cas, puis notre analyse et enfin des recommandations de changements pour que cessent le profilage racial et les bavures. 1) Anthony Griffin Le 11 novembre 1987, Anthony Griffin, un jeune Jamaïcain âgé de 19 ans, meurt après avoir reçu une balle dans le front, tirée par l’agent Alan Gosset. Arrêté pour un mandat mais non menotté, Griffin a tenté de s’enfuir quand l’agent Gosset l’a fait sortir de l’auto-patrouille dans le stationnement du poste 15 dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce (NDG). Gosset a dégainé son arme, lui a crié de s’arrêter et de se retourner. C’est ce qu’il a fait, mais Gosset lui a tiré une balle en plein front. Griffin n’était pas armé. Alors que le chef de police de l’époque, Roland Bourget, dit qu’il mettrait sa « réputation en jeu qu'il ne s'agissait pas d'un incident à connotation raciste », on apprend que l’agent Gosset avait déjà été impliqué dans un incident raciste en 1981. Il avait en effet été blâmé pour avoir brutalisé et insulté un homme Noir, Daniel Ochtere, le traitant de « nègre ». L’agent Gosset, qui plaida l’accident, a été accusé et acquitté deux fois. (3) 2) José Carlos Garcia Le 7 octobre 1988, José Carlos Garcia, un homme Espagnol âgé de 43 ans, décède après avoir reçu une balle sur les trois tirées par les agents Alain Richard et Pierre Roberge du poste 25. Garcia marchait avec une arme à feu sur la rue Ste-Catherine au centre-ville, au milieu d’une foule. Les policiers disent qu’il a tiré en premier, mais des témoins disent que ce sont eux qui ont fait feu en premier. Un passant, Claude Quilliam, est éraflé à la tête par un ricochet. L’enquête du coroner conclu que le fait que des policiers ouvrent le feu dans une rue pleine de monde est hasardeux pour la sécurité publique. Après une enquête de la SQ et une enquête publique du coroner, les agents impliqués sont blanchis. 3) Leslie Presley Le 9 avril 1990, Leslie Presley, un jeune homme Jamaïcain âgé de 26 ans meurt après avoir reçu six balles sur les huit tirées par trois agents du poste 25, Jean Chatigny, Jean Pellerin et Daniel Rousseau, au bar Thunderdome au centre-ville. Les policiers répondaient à un appel pour une bagarre dans le bar. Ils prétendent que Presley leur a tiré dessus en premier, mais des témoins disent qu’il a juste tiré au plafond quand il a entendu une chanson qu’il aimait et qu’il n’a pas menacé les policiers. Une petite émeute éclata le soir même, des gens brisant les vitres de quelques voitures de police et scandant le nom d’Anthony Griffin. Une cinquantaine d’auto-patrouilles furent dépêchées sur les lieux. Des dizaines de personnes sont amenées au poste de police pour être interrogées. Suite à une enquête de la SQ sur le décès, une enquête du SPCUM sur la bagarre et une enquête publique du coroner, les agents impliqués sont blanchis. 4) Jorge Chavarria-Reyes Le jeudi 22 novembre 1990, Jorge Chavarria-Reyes, un jeune Salvadorien âgé de 22 ans, meurt après avoir reçu une balle au thorax tirée par l’agent Raymond Éric Masse du poste 41 qui était en civil. Chavarria-Reyes venait de voler pour environ 10$ de nourriture (un pain, de la viande et des œufs) au Provi-Soir de la rue Salaberry, dans le quartier Ahuntsic-Cartierville. L’agent Masse l’a poursuivi et l’a abattu. D’après des témoins, l’agent tenait le couteau dans ses mains peu avant le coup de feu, puis qu’il dit à ses collègues d’aller le récupérer. L’agent Masse dit que c’est son insigne qu’il a échappé à ce moment et que Chavarria-Reyes lui a foncé dessus. Après une enquête de la SQ et une enquête publique du coroner, l’agent Masse est blanchi. 