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Série : Un an après les émeutes de Montréal-Nord (3ème partie) Un feu mal éteint cache des braises qui couventAnonyme, Lunes, Octubre 12, 2009 - 11:58 (Analyses | Repression)
Alexandre Popovic
En raison de son caractère inédit, l'émeute du 10 août 2008 suscita un vaste remue-méninges de part et d’autres. Des centaines de résidents de Montréal-Nord furent sondés tandis que des acteurs des milieux académiques, communautaires et institutionnels furent mobilisés pour dresser un portrait de la situation et analyser ces débordements afin de raffiner les stratégies de prévention et de détection des signes avant-coureurs d’émeutes. Ce troisième et dernier texte de la série « Un an après les émeutes de Montréal-nord » se veut une synthèse des rapports qui ont été produits au terme de ces diverses réflexions. Le 10 août 2008, le secteur nord-est de l’arrondissement de Montréal-Nord fut le théâtre d’une émeute comme le Québec n’en avait encore jamais vu. En effet, pour la première fois, des policiers furent la cible de projectiles d’arme à feu lors d’une émeute, avec pour résultat qu’une policière fut blessée par balle à la jambe. Le fait que l’émeute éclata dans un secteur résidentiel et s’étira sur près de sept heures durant contribua aussi à donner à cet événement une ampleur exceptionnelle. Les images de l’émeute de Montréal-Nord firent le tour de la planète et attirèrent l’attention des médias sur les problèmes de pauvreté aigus, de harcèlement policier et de profilage racial qui accablent de nombreux résidents du secteur nord-est de l’arrondissement. L’élément déclencheur de l’émeute fut sans contredit la mort de Fredy Villanueva, 18 ans, qui tomba sous les balles d’un agent du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) dans le stationnement de la Maison culturelle et communautaire de Montréal-Nord, sur le boulevard Rolland non loin de la rue Pascal, le 9 août 2008. Fredy Villanueva devenait ainsi la troisième personne à perdre la vie lors d’une intervention policière dans le même secteur de l’arrondissement en l'espace de seulement cinq ans. En effet, avant Fredy, il y a eu la mort de Vianney Charest, 51 ans, abattu d’au moins deux coups de feu par un policier du SPVM dans un motel situé à l'angle des boulevards Henri-Bourassa et Langelier, le 9 juillet 2007. Et avant Vianney, il y a eu le décès de Michel Berniquez, 45 ans, qui mourut d'un arrêt cardiaque suite à une arrestation musclée effectuée par six agents du SPVM à l'intersection des boulevards Henri-Bourassa et Lacordaire, le 28 juin 2003. Malgré la quantité impressionnante d’analyses journalistiques, institutionnelles, citoyennes et autres qui furent consacrées à la situation prévalant à Montréal-Nord depuis l’émeute, la mort de trois hommes aux mains de la police dans un espace/temps aussi rapproché est un fait troublant qui passa totalement inaperçu. Si, contrairement aux deux morts d’hommes précédentes le décès de Fredy Villanueva provoqua une émeute, cela s’explique par la réunion d’une multitude de facteurs propres à soulever l’indignation, soit : - Le fait que Fredy sortait à peine de l’adolescence et avait toute la vie devant lui ; - Le fait que Fredy et ses frères et sœurs étaient bien connus des autres jeunes du quartier ; - Le fait que Fredy n’avait aucun antécédent judiciaire et une réputation sans tache ; - Le fait que Fredy et ses amis jouaient aux dés avant l’arrivée des agents Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilote dans le stationnement de la Maison culturelle et communautaire ; - Le fait que Fredy n’était pas armé, ni aucun des autres jeunes qui se trouvaient avec lui ; - Le fait que deux autres jeunes qui accompagnaient Fredy ont également été blessés par les balles tirées par l’agent Jean-Loup Lapointe ; - Le fait que l’intervention policière aurait pu avoir des conséquences encore plus tragiques puisque de nombreuses personnes, incluant plusieurs jeunes enfants, se trouvaient dans le parc Henri-Bourassa, qui est adjacent au stationnement de la Maison culturelle et communautaire, lorsque l’agent Jean-Loup Lapointe ouvrit le feu sur Fredy et ses amis ; - Le fait que l’agent Jean-Loup Lapointe avait une très mauvaise réputation auprès des jeunes du quartier ; - Le fait que de nombreux jeunes de couleur du quartier qui subissent du profilage racial se soient reconnus dans Fredy. Enfin, si la mort de Fredy Villanueva fut capable de déclencher une émeute d’une envergure peu commune, c’est aussi et surtout parce que cette tragédie représentait une goutte de trop qui fit déborder un vase déjà plein. Toutefois, si les autorités voulaient éviter de nouvelles émeutes à Montréal-Nord, elles devaient s’assurer que le vase ne se remplisse pas à nouveau à ras bords. Mais pour y arriver, les autorités devaient d’abord comprendre ce qui causa un tel remplissage. C’est ainsi que les pouvoirs publics se lancèrent dans une grande opération de cogitation. Montréal-Nord sous l’œil du microscope Le caractère inédit de l’émeute de Montréal-Nord suscita suffisamment d’inquiétudes au SPVM pour qu’une analyse comparative du phénomène émeutier en milieu urbain soit sollicitée auprès du Centre international pour la prévention de la criminalité (CIPC). L’étude du CIPC compara les débordements de Montréal-Nord avec dix autres émeutes qui survinrent dans différentes villes du monde occidental au cours des 30 dernières années et dont le principal dénominateur commun fut d’avoir pour élément déclencheur des interventions policières controversées. Outre celle de Montréal-Nord, le CIPC étudia des émeutes survenues en France (celles des banlieues à l’automne 2005 et de Villiers-le-Bel en 2007), au Royaume-Uni (celles de Brixton en 1981, 1985 et 1995 et de Broadwater Farm en 1985), aux États-Unis (celles du quartier de Mount Pleasant à Washington DC en 1991, de Los Angeles en 1992 et de Cincinnati en 2001) et en Australie (celle de Redfern en 2004). Produite en collaboration avec le Centre international de criminologie comparée de l'Université de Montréal, l’étude fut rédigée par une équipe de criminologues composée de Jean-Paul Brodeur, Massimiliano Mulone, Frédéric Ocqueteau et Valérie Sagant. Les conclusions des criminologues furent débattues avec le SPVM, qui autorisa le CIPC à rendre public l'ensemble des recommandations de l'étude. Selon un communiqué de presse émis par le CIPC, le but de l’analyse consistait à aider le SPVM à « identifier les enseignements utiles à sa réflexion et à son action ». (1) En gros, l’étude chercha à identifier les facteurs exacerbant les tensions entre citoyens et policiers, dans la perspective où l’expérience à l’échelle internationale démontre qu’elles peuvent éventuellement culminer par des émeutes. Parmi ces facteurs, on retrouve le contexte particulier du secteur touché par l’émeute, l’agressivité de certains modes d’intervention policière, les problèmes d’accessibilité aux mécanismes de plaintes contre les abus de pouvoir policiers et le manque de transparence des processus d’enquête mis en place dans les cas de mort d’homme aux mains de la police. Pendant que les criminologues du CIPC étudiaient le phénomène émeutier, les responsables politiques municipaux montréalais invitèrent les milieux communautaires et institutionnels à un vaste remue-méninges visant à poser un diagnostic sur la situation prévalant à Montréal-Nord. « Si cela a explosé, c’est que quelque chose nous a échappée », avoua Brunilda Reyes, directrice des Fourchettes de l’espoir. (2) Une petite armée de bureaucrates, appuyée de quelques intervenants fut donc mobilisée pour se mettre au chevet de cet arrondissement malfamé, un peu comme s’ils avaient affaire à un patient agité en proie à une fièvre intense. Après tout, ne convient-il pas de prendre la température et de tâter le pouls du patient avant de lui prescrire un quelconque traitement ? C’est ainsi que l’administration du maire de Montréal, Gérald Tremblay, lança une série de chantiers de réflexion. « À la suite des événements tragiques survenus à Montréal-Nord à l’été 2008, la Ville de Montréal, à travers ses services corporatifs et l’Arrondissement, a entrepris de regrouper différents acteurs institutionnels, municipaux, scolaires et gouvernementaux dans le cadre d’une démarche appelée : "Montréal-Nord : L’Urgence d’agir ensemble" », peut-on lire dans le rapport final des chantiers. (3) La table de concertation Montréal-Nord en santé reçut le mandat de mettre sur pied sept chantiers portant sur des thèmes précis : la jeunesse, l’emploi, l’habitation, l’aménagement et les équipements collectifs, la sécurité et la prévention, la famille et l’éducation. En cours de route, les organismes communautaires décidèrent de profiter de l’occasion pour veiller à leurs propres intérêts, ce qui donna lieu à la création d’un « huitième chantier » portant sur leur reconnaissance et leur financement. Au total, les chantiers suscitèrent la participation de 120 personnes. La liste des noms de tous les participants aux chantiers se retrouve d’ailleurs dans les dernières pages du rapport final. Notons que chaque participant est affilié à un organisme communautaire, institutionnel ou autre. On retrouve même des officiers du Poste de quartier 39, où travaillait l’agent Jean-Loup Lapointe. Mais ce qui est peut-être le plus frappant, c’est qu’aucun des participants aux chantiers n’est présenté comme un résident de l’arrondissement ou un « simple citoyen ». C’est donc dire que les représentants d’organisme parlèrent au nom des résidents de Montréal-Nord, qui furent exclus de facto des chantiers. C’est d’ailleurs peut-être pour remédier à cette lacune que l’étude produite par l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal (ASSSM), en collaboration avec Montréal-Nord en santé, se donna pour mission de faire connaître « le point de vue citoyen », dans la perspective « d’établir le portrait le plus complet et le plus précis possible de la situation à Montréal-Nord ». (4) Partant du constat selon lequel les acteurs des réseaux communautaires et institutionnels eurent l’opportunité de contribuer directement aux chantiers, les deux auteurs de l’étude, Serge Chevalier et Anouk Lebel, se demandèrent si le point de vue des résidents de Montréal-Nord était « entièrement englobé dans les discours institutionnels et communautaires ». (5) Cependant, tenant compte du fait que les résidents avaient déjà été « largement sollicités tant par les journalistes que par les institutions », les deux chercheurs décidèrent de s’appuyer sur les données déjà disponibles. Ils puisèrent plus particulièrement dans les résultats des consultations menées par l’organisme communautaire « Un itinéraire pour tous », dont les locaux sont justement basés à l’intérieur de la Maison culturelle et communautaire de Montréal-Nord. Dans un premier temps, cet organisme avait prit l’initiative d’organiser un vox pop dans le secteur nord-est de Montréal-Nord, une semaine après l’émeute du 10 août 2008. Une intervenante de l’organisme s’était alors mise à intercepter les passants sur la rue, plus particulièrement aux alentours de l’intersection du boulevard Rolland et de la rue Pascal, identifié comme l’épicentre de l’émeute. Près de 150 personnes acceptèrent de répondre par écrit à une question toute simple : « Qu’est-ce qu’on peut faire pour changer les choses dans le milieu? ». Les chercheurs de l’ASSSM eurent droit à l’ensemble des résultats du vox pop. Ensuite, « Un itinéraire pour tous » organisa des entrevues de groupe (focus group) en collaboration avec des organisations communautaires, scolaires ou religieuses de Montréal-Nord, au cours des mois d’octobre et de novembre 2008. Dans un premier temps, les entrevues se sont tenues dans le secteur nord-est de l’arrondissement. Puis, la consultation fut étendue à d’autres quartiers de Montréal-Nord, principalement dans le secteur sud-ouest, « là où se trouve l’autre poche de pauvreté ». (6) Au total, environ 300 personnes prirent part à 29 groupes de discussion, produisant plus de 50 heures d’entrevues. Les chercheurs de l’ASSSM eurent accès à des résumés de ces entrevues. En addition à ces initiatives, l’Alliance de recherches universités-communautés en économie sociale et le Service aux collectivités de l’UQAM publièrent conjointement un rapport intitulé « Étude sur les besoins et les aspirations des résidants de l'îlot Pelletier », en janvier 2009. L'îlot Pelletier est ce quadrilatère formé par les rues Pelletier, Garon, Amos et le boulevard Henri-Bourassa. Bien que l’îlot Pelletier soit situé dans le secteur ouest de Montréal-Nord, lequel n’a pas été touché par les émeutes d’août 2008, nous nous permettrons néanmoins de citer certains passages de l’étude, et ce, pour deux raisons. Premièrement, puisque l’étude a été finalisée durant les mois qui suivirent l’émeute, elle s’inscrit par la force des choses dans les efforts déployés par les pouvoirs publics afin de mieux apprivoiser les « zones sensibles » de Montréal-Nord. Deuxièmement, l’îlot Pelletier est aussi identifié à la concentration de pauvreté et aux gangs de rue, deux caractéristiques qui alimentent depuis longtemps la mauvaise réputation du secteur nord-est de l’arrondissement. Rappelons en effet que l’avenue Pelletier a acquis une notoriété d’envergure nationale après qu’un groupe de vendeurs de drogue qui avait pignon sur rue devint le premier gang de rue dans les anales judiciaires canadiennes à se voir trouver coupable de gangstérisme. Après le démantèlement du « gang de la rue Pelletier », la Société d'habitation populaire de l'est de Montréal (SHAPEM) et l’organisme communautaire Parole d'ExcluEs rachetèrent les deux immeubles de la rue Pelletier pour en faire des logements abordables. Depuis, un local communautaire a été ouvert, donnant lieu à la mise sur pied d’un Comité citoyen et d’un projet d'échanges de services baptisé l'Accorderie. Ainsi, s’il fallut une émeute pour sortir les élites (politiques, académiques, institutionnelles, communautaires) de leur torpeur à l’égard des conditions de vie sévissant dans le secteur nord-est, ce fut l’ampleur des activités de vente de drogue qui provoqua une prise de conscience relativement à la situation peu enviable des résidents de l’îlot Pelletier. Ce qui nous amène à poser la question suivante : les élites auraient-elles tendance à attendre que les conditions de vie existant dans les zones défavorisées se détériorent au point de donner lieu à l’apparition de phénomènes criminels violents pour trouver un intérêt à prêter attention au sort des laissés-pour-compte ? Les sources d’insécurité La place prépondérante qu’occupe le thème de la sécurité dans toutes les études sur Montréal-Nord qui ont été produites après l’émeute du 10 août 2008 n’étonnera personne. « Le thème le plus important est celui de la sécurité. Lorsqu’on laisse les Nord-Montréalais libres de s’exprimer (vox pop) sur les afflictions de leur quartier le principal thème autour duquel converge le discours est celui de la sécurité (ou de l’insécurité), rapportent les auteurs de l’étude de l’ASSSM. (7) L’insécurité affecte les citoyens qui souvent n’osent pas sortir de leur domicile la nuit tombée. Ils s’inquiètent particulièrement pour leurs enfants, qu’ils n’estiment pas en sécurité dans les parcs ni aux alentours des écoles. » (8) Les études sur Montréal-Nord indiquent que les sources d’insécurité sont multiples et diversifiées. Toutefois, encore faut-il bien circonscrire la nature du problème. Il importe plus particulièrement de distinguer les problèmes de sécurité, qui reposent sur des faits objectifs comme par exemple des actes de violence, du sentiment d’insécurité qui est un phénomène aux contours plus flous et se passe essentiellement entre les deux oreilles. Les sources d’insécurité peuvent donc être différentes d’un résident à l’autre, c’est pourquoi il faut prendre garde aux idées reçues concernant cette problématique. Ainsi, les auteurs de l’étude sur l’îlot Pelletier, Jean-Marc Fontan et Patrice Rodriguez, refusèrent de réduire l’insécurité à un simple problème de criminalité ou de petite délinquance. « L'insécurité se vit de multiples façons, écrivent-ils. Peur de la violence, de la drogue très présente, de revenir à la situation d'avant les arrestations si les choses ne changent pas, mais aussi, de la vermine et des rongeurs dans les logements, de ne pas avoir à manger à la fin du mois, d'être dénoncé quand on fait une jobine "au noir", de rester toujours isolé, etc. » (9) De leur côté, les chercheurs de l’ASSSM eurent droit à toute une surprise lorsqu’ils essayèrent d’identifier les sources de l’insécurité à Montréal-Nord. Ils ne s’attendaient pas du tout à ce que « les citoyens n’abordent presque pas la question des gangs de rue » lors des différentes consultations menées par « Un itinéraire pour tous ». (10) « Le sujet étant abondamment traité dans les médias, les forces policières s’étant spécifiquement organisées pour lutter contre ces groupes criminalisés, il semble incongru que les citoyens ne traitent pas abondamment de ce thème », écrivent-ils. « Les résumés des entrevues de groupe ne contenaient pas la moindre allusion aux gangs de rue. Cela nous est apparu étrange. Après vérification auprès de l’animatrice des groupes de discussion, les résumés étaient fidèles. Le thème des gangs de rue s’est avéré présent dans les réponses au vox pop mais il n’était pas prépondérant du tout, commentent-ils. (11) Voici comment ils interprètent