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L'impuissance et la faillite des Etats...

Anonyme, Jueves, Febrero 4, 2010 - 01:49

Un sympathisant du CCI

L'impuissance et la faillite des Etats (réponse au livre de Michel Aglietta)

Depuis l’été 2007 et l’éclatement de la bulle des prêts hypothécaires nommés subprimes, la crise économique ne cesse de s’aggraver. Pourtant, la bourgeoisie tente de réagir. Elle a multiplié des réunions au sommet (les fameux G7, G8, G20) et a mobilisé tous ses docteurs et autres prix Nobel en économie pour tenter de trouver une solution, relancer la machine et renouer avec la croissance. La preuve en est les étalages des librairies, qui regorgent de livres expliquant tous les causes de cette crise brutale et proposant autant de remèdes.

Nous avons choisi de répondre à l’un d’entre eux : la Crise – Pourquoi en est-on arrivé là ? Comment en sortir ?, de Michel Aglietta. Ce livre est le fruit d’un travail sérieux, reconnu, et a reçu le prix de l’Excellence économique. Il illustre parfaitement les solutions proposées par la fraction la plus intelligente de la bourgeoisie, mais aussi ses espérances et, surtout, ses… illusions !

Pourquoi en est-on arrivé là ?

Dans son ouvrage, Michel Aglietta analyse en premier lieu, et très longuement, les mécanismes financiers et monétaires qui ont conduit selon lui au crash financier et aux défaillances bancaires de l’été 2007. Cette partie de son analyse est sans aucun doute la plus pertinente.

D’après lui, après l’éclatement de la bulle Internet en 2001, “l’Amérique s’est lancée dans une politique expansive pour soutenir la conjoncture (…). On a assisté à la dette des entreprises et à la dette des ménages.” Effectivement, pour soutenir à tout prix la demande, et donc la croissance, pour éviter une grave récession, les autorités américaines ont laissé le marché du crédit se déréguler, enfler sans aucun contrôle. Elles l’y ont même encouragé !

Et cette folie a gagné tous les rouages : “tout le monde profitait du système. Et chacun, banquiers, régulateurs, investisseurs, acteurs politiques, habité par l’idéologie de l’efficience du marché (...), ne voyait qu’avantage dans cette fuite en avant des coûts du crédit, dissémination des risques, diversifications des patrimoines, rentabilités accrues des actifs.”

Cette “fuite en avant” dans l’endettement généralisé, qui ne reposait pas sur un développement réel de la production, devait nécessairement mal finir. L’insolvabilité croissante de tous les “acteurs” (en particulier des ménages américains) ne pouvait avoir pour seule issue que la faillite !

Après cette description juste et détaillée, Michel Aglietta énumère avec lucidité comment cette crise financière s’est transmise à “l’économie réelle” et a entraîné des faillites à la chaîne, les fermetures d’usines, le chômage massif… bref, tout ce que la classe ouvrière ne connaît que trop bien.

Jusqu’ici nous pouvons donc suivre avec sérénité l’analyse de ce brillant économiste bourgeois, jusqu’ici… mais pas plus loin ! Car pas un seul instant, il ne se demande :

– quelles sont les causes réelles de cette crise généralisée de l’endettement ?

– pourquoi le système financier et toutes les institutions politiques (les États, les Banques centrales, le FMI…) ont-elles été touchées par cette folle “fuite en avant” ?

– et, surtout, la crise financière est-elle la cause ou le symptôme d’une crise plus profonde encore ?