5) Marcellus François Le 3 juillet 1991, Marcellus François, un jeune Haïtien âgé de 24 ans, meurt après avoir reçu une balle en plein front d’un fusil M-16 tirée par Michel Tremblay, chef d’équipe d’intervention « SWAT », au centre-ville. La police reconnaît ensuite qu’il y avait erreur sur la personne. Ils recherchaient un suspect de tentative de meurtre, Kirt Haywood. L’agent Tremblay prétend qu’il avait senti sa vie menacée quand François aurait fait un mouvement brusque, se penchant pour prendre un objet qui ressemblait à un fusil. Mais François n’était pas armé (aucune arme n’a été trouvée dans son auto) et il était petit, récemment rasé avec des cheveux courts, alors que les suspects du 1er juillet mesuraient plus de six pieds, l’un avec une barbe et l’autre avec de longs cheveux. Après une enquête de la SQ, l’agent Tremblay est blanchi. 6) Osmond Seymour Fletcher Le jeudi 14 novembre 1991, Osmond Seymour Fletcher, un jeune homme Jamaïcain âgé de 26 ans meurt après avoir reçu une balle en pleine tête de son propre revolver, suite à une altercation avec un agent dont le nom est inconnu du poste 24, dans le quartier Petite-Bourgogne. Fletcher fuyait des agents qui voulaient l’arrêter pour un mandat d’arrestation. D’après les policiers, Fletcher se serait lui-même tiré une balle dans la tête sans qu’ils ne puissent l’en empêcher. Mais ses proches affirment qu’il n’était pas suicidaire et qu’il était gaucher, alors qu’il se serait tiré avec la main droite. 7) Trevor Kelly Le vendredi 1er janvier 1993, Trevor Kelly, un homme Jamaïcain âgé de 43 ans, meurt après avoir reçu une balle dans le dos tirée de côté par l’agent Richard Massé du poste 31, à Côte-des-Neiges (CDN). L’agent Massé faisait visiter un immeuble « chaud » à son jeune collègue Sylvain Benoît à l’occasion du jour de l’an. Ils parlent à Kelly et à son voisin durant une demi-heure. Ensuite, dans la rue, ils tentent d’arrêter Kelly qui les aurait menacés de mort. Massé lui tire dessus sous prétexte qu’il était armé d’un couteau à patate. La communauté noire dénonce le harcèlement que constituent ces soi-disant « visites de courtoisie » et se questionne sur le fait que Kelly ait reçu une balle dans le dos. Après une enquête de la SQ, les agents impliqués sont blanchis. 8) Martin Suazo Le 31 mai 1995, Martin Omar Suazo, un jeune Péruvien âgé de 23 ans, meurt après avoir reçu une balle dans la tête tirée par l’agent Michel Garneau du poste 33 sur la rue St-Laurent, au centre-ville. Il avait été arrêté pour avoir volé du linge à l’étalage. Il était menotté, à genoux et entouré par une douzaine d’agents quand il s’est fait abattre. L’agent Garneau, comme l’avait fait Gosset avant lui, dit que le coup de feu est parti tout seul et qu’il s’agit d’un accident. Son partenaire était l’agent Dominic Chartier, qui avait lui-même tué d’une balle Yvon Lafrance en 1989. Les témoins disent que Suazo était calme, ne résistait pas et s’apprêtait à se coucher au sol quand il a reçu la balle. L’agent Garnier a été blâmé par la déontologie d’une mauvaise utilisation de son arme à feu et le lieutenant Pablo Palacios a été accusé au criminel d’entrave à la justice pour avoir camouflé des faits. Mais après une enquête de la SQ et une enquête publique du coroner, l’agent Garneau est blanchi. 9) Rohan Wilson Le 21 février 2004, Rohan Wilson, un jeune homme Noir âgé de 28 ans, meurt après s’être fait arrêter par six agents du poste 11, sur la rue St-Jacques à NDG. Il venait de débarquer de l’auto conduite par sa femme pour marcher quelques coins de rues jusqu’à chez lui. Les policiers disent qu’ils ont reçu un appel pour un homme qui marchait à contresens au milieu de la rue. Ils prétendent que Wilson serait tombé par terre et se serait lui-même frappé la tête par terre alors que les policiers tentaient de le maîtriser. La coroner Line Duchesne adopte cette version comme explication de la mort de Wilson. Un témoin a vu six policiers « épingler » Wilson, qui était en parfaite santé, au sol. Il est décédé 2 heures plus tard à l’hôpital. La femme de Wilson et la communauté noire se mobilisent pour demander justice pour Rohan Wilson. On se demande entre autres comment six policiers n’ont pas pu empêcher un homme de se frapper la tête par terre. Après une enquête de la SQ, les policiers impliqués sont blanchis. 