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Le témoignage de Stéphanie Pilotte et la question de la place des femmes dans la policelacrap, Miércoles, Diciembre 30, 2009 - 06:49 Le témoignage de l’agente Stéphanie Pilotte à l’enquête publique sur la mort de Fredy Villanueva jette de nouveaux doutes sur la version disculpatoire de son partenaire de patrouille Jean-Loup Lapointe. Deux policiers, deux manières de vivre le même événement : l’un dit avoir eu peur pour sa vie, l’autre non. Il suffit de se rappeler du cas de Manon Cadotte pour réaliser que non seulement les policiers ne sont-ils pas eux-mêmes à l’abri des contradictions, mais qu’en plus la solidarité policiers a aussi ses limites… Plus l’enquête publique sur la mort de Fredy Villanueva progresse, plus elle nous fournit des preuves convaincantes de sa pertinence et de son utilité pour comprendre le déroulement de la tragique intervention policière du 9 août 2008, survenue dans un stationnement d’un secteur défavorisé de l’arrondissement de Montréal-Nord. Dans un premier temps, ce sont les témoignages des enquêteurs de la Sûreté du Québec, entendus à la fin du mois d’octobre, qui nous ont confirmés que les agents Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilotte n’avaient jamais été « encerclés, jetés au sol et étranglés » par les jeunes hommes qu’ils ont interpellés sous prétexte d’une partie de dés illégale, contredisant ainsi la première version officielle mise en circulation par le Service de police de la ville de Montréal. Puis, en décembre, le témoignage de l’agente Stéphanie Pilotte jetait un nouvel éclairage sur l’intervention policière qui coûta la vie à Fredy Villanueva. Durant son témoignage, la policière a déclaré n’avoir vu « en aucun temps » Fredy « toucher » à son partenaire de patrouille Jean-Loup Lapointe. (1) Autrement dit, la policière a déclaré n’avoir vu aucun des prétendus gestes d’agression qui auraient été posés à l’endroit de Jean-Loup Lapointe dans les secondes précédé les coups de feu fatidiques, gestes que l’agent Lapointe a invoqué pour justifier le recours à une force mortelle. En fait, la seule chose que l’agente Pilotte a mentionné à cet effet, c’est avoir aperçu, pendant « une fraction de seconde », Fredy Villanueva « avec un bras tendu dirigé vers le sol et la main ouverte en demi-lune (pouce et doigts, comme pour étrangler quelqu'un) ». (2) Toutefois, cette situation ne semblait pas avoir inquiétée outre-mesure la policière, loin de là. En effet, c’est à peine si les mouvements de bras et de mains de Fredy l’ont distraite dans la tâche qui l’occupait à ce moment-là, c’est-à-dire de maîtriser les jambes de Dany Villanueva, le frère aîné de Fredy, qui donnait des coups de pieds dans le vide pendant que l’agent Lapointe agrippait ce dernier par le cou. Le témoignage de l’agente Pilotte ne peut faire autrement que d’alimenter les doutes concernant la soi-disant agression dont l’agent Lapointe prétend avoir été victime dans le stationnement de Montréal-Nord. Déjà, en octobre, des doutes étaient apparus lorsque les photos de l’agent Lapointe, prises par un policier de la SQ dans la nuit du 9 au 10 août 2008, ont été exhibées à l’enquête publique. Si l’agent Lapointe avait été frappé à la mâchoire et à la tête et « pris à la gorge » comme il le déclarait dans son rapport, alors comment expliquer que le seul « souvenir » qu’il conservait de l’altercation était une banale ecchymose au coude ? Or, non seulement cette prétendue agression n’a-t-elle laissée pratiquement aucune trace physique visible sur le corps de Lapointe, mais en plus, on sait maintenant que l’agente Stéphanie Pilotte n’a rien vu de cette soi-disant attaque, alors que celle-ci se trouvait pourtant à environ un mètre de distance de son partenaire au moment des faits ! Le témoignage de l’agente Stéphanie Pilotte nous a également apprit qu’elle n'avait jamais eu peur