l’attitude des résidents : « Le citoyen ne semble pas particulièrement intéressé à résoudre la question à savoir si l’objet de son insécurité, de son anxiété, de sa crainte ou de sa peur est affilié à un groupe criminel ou s’il agit pour son propre compte. » (12) Toutes les études sur Montréal-Nord identifient les jeunes en tant que source importante d’insécurité. « Il apparaît qu’une des principales sources du sentiment d’insécurité dans le quartier provient des jeunes, qu’ils appartiennent à un gang de rue ou non », rapportent les auteurs de l’étude de l’ASSSM. (13) « Le manque de respect des jeunes entre eux et envers les autres, leur indiscipline, la consommation d’alcool et de drogues dans les lieux publics, les attroupements et les rassemblements ainsi que le vandalisme » feraient partie des comportements générant des sentiments d’insécurité à l’égard des jeunes. (14) « Ainsi donc la principale source d’insécurité, les jeunes, représente aussi le futur de notre société. Le problème et la solution se confondent dans un même groupe. » Le rapport final de Montréal-Nord en santé dresse un constat similaire. « Un autre facteur qui affecte le sentiment de sécurité est lié aux valeurs et aux comportements de jeunes qui sont (ou ne sont pas) inculqués aux jeunes. Les manifestations d'incivilités et d'irrespect sont fréquentes et contribuent à l'atmosphère générale du quartier ». (15) Les criminologues du CIPC consacrent eux aussi quelques lignes aux jeunes dans leur étude comparative sur le phénomène émeutier. « Tous les faits étudiés ont souligné la place des jeunes, tant dans la commission de violences que dans la victimisation », écrivent-ils. (16) Cependant, les sentiments d’insécurité peuvent parfois cacher un lot de préjugés. Ainsi, l’étude sur l’îlot Pelletier indique que les jeunes Noirs sont victimes d’un amalgame pernicieux avec les gangs de rue, ce qui soulève l’hypothèse que les stéréotypes racistes pourraient alimenter le sentiment d’insécurité. « Parmi les personnes interviewées, il existe une association bien présente entre les "Noirs" et les problèmes de gangs de rue ou de bruit, notent les auteurs de l’étude. (17) « Il a été observé que les Québécois établissent parfois des rapprochements entre l'immigration et la criminalité. Ainsi, les jeunes que l'on voit dans la rue, et qui sont souvent pour la majorité des Noirs d'Haïti, sont souvent assimilés à des gangs de rue », ajoutent-ils. (18) Le sentiment d’insécurité de certains résidents serait donc fondé sur la peur qu’ils ressentent à la vue de groupe de jeunes Noirs. De son côté, l’étude de l’ASSSM met en cause le rôle des médias. « L’image négative de Montréal-Nord véhiculée par les médias participe à la construction d’un sentiment d’insécurité généralisé », lit-on. (19) De leur côté, les auteurs de l’étude sur l’îlot Pelletier sont d’avis que « le thème de la sécurité doit être interprété à la lumière de la représentation médiatique négative du quartier - fortement associé aux gangs de rue ». (20) Par ailleurs, tant l’étude de l’ASSSM que celle sur l’îlot Pelletier fon état d’un sentiment d’exaspération des résidents à l’égard du traitement médiatique de la situation à Montréal-Nord. Enfin, l’étude de l’ASSSM indique que les résidents de Montréal-Nord semblent à court de solutions satisfaisantes pour venir à bout des problèmes de sécurité. « Pour résoudre, à court terme, un problème d’insécurité, la solution la plus évidente ou commode est de faire appel à la force policière, écrivent les auteurs. Or, à l’usage, cette solution pose un certain nombre de problèmes. Tout d’abord, les plaignants risquent des représailles s’ils sont identifiés mais ceci ne semble que le moindre des problèmes parce que les interventions policières ont toujours été ou sont devenues elles-mêmes un irritant considérable dans la manière dont les situations ont été prises en main. » (21) Dans ce contexte, le recours aux policiers pour résoudre un problème de sécurité alors que les policiers sont eux-mêmes une source d’insécurité reviendrait à vouloir éteindre un incendie avec un lance-flamme : le remède semble être aussi pire, sinon pire que le mal. C’est à tout le moins la réflexion qui vient à l’esprit quand on prend connaissance de la longue liste de critiques que la population adresse aux policiers. « Certains d’entre eux enlèvent leur insigne pour éviter d’être identifiés », constatent certains résidents. (22) D’autres reprochent aux policiers « de ne pas être à l’écoute des besoins de la population, de manquer d’ouverture, d’avoir des préjugés, d’être irrespectueux envers la population, de harceler les jeunes, de provoquer et d’intimider, de profiler les minorités visibles, d’être racistes, d’utiliser des moyens d’intervention trop violents et même de créer de fausses preuves. » (23) « Le malaise par rapport au corps policier semble assez généralisé et ne concerne pas que les jeunes. Les relations entre les jeunes et les policiers semblent toutefois particulièrement tendues. On rapporte un tourbillon de violence entre les policiers et les jeunes. Les abus de pouvoir semblent fréquents », ajoutent les auteurs de l’étude de l’ASSSM. (24) « Les jeunes n’ont pas confiance, ils ne veulent pas parler aux agents », confirma de son côté Jean-Pierre Beauchamp, coordonateur de Montréal-Nord en santé. (25) Et Brunilda Reyes d’ajouter : « On ne peut pas demander à un jeune de respecter l'autorité à n'importe quel prix. Si un jeune se sent touché dans son respect de lui-même, il va répondre. » (26) Quant au thème de l’insécurité policière, qui a été largement traité dans le second texte de la présente série, il a été évoqué par les criminologues du CIPC dans le cadre de leur étude comparative. « Les attaques contre les policiers ont pour effet d’augmenter de façon perceptible l’insécurité et même la peur des policiers, écrivent-ils. (27) Il se pourrait que ce climat porte les policiers à avoir recours à la force de façon plus précipitée qu’auparavant, afin de se protéger. » Les auteurs de l’étude déplorent toutefois que l’épineuse question de la « panique policière » demeure « un sujet pour l’instant totalement tabou dans l’institution ». Une montagne de problèmes Lorsque Montréal-Nord en santé accoucha de son rapport final, le ras le bol d’une partie grandissante de la population de l’arrondissement fut décrit en des termes somme toute assez limpides. « Si, autrefois, le sentiment d'exclusion était vécu individuellement, il est de plus en plus ressenti collectivement par des groupes de citoyens de Montréal-Nord, en particulier les membres des minorités visibles ou les résidents des secteurs sensibles. Les expressions de frustration, de colère et de révolte qui en découlent prennent ainsi une ampleur qui continue de s’accroître », indique le rapport. (28) « La discrimination, le racisme, l'exclusion et le sentiment d'être des citoyens de seconde zone engendrent un malaise profond chez une part importante de la population de Montréal-Nord, peut-on aussi lire. Il est important de bien nommer les causes et les manifestations de ce malaise avant d'aborder les actions à poser. Ce malaise déborde largement les questions relatives à la sécurité publique et aux agissements des services policiers. Il touche l'ensemble des services publics et doit être abordé à cette échelle. » En effet, les lacunes au niveau des services publics prennent l’allure d’une véritable pénurie généralisée. Les lieux offrant « des équipements et des activités valorisantes stimulantes » aux jeunes « font actuellement défaut dans les secteurs sensibles, et les organismes chargés de les encadrer manquent cruellement de ressources », souligne le rapport. (29) « Il n’y a pas assez de parcs, pas assez de jeux dans les parcs, pas assez d’animateurs dans les parcs », notent de leur côté les auteurs de l’étude de l’ASSSM. (30) Dans les écoles, « les ressources qui sont destinées aux jeunes en difficulté semblent nettement insuffisantes », déplorent-ils également. (31) En fait, on manque à peu près de tout. « Le nombre de places en CPE serait aussi insuffisant », continuent-ils, « contraignant les parents à envoyer leurs enfants dans une garderie plus éloignée ». (32) Il faut aussi aller voir ailleurs côté boulot. « Les bons emplois semblent se trouver à l’extérieur du quartier, ce qui oblige les gens à consacrer beaucoup de temps au transport », lit-on. (33) La situation n’est guère plus encourageante dans le domaine du logement. « Les logements à louer sont chers et dans un état lamentable », déplorent-ils. « Les logements privés comme les logements sociaux semblent mal construits et vétustes ». Par ailleurs, « les propriétaires manquent à leurs responsabilités d’entretien et tardent à rénover les logements ». (34) Face à une telle montagne de problèmes, le plan d’action 2009-2001 de Montréal-Nord en santé ne semblait pas être à la hauteur des attentes. C’est à tout le moins l’opinion qu’exprimèrent certains participants aux chantiers lors d’une réunion tenue le 18 décembre 2008. « On a trouvé que c'était très dilué par rapport à ce qui s'est dit dans les chantiers. C'est comme si on avait revisité tout ce qui s'est dit dans ces réunions », dénonça Suzanne Décarie, directrice du Carrefour Jeunesse Emploi du quartier. (35) « Il n'y a aucun positionnement de fond sur la lutte contre la pauvreté. Or, c'est le fond du problème. Tout en découle », ajouta-t-elle. Le fait que le mot « pauvreté » était introuvable dans le document de 23 pages fut une source de consternation chez plusieurs. « C'est une erreur », a convenu Jean-Pierre Beauchamp, de Montréal-Nord en santé. Et ce sera corrigé dans la future version du document, a-t-il promis. En fait, cette « erreur » était révélatrice de la mentalité qui semblait encore sévir au sein de l’establishment politique de Montréal-Nord. On aurait dit que peu de choses avaient changées depuis l’ère de l’administration du maire Yves Ryan, qui régna sur Montréal-Nord pendant 38 années consécutives. « Dans le temps de M. Ryan, il n'y en avait pas de pauvreté. Ça n'existait pas, point. Et la discussion était terminée », se rappelle Claudette de Carufel qui dirigeait l'Association des locataires sous le régime Ryan. (36) Fait significatif, plus de huit ans après le départ de Ryan, l'Association des locataires n’était toujours pas reconnue par l’arrondissement, contrairement aux 19 comités logements qui sont actifs dans d’autres secteurs de la métropole. Cette même nonchalance à l’égard du phénomène de la pauvreté fut également relevée dans l’étude sur l’îlot Pelletier. « Pour certaines personnes, nous sommes passés de tout va mal à tout est beau ici. C'est comme si le fait d'avoir mis fin à une situation de terreur extrême (coups de feu dans la rue, meurtres, viols, intimidation, etc.) était un progrès acceptable, une grande victoire, rendant du même coup la misère quotidienne pas si mal, s’indignent les auteurs de l’étude. (37) Il est clair pour les résidents et les intervenants que le climat peut se dégrader du fait de la présence de mauvaises conditions économiques. » Ainsi, malgré la disparition du « gang de la rue Pelletier » et la mise en place d’un certain encadrement communautaire, un fait reste inchangé : beaucoup de résidents continuent à vivre dans l’indigence. « Les gangs partent, la misère reste », observa la journaliste de La Presse Caroline Touzin. (38) Cette misère frappa Alain Durand qui vécu dans Hochelaga-Maisonneuve pendant 20 ans avant de devenir le nouveau concierge des deux immeubles à logements abordables de la rue Pelletier. « Je pensais qu'Hochelaga, c'était pauvre. Ici, c'est la grosse misère. Y a des locataires qui crèvent de faim. Ils paient leur loyer, pis y ont pu rien », expliqua-t-il à la journaliste. L’effet levier de l’émeute De façon générale, le fait que certaines zones de Montréal-Nord souffrirent de négligence pendant trop longtemps s’imposa rapidement comme une évidence après l’émeute du 10 août 2008. Et puisque le sentiment d’abandon peut facilement déboucher sur des sentiments d’injustice et de révolte, les responsables politiques ne virent d’autre choix que de convenir de la nécessité de faire des efforts pour remédier à la situation. Fait intéressant, le risque d’émeute devint alors un argument de choix pour inciter les pouvoirs publics à poser des gestes en vue d’améliorer la qualité de vie des résidents vivant dans les « secteurs sensibles » de Montréal-Nord. « Ça va continuer d'éclater s'il n'y a pas de solution et de gestes concrets », prévint Jean-Pierre Beauchamp, de Montréal-Nord en santé, lors d’un entretien avec un journaliste du Guide de Montréal-Nord. (39) Ainsi, Beauchamp exprime le souhait que la publication du rapport final des chantiers se traduira par des investissements et des projets concrets bénéficiant du soutien du gouvernement du Québec, de la Ville de Montréal et de l'arrondissement. « Nous espérons qu'ils vont tous travailler dans le sens de ces enjeux sur lesquels nous nous sommes penchés pendant plusieurs semaines », affirma-t-il. Beauchamp ne prêcha apparemment pas dans le désert. Les différents paliers de gouvernement semblèrent en effet adhérer à l’idée que les zones défavorisées de Montréal-Nord sont peuplées d’émeutiers potentiels qui doivent être amadoués au plus vite avant que le vase ne se remplisse à nouveau à des niveaux inquiétants. C’est ainsi que les pouvoirs publics semèrent les subventions dans Montréal-Nord comme jamais auparavant. Ainsi, durant les douze mois qui suivirent l’émeute du 10 août 2008, environ 12 millions $ furent investis en achat d’équipements et en financement d’activités destinées à la jeunesse de Montréal-Nord. (40) Notons que cette somme représentait trois fois plus que ce qui est consacré pour une année normale. À cela s’ajoute plusieurs autres initiatives gouvernementales, comme le projet d’habitation communautaire Rayon de soleil. Ce projet de près d’une valeur de 7 millions $ implique la construction d’un immeuble de 30 logements abordables pour des jeunes mères monoparentales. Fait particulier, l’immeuble sera situé à l’intersection qui avait été le foyer principal de l’émeute du 10 août 2008, soit le boulevard Rolland et la rue Pascal. À quelques jours du premier anniversaire de la mort de Fredy Villanueva, le journaliste du Journal de Montréal Mathieu Turbide ne put faire autrement que de constater que l’émeute du 10 août 2008 avait eu « l'effet d'un électrochoc » sur le secteur nord-est de Montréal-Nord. (41) « Depuis un an, des projets qui traînaient ont débloqué, des citoyens ont commencé à s'impliquer et des groupes qui vivaient chacun de leur côté ont commencé à se parler », observa Turbide. « C'est sûr que ces événements-là ont ouvert les yeux à beaucoup de monde et ça nous a facilité la tâche pour convaincre les autres paliers de gouvernements d'investir dans des projets ici », reconnut le directeur général de l'arrondissement, Serge Geoffrion. « On implique les gens. Et ils s'approprient les projets, que ce soit pour l'aménagement d'un parc, l'embellissement d'une rue. Il y a eu un grand changement de mentalité à Montréal-Nord. Ça avait déjà commencé, mais les événements ont eu ça de positif c'est que ça a accéléré ce mouvement-là », expliqua Geoffrion. Ce n’est pas là une mince ironie que de constater qu’une émeute permit à Montréal-Nord de devenir l’arrondissement le plus subventionné de toute l’agglomération métropolitaine ! En agissant de la sorte, les pouvoirs publics n’étaient-ils pas en train d’accréditer l’hypothèse voulant que les émeutes représentent une méthode plus efficace à produire des résultats tangibles que les moyens de pression conventionnels, comme les marches pacifiques, les conférences de presse et les pétitions ? Don MacPherson, chroniqueur au quotidien The Gazette, fut l’un des seuls à se poser de sérieuses questions sur le message que l’administration de Gérald Tremblay était en train d’envoyer aux autres zones déshéritées de la métropole. [TRADUCTION] « L’émeute permit à Montréal-Nord de devenir une priorité pour la ville, en la plaçant en tête de file devant tous les autres quartiers défavorisés, écrivit MacPherson. (42) Et si les autres quartiers veulent eux aussi de l’avancement, l’administration Tremblay vient de leur faire comprendre ce qu’il leur reste à faire. Si la violence n’a pas résolu les problèmes de Montréal-Nord, il reste qu’elle a fait encore une fois la démonstration qu’elle est terriblement efficace pour attirer l’attention. » Dans leur analyse comparative du phénomène émeutier, les criminologues du CIPC ne cachent pas leur scepticisme face aux analyses et réponses à caractère social. « À l'issue d'épisodes de violences, les explications "sociologiques" sont généralement avancées dans un grand discours général censé répondre aux besoins d'une analyse globale, écrivent-ils. (43) De même, les réponses apportées s'avèrent souvent la poursuite sous d'autres formes de programmes existants : aide sociale, renouvellement urbain, soutien aux familles... » « Les caractéristiques socio-économiques et démographiques des lieux ne suffisent pas à expliquer les émeutes, croient les criminologues. (44) Le faible niveau de vie ou la diversité des origines ethniques de la population d'un secteur urbain, son enclavement ou la pauvreté des services publics dont il bénéficie n'expliquent jamais à eux seuls l'embrasement d'un quartier, même lorsqu'il connaît un événement, tel un incident lors d'une action de police ou le prononcé