Du coup, en ne se posant pas les bonnes questions, la compréhension de cet éminent spécialiste s’arrête à la surface des choses. Son analyse demeure superficielle. Il ne voit pas (ou ne veut pas voir) que la folle “fuite en avant” de tout le système économique mondial, que le crédit facile, fou et dérégulé, que tout ça est non la cause mais l’effet. Il ne voit pas (ou ne veut pas voir) que le capitalisme est atteint d’une maladie mortelle, que son économie est touchée par le poison de la surproduction. Il ne voit pas (ou ne veut pas voir) que la seule “solution” temporaire pour le capital d’éviter la paralysie, c’est justement de soutenir artificiellement la demande, de permettre aux marchandises d’être achetées… à crédit. Enfin, Michel Aglietta ne voit pas (ou ne veut pas voir) que cette crise de surproduction touche le capitalisme non pas depuis 2007, ni même depuis 2001, mais depuis des décennies. C’est pour cela que depuis tant de temps, l’endettement mondial ne fait que croître et que les récessions et les crashs financiers se succèdent les un aux autres, en étant de plus en plus graves.

Comment en sortir ?

Cette vision à courte vue qui empêche un économiste bourgeois de voir la vérité en face quand il se demande “Pourquoi en est-on arrivé là ?” se transforme tout bonnement en cécité totale quand arrive la question fatidique “Comment en sortir ?”.

Dans un premier temps, cet analyste chevronné répète les mêmes “solutions” ridicules que nous avons tous déjà entendu mille fois. Face à la crise, “Il est important (…) de mettre en place les régulations qui permettront d’amortir ces convulsions cycliques… Pour ce faire, il faut d’abord mieux maîtriser le levier de l’endettement au sein du système bancaire lui-même. Il s’agit d’exercer un contrôle plus vigilant sur l’accroissement du volume du crédit”. La liste des propositions de régulation contraignantes continue à s’égrener à longueur de pages. Et comme certains des chefs d’État (en particulier N. Sarkozy) l’ont déjà dit de façon théâtrale à la tribune du G20, Michel Aglietta va jusqu’à affirmer : “Le plus important est néanmoins d’obtenir une normalisation des places offshore.” Il faut réformer la finance, l’empêcher de devenir folle ! Tout cela n’est évidemment que du vent.

Après ces propositions flamboyantes et moralisatrices (et surtout creuses), Michel Aglietta lance SA solution centrale et originale : “Il faut donc que les pouvoirs publics agissent de manière coordonnée pour que la récession ne se transforme pas en dépression… mais cela ne suffira pas, parce que le canal des banques qui transmettent normalement les impulsions de la banque centrale est paralysé.… En outre, les entreprises et les ménages ne vont pas relancer leur endettement pour dépenser plus. C’est pourquoi une augmentation coordonnée des dépenses budgétaires est indispensable. Il s’agit que la dette publique remplace la dette privée pour que le désendettement privé n’aspire toute l’économie vers le fond. Dans tous les cas de figures, on échappera donc pas à une contraction de la dette privée et, en contrepartie, à une augmentation très importante mais légitime et nécessaire de la dette publique.”

Alors là, Michel Aglietta peut-être fier, bravo ! Les gouvernements de tous les grands pays ont déjà suivi, sans le savoir, les recommandations “originales” du professeur Aglietta. Bon, c’est vrai, il y a quelques petites différences : il y a de moins en moins de coordination et de plus en plus de guerre économique. Plus la situation est grave et moins les pays capitalistes sont enclins à se donner la main car, voilà, ils sont tous en concurrence. Mais en dehors de ce “détail”, dans des circonstances d’une extrême gravité, d’une crise d’insolvabilité généralisée, seuls les États ont pu effectivement éviter l’effondrement général de l’économie. Comment ? En creusant les déficits publics d’un coté et en faisant marcher la planche à billet (autrement dit, en créant de la monnaie) de l’autre et, ce, au-delà de tout ce qui a existé dans l’histoire !