pour sa vie durant l'altercation, contrairement à son partenaire Jean-Loup Lapointe qui parle de son sentiment d'insécurité du début à la fin de son rapport, sentiment survenu avant même qu’il ne se soit retrouvé au sol pour maîtriser Dany Villanueva. « Pour moi, je ne me sentais pas en danger. Mon principal danger qui s’attaquait à moi c’était Dany Villanueva et je n’ai pas craint pour ma vie à ce moment », a-t-elle déclarée durant son témoignage. (3) Ainsi, l’agente Pilotte n’a jamais craint pour sa vie alors que Jean-Loup Lapointe prétend qu’il a eu la peur de sa vie. Tant et si bien qu’elle n’a jamais dégainé son arme, ni même songé à le faire à aucun moment durant l’intervention, ce qui tranche catégoriquement avec son collègue, qui a décidé de faire feu à quatre reprises sur des jeunes non-armés. En déclarant qu’elle n’a jamais sentie sa vie menacée, l’agente Pilotte se trouvait en quelque sorte à contredire son partenaire Jean-Loup Lapointe, qui avait écrit dans son rapport : « Ma vie et celle de ma partenaire sont en danger immédiat. » (Ainsi, non seulement Jean-Loup Lapointe affirme-t-il avoir eu peur pour lui, mais il prétend également avoir eu peur pour elle. Bref, l’agente Pilotte n’a pas eu besoin d’avoir peur puisque son partenaire de patrouille avait peur pour deux, semble-t-il !) L’ironie de la situation mérite d’être soulignée. Des policiers impliqués, le plus effrayé des deux et celui qui semble avoir éprouvé davantage de difficulté à garder le contrôle de ses émotions, c’est le policier masculin et non la jeune policière, décrite par certains comme étant une femme « frêle », « menue et délicate ». (4) Voilà qui devrait clouer le bec, ou à tout le moins faire réfléchir sérieusement les partisans des méthodes musclées qui cherchent à utiliser l’affaire Villanueva à titre de prétexte pour remettre en question la place des femmes dans la police. À écouter parler ces adeptes de la suprématie masculine qui ne jurent que par la force physique, seuls les policiers battis comme des armoires à glace devraient être dépêchés dans les secteurs désignés comme « quartiers chauds ». La volonté d’instrumentaliser le gabarit de l’agente Pilotte pour en faire un enjeu durant l’enquête publique sur la mort de Fredy Villanueva est apparue limpide lorsque l’avocat de Jean-Loup Lapointe, Me Pierre Dupras, a tenu à faire dire à la policière quel était son poids et sa taille durant son contre-interrogatoire. Pour l’agente Pilotte cependant, là n’est pas la question : « Peu importe si j'avais mesuré six pieds et pesé 200 livres, ça s'est passé très, très vite. Ce n'est pas la force qui m'a manqué, c'est le temps ». (5) Et pour cause : seulement treize petites secondes se sont écoulées entre le moment où l’agent Lapointe a communiqué une demande de renforts (en omettant néanmoins d’indiquer sa position…), alors qu’il s’activait à faire une clé de bras à Dany Villanueva sur le capot de son véhicule, et le moment où Stéphanie Pilotte a demandé l’envoi d’ambulances pour les trois jeunes blessés touchés par les balles tirées par son partenaire de patrouille. (6) De toute évidence, Jean-Loup Lapointe a été vite, incroyablement vite même, sur la gâchette. Bien entendu, certains diront que les enregistrements des communications radio diffusés à l’enquête publique nous ont fait entendre une policière sous le choc, qui avait du mal à donner une information aussi simple que d’énoncer sa position à la répartitrice. Cependant, il ne faut pas oublier que ces communications ont eut lieues après les coups de feu tirés par Jean-Loup Lapointe. Jusqu’à présent, rien n’indique que les émotions ont prit le dessus sur l’agente Stéphanie Pilotte avant que son partenaire de patrouille ne commette l’irréparable. Des préjugés tenaces Quand on se donne la peine de s’informer sur le sujet, on s’aperçoit rapidement que les femmes policières ne sont pas aussi dépourvues