10 et 11) Omar Albert Thompson et Troy Fesam Hakim Le 10 novembre 2004, Omar Albert Thompson, un jeune homme Noir âgé de 27 ans, et Troy Fesam Hakim, un homme originaire de Guyane et âgé de 31 ans, meurent après une poursuite policière à Roxboro. Des agents de la police de Montréal avaient tenté de les intercepter parce que leur auto aurait fait « un écart ». L’auto de Thompson et Hakim est sortie de la route, a frappé un poteau puis trois voitures dans un stationnement. La mère de Thompson, Madge Bennett, a dit que son fils s’était déjà fait harceler sans raison par des agents de la police de Montréal. De son côté, la sœur de Hakim a déclaré que son frère se plaignait souvent de s’être fait arrêter en voiture sans raison : « Il avait peur de conduire. Il disait que chaque fois qu’il conduisait, (la police) l’arrêtait à cause de la couleur de sa peau. » Le lendemain, le porte-parole de la SQ Gilles Mitchell dit qu’il n’y avait pas vraiment eu de poursuite et qu’il n’y a pas eu de collision entre la voiture de police et la voiture des victimes. Après une enquête de la SQ, les agents impliqués sont blanchis.(4) 12) Mohamed Anas Bennis Le 1er décembre 2005, Mohamed Anas Bennis, un jeune d’origine marocaine âgé de 25 ans, meurt après avoir reçu deux balles au thorax tirées par l’agent Yannick Bernier sur la rue Kent dans le quartier CDN. L’agent Bernier prétend que Bennis l’aurait attaqué avec un couteau sans aucune raison. De son côté, la famille Bennis doute de cette version et demande d’avoir accès aux preuves. Or, depuis le début, la police et le gouvernement font tout pour empêcher la famille d’avoir des réponses à leurs questions. Jusqu’à ce jour, la Fraternité des Policiers et Policières de Montréal (FPPM), appuyée par l’avocat de la Ville de Montréal Me Pierre-Yves Boisvert, a déposé une requête en Cour Supérieure pour faire annuler l’enquête publique du coroner sur la mort de Bennis. C’est d’autant plus choquant que le maire de Montréal Gérald Tremblay a déclaré en avril 2010 qu’il souhaitait que « toute la lumière soit faite dans les plus brefs délais » sur cette affaire! Notons aussi que le soi-disant couteau que Bennis aurait utilisé pour attaquer l’agent Bernier a été ramassé sur les lieux par un collègue de ce dernier et qu’il n’a jamais été analysé pour des empruntes. De plus, Bennis, qui rentrait chez lui après la prière matinale à la mosquée, portait une djellaba et la barbe, ce qui laisse croire que sa mort est liée au profilage racial et plus spécifiquement à l'islamophobie. Surtout que la SQ menait une perquisition soi-disant liée au « terrorisme international » mais aucunement liée à Bennis (mis à part le fait que la descente était chez des personnes magrébines). Le père de Bennis, Mohamed Bennis, a lui-même demandé si ce n'était pas un « délit de faciès » qui a mené à la mort de son fils. Après une enquête menée par le Service de Police de la Ville de Québec (SPVQ), parce que la SQ était présente sur les lieux, les agents Bernier et Jonathan Roy ont été blanchis.(5) 13) Quilem Registre Le 14 octobre 2007, Quilem Registre, un homme Noir âgé de 39 ans, est arrêté brutalement par les agents Yannick Bordeleau et Steve Thibert. L’agent Bordeleau lui administre pas moins de 6 décharges électriques de Taser en 53 secondes. Les agents l’avaient arrêté parce qu’il avait brûlé un stop en voiture dans le quartier St-Michel. Registre meurt à l’hôpital quatre jours plus tard, le 18 octobre. Les agents impliqués disent que Quilem était agressif et qu’il a tenté de fuir. Ils n’ont respecté à peu près aucune des procédures du SPVM ou du Ministère de la Sécurité Publique du Québec sur l’usage du Taser : Bordeleau le portait à sa ceinture alors qu’il aurait dû être dans un coffret, ils n’ont pas fait de plan d’intervention, ils n’ont pas prévenu Urgence-Santé, ils ont utilisé plusieurs décharges, etc. Après une enquête de la SQ, les agents impliqués sont blanchis. Ils devront par contre répondre de leurs gestes devant le Comité de Déontologie Policière à partir du mois d’octobre 2010.