d'une décision de justice mal perçue par les habitants, qui s'avérera "déclencheur" dans toutes les situations d'émeutes urbaines. » (45) S’il est vrai que les conditions de vie difficiles ne semblent pas suffisantes à elles seules pour pousser les populations des zones défavorisées à la révolte, il convient néanmoins de souligner que les interventions policières tragiques, comme celle qui coûta la vie à Fredy Villanueva, et qui servent justement d’éléments déclencheurs aux émeutes urbaines, ne font jamais de victimes dans les quartiers bourgeois comme ceux qui existent à Westmount, à Outremont ou à Pointe-Claire. Attention aux tensions Selon les criminologues du CICP, la réponse à la question du phénomène du remplissage du vase se trouve dans le climat de tensions existant entre la police et les résidents avant l’éclatement de l’émeute. « Les émeutes en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis se sont systématiquement inscrites dans un contexte de tensions fortes et souvent anciennes avec la police », notent-ils. (46) « Si certaines caractéristiques sont systématiquement présentes et concernent tous les "quartiers déshérités", toutes les émeutes étudiées se sont produites sur fond de climat de tensions anciennes, continuent-ils. Ces tensions sont principalement alimentées par la mauvaise qualité des relations entre les habitants du quartier et les institutions publiques en général et la police en particulier. Ces tensions se cristallisent généralement sur un quartier et présentent de ce fait un caractère en raison du peuplement de ce quartier. » (47) « On doit donc se demander si l'émeute qui a suivi l'intervention policière à Montréal-Nord est l'indice de la cristallisation de "quartiers" sur le territoire de la Ville de Montréal, suggèrent les criminologues du CIPC. (48) On pourrait à première vue voir dans la naissance de quartiers problématiques à Montréal une des raisons de l'émeute de Montréal-Nord. Cette hypothèse mérite d'être examinée de façon plus approfondie ». Dans le rapport final des chantiers, il ressort d’ailleurs assez clairement que la police fait davantage parti du problème que de la solution aux yeux de nombreux résidents de Montréal-Nord. « Un groupe de citoyens qui estime être systématiquement victime d'injustice ou d'exclusion va être amené à considérer les mesures de sécurité publique comme des actions qui maintiennent cette situation, répriment les revendications d'égalité et accentuent le niveau de violence plutôt que de l'apaiser », lit-on. (49) Les auteurs de l’étude de l’ASSSM font écho à ce constat. « Les injustices sont assez fréquentes aux yeux des citoyens. Les citoyens ressentent un resserrement dans l’application des lois, mais constatent que personne, pas même les policiers, ne respecte les lois. De ce fait, on perçoit que la loi ne s’applique pas de la même façon pour les jeunes, le corps policier et les gangs de rues », écrivent-ils. (50) Toutefois, les études disent aussi que pauvreté et exclusion ne vont pas nécessairement de pair avec les sentiments anti-police. « On trouve de tout dans un quartier, c'est-à-dire autant des personnes qui réclament la protection de la police que des personnes qui dénoncent les abus policiers. C'est pourquoi une des plaintes majeures des habitants de certains quartiers est de se sentir injustement stigmatisés par l'amalgame qui est fait entre tous les habitants », écrivent les criminologues du CIPC. (51) Les auteurs de l’étude sur l’îlot Pelletier font eux aussi une observation similaire. « Les répondants semblent avoir des perceptions divergentes sur la présence ou sur les interventions policières dans le quartier, lesquelles sont tantôt qualifiées de fortes (trop) ou de faibles (pas assez) », remarquent-ils. (52) Pour sa part, l’étude de l’ASSSM parle d’une « présence policière à la fois désirée et honnie ». (53) L’étude du CIPC pointe du doigt plus particulièrement les modes d’intervention policières agressifs en tant que facteur contribuant de manière significative à instaurer un climat de tension durable et à pourrir les relations entre les forces de l’ordre et la population civile dans plusieurs des grands centres urbains qui ont été touchés par les émeutes. Selon les criminologues du CIPC, cette analyse s’applique particulièrement bien à la France, où les affrontements entre policiers et jeunes des banlieues qui éclatèrent en octobre et novembre 2005 s’étendirent à la grandeur du territoire et durèrent 24 jours, donnant lieu à la proclamation de l’état d’urgence et entraînant des coûts s’élevant en moyenne à environ 9 millions $ par jour (dollars canadiens). L'élément déclencheur de la vague d’émeutes avait été le décès de deux adolescents de Clichy-sous-Bois, soit Bouna Traoré, 15 ans, et Zyed Benna, 17 ans, morts par électrocution après s’être réfugiés dans l'enceinte d'un poste de transformation électrique alors qu'ils étaient pourchassés par des policiers. Si la mort tragique de ces deux adolescents souleva une vive émotion, la propagation des émeutes à travers des dizaines de banlieues françaises s’explique en bonne partie par une dégradation continuelle des relations entre policiers et citoyens. Selon les criminologues du CIPC, il est nécessaire de regarder du côté des méthodes musclées privilégiées par les forces policières françaises depuis au moins une dizaine d’années dans des endroits désignés comme étant des « points chauds du crime », c’est-à-dire « un petit secteur d’une ville (un immeuble, un stationnement) dans lequel on enregistre un nombre anormalement élevé d’infractions ». (54) Or, le « point chaud » est aussi un « espace géographique où se concentrent des populations pauvres, des foyers désunis, des fratries nombreuses, économiquement précaires et de plus en plus ethniquement ségréguées ». D’une part, les autorités ont multipliées les « Brigades Anti Criminalité », que les auteurs de l’étude du CICP dépeignent comme « une police offensive dont les interventions sont souvent perçues comme agressives ou harcelantes pour les populations qui s’en disent les victimes ». D’autre part, elles lancèrent de nombreuses « opérations ‘coup de poing’ spectaculaires à caractère quasi militaire ». Ces deux modes d'intervention complémentaires « ont tendance à conforter l'idée que toute la population d'un quartier est assimilable à quelques délinquants. Dans certains cas, des élus ou dirigeants policiers ont pu promouvoir une théorie du complot qui ferait de ces délinquants les manipulateurs de la population entière », notent-ils. (55) Résultat : les modes d’intervention offensifs font monter la température dans les « points chauds », jusqu’au jour où une bavure policière fait exploser le thermomètre. « Au lieu d’apaiser les tensions, les observateurs estiment qu’en l’espace de dix ans, on a assisté à une surenchère dans la loi et l’ordre à l’égard de quartiers considérés comme en état latent de guérilla urbaine, ce qui "justifierait" la mise en place de polices d’adaptation "au terrain" dans un style de plus en plus militarisé », écrit l’équipe de criminologues. (56) Les auteurs de l’étude du CIPC croient aussi que ces mêmes stratégies policières agressives portent leur part de responsabilité dans les émeutes qui éclatèrent à Los Angeles et durèrent six jours en avril et mai 1992, entraînant des coûts s’élevant en moyenne à 75 millions$/jour. L’élément déclencheur de l’émeute avait été l’acquittement de quatre policiers Blancs qui avaient subi un procès pour avoir tabassés un automobiliste Noir, Rodney King, alors qu’ils étaient filmés à leur insu par un vidéaste amateur. Toutefois, si la réaction populaire à ce verdict a pu prendre l’ampleur d’un soulèvement urbain d’une envergure exceptionnelle, c’est parce que d’importantes tensions couvaient depuis bon un moment. « Comme en France, la police réactive, mettant l’emphase sur les unités anti-drogue et antigang et sur un nombre élevé d’arrestations avait amené à renforcer les tensions », font valoir les criminologues au sujet de l’émeute de Los Angeles. (57) Comme on le sait, le SPVM s’est lui aussi doté d’une escouade spécialisée dans la lutte aux gangs de rue, soit le groupe Éclipse. Les auteurs de l’étude du CIPC en font d’ailleurs mention. « À Montréal, l'action des unités ECLIPSE a été également évoquée comme pouvant avoir contribué à aggraver les tensions avec la population en raison de ses modalités d'intervention. Elle pourrait avoir été l'origine d'une exacerbation d'un sentiment de harcèlement de la part des forces de l'ordre », écrivent-ils. (58) Les criminologues ne vont pas jusqu’à évoquer ouvertement la possibilité d’un lien entre les méthodes controversées de l’escouade Éclipse et les émeutes de Montréal-Nord. Cette hypothèse gagne toutefois en crédibilité quand on sait que cette escouade a fait son apparition deux mois avant l’émeute du 10 août 2008. La police peut-elle résister Quant au lien de cause à effet entre le harcèlement policier des populations vivant dans les quartiers pauvres et les émeutes, il s’est posé de façon particulièrement claire à l’occasion des émeutes qui éclatèrent à Brixton, un quartier multiethnique au sud de Londres, et qui durèrent trois jours en avril 1981, entraînant des coûts s’élevant en moyenne à 5 millions$/jour. « En 1981 à Brixton, c'est l'opération SWAMP qui fut le moteur des incidents. Cette opération qui visait à combattre la délinquance de rue consista simplement à déverser un contingent de policiers dans les rues pour fouiller (stop and search) les individus suspects. En une semaine, 943 personnes furent fouillées, 118 arrêtées et 75 inculpées », écrivent-ils. (59) « Brixton agit comme une sorte de cas d'école de "ce qu'il ne faut pas faire" où l'émeute est directement engendrée par l'action de la police, continuent les auteurs de l’étude. Ce type d'opération, relativement inefficace en terme de lutte contre la criminalité (rétrospectivement toute l'opération n'a mené qu'à une seule inculpation pour vol à main armée, une pour tentative de cambriolage et à une vingtaine pour vol), a été majoritairement perçue par la population comme du harcèlement. Cette même population étant largement composée de minorité ethnique et/ou culturelle, le harcèlement est donc associée à du profilage racial ». L’étude du CIPC cite également le cas de l’émeute qui éclata dans la ville australienne de Redfern, en banlieue de Sydney, en février 2004. « En Australie, les motivations racistes de la police dans les conditions d'intervention ont été ouvertement évoquées, expliquent-ils. (60) Les émeutes ont en effet été déclenchées par la mort d'un jeune adolescent de 17 ans qui s'est empalé sur une barrière en tombant de son vélo alors qu'il se sentait pourchassé par la police. Le jeune était aborigène et le quartier de Redfern joue un rôle important dans la culture aborigène comme un lieu central du mouvement des droits civiques et de la création de services sociaux propres. Les tensions préexistantes entre la police et les populations autochtones ont été soulignées par les rapports officiels. » « La question de la discrimination raciale joue un rôle dans l'ensemble des cas étudiées aux États-Unis et en Angleterre, écrivent ensuite les criminologues. Que cette discrimination soit réelle ou perçue, elle influe sur la manière dont l'action policière est comprise. Et nourrit le sentiment d'injustice d'une certaine partie de la population. Le cas de Montréal-Nord est à ce titre emblématique, alors que la victime est d'origine hispanique et que les plaintes proviennent surtout de la communauté haïtienne. » « La pratique du profilage est au cœur des opérations les plus basiques de l’activité policière, lancent sans détour les auteurs de l’étude du CIPC. Celle-ci consiste à tenter de repérer dans l’environnement visuel tout facteur qui se détache et qui est en conséquence inhabituel. Elle consiste en outre dans des pratiques qui sont fondées sur une statistique intuitive qui produit des inférences erronées. On se fonde par exemple sur le fait que les consommateurs de crack – cocaïne sont presque exclusivement des Noirs pour inférer de façon spécieuse que tous les Noirs consomment de la cocaïne et peuvent donc être soumis à des fouilles. » Les auteurs de l’étude du CIPC se montrent particulièrement nuancés dans leur critique du profilage racial exercé par le SPVM. Selon eux, la formation sur le profilage racial offerte par le SPVM serait carrément « excellente ». (63) Notons d’ailleurs que l’un des auteurs de l’étude, le criminologue Jean-Paul Brodeur, est lui-même membre du Comité sur le profilage du SPVM. Voilà qui pourrait peut-être expliquer pourquoi l’étude du CIPC donne l’étrange impression de prendre la défense du SPVM sur cette question. « La police fait systématiquement l’objet d’accusations de profilage racial », écrivent les criminologues. Or, selon eux, il s’agirait « dans de nombreux cas le produit d’une imputation erronée ». Autrement dit, le SPVM serait régulièrement faussement accusée de se livrer au profilage racial, « c’est pourquoi la formation contre le profilage racial doit autant s'attarder à la lutte aux comportement eux-mêmes qu'au développement d'habiletés pour atténuer les perceptions de profilage par le public », croient-ils. Cela étant, les statistiques internes de la Direction stratégique du SPVM obtenues par journal Métro parlent d’elles-mêmes en ce qui concerne la réalité du phénomène du profilage racial à Montréal. Les données compilées pour la période 2006-2007 indiquent en effet que les personnes noires représentent près d’un tiers (29,1 %) des interpellations alors qu’elles ne forment pourtant que 7 % de la population montréalaise. (64) Le pourcentage d’interpellation des Noirs atteint des niveaux vertigineux dans certains endroits, comme à Montréal-Nord, où plus de la moitié (52 %) des personnes interpellées sont noires, alors que celles-ci ne représentent que 17 % de la population de l’arrondissement. À moins d’adhérer à des thèses racistes voulant que les Noirs soient plus enclins à la criminalité du seul fait qu’ils soient Noirs, seul le profilage racial peut expliquer la présence d’un nombre aussi disproportionné de membres de la communauté noire dans les statistiques d’interpellations du SPVM. L’usage répandu du profilage chez les policiers québécois est une hypothèse d’autant plus valable quand on sait que le Comité sectoriel du milieu policier sur le profilage racial, composé de représentants de tout le milieu policier au Québec, reconnaissait ouvertement que les forces de l’ordre étaient susceptibles de se livrer à de telles pratiques. « La fonction policière, puisqu’elle fait appel à l’exercice de l’autorité, est propice aux manifestations de comportement de profilage racial ou d’autres formes de profilage illicite », confiait en effet le comité sectoriel dans un rapport d’étape publié en juin 2006. (65) L’épineuse question du profilage racial est aussi abordée dans le rapport final des chantiers de Montréal-Nord. « Les interpellations de jeunes par les policiers soulèvent des questions sur les pratiques associées au profilage racial - que ce soit par les policiers ou par des citoyens qui voient les interpellations parmi ses manifestations, lit-on. (66) Les attitudes de profilage racial entretiennent une relation de méfiance réciproque entre les citoyens et les policiers. Il faut faire évoluer cette relation fondée sur la méfiance vers une relation marquée par une prudence partagée. » (67) En se faisant l’écho des allégations de profilage racial dans un rapport aussi officiel, les participants aux chantiers causèrent un certain embarras au SPVM, où l’on préfère utiliser le terme « comportements inattendus » plutôt que celui de profilage racial. (68) C’est dans ce contexte que Jean-Guy Gagnon, directeur adjoint de la direction stratégique du SPVM, accepta de reconnaître, du bout des lèvres il est vrai, l’existence du profilage racial à Montréal. « Il semble effectivement qu'il y avait parfois du profilage racial dans les interpellations, pas dans le sens d'arrestations non justifiées, confia-t-il à une journaliste de La Presse. On a eu des plaintes de jeunes. Certains n'avaient rien à se reprocher. Mais jusqu'à présent, on n'a pas de dossier majeur, flagrant, d'une personne qui aurait abusé de son autorité pour procéder à de mauvaises arrestations. » (69) Deux mois après le dépôt du rapport des chantiers, deux adolescentes indiquaient à un journaliste du quotidien The Gazette que les policiers de Montréal-Nord continuaient à interagir différemment avec les jeunes dans les parcs en fonction de la couleur de leur peau. [TRADUCTION] « Quand il y a deux ou trois ou quatre Noirs ou Latinos assis ensembles, alors les policiers s’arrêtent et leur posent des questions », affirma l’une d’elle. « Quand ils sont Blancs, les policiers continuent leur chemin ». (70) À quelques jours du premier anniversaire de l’émeute du 10 août 2008, un résident de Montréal-Nord déclarait au journal Métro que le profilage racial était toujours un phénomène d’actualité. « La police a encore parfois tendance à mettre tous les Noirs dans le même sac. Il faut foutre la paix aux gens de couleur ! », lança-t-il. (71) Cependant, les criminologues du CIPC tiennent à faire une distinction entre le phénomène du profilage racial et la pratique des autorités policières consistant à mettre certaines populations dans un même panier. « Sans forcément parler de profilage racial, la mise en place d'une stratégie policière qui vise