de moyens que certains voudraient bien nous le faire croire. En fait, les études et les témoignages provenant du milieu policier confirment que les femmes policières n’ont rien à envier à leurs collègues masculins, bien au contraire. Par ailleurs, en contradiction avec certaines idées reçues, l’arrivée massive de femmes au sein des effectifs policiers s’explique bien davantage par leur capacité à répondre aux attentes de leur employeur plutôt qu’à un souci de rectitude politique. Jacques Duchesneau, directeur du Service de police de la communauté urbaine de Montréal (SPCUM) de 1994 à 1998, fait parti de ceux qui sont d’avis que le courage n’a pas de sexe. « Je peux vous dire que j'ai vu des mâles s'embarrer dans des chars parce qu'ils avaient peur », expliquait-il lors d’un entretien avec La Presse un mois après le drame de Montréal-Nord. « J'ai vu des petits bouts de femmes avec tellement de guts qu'elles faisaient pâlir les autres. » (7) L'agent Alain Gelly, de Lévis, formateur au Campus Notre-Dame-de-Foy, abondait dans le même sens lors d’un entretien avec Le Soleil. « J'ai vu des gars bâtis comme un frigidaire de 26 pieds cubes et ce sont ces mêmes gars qui sont demeurés dans l'auto-patrouille en situation d'urgence. Au contraire, j'ai vu des filles convaincre des plus grands hommes qu'elles de les suivre sans avoir à les menotter. Il y a aussi une question d'attitude à adopter », raconta-t-il. (8) Pour sa part, la criminologue Line Beauchesne résumait ainsi les résultats de six études publiées durant les années 1980 et 1990 portant sur le travail des policières : « Une bonne partie de ces études ont évalué la capacité des femmes à faire face à des citoyens violents ou en colère pour vérifier qu'elles ne paniquaient pas, qu'elles n’appelaient pas inutilement à l'aide d'autres patrouilleurs, qu'elles conservaient la situation bien en main. Les résultats de ces études indiquent que les policières furent aussi performantes que leurs collègues masculins et, dans plusieurs études, furent jugées plus aptes à désamorcer les situations explosives. » (9) Parfois, la simple présence de femmes policières peut avoir pour effet de diminuer les tensions. « Bien des gens sont moins agressifs quand ils voient une femme arriver, racontait Manon Viger, première femme cheffe de police au Québec, dans la petite ville de Richmond, en Estrie. Des fois, les filles ont tendance à se dire: "Ça a brassé ce soir, heureusement qu'un homme était là.'' Mais dans le fond, peut-être que si on avait été seule, ça n'aurait pas brassé finalement. » (10) Quant à lui, Pierre Brien, inspecteur-chef à la police de Laval, affirmait : « Quand un individu voit arriver des policiers, il peut même redoubler d'agressivité et avoir pour seule envie de se battre avec eux pour redorer son blason. Face à des femmes, les gens se comportent souvent autrement. Par la parole, face à un homme dépressif ou ivre, les policières savent désamorcer bon nombre de crises ». (11) Plusieurs sont d’ailleurs d’avis que les femmes policières sont généralement moins portées à privilégier le recours à la force que bon nombre de leurs collègues masculins. « C'est sûr qu'avant de saisir la face du suspect, je vais prendre d'autres moyens. Je vais sortir mon crayon et lui dire: "Si ça continue, ça va te coûter 300 $.'' En général, ça marche! », expliquait encore Manon Viger. Durant son témoignage à l’enquête publique sur la mort de Fredy Villanueva, l'agente Stéphanie Pilotte a elle-même évoquée son penchant en faveur de l’approche verbale, appelée verbalisation. « C'est une technique que j'emploie tout le temps. C'est ma façon de calmer les gens », déclarait-elle. (12) Cependant, ce n’était pas l’agente Pilotte qui était aux commandes durant l’intervention policière fatale du 9 août 2008 mais bien son partenaire Jean-Loup Lapointe, qui comptait plus d’années d’expérience qu’elle. Si l’agente