(6) 14) Fredy Villanueva Le 9 août 2008, Fredy Villanueva, un jeune Hondurien âgé de 18 ans, meurt après avoir reçu trois balles sur les quatre tirées par l’agent Jean-Loup Lapointe dans un stationnement à Montréal-Nord. Deux autres jeunes, tous deux aussi de couleur, sont aussi atteints par balles : l’un à l’épaule et l’autre dans le dos. La police affirme au début que les agents ont été attaqués et encerclés par une vingtaine de personnes. Lors de l’enquête publique du coroner, l’agent Lapointe parle plutôt de quelques jeunes qui auraient avancé vers lui alors qu’il tentait de maîtriser l’un d’eux au sol. Il prétend que Villanueva aurait tenté de l’étrangler et de lui prendre son arme. Les autres témoins disent que personne n’a touché au policier avant que celui-ci n’ouvre le feu sur les jeunes. De plus, l’agent Lapointe était connu par les jeunes du quartier comme étant un « emmerdeur », « baveux », raciste et anti-jeunes. Avant même la tenue de l’enquête publique du coroner (qui est en cours), suite à l’enquête de la SQ, l’agent Lapointe et sa partenaire Stéphanie Pilotte sont blanchis.(7) Une personne de couleur est-elle considérée comme armée pour les policiers? On devrait retenir de ces cas que les personnes de couleur courent plus de risque d’être victimes de bavures policières que les personnes à la peau blanche. En effet, si sur les 60 cas recensés par le COBP on compte 14 personnes de couleur, cela représente une proportion de 23%, soit près d’un cas sur quatre. Or, le recensement de 2006 indique qu’il y avait alors une proportion de 16,5% de membres des « minorités visibles » à Montréal.(8) On pourrait donc dire que les personnes de couleur risquent 1,5 fois plus que les personnes Blanches d’être victimes de bavures policières. Mais le problème est encore plus grave que les statistiques ne le montrent. En effet, sur les 60 personnes qui ont perdu la vie lors d’opérations de la police de Montréal depuis Griffin en 1987, il n’y en a que 4 qui ont été abattues par balle alors qu’elles n’étaient aucunement armées (même aux dires des policiers). Ils s’appelaient Anthony Griffin, Marcellus François, Martin Suazo et Fredy Villanueva. Aucun d’entre eux n’était blanc de peau. C’est donc de dire que pour ces personnes, les policiers ont utilisé leur arme de service alors qu’ils faisaient face à des individus non armés. Pour Griffin et Suazo, les policiers ont allégué que le coup était parti tout seul et qu’il s’agissait d’une erreur. Quant à François, il y avait une grossière et fatale « erreur sur la personne », malgré les différences majeures de physique. Enfin, pour Villanueva, on sait que la version policière est fortement contestée par les autres témoins. On pourrait expliquer ce fait étonnant que pour les policiers, le simple fait qu’une personne n’a pas la peau blanche équivaut à un niveau de menace plus élevé et donc à un niveau de force plus élevé (et trop souvent fatale) utilisée par les policiers. Ajoutons à cela le fait que Rohan Wilson n’était aucunement armé quand il a été fatalement arrêté par six policiers. Et notons aussi que dans la plupart des cas, il faut douter de la version policière. Ainsi, l’histoire du couteau qui n’a jamais été analysé dans l’affaire Bennis ou encore le « suicide » mystérieux de Fletcher. Enfin, on peut s’interroger sur le risque que pose une personne armée d’un couteau face à des policiers armés, surtout quand les victimes tentent de fuir (par exemple dans l’affaire Chavarria-Reyes). Du profilage racial à la bavure policière De leur côté, Thompson et Hakim n’étaient pas non plus armés quand ils ont été pris en