une population précise (soit qu'elle soit effectivement ciblée comme étant une population à surveiller, soit que cette population soit concentrée dans un quartier comme sensible) est souvent invoquée pour expliquer l'exaspération des individus et les émeutes urbaines qui s'ensuivent », indiquent-ils. (72) Une telle analyse peut facilement trouver son application dans le contexte de Montréal-Nord. Les relations entre policiers et résidents du secteur nord-est n’avaient cessés de se détériorer depuis plusieurs années. Un incident survenu trois mois avant l’émeute du 10 août 2008 en dit d’ailleurs long sur le climat de tension qui s’était installé dans ce secteur particulier. Lorsque le véhicule de patrouille d’un policier fut touché par un projectile d’arme à feu, une armée de policiers prit d’assaut les rues du quartier et bouclèrent l’ensemble du secteur, empêchant ainsi les résidents qui se trouvaient à l’extérieur du quadrilatère d’accéder à leurs appartements pendant des heures. L’action du SPVM revenait à traiter toute la population du secteur comme suspecte, voire comme une menace potentielle, une attitude qui ne va pas sans rappeler celle des autorités israéliennes quand elles bouclent la bande de Gaza lorsqu’un kamikaze se fait exploser dans les rues de Tel-Aviv. Ce genre de punition collective ne peut faire autrement que d’alimenter le sentiment de stigmatisation de la population qui en est victime. D’ailleurs, l’étude du CIPC ne manque pas de souligner le danger de laisser pourrir la situation, en signalant à quel point les tensions entre citoyens et policiers ont prit des proportions dramatiques en France, atteignant peut-être même le point de non-retour dans certaines zones. « La cristallisation des conflits est telle que dans certaines régions, la police ne se sent plus partie intégrante de la communauté ("eux" et "nous"), subit des conditions d'intervention de plus en plus difficiles en raison de l'hostilité qui dépasse largement le groupe des personnes criminalisées - ces difficultés relèvent dans certains cas d'une grande dangerosité et s'enferme parfois dans des réactions purement corporatives de "survie" », écrivent-ils. (73) « Au Canada, l'exemple le plus dramatique d'une rupture du contrat de police a été fourni par la crise d'Oka », rappellent-ils. (74) Cette crise avait éclatée en juillet 1990, lorsque des membres de la nation mohawk prirent les armes pour s’opposer à l’intervention de 125 policiers de la Sûreté du Québec qui avaient été déployés pour démanteler une barricade protégeant un cimetière ancestral menacé de destruction par la municipalité d’Oka. « Comme l'a montré cette crise, la police ne peut par elle-même conjurer des situations où on lui résiste de façon systématique et de façon violente. Dans le cas de la crise d'Oka, on a dû faire appel à l'Armée, notent-ils. De façon plus quotidienne, les attaques contre les policiers ont pour effet d'augmenter de façon perceptible l'insécurité et au climat de peur qui règne dans la police. Il se pourrait que ce climat porte les policiers à avoir recours à la force de façon plus précipitée qu'auparavant, afin de se protéger ». Porter plainte porte-t-il fruit ? Les auteurs de l’étude du CIPC font également valoir un autre facteur important dans l’exacerbation de tensions entre policiers et citoyens. « Le traitement des plaintes envers la police constitue un facteur plus significatif d'apaisement ou d'exacerbation des relations police-communauté, rapportent-ils. (75) On peut faire l'hypothèse qu'un bon système de traitement des plaintes, où la transparence et l'indépendance des processus sont assurées et (re)connues, permet de diminuer les tensions (ou à tout le moins n'offre pas un terreau fertile aux frustrations). » (76) Les criminologues s’appuient sur le cas de l’émeute qui éclata à Mount Pleasant, un quartier multiethnique de Washington DC, en mai 1991, et dura deux jours. L’élément déclencheur de l’émeute a été l’arrestation d’un homme d’origine salvadorienne, qui a été blessé à la poitrine par le tir d’un policier alors qu’il était menotté. « Patricia Orloff souligne dans son rapport sur les émeutes de Mount Pleasant (Washington) en 1991 que leur origine réside partiellement dans les difficultés pour les résidants à faire aboutir leurs plaintes pour mauvaises conduites de la part de policiers », écrivent-ils. (77) Orloff met également en cause les problèmes de communication causés par la barrière de la langue. « Les résidants du quartier de Mount Pleasant, majoritairement hispanophones, ont tout simplement de la difficulté à communiquer avec les forces de l’ordre. L'impuissance de la population aurait nourri les tensions », lit-on. Le rapport final de Montréal-Nord en santé met également de l’avant la nécessité d’accroître l’accessibilité aux mécanismes de plaintes. « Les mécanismes de dépôt et de traitement des plaintes concernant le travail des policiers doivent faire l’objet d’une diffusion plus large pour informer la population de l’existence de ces mécanismes et des procédures à suivre le cas échéant. Les formulaires concernés doivent être rendus accessibles à d’autres endroits que le Poste de quartier (PDQ) et être accessibles par internet », peut-on lire. (78) Les participants au chantier sur la sécurité et la prévention semblaient adhérer à l’idée selon laquelle la rareté des plaintes fait parti du problème, ou à tout le moins n’aide en rien à surmonter les tensions entre les policiers et les résidents de Montréal-Nord. « Le nombre de plaintes demeure très faible, ce qui semble aller à l'encontre de perceptions qui circulent au sein de la population, note en effet le rapport. Il est donc difficile pour le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) de faire la part entre les cas réels et les rumeurs. En l'absence de plaintes formelles, il est difficile d'apporter les correctifs nécessaires », lit-on également. (79) Toutefois, ce que l’étude du CIPC et le rapport des chantiers ne disent pas, c’est qu’il serait moins difficile de convaincre les citoyens brimés d’exercer leurs droits s’il était facile de démontrer que leur plainte peut porter fruit. Or, rien n’est moins sûr quand on prend connaissance des propos tenus par Jean-Guy Gagnon, directeur adjoint au SPVM, lors d’un entretien accordé à une journaliste de La Presse après le dépôt du rapport des chantiers. Gagnon avait alors reconnu que certains agents du Poste de quartier 39 avaient fait l’objet de plaintes mais révéla du même coup qu’il n’y avait eu aucune sanction ou réprimande officielles. « Il n'y a pas eu de sanctions. On a eu des plaintes, il y a eu médiation ou retrait de plaintes, mais on n'a aucun dossier précis de policiers reconnus coupables de profilage racial », affirma Gagnon. (80) En fait, si les recours légaux existent pour les victimes de profilage racial et d'abus policiers, il reste que les organismes institutionnels spécialisés dans la protection des droits de la personne et du public ne sont souvent pas à la hauteur de la tâche et manquent visiblement d'efficacité. À cet effet, la longueur des délais à la Commission des droits de la personne est tristement légendaire. « Les délais d'enquête sont parfois si longs qu'ils constituent, pour la victime de discrimination, une injustice qui vient simplement s'ajouter à celle qu'elle décrie déjà dans sa plainte », observa Christian Brunelle, avocat et étudiant au doctorat en droit à l'Université d'Ottawa. (81) Ainsi, lorsque des jeunes âgés de 13 à 16 ans résidents dans des HLM du quartier Saint-Michel portèrent plainte pour profilage racial en septembre 2003, il fallut plus de quatre années d’enquête à la Commission des droits de la personne avant que celle-ci n’en vienne à la conclusion, en janvier 2008, que les policiers avaient fait preuve de comportements discriminatoires. (82) Le processus fut si long que les jeunes résidents avaient désormais atteint l’âge adulte ! Et ce n’était pourtant qu’un début... En effet, rien n’était encore réglé puisque la Ville de Montréal rejeta les conclusions formulées par la Commission, de sorte que le dossier dû être porté devant le Tribunal des droits de la personne, entraînant ainsi d’autres délais additionnels pour les victimes qui doivent encore une fois prendre leur mal en patience avant d’obtenir justice – si elles obtiennent effectivement justice un jour. La situation n’est guère plus reluisante du côté du système de déontologie policière qui a été mis en place en 1990 pour traiter les plaintes du public à l’égard de policiers qui dérogent aux devoirs et normes de conduite qu’ils sont tenus d’observer dans l’exercice de leurs fonctions. Le Commissaire à la déontologie policière a bien prit acte de l’importance du phénomène du profilage racial au Québec. En effet, depuis 2006, le Commissaire dresse un inventaire des plaintes soulevant des allégations de racisme ou de profilage racial dans ses rapports annuels. Ainsi, dans son rapport de gestion 2007-2008, le Commissaire à la déontologie policière rapporta qu’il avait reçut 97 plaintes de ce type, dont 70 % visait des membres du SPVM. (83) Or, une seule de ces 97 plaintes donna lieu à une citation devant le Comité de déontologie policière, le tribunal administratif qui peut imposer des sanctions, allant de l’avertissement jusqu’à la destitution, aux policiers fautifs. Il est tout de même difficile de croire qu'une seule de ces 97 plaintes était fondée ! Chose certaine, le sous-financement de la Commission des droits de la personne et du système de déontologie policière en dit long sur le faible niveau d’intérêt du gouvernement québécois à l’égard des victimes d’abus policiers et de profilage racial. Quand les organismes chargés de veiller au respect des droits de la personne n’arrivent pas à faire le poids face à la puissante machine policière, les recours légaux perdent de leur crédibilité au profit de recours plus musclés et, bien entendu, moins légaux… La police blanchit la police Parmi les autres facteurs accroissant les tensions entre citoyens et policiers, l’étude du CIPC a identifié les problèmes de crédibilité entourant les enquêtes sur la police dans les cas de mort d’homme. « Il faut insister sur l’impact de ce type d’enquête sur le lien de confiance entre la police et la communauté », plaident-ils. (84) Les criminologues citent plus particulièrement le cas des émeutes de Cincinnati, qui durèrent quatre jours au mois d’avril 2001. Déclenchées par la mort de Timothy Thomas, un jeune Noir âgé de 19 ans tombé sous les balles de la police, les émeutes de Cincinnati avaient été considérées comme étant le plus important événement du genre aux États-Unis après la révolte des quartiers de Los Angeles, en 1992. « À Cincinnati, les émeutes eurent lieu deux jours après la mort de Thomas, signifiant qu’il y avait de la place pour mettre sur pied une stratégie de communication apaisante, en lieu et place du silence observé par le chef de police, écrivent les criminologues. (85) Notons que ce silence fut dicté en partie par les évolutions de la version des faits fournie par l’officier de police Roach qui avait fait feu sur Thomas. Roach affirma d’abord avoir tiré après les sommations d’usage, mais l’incident avait été filmé et lorsqu’il fut confronté aux images qui prouvaient sans l’ombre d’un doute que ces sommations n’avaient pas eu lieu, la défense de Roach changea pour arguer d’un tir accidentel. » Selon les criminologues du CIPC, « ce manque de transparence du processus d'enquête est directement mis en cause pour expliquer le déclenchement de l'émeute ». L’étude du CICP soulève aussi certaines questions à l’égard du mécanisme d’enquête qui est en place au Québec pour traiter les homicides causés par des policiers. Selon la politique ministérielle en vigueur, lorsqu’un policier enlève la vie ou blesse sérieusement un citoyen lors d’une intervention, l’enquête est confiée à un autre corps policier. « Il est frappant de constater la longueur des enquêtes effectuées par un corps de police sur un autre. Celle-ci est d’autant plus surprenante que les auteurs de l’homicide sont clairement identifiés. Il ne s’agit pas d’identifier ces auteurs que de déterminer s’ils ont agi de façon coupable ou justifiée, en tirant sur un citoyen », notent les criminologues. (86) Le contraste est encore plus saisissant lorsque l’on compare la vitesse moyenne avec laquelle les enquêteurs de la section des homicides solutionnent la majorité des affaires courantes de meurtre, c’est-à-dire les dossiers où les agissements des policiers ne sont pas en cause. « Les affaires d’homicides sont en général très rapidement résolues par les corps policiers, à moins qu’il ne s’agisse de règlements de comptes entre professionnels. Une étude de Brodeur fondée sur l'examen des archives du SPVM (1990-2002) a démontré que plus de 60 % des causes résolues l’étaient en moins de 24 heures », indiquent les auteurs de l’étude du CIPC. Selon eux, les délais dans la résolution des enquêtes portant sur des policiers instaurent un climat malsain. « La longueur des enquêtes a pour résultat de créer un doute dans l'opinion publique. Celle-ci en vient à soupçonner que la longueur des enquêtes tient au fait que l'on ramasse tous les éléments qui peuvent être invoqués pour disculper les policiers impliqués (des collègues). Comme divers policiers le reconnaissent, si c'était un citoyen qui avait tiré dans l'attroupement à Montréal-Nord, il aurait été conduit à son enquête préliminaire dans les jours suivant, sinon le lendemain, font valoir les criminologues. En conclusion, la longueur des enquêtes est un obstacle de taille à leur transparence. Il faudrait résoudre ce problème de façon prioritaire. » Rappelant que les différences de traitement dont font l’objet les policiers sous enquête sont « difficilement justifiables aux yeux de la population », les auteurs de l’étude vont même jusqu'à affirmer que la police aurait elle-même intérêt à remettre en question le statu quo existant actuellement au Québec au niveau du fonctionnement du mécanisme d’enquête en vigueur. « En acceptant d'être traitée différemment, la police dessert sa propre image et affaiblit la confiance du public envers elle », croient-ils. (87) « Si la police ne peut agir directement sur des modifications aux politiques ministérielles, elle peut améliorer la communication sur ces enquêtes, écrivent les criminologues. La tendance systématique à observer le silence tant que l'enquête suit son cours, est dommageable. La mise sur pied d'une communication plus claire et transparente devrait être privilégiée dans le futur ». (88) D’ailleurs, c’est précisément ce qui a été tenté dans les semaines qui suivirent la mort de Fredy Villanueva. Après l’émeute du 10 août 2008, les autorités savaient trop bien qu’elles marchaient sur des œufs et qu’un seul faux pas pouvait entraîner bien des dégâts. Aussi, les responsables politiques ont vite convenu que l'enquête de la Sûreté du Québec sur la mort de Fredy devait faire l’objet d’une gestion médiatique particulière. Conscient des problèmes inhérents de crédibilité d’une enquête policière sur une bavure policière, le ministre de la Sécurité publique Jacques Dupuis a mit en place une stratégie de communication destinée à apaiser les soupçons de camouflage et de collusion qui prenaient racine au sein de la population. « Il y a un scepticisme vis-à-vis de l'enquête criminelle », reconnut lui-même le ministre Dupuis. (89) Dans un communiqué de presse émis dès le lendemain de l’émeute, le ministre Dupuis assurait que l’enquête de la SQ « sera effectuée en toute transparence ». (90) Il ne s’agissait là que de la première d’une série de déclarations rassurantes. « J'ai demandé au directeur de la Sûreté du Québec de renseigner la population régulièrement sur le déroulement de cette enquête, pour que la population sache ce qui se passe », expliqua le ministre responsable des corps policiers québécois. (91) Une telle façon de procéder rompait évidemment avec le mutisme habituel observé par les corps policiers lorsqu’une enquête est en cours. Or, dans les faits, la SQ se montra plutôt avare de détails dans ses communications avec le public. Par exemple, neuf jours après le décès de Fredy, la SQ affirmait avoir rencontré 70 témoins mais refusait de dire si les agents Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilote, les deux principaux protagonistes de l’affaire, avaient été interrogés. (92) Dans ces conditions, comment croire en l’objectivité d’une enquête controversée si ceux-là même qui la mènent refusent de fournir des preuves de leur impartialité ? Mais la stratégie de communication des autorités dans le dossier Villanueva ne s’arrêtait pas à l’enquête de la SQ. Le ministre Dupuis annonça également que la Direction des poursuites pénales et criminelles allait communiquer en détail sa décision à la population. « Si un procureur décide de ne pas poursuivre, ses motifs seront expliqués », assura Dupuis. (93) Encore une fois, il s'agissait là d'une procédure inhabituelle puisque les procureurs ne cherchent jamais à justifier le bien-fondé de leurs décisions auprès de l’opinion publique. « Mais c'est un dossier clairement sensible », indiqua Me Martine Bérubé, porte-parole du Directeur des poursuites criminelles et pénales. (94) En fait, le dossier était si « sensible » que la décision de ne porter aucune accusation contre l’agent Jean-Loup Lapointe fut suivie immédiatement par une autre décision, celle-là annoncée en personne par le ministre Dupuis