Pilotte avait patrouillée en compagnie de sa partenaire habituelle, une jeune policière, comme elle, du nom de Virginie Bolduc, il y a alors fort à parier que les choses se seraient déroulées autrement. Il est même probable que la tragédie aurait pu être évitée. Les femmes policières auraient-elles plus le tour pour éviter les escalades qui mènent à des situations de violence ? « J'ai travaillé avec des gars oui, mais plus souvent avec des filles et je me suis jamais battue, expliquait Julie Bérubé, patrouilleuse au PDQ 47. Je sais pas si on a un sixième sens ou quoi. On a peut-être une meilleure facilité de communiquer. Souvent, là, ça va faire désamorcer la situation, étant donné qu'on sait pertinemment que j'ai pas la capacité physique d'un gars ». (13) Pour Brien de la police lavalloise, il s’agit davantage d’une question de technique que de force physique. « Quand la situation dégénère, elles sont tout autant capables que les hommes de mettre à exécution les techniques de maîtrise de leurs opposants. Il s'agit en fait de cibler des points de pression qui sauront mettre l'autre hors de combat, en visant juste, comme au sternum », pense-t-il. Les avis demeurent toutefois partagés sur la question de savoir si la féminisation des effectifs policiers a eu pour effet de rendre la police moins brutale. Ainsi, certains estiment que beaucoup de femmes policières ont simplement copié les attitudes questionnables de leurs collègues masculins. C’est du moins ce qu’affirmait Roland Bourget, directeur du SPCUM entre 1985 et 1989, lors d’un entretien avec La Presse en 1994. « Dans le temps, je voulais embaucher des femmes dans la police de la CUM. Je pensais qu'elles apporteraient un aspect moins macho dans les rapports avec la population. Mais je me suis aperçu que les femmes se moulent aussi à leur milieu de travail. Dans certains postes de police, elles étaient aussi mal engueulées que les hommes. Pour moi, les policières sont des policiers », déclarait Bourget. (14) Chose certaine, si l’on se fit aux cas de brutalité policière les plus médiatisés, il est plutôt rare que des femmes policières se retrouvent sur la sellette. Rare, mais pas impossible. L’un des cas venant à l’esprit est l’affaire Michel Berniquez. À l’époque, une dame avait dénoncée aux médias des gestes de brutalité qui auraient été commis par une policière durant l’arrestation musclée de Michel Berniquez, 45 ans, à Montréal-Nord, le 28 juin 2003. Cette dame avait en effet déclaré avoir vu une policière frapper la tête de Berniquez contre le trottoir de ciment pendant que quatre autres policiers le maintenait au sol, à plat ventre, en le tenant par les bras et les jambes. Lorsque les ambulanciers sont arrivés sur les lieux, ils ont constaté que Berniquez avait subi un arrêt cardiorespiratoire. Son décès a ensuite été constaté peu après à l’hôpital. (15) Le Commissaire à la déontologie policière a cependant décidé de rejeter une plainte pour force excessive dans cette affaire, en juin 2007. (16) Cette décision s’appuyait entre autre sur le rapport d’autopsie, le médecin légiste ayant conclu à l’absence d’impact au niveau de la tête et du front de Berniquez. Quant au témoignage de la dame qui disait avoir vu une policière frapper la tête de Berniquez sur le trottoir, le Commissaire l’a carrément rejeté en écrivant dans sa décision qu’il n’accordait « aucune valeur prépondérante à cette allégation, qui est contredite par tous les autres témoins ». Par ailleurs, le Commissaire en est venu à conclusion que c’est un policier masculin, et non une femme policière, qui s’était « essentiellement occupé à sécuriser la tête de monsieur Berniquez ». Le cas de Manon Cadotte L’affaire Barnabé est l’un des rares cas de mort d’homme aux mains de la police montréalaise pour lequel une femme policière s’est retrouvée au banc des accusés. À l’origine, six policiers avaient été accusés d'avoir commis