chasse par des agents de la police de Montréal. Dans leur cas, il semble clair que leurs expériences négatives passées avec la police, telles que rapportées par chacune de leurs familles, explique pourquoi ils ont tenté de fuir les policiers au péril de leur vie. C’est aussi ce qui peut expliquer que Griffin ait lui aussi tenté de prendre la fuite avant d’être abattu par Gosset, de même que Registre avant d’être tasé à mort. Ce harcèlement des communautés racisées et en particulier de la communauté Noire, qui va du profilage racial au racisme policier, est visible dans plusieurs des cas étudiés ici et ce n’est pas un hasard. L’incident raciste de l’agent Gosset en 1981, la « visite de courtoisie » chez Kelly, le harcèlement raciste dénoncé par les familles de Thompson et Hakim, le fait que l’agent Lapointe était reconnu dans le quartier comme harcelant les jeunes de couleur… Le profilage racial est au cœur du problème présenté ici des personnes de couleur tuées par la police. En effet, ces tragédies ont souvent débuté pour des affaires relativement banales : un mandat d’arrestation, une tentative de fuite, un petit vol dans un dépanneur ou un magasin de vêtements, une infraction mineure au Code de la Sécurité Routière, un jeu de dés… Comment est-ce que de tels incidents se sont-ils finis en drames avec perte de vie humaine? Le problème tient en partie dans le trop grand pouvoir discrétionnaire des policiers, qui l’utilisent de manière discriminatoire en ciblant plus les personnes de couleur, les pauvres, les marginaux, etc. De plus, la multitude de règlements municipaux désuets et absurdes (tels que le flânage, l’interdiction de marcher sur le gazon, de blasphémer ou de jouer à des jeux de hasard et d’argent dans les parcs publics) offre autant de munitions que les policiers peuvent utiliser pour cibler les personnes qui sont identifiées comme « indésirables » par certains secteurs du public et par les autorités. C’est ainsi que la lutte contre les soi-disant « incivilités » a entraîné des pratiques discriminatoires contre les jeunes et les pauvres dans les lieux publics, dont les personnes de couleur qui sont plus à risque de subir des contrôles et d’être arrêtés que les autres. Il ne faut pas oublier que la lutte contre ces mêmes « incivilités » entraîne des abus, qui vont parfois jusqu’à la mort, et nourrit une méfiance entre les personnes de couleur et les policiers. Cette méfiance mutuelle est au cœur du problème dont il est question ici : d’un côté, les policiers ont peur des personnes de couleur, donc ils sont plus violents avec eux, et de l’autre les personnes de couleur ne font pas confiance à la police, ce qui fait que leurs réactions (plus souvent qu’autrement la fuite, voire l’autodéfense) entraînent encore une réponse violente de la part des policiers. C’est ainsi que les quatorze personnes de couleur tuées par la police de Montréal depuis 1987 sont devenues des victimes du profilage racial, de la même façon que Jean-Pierre Lizotte et Michel Morin sont devenues des victimes du profilage social. En effet, Lizotte et Morin sont deux sans-abris qui sont morts après avoir eu affaire à des policiers, le premier en 1999 et le second en 2002, tous deux au centre-ville de Montréal. Ceci est arrivé dans un contexte de lutte aux « incivilités » et en particulier de « nettoyage social » au centre-ville, soit une véritable chasse aux pauvres, aux sans-abris et aux marginaux menée par la police à coups de contraventions discriminatoires et de violence. Ainsi, ce n’est pas un hasard si ces quatorze bavures policières ont eu lieu dans des quartiers populaires et majoritairement immigrants, où le profilage racial est littéralement le travail des policiers et où les cas d’abus policiers sont légion : NDG, CDN, la Petite-Bourgogne, St-Michel, Montréal-Nord… ou encore au centre-ville. On pourrait aussi citer de nombreux autres cas d’abus