le 1er décembre 2008, soit la tenue d’une enquête du coroner sur les causes et les circonstances du décès de Fredy Villanueva. Il fait peu de doute que la décision du ministre Dupuis fut inspirée par la crainte que Montréal-Nord ne s'embrase à nouveau. C’est ce que suggérait un éditorial publié dans The Gazette qui critiquait la décision du gouvernement de ne pas ordonner la tenue d’une enquête publique relativement à la mort de Mohamed Anas Bennis, un jeune musulman abattu par la police dans le quartier de Côte-des-Neiges, le 1er décembre 2005. [TRADUCTION] « Il est difficile de comprendre pourquoi Dupuis ordonna une enquête dans un cas et pas dans l’autre, écrivit l’équipe éditoriale en faisant allusion à la mort de Fredy et à celle de Anas. (95) « Nous préférerions ne pas penser que sa décision a été teintée par les désordres publics qui suivirent dans l’affaire Villanueva, mais nous ne pouvons pas voir beaucoup de différences entre les deux cas. » C'est donc dire que le spectre de l'émeute n'a jamais cessé de planer au-dessus des dirigeants politiques durant les mois qui suivirent la mort de Fredy. L’attitude de la Fraternité des policiers et des policières de Montréal était tout aussi paradoxale que celle du ministre Dupuis, sinon plus : dans l’affaire Villanueva, elle adopta la position officielle à l’effet qu’elle « appuie l'enquête publique du coroner » (96), tandis que dans l’affaire Bennis, elle demanda plutôt à la Cour supérieure d’ordonner l’annulation de l’enquête publique du coroner. Il y a de quoi se demander si la Fraternité et le ministre Dupuis auraient réagi de la même manière si la mort de Mohamed Anas Bennis avait été suivie d’une émeute. « Nous avons tout fait pour que le calme règne dans la communauté, et promu la paix à l’image de mon frère. Mais ce calme ne nous a pas servi. Aujourd’hui, on rit de nous », lança Najlaa Bennis, sœur de Mohamed, à sa sortie d’une sortie d’une séance de cour éprouvante, le 29 juin 2009. (97) Jouer à l’autruche, c’est jouer avec le feu D’entrée de jeu, un grand nombre de personnes perçurent la décision de tenir une enquête publique sur la mort de Fredy Villanueva comme un vulgaire stratagème destiné à faire avaler la pilule à ceux qui digèrent mal le blanchiment de l’agent Jean-Loup Lapointe. Quant aux autres, moins nombreux, qui salueront la tenue d’une enquête publique dans cette affaire, ils déchanteront peu à peu. D’une part, le juge Robert Sansfaçon qui s’était vu confié l’enquête à titre de coroner ad hoc s’emploiera rapidement à faire baisser le niveau d’attentes chez ceux qui souhaitaient qu’il examine certains des problèmes qui affligent les résidents du secteur nord-est de l’arrondissement, comme les conditions de vie difficiles et les rapports tendus entre citoyens et policiers. Ainsi, trois jours après sa nomination, le coroner ad hoc Sansfaçon tenta de clarifier la nature de son mandat en déclarant à un journaliste de La Presse Canadienne qu’il n’avait pas été nommé pour mener « une commission d'enquête royale portant sur les relations entre des agents de la paix et une population d'une région de Montréal ». (98) D’autre part, le refus du gouvernement d’honorer sa promesse d’assumer les frais de représentation légale des deux jeunes qui ont été blessés par les balles tirées par l’agent Lapointe discrédita encore davantage l’enquête. La situation paraissait d’autant plus intolérable compte tenu du fait que six avocats chevronnés allaient veiller aux intérêts des policiers durant l’enquête. François Bérard, coordonateur du Mouvement solidarité Montréal-Nord, déclara au quotidien Le Devoir que l’intransigeance du ministre Dupuis sur la question des frais d’avocat alimentait le sentiment à l’effet que « les dés sont pipés en faveur des policiers ». (99) Ironiquement, l’enquête « augmente les tensions plutôt que de les apaiser », constata Bérard. Le débat concernant la portée du mandat de l’enquête s’intensifia en mai 2009, après que le boycott de l’enquête par la famille Villanueva et les organismes qui la soutiennent eut pour effet d’inciter le coroner ad hoc Sansfaçon à suspendre indéfiniment les procédures. Les membres de la famille Villanueva remirent ouvertement en question l’utilité même de l’enquête. « J'ai pas besoin d'une enquête pour qu'on me dise que mon frère est mort parce qu'il a reçu 3 balles », déclara Patricia Villanueva à Radio-Canada. (100) Pour la Ligue des droits et libertés, qui réclamait depuis le tout début de l’affaire Villanueva la tenue d’une enquête publique au mandat large, l’enquête du coroner est un « forum restreint » permettant aux autorités politiques de ne pas s’« attaquer de front » aux problèmes du profilage et de l’impunité policière. (101) De son côté, l’ex-coroner Guy Gilbert, qui mena l’enquête publique sur la mort du caporal Marcel Lemay lors de la « crise d'Oka », s’interrogea à voix haute sur l’attitude de Sansfaçon. « Si j'étais le juge Sansfaçon, je me dirais que je n'ai certainement pas été nommé coroner seulement pour réexpliquer au public que la balle du policier a atteint le jeune Villanueva» , déclara-t-il à une journaliste de La Presse. (102) Il y a 50 personnes au Bureau du coroner qui auraient pu faire l'enquête. Pourquoi a-t-on nommé le juge Sansfaçon ? Pour qu'il donne à cette enquête des retombées qui auront du poids dans le public. » Me Gilbert parlait en connaissance de cause. L’enquête qu’il avait menée ne s'était pas limitée aux circonstances de la fusillade qui causa la mort du caporal Lemay, mais avait également abordé le contexte plus large, notamment les relations entre les Mohawks de Kanesatake et les gouvernements municipaux et fédéraux. Dans son rapport, Me Gilbert recommanda que la SQ obtienne le feu vert du gouvernement québécois avant d’intervenir par la force dans une municipalité pour résoudre un « conflit communautaire ». (103) « S'il y a un antagonisme entre la police et certains milieux sociaux, si le seul fait qu'on soit Noir ou que ça se passe dans tel district, c'est déjà deux prises contre la personne appréhendée, cela justifie qu'on l'examine dans une enquête comme celle-ci », affirma-t-il en faisant allusion à l’enquête sur la mort de Fredy. Certains formateurs d’opinion ne voyaient toutefois pas d’un bon œil la tenue d’une enquête au mandat élargi. « Les partisans d'une enquête plus large voudraient que soient étudiés les problèmes sociaux du quartier et les comportements des policiers. Ces questions, certainement importantes, ont déjà fait l'objet des "chantiers de Montréal-Nord" lancés par le maire Gérald Tremblay », écrivit l’éditorialiste de La Presse André Pratte. (104) De son côté, la chroniqueuse du Devoir Denise Bombardier était d’avis qu'« commission d'enquête tous azimuts » donnerait lieu à un « psychodrame » puisqu’elle pourrait offrir une tribune aux « adversaires irréductibles de la police, ceux qui blâment les policiers quelles que soient leurs interventions » et, pire encore, aux « idéologues de la lutte des classes » ! (105) Dans leur étude, les criminologues du CIPC se prononcent en faveur d’une analyse élargie du contexte entourant les interventions policières qui servent d’éléments déclencheurs aux émeutes. « Le système d'action concret de chaque événement malheureux qui va enclencher ou inhiber un épisode de violence doit être scruté en l'élargissant au contexte exact de ce qui a précédé l'événement et de ce qui l'a immédiatement suivi, plaident-ils. Le but n'est pas de pondérer les responsabilités et les défaillances respectives des protagonistes, comme il en va d'un magistrat. Il est plutôt de pouvoir reconstituer la palette des interactions possibles, jusqu'à pointer le moment où elles auraient échappé à la maîtrise des protagonistes ». (106) L’étude du CIPC offre d’ailleurs un survol des réponses des autorités politiques dans les autres pays. « En Angleterre et en Australie, des commissions d’enquête parlementaires ont été mises en place avec de larges mandats », notent les criminologues. (107) Ainsi, les émeutes de Brixton de 1981 ont été suivies quelques jours plus tard par la mise sur pied d’une commission d’enquête présidée par le baron Leslie George Scarman. Dans son rapport, lord Scarman « pointait la nécessité de prioriser une réponse sociale d’envergure à la gestion des quartiers défavorisés, avant même de chercher à recréer le lien de confiance entre la police et la population ». La réponse politique aux émeutes de Redfern ne s’est également pas fait attendre. « En Australie, la Commission parlementaire a été mise en place dès le 26 février 2004, soit 10 jours après les faits et a rendu un rapport intermédiaire consistant en août, puis un rapport définitif très complet en décembre de la même année, lit-on. (108) Ces rapports couvrent tant les modalités d’intervention des forces de police et leurs – mauvaises – relations avec la population, que les enjeux de renouvellement urbain des deux quartiers concernés, l’ensemble des désavantages sociaux subis par ces populations; la – piètre – qualité des services publics sur ces territoires, ou encore les difficultés liées à l’implantation d’un centre d’échanges de seringues pour les personnes toxicomanes. Toutes ces problématiques sont abordées sous l’angle et dans le contexte particulier de la situation des personnes autochtones qui cumulent les handicaps. » À l’opposé, en France, où la situation semble particulièrement critique, « le ministère de l’Intérieur s’est opposé à toute demande de création d’une commission d’enquête indépendante sur la crise de l’automne 2005 à l’image de la célèbre commission d’enquête de Lord Scarman, rapportent les auteurs de l’étude. Il faut dire que la majorité politique à l’Assemblée s’y est également opposé, en dépit des appels de l’un des sociologues les plus écoutés et influents sur les questions de police et sécurité, Sebastian Roché, qui a prêché en vain à ce sujet sur toutes les ondes et presses écrites ». Les criminologues du CIPC vont jusqu’à affirmer que le manque d’ouverture des autorités françaises donne lieu à une « véritable pénurie organisée » d’informations. Toutefois, tant en Angleterre qu’en Australie, les commissions d’enquête qui furent mise sur pied après les émeutes ne semblent pas s’être traduites par des changements concrets. « En 1987, le bilan des recommandations du rapport Scarman est décevant : rien ou presque n’a été fait et les budgets alloués pour reconstruire les quartiers en difficulté n’ont cessé de diminuer au fil des ans », indiquent les auteurs de l’étude du CIPC. En Australie, les résultats tangibles semblent incertains. « Malgré nos recherches, il ne semble pas qu’un bilan complet du suivi de ces recommandations ait été établi », lit-on. (109) Les auteurs de l’étude du CIPC sont cependant d’avis que la multiplication des enquêtes est porteuse d’un « effet pervers ». « Le nombre des recommandations se multiplie en proportion du nombre des enquêtes, remarquent-ils. (110) Passé un certain seuil, la somme des recommandations produit des effets d’annulation, une recommandation en annulant d’autres, ou devient tellement grande qu’elle défie toute tentative d’application. » À titre d’exemple, ils mentionnent que les émeutes de Redfern ont donné lieu à une profusion d’enquêtes. Selon eux, mieux vaut s’en remettre à une seule et unique enquête, en autant qu’elle soit complète. « Une seule enquête systématique est de loin préférable à une accumulation de rapports extérieurs parfois divergents et dont on ne fait jamais la synthèse », concluent-ils. Au Québec, les relations entre les corps policiers et les membres des communautés ethnoculturelles firent l’objet de quelques enquêtes ou groupes de travail au cours des vingt dernières années, aboutissant à des rapports apportant chacun leur lot de recommandations. Souvent, il a fallut un drame pour inciter le gouvernement à lancer ce genre d’initiatives : le rapport Bellemare (1988) faisait suite à la mort d’Anthony Griffin, un jeune Noir de 19 ans tué « accidentellement » d’une balle dans la tête tirée par l’agent Allan Gossett, le 11 novembre 1987, tandis que le rapport Corbo (1993) faisait suite à l’affaire Marcellus François, un Noir de 24 ans abattu « par erreur » d’une balle en plein front tirée par le sergent Michel Tremblay du SWAT, le 3 juillet 1991. Or, selon Dan Philip, président de la Ligue des Noirs du Québec, la mise en application de ces recommandations laisse à désirer. « Si les corps de police et les gouvernements avaient respecté les recommandations des rapports du passé, le type d'intervention policière qui a coûté la vie à Fredy Villanueva ne se produirait plus, déclara Philip quelques jours après l’émeute du 10 août 2008. (111) Depuis la mort de Marcellus François, toutes sortes de situations semblables se sont produites. Il n'y a pas eu de changement de mentalité, de culture au sein de la police. » Ainsi, les recommandations du rapport Corbo portant sur la formation des policiers au niveau des rapports avec les communautés ethnoculturelles n’ont pas produit les résultats escomptés. « Il n'y a eu aucun développement au niveau de la formation dans les collèges », affirma Fo Niemi, directeur du Centre de recherche-action sur les relations raciales. Une chose est sûre : ce n'est certainement pas en ignorant les problèmes qu'on les règle. Au contraire, c'est en ignorant les problèmes qu'on les perpétue. Et c'est en perpétuant les problèmes qu'on les aggrave. Dans cette optique, ce n'est qu'une question de temps avant qu'une autre intervention policière brutale aux conséquences tragiques, comme celle qui coûta la vie à Fredy Villanueva, ne donne lieu à d'autres émeutes dans une des « zones sensibles » de l'agglomération métropolitaine. Et à ce moment-là, le gouvernement du Québec n'aura que lui-même à blâmer pour avoir raté une opportunité de s’attaquer de front aux problèmes de fond qui sont à la base du sentiment de colère qui gronde chez les moins nantis. La police communautaire : Les auteurs de l’étude du CIPC ne se contentent pas de faire l’inventaire des facteurs exacerbant les tensions entre policiers et citoyens : ils mettent également de l’avant ce qu’ils considèrent être des pistes de solution pour apaiser les relations conflictuelles entre les forces de l’ordre et les membres de la communauté. En ce qui concerne le volet préventif de leur démarche, les criminologues ne cachent pas qu’ils sont entièrement convertis aux vertus de la police communautaire. « Les modes d'intervention de la police en situation d'urgence, les accusations de profilage racial jouent un rôle dans le déclenchement des émeutes, mais, dans la durée, le climat de tensions entre citoyens et police paraît très lié à la qualité de l'exercice quotidien de la police et aux relations que les agents, tout comme l'institution, entretiennent avec la population », croient-ils. (112) Lors d’un entretien avec une journaliste de La Presse, le criminologue Jean-Paul Brodeur, co-auteur de l’étude du CIPC, réaffirma sa profession de foi en faveur de la police communautaire. « Si la philosophie de police communautaire était appliquée intégralement, on n'aurait pas eu d'incident comme celui de Montréal-Nord », alla-t-il jusqu’à dire. (113) Pour les criminologues du CIPC, la prévention des tensions, et donc des émeutes, passe obligatoirement par un rapprochement harmonieux entre la population civile et les forces de l’ordre. « La police communautaire contribue à la prévention et à la détection du risque de violences urbaines par la qualité de son immersion dans le contexte local », font-ils valoir. (114) Dans cette perspective, la police communautaire apparaît comme une stratégie viable de maintien de l’ordre dans les « zones sensibles » où vivent des populations frappées par différentes formes d’exclusion– pauvreté et racisme – ce qui fait d’elles des menaces potentielles qu’il convient d’encadrer et d’avoir à l’œil. Montréal-Nord en santé se fait aussi l’apôtre du rapprochement policier-citoyen. Ainsi, le rapport final des chantiers fait de la « restauration des liens de confiance » entre les policiers et les résidents « une priorité immédiate ». (115) « Cet objectif doit cibler d’abord et avant tout la population du secteur nord-est », précise-t-on. « Des initiatives à court terme doivent être amorcées pour favoriser une meilleure compréhension par la population du travail policier, d’une part, et pour améliorer la connaissance du milieu par les policiers. » La direction du SPVM abonde dans le même sens. « Les événements d’août 2008 à Montréal-Nord sont venus rappeler qu’il est plus que jamais nécessaire d’accentuer la concertation et de se rapprocher de la communauté », lit-on dans le Plan d’action 2009 préparé par la Section de la recherche et de la planification de la Direction stratégique du SPVM. (116) Par ailleurs, l’analyse comparative du phénomène émeutier à l’échelle internationale n’a fait que raffermir la croyance des criminologues du CIPC dans la pertinence de l’approche communautaire. « L'analyse des événements en France, au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Australie montre clairement qu'ils ont été préparés et nourris par les difficultés de compréhension et le manque de liens entre police et population. Les manques comme les excès de l'action de police aggravent ces antagonismes. Face à ces difficultés, la police communautaire ou police de proximité est considérée comme la réponse "évidente" aux violences urbaines », écrivent les auteurs de l’étude. (117) « En