des voies de fait causant des lésions corporelles et des voies de fait graves sur Richard Barnabé, un chauffeur de taxi dépressif âgé de 39 ans. Les policiers s’étaient mis à plusieurs pour tenter de « maîtriser » Barnabé alors qu’il était détenu dans une cellule d’un poste de police situé dans le quartier Saint-Michel, dans la nuit du 14 décembre 1993. C’est à ce moment-là que Barnabé a été victime d'un arrêt cardiorespiratoire d’une vingtaine de minutes qui lui a causé des dommages irréversibles au cerveau, le plongeant dans un état neuro-végétatif. À son arrivé à l’hôpital, les médecins ont constaté que Barnabé avait subi plusieurs fractures au visage, en plus d’avoir les côtes cassées, le bras droit disloqué ainsi que de multiples lésions aux genoux et sur d'autres parties du corps. Sur les six accusés, on retrouvait une femme policière, soit l’agente Manon Cadotte, âgée de 24 ans au moment des faits. Quant aux autres policiers accusés, il s’agissait d’André Lapointe, Michel Vadeboncoeur, Louis Samson, Pierre Bergeron et Karl Anderson. Normalement, la convention collective prévoyait que l’employeur, en l’occurrence la CUM, assume les frais de représentation juridique de ses employés lorsqu’ils sont poursuivis en raison d’actes commis dans l’exercice de leurs fonctions. Toutefois, la CUM a refusé en faisant valoir que les six policiers accusés avaient commis une « faute lourde », qui est définie comme étant une négligence grossière, une insouciance ou un manquement grave aux directives. Les actes criminels tombent évidemment dans cette catégorie. La décision de la CUM revenait, à toutes fins pratiques, à refiler la facture des honoraires d’avocats au syndicat des six accusés, c’est-à-dire la Fraternité des policiers et des policières de Montréal. Au départ, la Fraternité voulait que les six policiers soient tous défendus par le même avocat, apparemment pour des raisons budgétaires. Le syndicat policier avait alors retenu les services de Me Pierre Dupras. Lui-même un ancien agent de la GRC, Me Dupras avait déjà développé à l’époque une spécialisation dans les causes impliquant des policiers devant le Comité de déontologie policière. Encore aujourd’hui, Me Dupras continue d’être omniprésent dans les affaires mettant en cause les agissements policiers. Mentionnons à ce titre qu’il représente actuellement l’agent Jean-Loup Lapointe dans l’enquête publique sur la mort de Fredy Villanueva tout en défendant les intérêts des policiers impliqués dans les affaires Michel Berniquez et Mohamed Anas Bennis. Or, l’agente Manon Cadotte avait plutôt décidé d’avoir sa propre avocate, Me Sophie Bourque, qui siège aujourd’hui comme juge à la Cour supérieure du Québec. À l’époque, Me Bourque s’était illustrée en donnant une conférence sur le racisme et le sexisme dans les salles de cour lors d’un congrès des juges québécois. (17) La décision de Manon Cadotte avait été plutôt mal accueillie par la Fraternité, qui a refusé de payer les honoraires de son avocate. À partir du moment où l’agente Cadotte s’est présentée avec son avocate au palais de justice, une énorme tension s’est installée entre la jeune policière et les cinq autres policiers masculins. (18) L’agente Cadotte venait de briser la solidarité de groupe, semble-t-il. La Fraternité a cependant elle-même été forcée de réaliser qu’il n’était pas envisageable qu’un seul avocat puisse représenter les six policiers accusés dans cette affaire. En effet, compte tenu que leur degré de participation au niveau des infractions reprochées n’était pas le même pour chacun d’eux, il existait une possibilité d'intérêts divergents entre certains des accusés. Ainsi, à l'enquête préliminaire, un nouvel avocat s’est mit de la partie, soit Me Ronald Picard, un associé de Dupras. Bergeron et Anderson ont été représentés par Me Picard tandis que Me Dupras assumait la défense des accusés Lapointe, Samson et