policiers et de profilage racial, mais ceux-ci sont déjà relativement connus. Citons simplement le fait que les deux amis de Fredy Villanueva qui ont également été atteints par les balles de l’agent Lapointe étaient eux aussi des personnes de couleur. Il en est de même pour Daniel Topey, un jeune mulâtre qui a été atteint par balle à la tête par un agent du SWAT en avril 2007 à CDN. Bref, les quatorze cas étudiés ici ne sont pas des exceptions, ils sont plutôt la pointe de l’iceberg qui montre le fossé entre les policiers et les jeunes de couleur. Le manque de recours et l’impunité perpétuent le problème des abus policiers Finalement, le manque de recours face aux abus policiers et l’impunité dont ceux-ci bénéficient au Québec font que ces injustices se perpétuent. Sur les 60 personnes qui ont perdu la vie depuis 1987 aux mains de la police de Montréal, des accusations n’ont été portées contre des policiers impliqués que dans 4 cas (Griffin, McKinnon, Barnabé et Lizotte). Les policiers impliqués dans la mort de Griffin (Alan Gosset) et Lizotte (Giovanni Stante) ont été acquittés. Il n’y a eu des condamnations que dans les cas McKinnon et Barnabé, et les policiers impliqués dans le tabassage mortel de Barnabé ont été réintégrés dans la police. Le cas de l’agent Michel Chartier représente de manière exemplaire le problème de l’impunité qui perpétue les abus policiers. Comme nous l’avons mentionné, l’agent Chartier a tué Yvon Lafrance d’un coup de feu le 3 janvier 1989. L’enquêteur de la SQ Gaëtan Rivest a par la suite dénoncé publiquement le fait qu’il avait trafiqué l’enquête sur la mort de Lafrance pour faire blanchir l’agent Chartier. Chartier était également présent quand son partenaire, Michel Garneau, a abattu Martin Suazo d’une balle dans la tête. Mais, pire encore, il a ensuite été nommé moniteur de tir pour le SPVM! Comment s’étonner ensuite que des policiers continuent de tuer des gens impunément? Pas plus tard que cette semaine, nous apprenions que l’un des agents impliqués dans la mort de Mohamed Anas Bennis, Jonathan Roy, avait été blâmé par la déontologie policière pour avoir intimidé, brutalisé et arrêté illégalement un jeune Noir en 2008 à CDN.(9) Une raison de plus de croire que le profilage racial a joué un rôle dans la mort de Bennis. Et pour dire que l’impunité dont bénéficient les policiers les pousse à continuer à abuser de leur autorité. D’Anthony Griffin à Fredy Villanueva, qu’est-ce qui a changé? En 1987, un policier déjà blâmé pour un incident violent et raciste tue par balle un jeune Noir non armé. En 2008, un policier connu pour harceler les jeunes à Montréal-Nord tue par balle un jeune Latino non armé. Sommes toutes, rien n’a changé. Conclusion : Il faut arrêter l’impunité pour arrêter les abus policiers Si l’on veut mettre fin au profilage racial et aux abus policiers, il faut mettre fin à l’impunité dont bénéficient les policiers au Québec. Cela implique de changer la politique ministérielle qui permet à des policiers d’enquêter sur leurs collègues. Cela implique aussi de modifier la déontologie policière pour qu’elle nous protège mieux contre les policiers abusifs, au lieu de nous référer en conciliation ou de blanchir des policiers impliqués dans des morts d’homme. Il faudrait également que la Ville de Montréal cesse de protéger les policiers en entravant le travail de la Commission des Droits de la Personne et des Droits de la Jeunesse et en entravant les enquêtes publiques du coroner sur les personnes tuées par la police (Berniquez, Bennis). Sans cela, le profilage racial continuera de faire des ravages, minant les relations entre les personnes de couleur et la police et entraînant des morts innocentes. Notes : [ EDIT (Mic à titre de validation au CMAQ)
Pour plus d'informations: site internet du Collectif Opposé à la Brutalité Policière (COBP)
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