France, à la suite des émeutes de novembre 2005, le retour à une police plus proche de la population et des réalités locales a été réclamée fortement par les maires et de nombreux intervenants sociaux et se veut une réponse au besoin de sécurité quotidienne. En Australie et au Royaume-Uni, le renforcement de la relation de proximité, de compréhension des identités culturelles et de respect ont également été érigées en remèdes principaux à ces conflits », poursuivent-ils. (118) Or, comme le mentionnent eux-mêmes les criminologues du CIPC, la formule de la police communautaire a pourtant montré ses limites lors de l’émeute qui éclata au centre-ville de Montréal, le 9 juin 1993, après la conquête de la Coupe Stanley par le club de hockey Le Canadien, entraînant des dégâts atteignant 10 millions $ et faisant 168 blessés, dont 49 policiers. (119) « La planification du service d’ordre mis en place pour conjurer les violences de la nuit du 9 au 10 juin 1993 obéissait aux principes de la police communautaire, selon lesquels il est préférable de se rapprocher de la communauté que de l’affronter de façon physique », rapportent les auteurs de l’étude. (120) Cette nuit-là, les policiers avaient notamment reçus pour consigne de « s’abstenir de porter l’équipement anti-émeute » et de « laisser la foule célébrer la victoire du Canadien, sans intervenir de manière agressive ». Chargé de faire enquête sur les multiples déboires qui ont marqués les opérations policières durant cette nuit d’émeute, le juge Albert Malouf en était venu à la conclusion que l’approche communautaire se prêtait plutôt mal aux débordements de foule. « Si l'option communautaire était la meilleure pour prévenir les violences collectives à long terme, elle n'était pas la meilleure méthode de confronter une foule prête à se livrer au désordre », écrivit le juge Malouf. (121) Dans un rapport interne portant sur le même événement, le directeur de l’ancien poste 25, Guy Lavoie, et son adjoint, Michel Beaudoin, se demandaient « si nos policiers "communautaires" peuvent toujours effectuer rapidement un virage et devenir des policiers répressifs ». (122) S’ils sont d’avis qu’une « police de conciliation avec la communauté dans ses diverses incarnations est sans doute la meilleure approche pour prévenir les violences urbaines », les criminologues du CIPC reconnaissent toutefois que la formule de la police communautaire souffre d’un certain « paradoxe » dans un contexte tumultueux. « Lorsque ces violences se déclenchent, cette stratégie de conciliation et de rapprochements est disqualifiée et contre-productive. Une bande d’émeutiers ne correspond plus à ce qu’on peut appeler une "communauté" », écrivent-ils. (123) « Les policiers sont dès lors dans une situation classique de double exigence (double bind), continuent les criminologues. Dans la mesure où ils demeurent attachés à la police communautaire, ils ont tendance à vouloir éviter la confrontation avec les éléments qui sont susceptibles de se livrer à des comportements d’émeutiers ; dans la mesure où ils doivent réprimer l’émeute lorsqu’elle se produit, leurs actions se partagent entre la sous-réaction à la gravité de la situation et à la sur-réaction qui risque de mener à des abus dans l’usage de la force. Dans notre expérience, cette ambivalence n’a jusqu’ici jamais été résolue dans les cas de violences collectives spontanées. » (124) On se rappellera sans doute que la formule de la police communautaire avait encore une fois été mise sur la sellette après le grabuge au centre-ville montréalais qui a suivi la victoire du Canadien en huitième de finale contre les Bruins de Boston, le 21 avril 2008, donnant lieu à des dégâts s’élevant à environ un demi-million de dollars. À l’époque, le directeur du SPVM, Yvan Delorme, en avait laissé plus d’un perplexe en expliquant que les policiers avaient adopté une « approche conviviale » pour « accompagner les partisans dans les célébrations ». (125) Après les émeutes de Montréal-Nord, la Fraternité n’hésita pas à questionner ouvertement la pertinence de l’approche communautaire du SPVM. « Quand on nous tire dessus comme c’est arrivé le soir du 10 août, l’approche communautaire ne peut plus rien y faire », affirma le président de la Fraternité, Yves Francoeur. (126) « Il y a un réel danger que nous perdions le contrôle des éléments les plus criminalisés et les plus imprévisibles de notre société, je parle ici des gangs de rues, pendant que l’on multiplie les appels au calme et que l’on reste cachés derrières les poteaux, les soirs d’émeute. » Francoeur se montra particulièrement cinglant envers le directeur Yvan Delorme lors d’une entrevue accordée au Journal de Montréal deux semaines après les émeutes de Montréal-Nord. « Notre boulot, à la police, c'est la répression. Nous n'avons pas besoin d'un agent sociocommunautaire comme directeur, mais d'un général. Après tout, la police est un organisme paramilitaire, ne l'oublions pas », lança le chef syndical. (127) Les propos de Francoeur semblaient d’ailleurs démontrer la ténacité de certaines idées reçues au sein du SPVM à l’égard de la police communautaire. « La police communautaire, ce n'est pas faire copain-copain avec les délinquants », précisa Valérie Sagant, directrice générale du CIPC et également co-auteure de l’étude comparative. (128) La Fraternité blâma également la direction du SPVM pour les délais d’intervention dans le déploiement des Groupes d’intervention (GI, unités anti-émeute) lors des opérations policières qui visaient à contrôler tant les débordements des partisans du Canadien que ceux qui survinrent à Montréal-Nord, quatre mois et demi plus tard. Selon Francoeur, les effectifs des GI étaient prêts à passer à l’action dans les deux cas, mais restèrent passifs en raison des hésitations de la direction du SPVM. « Nos gens étaient là, mais il n'y avait pas d'ordre qui sortait pour les faire intervenir. Nos gens frémissaient et attendaient juste le go qui n'est pas venu », déplora Francoeur. (129) Le syndicat policier contesta aussi les décisions d’envoyer en première ligne les policiers patrouilleurs des postes de quartier lors de ces deux événements. Leur objection se base sur le fait que ceux-ci sont munis d'un équipement « léger » de contrôle de foule, soit un casque et un bâton de 36 pouces, tandis que les 175 policiers qui constituent les effectifs des GI sont mieux équipés et mieux formés pour réprimer une émeute. « On comprend que le maire de Montréal et le chef de police ne veulent pas voir aux nouvelles télévisées le GI, avec son équipement imposant. La ville pourrait avoir l'air d'être violente. C'est une préoccupation légitime, mais ce n'est pas la nôtre », déclara le responsable des communications de la Fraternité, Martin Viau. (130) « À notre avis, il serait préférable, dès qu’une menace réelle surgit, de déployer en première ligne les agents des groupes d’intervention », écrit pour sa part le vice-président à la prévention de la Fraternité, Robert Boulé, dans La Flûte, la revue de la Fraternité. (131) « Être équipés pour faire preuve d’un certaine fermeté, lors d’une intervention qui présente des risques de violence, est une autre bonne façon de préserver une bonne image pour un corps policier. On l’a vu à Montréal-Nord, quand les manifestants ont le temps de tout casser et de mettre le feu avant que les groupes d’intervention interviennent, l’image du Service s’en trouve de toute façon affectée. » Pour les auteurs de l’étude du CIPC, « l'importance de l'intervention policière dans les premiers instants » figure parmi les leçons à retenir des émeutes de Montréal-Nord. (132) Selon eux, les opérations de contrôle de foule doivent viser à « renforcer l'impression que les autorités maîtrisent la situation et ne "cèdent" donc pas de terrain ». Toutefois, « lorsque ces interventions sont violentes, même légales, elles peuvent alimenter l'incompréhension et la révolte », préviennent-ils. (133) Les criminologues jugent aussi bon de rappeler au SPVM que « l'action de la police est aujourd'hui plus facilement sous le regard des citoyens et doit intégrer le développement des caméras vidéos et téléphones portables ». Cependant, l’inaction policière ne serait pas une option à leurs yeux non plus. « Le délaissement du territoire ou une trop grande latitude laissées aux mouvements de foule peuvent favoriser une émeute », croient les criminologues. (134) Selon eux, les policiers doivent trouver une sorte de juste milieu qui leur permettra de « dissuader sans provoquer ». « Le "dosage" et la nature des interventions policières pourraient s’inspirer de la riche expérience en matière de manifestations sportives », écrivent-ils. Une émeute nocive pour la Question de s’assurer que la direction du SPVM donne suite à ses doléances, la Fraternité, via son Comité général de coordination de santé et sécurité au travail, décida de s’adresser à la Commission de santé et de sécurité au travail (CSST) en faisant valoir que les policiers qui furent déployés lors de l’émeute à Montréal-Nord n’avaient pas bénéficié d’une protection adéquate. Une policière a effectivement été blessée par balle à la cuisse droite durant l’émeute tandis qu’une dizaine d’autres auraient subis un choc post-traumatique. « Nous avons été très chanceux qu’il n’y ait qu’une seule policière de blessée », se consola tout de même Yves Francoeur. Dans son rapport, la CSST se montra très critique envers le SPVM pour sa planification déficiente le soir de l’émeute du 10 août 2008. Les inspecteurs de la CSST ont en effet identifié « plusieurs lacunes dans la gestion » des opérations de contrôle de foule, qui se sont traduites par des effectifs inadéquats à des moments cruciaux, un manque d'équipement de protection, une absence d'évaluation du risque et une confusion dans la transmission des ordres. Pour la CSST, le caractère brusque et soudain d’une émeute, qui est par définition un événement spontané, n’est pas une excuse permettant à l’employeur de se soustraire à son obligation d’assurer un environnement de travail sécuritaire aux policiers. « Il est possible d’intégrer la gestion de la santé et de la sécurité des travailleurs dans le cadre de ses opérations et ce, même dans un cadre où les événements sont imprévisibles », indique le rapport. (135) « Les policiers peuvent être exposés à une "vision tunnel" lors d’une intervention, écrivent les inspecteurs de la CSST. Étant impliqué dans une situation où plusieurs événements surviennent simultanément, ils peuvent ne pas percevoir les dangers autour d’eux. D’où l’importance de planifier au préalable et systématiquement toute opération policière, notamment le contrôle de foule, et ce, qu’elle soit impromptue ou planifiée en s’assurant que l’organisation du travail et les méthodes et techniques utilisées soient sécuritaires pour les travailleurs ». (136) La CSST déplora plus spécifiquement la désinvolture avec laquelle le SPVM géra la situation après que la policière eut été blessée par balle. « La gestion du risque du SPVM a été déficiente, car suite à l’événement où une agente a été atteinte par balle, les agents ont été réexposés, de nouveau, aux mêmes conditions que lors de l’événement. Aucune démarche pour neutraliser la menace n’a été effectuée », lit-on. (137) Lorsqu’elle remit son rapport, le 27 mars 2009, la CSST donna 90 jours au SPVM pour apporter les correctifs nécessaires. Bien entendu, la Fraternité fut enchantée par les conclusions de la CSST. Le rapport « confirme clairement la pertinence de notre démarche », se félicita la Fraternité dans sa publication syndicale. (138) De son côté, la direction du SPVM réagit au rapport de la CSST en déclarant qu’une série de mesures avaient déjà été adoptées depuis les émeutes de Montréal-Nord. Le directeur adjoint du SPVM Jean-Guy Gagnon expliqua à La Presse que certaines prises de décision ont été décentralisées et relèvent maintenant des commandants sur place, et non plus du Centre de commandement et de traitement de l’information (CCTI), basé à l’intérieur du quartier général du SPVM. (139) Ainsi, les officiers hauts-gradés se trouvant sur le théâtre des opérations ont dorénavant le pouvoir de décider s’il est opportun d’utiliser les gaz lacrymogènes et d’avoir recours à certaines techniques de contrôle de foule. Comme le rapport de la CSST soulève aussi la question l’équipement de protection des policiers, la Fraternité n’allait pas rater l’occasion de demander aux autorités d’investir davantage dans la quincaillerie. Le SPVM avait déjà satisfait à une demande formulée par la Fraternité avant l’émeute du 10 août 2008 en acceptant de fournir deux nouveaux gadgets aux membres des GI. Ainsi, les effectifs spécialisés dans la répression des émeutes auront droit à des casques balistiques conçus pour faire dévier les balles ainsi qu’à des walkie-talkie munis d’un bouton d'urgence permettant d'avertir et de signaler leur position en cas de détresse. Mais c’était encore loin d’être suffisant aux yeux de la Fraternité. « Tous les policiers, ceux des postes de quartier et des groupes d'intervention, devraient être équipés de la même façon. Si la policière blessée avait eu un bouclier, la balle aurait peut-être dévié », estima Robert Boulé. (140) Si Jean-Guy Gagnon ne ferma pas la porte à l’idée, il reste que les compressions de 13.8 millions $ dans le budget du SPVM rendent la chose peu probable. « On va regarder cette question avec l’inspecteur de la CSST, mais c’est certain qu’il y aura une question de sous », déclara Gagnon à RueFrontenac.com, le blogue des journalistes du Journal de Montréal en lock-out. (141) Une boule de cristal pour le SPVM ? Les personnalités publiques ont été nombreuses à dire que les émeutes de Montréal-Nord étaient prévisibles. Harry Delva, coordonnateur des projets jeunesse à la Maison d'Haïti, (142) Luck Mervil, auteur-compositeur-interprète (143), Jean-Robert Sansfaçon, éditorialiste au quotidien Le Devoir (144), Ali Nestor Charles, dirigeant d’une académie d’arts martiaux (145), Jacques Duchesneau, ex-directeur du SPVM (146), ont tous affirmé à leur façon qu’il fallait s’attendre à de tels débordements. D’après Yves Francoeur, il aurait été « facile de prévoir qu'il y aurait des débordements » à Montréal-Nord après la mort violente de Fredy Villanueva. « On avait senti la tension monter toute la journée. On aurait pu prévoir qu’il était pour se passer quelque chose», raconte-t-il. (147) « Il aurait été facile de réunir 500 policiers rapidement, en faisant notamment entrer plus tôt ceux qui travaillaient de nuit ». Les lacunes au niveau de l’évaluation du risque figurent aussi parmi la liste de critiques que la CSST adressa au SPVM. « Lors de l’intervention du 10 août 2008, le SPVM n’a pas intégré à ses opérations et à ses décisions une approche en fonction des risques potentiellement présents et n’a pas procédé à l’évaluation des risques réels à la santé et à la sécurité des agents », écrivent à ce sujet les inspecteurs de la CSST. (148) Jean-Guy Gagnon tenta tant bien que mal d’expliquer le manque de prévoyance du SPVM. « Notre problème a été d’avoir mal évalué la menace, reconnu-t-il. Nous avions comme information que ce serait une manifestation pacifique avec des familles et des enfants. Dans le passé, nous avons déjà été accusés d’avoir provoqué des événements avant qu’ils éclatent », continua le directeur adjoint. (149) « Ce soir-là, on a tenté de multiplier les contacts avec les gens de la communauté. Mais dans ce secteur-là, on a n'a pas réussi à avoir un filet social où il y a des intervenants qui peuvent être facilement interpellés. On a essayé auprès de maintes personnes d'avoir un leader qui puisse intervenir auprès de la communauté. Malheureusement, on n'a pas pu trouver cette personne-là. » (150) « Depuis, on a multiplié les rencontres pour établir un bon réseau », continua Gagnon. « Ce qu'il faut améliorer, c'est comment faire pour avoir une lecture de l'environnement juste qui nous permette d'ajuster le niveau de réponse adéquatement », déclara Gagnon. (151) Les services de renseignements du SPVM auraient donc été améliorés pour mieux évaluer les risques de violence collective tandis que les liens avec les dirigeants communautaires de l’arrondissement auraient été accrus. « Il faut qu'on parle directement avec les jeunes, les parents, les directeurs d'école pour être plus à l'affût de ce qui se passe vraiment sur le terrain. On n'est pas au même niveau que ce qu'on a, par exemple, dans le quartier Saint-Michel ou Rivières-des-Prairies, où les problématiques sont semblables. » L’étude du CIPC suggère quant à elle au SPVM de se doter d’un « outil de prévision » pouvant détecter les signes avant-coureurs d’émeutes, ou autrement dit, un instrument capable de mesurer le niveau de remplissage du vase avant qu’une goute ne le fasse déborder. Dans cette perspective, les criminologues préconisent « le recensement précis et systématique des problèmes de relations entre la police et les habitants », ce qui implique les « plaintes déposées, signalements de comportements individuels d'agents qui posent problème, mais aussi, difficultés plus structurelles d'un service dans son ensemble », de même que « la perception de certaines opérations policières "agressives" : perquisitions et arrestations massives, contrôles d'identité répétés, "prise de contrôle" de certains espaces publics... » (152) « La France a mené les travaux les plus complets en la matière, mais leurs résultats demeurent décevants », écrivent les