Vadeboncoeur. Puis, quelques semaines avant la tenue du procès devant jury, Me Élise Groulx s'est ajoutée au groupe pour défendre Vadeboncoeur. Vers la même époque, la Fraternité annonçait la création d’un fond spécial pour soutenir les policiers accusés dans l’affaire Barnabé. « Le rôle premier du syndicat est de défendre ses membres et d'éviter qu'ils ne se retrouvent sur la paille à cause de frais judiciaires astronomiques », avait alors déclaré le président de la Fraternité, Yves Prud’homme. (19) Cette solidarité syndicale ne s’étendait toutefois pas à l’agente Cadotte puisque la Fraternité n’est jamais revenue sur sa décision de refuser de payer les honoraires de l’avocate de la jeune policière. Entre-temps, le nombre de policiers accusés est tombé à cinq suite à l’enquête préliminaire lorsque le juge Joël Guberman a refusé de citer à procès l’agent Anderson. C’est aussi suite à l’enquête préliminaire qu’il est devenu clair que l’accusée Cadotte avait décidée de faire bande à part en poursuivant sa propre stratégie juridique. Par exemple, contrairement aux autres avocats des policiers accusés, Me Bourque s’est adressée à la Cour supérieure dans le but de faire casser la décision du juge Guberman de citer sa cliente à procès. (20) Elle a plaidée qu'il y avait une « absence totale de preuve » de la présence de la policière dans le bloc cellulaire au moment où Richard Barnabé a subi son arrêt cardiorespiratoire. L’avocate a de plus affirmée qu'il y avait une « absence totale de preuve » d'une « intention commune » reliant l’agente Cadotte aux autres policiers accusés. Mais le juge Benjamin Greenberg a rejeté la requête de Me Bourque, obligeant ainsi Manon Cadotte à subir son procès devant un jury composé de sept hommes et cinq femmes conjointement avec ses quatre collègues policiers masculins. Me Bourque a menée le procès avec une seule idée en tête : faire l’impossible pour sauver la peau de sa cliente Cadotte, quitte à la dissocier du reste du groupe d’accusés aux yeux du jury. Ainsi, lorsqu’elle a contre-interrogée l’accusé Bergeron, l’avocate s’est donné la peine de souligner qu'il y avait deux équipes chez les avocats de la défense : celle des quatre policiers représentés par trois avocats (Mes Dupras, Picard et Groulx) ; et celle de Manon Cadotte, défendue par Me Bourque avec l’aide de son assistant Martin Vauclair. Elle a ainsi fait dire à Bergeron qu’il avait prit part à plusieurs rencontres avec ses trois autres co-accusés (Lapointe, Vadeboncoeur et Samson) en prévision du procès. Me Bourque a fait ressortir plus particulièrement que ni elle, ni sa cliente Cadotte, n’avaient assistés à ces rencontres. Elle a également fait dire à Bergeron qu’il avait discuté de sa défense avec les trois autres accusés masculins, mais qu’il n’en avait jamais parlé avec l’agente Cadotte. (21) Sur le fond, la défense de l’agente Cadotte ressemblait à s’y méprendre à celle des autres policiers. Durant son témoignage, la policière a déclaré au jury qu’aucune règle n’avait été enfreinte, et qu’aucun acte gratuit ou geste déplacé n’avait été commis à l’égard de Barnabé. (22) À l’instar des femmes policières citées ci-haut, Cadotte a aussi affirmé qu’elle et son partenaire habituel, l’accusé Michel Vadeboncoeur, privilégiaient le dialogue en tant que technique d’intervention. « Moi et Michel nous ne sommes pas gros, nous ne sommes pas grands », a dit la policière. « Nous essayons de dialoguer avec la personne, de parler. Ça prenait bien du temps mais ça marchait ». (23) Bien entendu, encore faut-il avoir la patience de laisser le temps faire son œuvre. « C'est toujours plus long, c'est sûr », a-t-elle reconnue. L’attitude de Cadotte semblait trancher avec celle de l’accusé André Lapointe. Lorsque le procureur de la Couronne, Jean Lortie, lui a demandé pourquoi il n'avait pas choisit de confiner Barnabé à sa cellule jusqu'à ce qu'il retrouve son