A elle seule, en novembre 2009, la dette publique américaine a atteint 12 000 milliards de dollars (Romandie news, 19.11.2009). Pour cette même année, la zone Euro, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont injecté à eux seuls 14 000 milliards de dollars, soit 25 % du PIB mondial (Contre-info, 21 novembre 2009). Pour Michel Aglietta : “Quand les ménages cessent de dépenser et qu’il n’est plus possible de compter sur l’extérieur, parce que les pays émergents sont à leurs tours frappés par la crise, il n’y a plus que l’État qui puisse dépenser.” Et quand l’État dépense voici ce que cela donne ! La dette prévue pour 2011 sera, dans le meilleur des cas, de 105 % du PIB en Grande-Bretagne, 125 % aux États-Unis, 125 % dans l’UE et 270 % au Japon (Ambrose Evans Pritchard, “Le Télégraphe”, 18 novembre 2009 sur Contre-info). Michel Aglietta a raison sur ce point : les États soutiennent l’économie en la plaçant sous perfusion permanente. Voilà pourquoi l’économie mondiale, la croissance et le système financier ne se sont pas littéralement effondrés depuis 2007. Monsieur le Professeur pourra se vanter auprès de ses étudiants de Nanterre du fait que ses prescriptions ont été suivies par tous les gouvernements ! Enfin, il devrait se dépêcher de le faire car son “remède” va bientôt s’avérer pire que le mal. Car il y a maintenant, au point où nous en sommes, une nouvelle question à se poser : qui va bien pouvoir se porter dans les mois et les années qui viennent au chevet de ces États surendettés et en situation de banqueroute ?

Qui viendra au secours des États en faillite ?

Michel Aglietta lui-même ne peut pas esquiver cette question tant il est évident que les États vont aujourd’hui droit dans le mur. Ils ne pourront pas bien longtemps encore soutenir l’économie en creusant les déficits.

Conscient du “petit” problème, notre économiste tente de rassurer son monde en proposant là encore ses “solutions”. Il défend ainsi l’idée que l’État va soutenir la croissance suffisamment longtemps pour que le privé et, notamment, les banques et les particuliers, puissent se désendetter en grande partie. Toujours d’après lui, le crédit privé devrait alors redémarrer et prendre le relais des États pour soutenir la croissance (1). Mais surtout, il prévoit que le centre de gravité économique et financier mondial va se déplacer de l’Occident vers les pays émergents de l’Orient. “Pour financer ces opérations de soutien massif au système financier, garantie des prêts interbancaires et recapitalisations des banques, les États vont recourir à la dette publique. Ils émettront des titres qui seront achetés par les investisseurs du monde : pays asiatiques, producteurs de pétrole.” Voici de retour la fable, la chimère du Quand la Chine s’éveillera… Comment, sérieusement, la Chine ou l’Inde pourraient empêcher la cessation de paiement des États de l’Occident et en premier lieu celui du plus puissant du monde, les États-Unis ? Où ces États pourraient-ils trouver de telles capacités financières alors que, par exemple, les exportations chinoises ont diminué de 25 % en un an ? En réalité, la crise actuelle est une crise mondiale et aucun pays n’y échappe. En Chine, bulles spéculatives et surproduction généralisée sont bel et bien elles aussi à l’œuvre.

Arrivé enfin dans son livre au moment de répondre à la question vitale écrite sur sa couverture, “Comment en sortir ?”, Aglietta ne peut donc répondre que par une vue de l’esprit qui n’a aucun fondement dans la réalité actuelle, comme le fait n’importe quel éco­nomiste bourgeois.

Nous pouvons alors, bien entendu, nous poser une question toute simple. Comment se fait-il que Michel Aglietta soit aussi performant pour nous expliquer les arcanes du monde financier et aussi irréaliste lorsqu’il s’agit de proposer des moyens permettant au capitalisme d’échapper à la dépression ? En fait, pas plus lui que l’ensemble de la bourgeoisie ne savent “Comment sortir de la crise ?”. Pour empêcher l’économie capitaliste de s’enfoncer trop rapidement dans la dépression, la bourgeoisie n’a pas d’autre choix que de continuer à créer et à injecter de la monnaie et à creuser les déficits publics et budgétaires, comme si elle jetait de l’argent dans un puits sans fond. Les conséquences inévitables et déjà visibles de cette politique sont la marche en avant des États vers des situations de cessation de paiement. Certes, un État capitaliste ne se déclare pas en faillite en mettant la clef sous la porte, comme le font les entreprises. Une situation de “faillite” d’un État signifie concrètement de nouveaux “sacrifices”, de nouvelles attaques et une brutale dégradation des conditions de vie pour la classe ouvrière. Tous les États, face à leur déficit abyssal, vont devoir :