criminologues. (153) Conçu dans un « climat de compétition entre les différentes directions de la Police nationale », l’Indicateur national des violences urbaines (INVU) a été instauré dans la foulée des soulèvements émeutiers qui éclatèrent dans les banlieues françaises à l’automne 2005. L’INVU devait « permettre un suivi, une évaluation et une coordination des forces en lutte contre les violences urbaines ». Toutefois, les auteurs de l’étude du CIPC sont d’avis que les concepteurs de l’INVU ont « manqué de rigueur ». Ils écrivent que l’INVU fait appel à des notions « très imprécises », comme les « attroupements hostiles et indésirables », tandis que la notion de « violences collectives urbaines à l'encontre des services de sécurité » laisserait place à une « très grande part de subjectivité ». (154) Surtout, ces notions « ne permettent pas de lire le territoire local », ce qui enlève beaucoup d’intérêt à cet instrument aux yeux de l’équipe de criminologues. Pour éviter de répéter les erreurs de la Police nationale française, une version montréalaise de cet instrument de prévision ne devrait pas être « fondé sur les seules informations policières », mais devrait plutôt assurer « une "lecture de l'environnement" partagée avec les autres autorités locales et acteurs de la société civile qui intègre les enjeux concernant les relations entre la population et les institutions publiques. » Les criminologues croient également que cette vaste collecte d’information serait plus efficace si elle était menée « à partir d'un réseau de capteurs locaux diversifiés » et « non de manière pyramidale et hiérarchique ». (155) Par contre, les auteurs de l’étude pensent aussi que « les acteurs sociaux, sanitaires, urbains, municipaux et autres peuvent légitimement résister à l’"instrumentalisation" de leurs politiques dans le seul objectif de renforcer la sécurité ou de soutenir l’action de la police. » (156) Par ailleurs, les criminologues sont aussi d’avis que les médias, qu’ils décrivent comme étant « un acteur important de l'environnement urbain », peuvent jouer un rôle dans la détection de signes avant-coureurs d’émeutes. Ils expliquent notamment l’intérêt à « intégrer le suivi des récits faits dans les médias dans l'analyse du climat local » en écrivant que « la propagation de la mauvaise réputation d'un quartier est rapide et alimente le sentiment d'abandon et d'injustice des habitants ». (157) Comme on le sait, des critiques à l’égard du traitement médiatique de la situation à Montréal-Nord ont été mentionnées dans l’étude de l’ASSSM et celle sur l’îlot Pelletier. Selon les criminologues du CIPC, « le suivi médiatique doit prendre en compte non seulement la façon dont il est rendu compte de l'action de la police, mais également tout ce qui traduit la perception que les médias eux-mêmes ont de la situation, particulièrement ce qui concerne l'anticipation faite d'incidents ou de violences ». Par ailleurs, les criminologues invitent aussi les policiers à se soucier de l’utilisation qu’ils font des médias en soulignant que « toute communication doit viser à délivrer la vision de l'autorité qui s'exprime même quand il ne s'agit que de faits bruts ». De son côté, le rapport final de Montréal-Nord en santé recommande la création d’une « Table Prévention, Paix et Sécurité publiques de Montréal-Nord (Table PPS) » dont le mandat consistera à « réunir les ressources publiques, communautaires et citoyennes concernées par le maintien et la promotion de la paix et de la sécurité dans Montréal-Nord ». (158) Les participants des chantiers semblent miser beaucoup sur cette nouvelle instance. « La Table PPS devra être un lieu de partenariat plutôt qu’une simple table de concertation. À cette fin, elle devra réunir les dirigeants politiques de haut niveau, les directions administratives concernées, ainsi que des intervenants de première ligne de Montréal-Nord, lit-on. Des mécanismes formels de liaison et de coordination devront être prévus pour que les décisions de la Table deviennent exécutoires dans les instances appropriées. » La composition souhaitée de cette table rappelle étrangement ce « réseau de capteurs locaux diversifiés » auquel l’étude du CIPC fait allusion. De toute évidence, cette recommandation s’inscrit dans le cadre général des efforts institutionnels visant à détecter et à désamorcer « les situations potentiellement conflictuelles » à Montréal-Nord, et ainsi prévenir d’éventuelles émeutes. « Il faut mettre en place un comité de prévention en sécurité urbaine pour éviter d'autres situations qui pourraient s'envenimer avec les jeunes », expliquait Jean-Pierre Beauchamp, de Montréal-Nord en santé, le jour du dépôt du rapport final. (159) Notons que le ton du rapport final de Montréal-Nord en santé est celui de l’urgence. « Cette table doit être mise en place à court terme, le plus tôt possible au début de 2009 », plaide-t-on. « Il faut faire ça très rapidement », surenchérit Beauchamp. La mise en place de cette instance ne s’est d’ailleurs pas trop fait attendre puisqu’une table appelée Paix et Sécurité urbaines voyait le jour à Montréal-Nord dès le 15 mai 2009, soit à peine un mois et demi après le dépôt du rapport des chantiers. Fait significatif, de toutes les quelques 140 recommandations que compte le rapport final des chantiers, la mise sur pied de la table Paix et Sécurité urbaines semble être l’une des seules, sinon la seule, a avoir été appliquée. Bon cop, bad cop Si le parti-pris des criminologues du CIPC en faveur de la police communautaire ne fait aucun doute, leur étude signale toutefois un hic. Après 25 années d’existence au SPVM, la formule de la police communautaire aurait mal vieillit et souffrirait aujourd’hui d’un « déficit de définition ». « Après toutes ces années, le concept de la police communautaire a perdu de sa précision et une certaine lassitude dans la poursuite des réformes s’est installée au SPVM, déplorent-ils. (160) La notion paraît essoufflée, sans doute parce que sa mise en œuvre a été trop floue et insuffisante ». (161) Les auteurs de l’étude vont presque jusqu’à dire que la police communautaire est devenue un concept fourre-tout utilisé à toutes les sauces. « Dans certains quartiers, la police communautaire se réalise dans des stratégies opérationnelles de partenariat avec la communauté, alors que dans d’autres quartiers, elle a perdu une grande partie de sa spécificité et a même donné naissance à son contraire, à savoir une police d’intervention répressive qui s’incarne entre autres dans les opérations de l’unité "Éclipse", qui lutte contre les gangs de rue », rapportent-ils. (162) La police communautaire générerait une telle confusion que les criminologues du CIPC préfèrent même lui trouver une nouvelle appellation. « Nous utilisons le terme d'une police en phase avec la population pour traduire les éléments essentiels de cette relation et du mode d'action de la police », écrivent-ils. (163) Les auteurs de l’étude ne montrent d’ailleurs aucune hésitation à faire de cette « police en phase avec la population » un « enjeu principal de la prévention des violences urbaines ». Pour eux, ce mode d’action policier se définit comme étant « une police faisant partie de la communauté dans laquelle elle intervient » et « qui n'est pas déphasée par rapport aux attentes de sa communauté (choix d'intervention appropriés au contexte local et attitudes respectueuses) ». Notons d’ailleurs que le rapport final des chantiers tient un discours semblable, en préconisant que les policiers y mettent du leur pour apprivoiser le secteur où ils interviennent. « Des efforts devraient être immédiatement entrepris par le SPVM pour faciliter l’intégration des nouveaux policiers ayant à travailler ou à intervenir dans le quartier » afin que ceux-ci arrivent à « mieux connaître les réalités du quartier et à mieux comprendre les besoins et les attentes de sa population », lit-on. (164) Les criminologues du CIPC croient aussi que cette version bonifiée de la police communautaire doit prendre la forme d’une « police à l'image de sa communauté (diversité ethnique, égalité hommes-femmes). » Toutefois, une étude publiée en 2006 par le Conseil interculturel de Montréal sur le profilage racial laisse entendre que l'accroissement de la représentation des minorités ethnoculturelles au sein du SPVM serait loin d'être une panacée. « Le fait d’être un policier immigrant ou un policier Noir ne change pas le traitement des victimes profilées de manière significative », écrivent les auteurs de cette étude, qui se basèrent notamment sur les témoignages de victimes de profilage racial. (165) À cela s’ajoute le fait que l’étude du CIPC fait part d’un autre hic : les modes d’intervention policière agressifs qui alimentent les tensions entre les citoyens et les forces de l’ordre font ombrage à la police communautaire et nuisent aux efforts de rapprochement avec la population. « La police communautaire ou de proximité est souvent discréditée par les modes d'intervention des autres unités de police », ce qui aboutirait à l’instauration d’un « climat de tensions permanentes entre la police et la communauté ». (166) « L'analyse comparée montre presque systématiquement les difficultés, voire véritables conflits d'intérêt existants entre le patrouilleur local et les unités spécialisées ou d'enquêtes qui interviennent sporadiquement sur le même territoire, notent-ils. Le défaut de coordination et le trop fort contraste entre les styles d'action qui passent du dialogue à une intervention quasi-militaire fragilisent l'action de toute la police en alimentant à nouveau les incompréhensions de la part du public. Au mieux, le policier communautaire n'est plus pris au sérieux, au pire, il est tenu pour responsable des agissements de ses collègues et ne retrouve pas sa place dans la communauté ». En d’autres termes, le « bad cop » défait la job du « bon cop ». « Il y a un conflit des styles entre Éclipse et la police de quartier. Et ça crée une confusion chez les policiers et chez les citoyens », expliqua le criminologue Jean-Paul Brodeur à La Presse. « On ne peut pas se prononcer sur Éclipse, nuança sa collègue Valérie Sagant. Mais on a montré que ce genre de brigade, qui agit dans l'urgence, très spécialisée, qui vise à augmenter le nombre d'arrestations, ça aggrave en général les tensions ». (167) « Je réalise qu'il y a quelque chose. Il y a eu beaucoup de critiques », reconnut le directeur adjoint Jean-Guy Gagnon lors d’une longue entrevue qu’il accorda à La Presse. (168) Pour le SPVM, il est cependant hors de question de faire une croix sur l’escouade Éclipse. « En 2007, en février, on avait déjà 11 meurtres liés aux gangs de rue. Cette année, on est en mai, et on n'a encore aucun meurtre. Les tentatives de meurtre ont diminué de 20%. On a un très beau bulletin en matière de lutte contre les gangs de rue », se félicita le haut-gradé. Aux yeux de Gagnon, la feuille de route d’Éclipse parlait d’elle-même. La commandante d’Éclipse, Natalia Shuster, alla encore plus loin dans son apologie de cette escouade controversée. Contre toute attente, Shuster attribua à Éclipse un rôle d’apaisement. « Quand le groupe arrive, ç'a pour effet de calmer les esprits, ç'a pour effet, probablement, de prévenir certains actes, affirma-t-elle à La Presse Canadienne. (169) Les gangs de rue savent que nous avons une certaine expertise sur leur identité, sur leurs façons de faire, sur leur fonctionnement. Ça tranquillise et stabilise certaines situations. » Ce que la commandante ne disait pas cependant, c’est que la redoutable réputation d’Éclipse, que les membres de l’escouade ont eux-mêmes entretenu, n’est sûrement pas étrangère à l’effet refroidissant que sa présence suscite lorsqu’elle apparaît sur les lieux d’une intervention. Quoiqu’il en soit, puisque l’escouade Éclipse livre la marchandise, alors est là pour rester. En même temps, le SPVM ne pouvait s’offrir le luxe d’ignorer les critiques à peine voilées que des sommités du domaine de la criminologie formulèrent à l’égard des méthodes musclées de l’escouade Éclipse. Si la direction du SPVM voulait garder Éclipse, elle comprit aussi qu’elle avait tout intérêt à montrer patte blanche. « Il y a eu des changements majeurs au niveau d'Éclipse, affirma Gagnon. La première chose qu'on a changé, c'est la coordination avec le niveau local ». Avant l’émeute du 10 août 2008, les policiers d'Éclipse jouissaient d’une autonomie totale. Ils avaient en effet toute la latitude pour intervenir dans n’importe quel quartier de la métropole. « Maintenant, quand ils interviennent, ils doivent le faire en partenariat. Parce que le policier local, lui, il les connaît, les gens de son secteur », indiqua Gagnon. « Chaque secteur est différent et on doit s'adapter aux particularités locales, souligna la commandante Shuster. On peut appuyer des actions des postes de quartier simplement en étant visibles ». Donc, finit l’autonomie, place au partenariat. Le renseignement est un autre domaine où il y aurait place à l’amélioration. « Nous avons mis en place beaucoup de choses pour améliorer la communication, pour avoir plus d'information. C'est surtout ça qui est le nerf de la guerre », déclara Shuster. « Il faut plus d'analyse, plus de renseignements sur les tensions dans un quartier, sur les relations qu'il peut y avoir entre certains groupes, expliqua Jean-Guy Gagnon, dont les propos n’allait pas sans rappeler « le recensement précis et systématique des problèmes de relations entre la police et les habitants » préconisé par les criminologues du CIPC. Le directeur adjoint confia également à La Presse que le SPVM a identifié 10 secteurs à risque, sorte d’équivalent des « points chauds » français, qu’il refusa d’ailleurs de nommer sous prétexte de ne pas les « stigmatiser ». « Ces secteurs, ce n'est pas nécessairement un arrondissement au complet, précisa Gagnon, ça peut être deux rues par deux rues. Mais ce sont tous des secteurs où, selon la recherche, les conditions peuvent favoriser l'adhésion aux gangs de rue. » Le Plan d’action 2009 de la Direction stratégique du SPVM parle quant à lui de « secteurs du territoire ayant des caractéristiques similaires à Montréal-Nord », donc, qui pourraient un jour connaître des émeutes similaires à celle du 10 août 2008. (170) Le SPVM n’a, semble-t-il, aucune envie de se faire à nouveau prendre par surprise par une émeute qu’il n’a pas vu venir. Après l’émeute du 10 août 2008, les autorités décidèrent de prendre le pouls du secteur nord-est, ce « point chaud » notoire de Montréal-Nord. Désormais, le SPVM veut se donner les moyens de tâter le pouls en permanence de tous les secteurs désignés comme « zones à risque » que compte l’île. Dans cette perspective, ces « points chauds » se verront assigner deux préposés du SPVM, qui auront chacun un rôle spécifique. Le premier aura pour fonction de produire des « analyses », qui seront notamment acheminées à l’escouade Éclipse. Quant au second, il s’agira d’un « agent de concertation », qui est en fait un civil déjà connu du secteur et dont le titre officiel est celui de « conseiller en développement communautaire ». Les « agents de concertation » en question « mettront leur expérience et leurs relations avec la communauté au service des policiers travaillant en tandem avec eux », indique un communiqué du gouvernement. (171) Selon l’offre d’emploi affiché sur le site internet de la Ville de Montréal, ces « agents de concertation » auront notamment pour mandat d’« optimiser les relations entre les organismes communautaires, les institutions, les instances politiques locales et les intervenants des postes de quartier » et de procéder à l’« analyse les interventions policières ayant un impact sur les relations avec la communauté ». (172) Notons que cette embauche de personnel additionnel au SPVM fut rendue possible grâce à une somme de 3,3 millions $ annoncée par la ministre des Communautés culturelles et de l’Immigration du Québec, Yolande James, le 3 juillet 2009. (173) En tout, huit policiers ainsi que de huit « agents de concertation » seront affectés à des « points chauds » se trouvant dans les arrondissements de Villeray-St-Michel-Parc-Extension, Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grace, Sud-Ouest, LaSalle, Saint-Laurent, Pierrefonds-Roxboro et Ahuntsic-Cartierville. Quant à Montréal-Nord, l’« agente de concertation » Rose-Andrée Hubbard était déjà en poste depuis novembre 2008. Psychologue d’origine haïtienne, Hubbard siégea sur plusieurs tables de concertation à Montréal-Nord, fut directrice adjointe de la Maison des Jeunes l’Ouverture à Montréal-Nord et agente de milieu à l’école primaire Jules-Verne, où elle œuvra à améliorer les liens entre la famille, l’école et la communauté. (174) « Des gens peuvent hésiter à parler à la police, alors Rose-Andrée vient nous aider », expliqua le commandant du PDQ 39, Roger Bélair. (175) Une des principales contributions de l’« agente de concertation » consiste à neutraliser les « rumeurs » qui peuvent devenir des sources de tensions entre citoyens et policiers. « Avant, ça pouvait prendre plusieurs jours avant que les rumeurs remontent à nous. Maintenant, l'information circule dans la même journée grâce à Mme Hubbard », ajouta le commandant. Les fonds annoncés par la ministre James financeront aussi le programme COOP (Collaboration Optimale entre les Organismes Partenaires), qui vise « à faire connaître et comprendre les réalités quotidiennes des policiers » et à promouvoir le rapprochement entre