calme, l’agent Lapointe a répondu ceci : « Attendre qu'il se calme, ça peut être long ». Les témoignages des accusés n’ont pas seulement fait ressortir des différences au niveau des préférences en matière d’intervention ; ils ont également donnés lieu à l’apparition de certaines contradictions entre les versions des policiers impliqués dans l’affaire Barnabé. Les agents Samson et Vadeboncoeur ont ainsi contredit Cadotte quant au moment de son départ de la cellule où Barnabé était détenu. Cadotte a déclaré que sa première visite dans la cellule avait durée « une minute et demie, deux minutes », et que la deuxième n'avait durée qu'une minute. (24) La policière a témoigné qu'elle a quitté la cellule pour de bon dès que Vadeboncoeur a apporté les contentions (des bandes de caoutchouc servant à attacher les jambes). Comme cinq policiers se trouvaient déjà dans la cellule exiguë, il ne restait plus suffisamment d’espace pour permettre à deux personnes de s’installer aux pieds de Barnabé, selon elle. Ainsi, Cadotte affirme qu’elle était absente lorsque Barnabé a commencé d’éprouver des troubles respiratoires. Or, Vadeboncoeur prétend plutôt que Cadotte tenait les chevilles de Barnabé pendant qu'il installait les contentions. Mais la contradiction la plus importante était probablement celle reliée à la décision controversée de procéder à une fouille complète de Barnabé à l’intérieur de la cellule où il était détenu. Durant son témoignage, Samson a affirmé que l’état d’agitation de Barnabé était si élevé lors de son arrivé au poste qu’il avait été impossible de procéder à la fouille usuelle au comptoir d’écrou. Or, le témoignage de Cadotte indiquait au contraire que Barnabé avait bel et bien subi une fouille avant d’être conduit en cellule. La policière a en effet déclaré qu’elle avait placée les effets personnels de Barnabé (un portefeuille, une montre et un trousseau de clés) dans un sac, lequel avait ensuite été déposé sur le comptoir d’écrou. Samson, comme Vadeboncoeur, a nié avoir vu le sac d’effets personnels de Barnabé sur le comptoir. (25) Cette contradiction prend toute son importance lorsqu’on se rappelle que c’est la décision controversée de procéder à une fouille à nu qui a mit Barnabé hors de lui, suscitant ainsi l’intervention musclée avec les conséquences tragiques que l’on connaît. Or, cette décision de déshabiller de force un prévenu aussi récalcitrant que Barnabé ne devenait-elle pas difficile à justifier à partir du moment où il a été établi qu’une fouille avait déjà été effectuée au comptoir ? L’épisode désastreux de la fouille à nu a été d’autant plus crucial sur l’issue du procès que le procureur de la Couronne Jean Lortie y a fait référence au cours du réquisitoire au jury qu’il a prononcé à la fin du procès. Selon Me Lortie, « il n'y avait pas de justification » pour aller de l’avant avec une telle fouille. « En se créant un devoir inexistant, celui de fouiller, ils se sont livrés à l'exercice abusif d'un pouvoir », a-t-il plaidé. (26) D’ailleurs, le représentant de la poursuite n’a pas manqué de brandir devant les jurés le sac des effets personnels que les policiers ont confisqués à Barnabé au comptoir d’écrou. (27) Fait particulier, Me Lortie n'a presque jamais mentionné le nom de Manon Cadotte durant son réquisitoire… (28) Après cinquante-sept jours de procès et huit jours consécutifs de délibérations, le jury a rendu son verdict : les agents Bergeron, Samson, Lapointe et Vadeboncoeur ont tous été trouvés coupables d’avoir infligé des voies de fait causant des lésions corporelles à Richard Barnabé. Quant à la policière Manon Cadotte, elle a été lavée de toutes les accusations qui pesaient contre elle. Les quatre policiers coupables, qui se sont vu infliger des peines allant de deux à trois mois d’emprisonnement, ont évidemment interjeté appel de leur condamnation. Les tensions entre le clan Cadotte-Bourque et les avocats