– développer une très forte pression fiscale (augmenter les impôts) ;

– diminuer encore plus drastiquement leurs dépenses en supprimant par dizaines ou centaines de milliers les postes de fonctionnaires, en réduisant de façon draconienne les allocations retraites, les indemnités chômages, les aides familiales et sociales, les remboursements de soins, etc. ;

– laisser filer la valeur de la monnaie par une hausse de l’inflation qu’ils ne sont pas du tout sûrs de contrôler ! Tel est d’ailleurs le sens de la politique économique actuelle menée aux États-Unis et en Angleterre. Celle-ci s’est soldée pour le moment par une perte de 20 % de la valeur du dollar par rapport à l’euro et à une baisse continuelle de la livre sterling. Concrètement, pour les ouvriers, le retour à terme de l’inflation va signifier une hausse considérable des prix sans évidemment que leurs salaires ne suivent ! (2)

Il ne s’agit pas là d’une fiction mais d’une réalité qui commence à naître dès aujourd’hui sous nos yeux. Fin 2008, début 2009, l’Islande, la Bulgarie, la Lituanie et l’Estonie étaient estampillées “État en faillite”. Fin novembre-début décembre, la liste s’est encore allongée. “Dubaï, la faillite en ligne d’émir” et “La Grèce est au bord de la faillite” titrait ainsi Libération, respectivement les 27 novembre et 9 décembre. Pour l’instant, chacun de ces pays a été secouru (par d’autres États ou le FMI…). Mais que se passera-t-il quand des pays plus importants, pesant “plus lourd” dans la balance économique, vont à leur tour sombrer. Qui pourra les renflouer ? Personne ! Dans ces pays, l’économie ne sera évidemment pas paralysée mais les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière subiront une terrible détérioration encore plus dramatique. Déjà, l’Espagne et le Portugal donne des signes importants de faiblesse.

En mars 2009, le Crédit suisse avait établi la liste des dix pays les plus menacés par la faillite, en comparant l’importance des déficits et la richesse de la nation (le PIB). Pour l’instant, cette sorte de “Top 10” a “tapé dans le mille” puisqu’il était constitué, dans l’ordre, de l’Islande, la Bulgarie, la Lituanie, l’Estonie, la Grèce… l’Espagne, la Lettonie, la Roumanie… la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, l’Irlande et la Hongrie.

La Grande-Bretagne et les États-Unis sont effectivement eux aussi mal en point, mais l’éventuelle forte dégradation de leur économie va signifier aussi une énorme accélération de la crise à l’échelle planétaire.

Lorsque Monsieur Aglietta en appelle à l’État pour sauver l’économie, il fait comme toute la bourgeoisie. C’est une traversée à bord du Titanic qui nous est proposée ! Aucun État au monde ne peut empêcher à terme l’économie mondiale de continuer de s’enfoncer dans la plus profonde dépression de l’histoire du capitalisme.

Tino - Courant Communiste International

1) Eh oui… après nous avoir expliqué que la cause de la récession actuelle était la folle “fuite en avant” vers le tout-crédit, Michel Aglietta propose comme “remède” de nouveaux crédits… étatiques dans un premier temps, privés dans un second temps ! Et comment cela ne mènerait pas cette fois encore l’économie mondiale dans la même impasse, cela Monsieur Aglietta ne nous l’explique pas !

2) Il n’est pas non plus à exclure que, malgré tous les efforts de États pour éviter cette éventualité catastrophique, si le crédit privé et la demande ne repartaient pas un minimum, la déflation puisse s’installer durablement

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