le SPVM et les organismes communautaires. « Ce sera comme une Académie de police pour nos partenaires communautaires afin de démystifier la fonction des policiers, expliqua l’inspecteur Daniel Rousseau, chef de la Section des stratégies d’action avec la communauté du SPVM. (176) « Les participants auront la chance d'effectuer une patrouille de quelques heures dans les rues de Montréal en compagnie d'un policier », indique le site internet du SPVM. (177) Lancé d’abord à Montréal-Nord le 15 mai 2009, le programme COOP sera graduellement implanté dans les 32 autres postes de quartier du SPVM. Parallèlement à cela s’ajoute diverses initiatives destinées à donner au SPVM une image dans laquelle les jeunes des « points chauds » se reconnaîtront. Ainsi, en juillet 2009, le SPVM réquisitionna les talents de muraliste de Zilon, « un artiste de la contre-culture » bien connu, pour couvrir de graffitis une auto patrouille, rendant ainsi le véhicule de police à peine reconnaissable. « Ce sont des policiers qui ont eu cette idée dans l’espoir de calmer le jeu dans Montréal-Nord », expliqua le journaliste de LNC Charles Faribault. (178) Selon le reportage, l’auto patrouille colorée provoquait « des réactions qui vont de l’étonnement à l’incrédulité » chez les citoyens de Montréal-Nord. La policière au volant du véhicule taggé semblait elle-même émerveillée des résultats. « Faut qu’on débarque pour aller voir les jeunes, alors qu’avec ça ici, à deux reprises on a sorti, les jeunes viennent à nous, " wow, super, c’est original, vous êtes cool", les mains, les klaxons, même des adultes », lança-t-elle. Cette initiative ne fit toutefois pas l’unanimité au sein des rangs du SPVM. « Voici le résultat de la police de quartier quand on veut trop en faire pour faire plaisir à la population et aux politiciens… prochaine étape fumer un joint pour être cool???? », commenta sarcastiquement Martin Végiard, délégué de la Fraternité pour le PDQ 23. (179) Cela étant, les politiciens qui investissent des petites fortunes en fonds publics dans des stratégies relationnistes semblent souffrir d’une sorte de pensée magique, comme si les tensions entre citoyens et policiers pouvaient disparaître à coups de baguette magique - ou si vous préférez, à coups de matraque magique ! Chose certaine, il faudra beaucoup plus que des parties de basketball entre jeunes et policiers et des flics qui se la jouent cool pour enterrer la hache de guerre ! Ras le vase Il ne fait aucun doute que le spectre de l’émeute est une source d’inquiétude, voire d’angoisse pour les autorités, ce qui explique pourquoi elles mirent autant l’accent dans la prévention des débordements et la création de moyens pour surveiller le niveau de remplissage du vase. Mais pour ceux qui en ont ras le bol, ou ras le vase, le problème se situe ailleurs, sinon dans le vase lui-même. En fait, ceux qui interprètent l'absence d'émeute comme une preuve de paix sociale se gourent royalement, au même titre que ceux qui croient que la paix se résume à l'absence de guerre. Après tout, les apparences peuvent parfois être trompeuses et se fier à elles peut être une erreur lourde de conséquence. Ainsi, lorsque le ras le bol collectif ne se manifeste pas par des signes visibles aux yeux de tous, cela ne signifie pas pour autant que les laissés-pour-compte des zones déshéritées acceptent docilement leur sort. En réalité, là où l'on trouve des abîmes d’inégalités, il y a un conflit social latent qu’une paix sociale de surface ne pourra cacher que pour un temps limité seulement… jusqu’au moment où une autre goutte de trop fera à nouveau déborder un vase trop plein. Les autorités avaient poussé un soupir en constatant que le secteur nord-est ne s’était pas soulevé à nouveau suite à la décision de ne pas porter d’accusations contre l’agent Jean-Loup Lapointe. Toutefois, six mois plus tard, ce qui devait finir par arriver arriva : les rues de Montréal-Nord connurent un deuxième débordement en moins de douze mois. C’est en effet ce qui s’est produit le 16 juin 2009, la journée de la fin de l’année scolaire dans les écoles secondaires. Indépendamment du quartier, il y a généralement beaucoup d’électricité dans l’air durant ce moment de l’année où les écoliers sont soudainement libérés des diverses contraintes liées à la vie scolaire, le temps d’un été. Dans le secteur nord-est, plusieurs dizaines de jeunes fébriles se rassemblèrent au parc Carignan, à l'angle du boulevard Rolland et de la rue Renoir. « C'était des jeunes qui se tiraillaient jusqu'à ce qu'un coup de poing soit donné. Une dame en haut de chez nous a aussitôt appelé les policiers », expliqua Carl François, qui habite devant le parc Carignan. (180) Vers 22h30, deux ou trois véhicules auto patrouille furent dépêchés sur les lieux. « Mais à leur arrivée, il n'y avait pas de bagarre mais plutôt un rassemblement de 50 à 70 jeunes dans le terrain de basketball, raconta l'agent Daniel Lacoursière. Les policiers sont quand même restés sur les lieux par mesure préventive. » (181) Le commandant Bélair expliqua à Radio-Canada que le climat dans le secteur fait en sorte que les policiers se tiennent « aux aguets » lorsque des jeunes s'attroupent dans un parc. (182) Or, la « mesure préventive » n’a pas eu pour effet de calmer les esprits. Au contraire, elle semble plutôt avoir mit de l’huile sur le feu. « Quand on voit la police, ça nous inspire la violence », confia un des jeunes au Journal de Montréal. (183) « Les jeunes ont commencé à leur lancer des objets. Les agents sont intervenus et les jeunes sont sortis du parc et ont commencé à marcher dans les rues où des voitures ont été vandalisées », raconta l’agent Lacoursière. Mais les jeunes qui étaient présents ont cependant une version différente à raconter. « Un policier a sorti son arme et l'a pointée sur un jeune, et c'est à la suite de ça que les choses ont dégénéré. Au même moment, un ou deux jeunes ont foncé sur la police et ils se sont battus », rapporta Roger Petit-Frère, coordonnateur du Regroupement d'intervenants d'origine haïtienne de Montréal-Nord. (184) « C'est vrai qu'on a un peu niaisé les policiers, qu'on leur a crié des noms et lancé des choses, mais de là à nous matraquer et de pointer son gun, il y a des limites à toujours vouloir nous intimider », raconta un des jeunes à La Presse. (185) « Les policiers ont été agressifs envers nous pour aucune bonne raison. Ils s'en sont pris à des gars uniquement parce qu'ils étaient habillés en rouge. Des fois, la seule réponse c'est la violence », ajouta un autre jeune homme âgé de 20 ans, qui était aussi présent sur les lieux. Face à l’escalade de la situation, des dizaines de policiers des postes de quartier environnants furent appelés en renfort. Les manœuvres de dispersion commencèrent lorsque les effectifs policiers furent jugés en nombre suffisants. Les jeunes se retrouvèrent dans les rues, en petits groupes. Des feux furent allumés dans les poubelles, tandis que des cabines téléphoniques, des abribus et des véhicules de citoyens furent vandalisés. Sur le boulevard Léger, les vitrines d'une succursale de la Banque nationale et d'une pharmacie Jean Coutu furent fracassées, dont certaines avec des bonbonnes de gaz propane. Craignant à nouveau d’être pris pour cibles comme ils l’ont été durant l’émeute du 10 août 2008, les pompiers se barricadèrent à l’intérieur de leur caserne du boulevard Rolland. Au total, cent policiers furent impliqués dans les opérations de contrôle de foule. Cette fois-ci, le président de la Fraternité, Yves Francoeur, se montra satisfait du niveau d’organisation policière. « Trente minutes après le début de l'événement, on était plus nombreux que les manifestants », affirma-t-il. Si bien qu’à 1h du matin tout était terminé. Ce n'est toutefois qu’aux environ de 4h du matin que le dispositif d'intervention fut démantelé. Bilan : une trentaine de méfaits furent commis tandis un policier aurait subit des blessures mineures au visage et au bras pendant qu'il passait les menottes à un des jeunes. Neuf individus âgés de 18 à 27 ans furent arrêtés sous des accusations d'avoir troublé la paix, de voies de fait sur les policiers, de méfaits, de menaces et de possession d'armes dans un dessein dangereux. Cette mini-émeute provoqua un certain nombre de réactions sur la scène politique. « C'est l'œuvre de seulement quelques casseurs. Certains de ces jeunes adultes ne sont pas des citoyens de Montréal-Nord », déclara le maire de Montréal-Nord Marcel Parent, à l'entrée de la séance mensuelle du conseil d'arrondissement. (186) De son côté, le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, semblait privilégier une thèse de la conspiration. « Un certain nombre de personnes, qui sont en général des jeunes, cherchent à déstabiliser pour accomplir leurs actes, qui sont des actes de nature illégale », croit-il. Une certaine inquiétude se lisait dans les propos des dirigeants policiers. « L'été n'est pas commencé et c'est une poudrière à Montréal-Nord », commenta Francoeur, pour qui le grabuge au parc Carignan n’est « pas de bon augure ». « J'espère que ce n'est pas annonciateur de ce qui va se produire cet été », affirma Yvan Delorme. Quant à Brunilda Reyes des Fourchettes de l’espoir, si elle était d’avis, deux mois plus tôt, qu’« on ne peut pas demander à un jeune de respecter l'autorité à n'importe quel prix », elle tenait un tout autre discours au lendemain de cette nuit mouvementée. « On peut ne pas aimer la police, mais il faut respecter leur intervention. Parfois ce n'est pas amusant. Mais ça fait partie de vivre en société », affirma-t-elle. (187) Selon Reyes, « il se développe une culture selon laquelle on répond par la violence chaque fois que la police intervient », ce qui semblerait l’inquiéter au plus haut point. « Il faut réfléchir un peu, continua-t-elle. Pour avoir des droits, les jeunes vont devoir canaliser leurs énergies. Ils ne peuvent pas toujours être violents comme ça. » Enfin, la dirigeante communautaire lança également un message aux parents. « On doit faire appel aux parents. Ils doivent savoir où sont leurs enfants à 22 heures. » « L'affrontement entre la police et des jeunes de Montréal-Nord, mardi soir, a prouvé que le feu couvait toujours dans le quartier », écrivit le journaliste de La Presse Hugo Meunier. (188) D’ailleurs, le lendemain soir, une centaine de jeunes se réunirent à nouveau au parc Carignan dans une ambiance que La Presse qualifia de « survoltée ». « Hier, les policiers nous ont traités de sale nègres. S'ils recommencent ce soir, ça va brasser », lança un jeune homme de 17 ans. « Ça demeure tendu dans le quartier nord-est de Montréal-Nord. Dans l'attitude des citoyens à l'égard des policiers, on sent que c'est crispé. Ça va prendre encore plusieurs semaines avant que la tension baisse », estima François Bérard, coordonnateur du Mouvement solidarité Montréal-Nord. Pour certains, le niveau de tension aurait probablement été moins élevé dans le secteur si le gouvernement avait accepté de lancer d’une enquête publique élargie sur la mort de Fredy Villanueva. « Ça aiderait sûrement parce que la population la réclame », affirma William Lamarre, directeur du Café jeunesse multiculturel de Montréal-Nord. (189) La Ligue des droits et libertés interpella d’ailleurs directement Jean Charest à ce sujet. « L’idée d’une commission d’enquête n’a toujours pas reçu de réponse formelle de la part du premier ministre, déplora la Ligue. La situation d’insécurité qui prévaut à Montréal-Nord et les risques de dérapages majeurs qui s’annoncent l’obligent à réagir d’urgence. » (190) Certains jeunes auraient même été jusqu’à prédire à un journaliste de Radio-Canada que d'autres incidents du genre pourraient survenir dans le quartier au cours de l'été si Québec n'ordonne pas la tenue d'une commission d'enquête. (191) Malgré le vaste remue-méninges qui suivit l’émeute du 10 août 2008 et malgré la volonté évidente du SPVM de faire de Montréal-Nord un terrain d’expérimentation en matière de stratégies de prévention des troubles de l’ordre public, les récentes innovations du SPVM en matière de détection des signes avant-coureurs d’émeutes ne semblaient pas être encore tout à fait au point. Ainsi, lorsque le maire Parent convoqua une réunion ad hoc du comité de vigie de la Table paix et sécurité urbaines, dès le lendemain après-midi des débordements, la nécessité d’apporter de nouveaux ajustements s’imposa comme une impitoyable évidence. « Si nous avions eu un travailleur social sur place mardi soir, il n'y aurait peut-être pas eu d'incident », affirma le conseiller municipal Jean-Marc Gibeau, responsable du dossier de la sécurité à la mairie de Montréal-Nord. C’est ainsi qu’il fut convenu de mettre un travailleur social à la disposition des policiers 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. « Les policiers auront une nouvelle arme à leur disposition pour éviter le regain de violence appréhendé à l'approche du premier anniversaire de la mort de Fredy Villanueva », écrivit la journaliste de La Presse Violaine Ballivy. (192) Dans l’immédiat, les membres de la table décidèrent de mettre en place une vigie afin de dépister toute situation tendue pouvant déboucher sur des débordements. « L'an passé, on s'est fait prendre de court par les événements, mais là, on est en mode proactif, indiqua François Bérard. On va être à l'écoute, en mode vigie, observer ce qui se passe et faire des actions plus rapides. » L’initiative suscita toutefois des inquiétudes du côté de la Ligue des droits et libertés. « On peut craindre que cette vigie systématise un climat de délation, et que cela augmente les tensions. En effet, que fera la vigie lorsqu’elle remarquera un signe de tension sinon appeler la police? Cette voie risque de mener à un renforcement des mécanismes de répression des mouvements d’insatisfaction des jeunes plutôt qu’à une intervention s’attaquant aux sources des problèmes », écrivit la Ligue dans un communiqué. L’avenir donna cependant raison au commandant Bélair lorsqu’il affirma que la mini-émeute du 16 juin 2009 aurait pu survenir « n'importe où sur l'île de Montréal où un groupe de jeunes s'attroupent et prennent la rue d'assaut ». En effet, le quartier de Côte-des-neiges fut à son tour le théâtre d’accrochages entre des groupes de jeunes et les forces de l’ordre à deux reprises quelques semaines plus tard, au début du mois de juillet 2009. Le premier incident fut causé par l’arrestation d’un jeune accusé d’avoir fait menaces de mort. « Au moment où les policiers ont voulu arrêter celui-ci, ils se sont fait entourer et des voies de fait ont été commises envers eux. Le jeune s’est débattu très agressivement et ses amis ont empêché les policiers d’intervenir de façon efficace. Résultat : arrestations pour entrave et voies de fait sur policiers, écrivit la commandante du PDQ 26, Simonetta Barth, dans le journal de quartier. (193) Après avoir quitté les lieux, quelques jeunes en compagnie de leurs parents se sont rendus au poste de quartier 26, situé au 5995 boulevard Décarie, pour y perpétrer des actes de vandalisme dans le portique du poste. Ils ont arraché du mur des étagères de métal et ont fait quelques graffitis. Ensuite, ils ont fait une vingtaine d’appels non fondés au 9-1-1 avec le téléphone d’urgence du poste ». Puis, dans la nuit du 4 au 5 juillet 2009, les policiers furent appelés à intervenir après qu’un jeune eut été poignardé lors d’une fête se déroulant dans le sous-sol de l’église St. Pascal Baylon Church, située sur le boulevard Côte-des-Neiges, près de la rue Barclay. « Durant l’intervention du policier et d’Urgences Santé, ces derniers se sont fait entourer par une centaine de jeunes et plusieurs ont commencé à leur crier des injures et à leur lancer des roches. Étant donné l’hostilité de la foule, il y a eu un grand déploiement d’effectifs policiers afin de contrôler la situation », raconta la commandante Barth. Les jeunes se seraient rapidement dispersés sans que les policiers ne procèdent à des arrestations. À cela s’ajoute des heurts opposant des jeunes aux policiers dans un quartier de Rivières-des-Prairies, à l’est de Montréal-Nord, durant la nuit du 10 au 11 juillet 2009. (194) Les policiers furent dépêchés sur les lieux d’une fête privée se tenant dans une résidence de l'avenue André-Dumas après que des voisins se soient plaints de bruit excessif, d'attroupements, de bagarres dans la rue, en plus de méfaits commis sur des véhicules. Les forces de l’ordre furent accueillies par une pluie de projectiles. Les fêtards se dispersèrent après le déploiement des Groupes d’intervention du SPVM. On ne signale aucune arrestation. Bien qu’ils étaient de moindre envergure que les débordements qui éclatèrent dans le secteur nord-est de Montréal-Nord, les épisodes de grabuge à Côte-des-neiges et à Rivières-des-Prairies permettent néanmoins de penser que les jeunes sont nombreux à percevoir la police comme une force antagoniste, voire un ennemi à combattre. La partie est donc loin d’être gagnée d’avance pour les adeptes de la pacification sociale à n’importe quel prix. Seul le temps dira si les beaux sourires des agentes de concertation et le raffinement des stratégies de prévention du SPVM conçues en collaboration avec les criminologues du CIPC et les participants aux chantiers parviendront à empêcher le vase de déborder à nouveau. Alexandre Popovic, Sources : (1) http://www.newswire.ca/fr/releases/archive/April2009/02/c6653.html |
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