des quatre policiers masculins ont d’ailleurs reprit de plus belle à l’occasion des procédures d’appel. L’un des motifs d’appel donnait l’impression que les avocats des quatre policiers reprochaient à Me Bourque d’avoir contribué aux verdicts de culpabilité rendus par le jury contre leurs clients. Ainsi, l’équipe d’avocats a allégué que Me Bourque avait violé le secret professionnel entourant la défense des quatre policiers lorsqu’elle procéda au contre-interrogatoire de Bergeron, ce qui devrait suffire selon eux à annuler le procès. L’avocate de Manon Cadotte n’a pas du tout digéré de se voir ainsi pointer du doigt. Elle a réagit en faisant parvenir une mise en demeure à chacun des quatre policiers condamnés et leurs avocats, les sommant de se rétracter et de présenter des excuses avant la date d’audition de la requête pour obtenir la permission d'en appeler. (29) Me Bourque a également laissé planer la menace d'une poursuite en dommages-intérêts contre ses collègues et leurs clients pour atteinte à sa réputation. De son côté, la Cour d’appel ne s’est pas montrée particulièrement impressionnée par ce motif d’appel. Dans sa décision, le juge Morris Fish (qui siège aujourd’hui à la Cour suprême du Canada) a noté que les avocats des quatre policiers ne s’étaient pas objecté lors du procès au contre-interrogatoire de Bergeron mené par Me Bourque. (30) Le juge Fish a rejeté l’argument en l’interprétant comme étant une doléance tardive de la part d’avocats chevronnés ayant eu à composer avec une initiative stratégique désobligeante de la part d’une collègue qui a privilégié ses propres intérêts au détriment des intérêts collectif de la défense. Malgré le verdict d’acquittement prononcé à son égard, l’agente Cadotte n’était pas encore tout à fait au bout de ses peines : encore lui fallait-il acquitter les honoraires de son avocate s’élevant à 205 584 $. Devant l’entêtement de son syndicat à délier les cordons de la bourse, Manon Cadotte n’a vu d’autre choix que d’intenter une poursuite au civil contre la Fraternité. Dans sa poursuite, la policière est allé jusqu’à alléguer que la Fraternité et son président, Yves Prud’homme, avaient agit de façon discriminatoire et arbitraire à son égard. (31) La Fraternité s’est alors tournée vers la CUM et le litige a été soumis à un arbitre. Compte tenu de l’acquittement de l’agente Cadotte, la CUM n’était plus en position d’invoquer la « faute lourde », de sorte que l’arbitre a donné raison à la Fraternité et a ordonné à l’employeur de payer l’avocate de la policière. (32) En fin de compte, le cas de Manon Cadotte aura été plus utile à illustrer les limites de la solidarité policière plutôt qu’à faire la preuve que les femmes en uniforme sont elles aussi capables de brutalité policière. Pour Louise Gagnon-Gaudreau, première femme à diriger l’Institut de police à Nicolet, l’agente Cadotte représente « un cas à utiliser absolument dans la formation des jeunes policiers ». Selon elle, la jeune policière aurait contrevenu à la « solidarité inconditionnelle » qui existe au sein des rangs policiers. « Et j'ai beaucoup de misère avec la solidarité malsaine », de dire Gagnon-Gaudreau. (33) Chose certaine, en refusant de prendre l’avocat que voulait lui imposer la Fraternité, l’agente Cadotte a fait preuve d’une certaine indépendance d’esprit, ce qui n’est généralement pas très bien vu dans une sous-culture policière qui prône l’esprit de corps. Le temps dira si Stéphanie Pilotte deviendra la Manon Cadotte de l’affaire Villanueva. Après tout, peut-être l’agente Pilotte a-t-elle déçut plus d’un collègue en refusant de dire qu’elle avait elle aussi sentie que sa vie était menacée lors de l’intervention policière du 9 août 2008... Sources : (1) La Presse Canadienne, « L'agente Pilotte n'a pas, elle, eu peur pour sa vie », Bernard Barbeau, 9 décembre 2009. |
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