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Iran: le feu brûle toujours

Eric Smith, Jueves, Julio 2, 2009 - 18:39

Le Drapeau rouge-express / A World to Win News Service

(A World to Win News Service – le 29 juin 2009) Les protestations se poursuivaient toujours à Téhéran et dans la plupart des grandes villes iraniennes plus de deux semaines après le début du soulèvement populaire, cela, en dépit de la brutalité exercée par le régime islamique. Les actions sont certes moins imposantes qu’elles l’étaient au départ, mais le fait qu’elles se poursuivent et que les jeunes en particulier continuent à y participer et à défier les coups de matraque, les tirs, voire les arrestations et la torture, témoigne de la détermination des gens. Chose certaine, les diverses manifestations reflètent un authentique ras-le-bol, que le régime ne pourra éteindre que difficilement.

Au cours des derniers jours, on rapporte notamment la tenue d’un important rassemblement ayant eu lieu le 25 juin au cimetière de Behesht-e Zahra, là où repose la dépouille de Neda Agha-Soltan – cette jeune femme qui a été assassinée par un milicien de la «Force de mobilisation de la résistance» (couramment appelée Basij) lors d’une manifestation tenue à Téhéran (on y retrouve aussi les dépouilles d’autres victimes).

Le 27, des milliers de gens se sont encore rassemblés au square Enghelab. Les familles des personnes tuées ou arrêtées au cours des derniers jours voulaient en fait se rassembler au parc Laleh, situé juste au nord, mais elles en ont été empêchées par les forces de l’ordre, massivement déployées dans le parc et les rues environnantes. Après que les flics et miliciens les aient pourchassées jusqu’au square Enghelab, les familles se sont rassemblées de nouveau sur le boulevard Keshavarz-Tohid, d’où elles se sont dirigées vers le parc Laleh. Les affrontements avec les défenseurs du régime se sont poursuivis jusque tard dans la soirée, et plusieurs manifestantes et manifestants ont été battuEs et arrêtéEs.

Le lendemain 28 juin avait lieu un service funèbre autorisé par le gouvernement, à la mémoire de l’un des «pères fondateurs» du régime islamique dont la famille est désormais alliée au principal leader de l’opposition, Mir Hossein Moussavi. Des milliers de gens ont alors profité de l’occasion pour scander «Mort au dictateur», avant d’être repoussés par les gaz lacrymogènes.

Les divers organes de sécurité de la République islamique ont agi avec un niveau de brutalité jamais vu depuis le massacre des prisonnières et prisonniers politiques, qui s’est produit il y a plus de 20 ans en 1988. Les volontaires engagés dans la «Force de mobilisation de la résistance» ont été largement mis à contribution. Ils ont ainsi été utilisés pour mener des perquisitions nocturnes, parfois de manière systématique dans un quadrilatère donné, voire tout un quartier. On ne compte plus le nombre de logements qu’ils ont mis sens dessus dessous et de jeunes qu’ils ont mis en état d’arrestation, sinon carrément kidnappés. Les miliciens de la Basij ciblent particulièrement les manifestantes et manifestants qui ont pris l’habitude de grimper sur le toit de leur maison tous les soirs à 22 heures, pour y crier des slogans contre le régime. Autrement, les perquisitions qu’ils mènent visent surtout à intimider et décourager les gens de participer à de nouvelles manifestations.

Les témoins qui utilisent leurs téléphones cellulaires pour capter (et transmettre) des images des manifestations et de la répression exercée par les forces de l’ordre constituent une autre cible de choix pour les défenseurs du régime. Au total, l’étendue de la répression des derniers jours est bien plus grande que ce que l’on en a vu à l’étranger. On rapporte, de fait, qu’au moins un millier de personnes, dont plusieurs centaines d’étudiantes et d’étudiants, ont été arrêtéEs. Règle générale, leurs proches n’arrivent pas à avoir de leurs nouvelles et craignent qu’elles soient l’objet de torture dans les geôles du régime.

Selon d’autres sources, de nombreux partisans de Moussavi et de l’autre candidat d’opposition, Mehdi Karoubi, de même que des journalistes travaillant pour des médias proches de l’opposition ont également été arrêtés, tout comme un certain nombre d’anciens hauts fonctionnaires ayant servi sous la présidence de Mohammad Khatami.

À la fin de la prière du vendredi 26 juin, l’ayatollah Ahmad Khatami (aucun lien de parenté avec l’ex-président) a déclaré que les personnes responsables des «émeutes» sont des «ennemis de Dieu», qui doivent être punis «impitoyablement et brutalement» (ce qui, dans la loi islamique, équivaut à la peine de mort). «Je veux que les autorités judiciaires punissent sévèrement les principaux émeutiers et ne montrent aucune pitié, afin de donner à tous une leçon», a affirmé l’ayatollah, lors de son prêche hebdomadaire à l’université de Téhéran. Par le passé, la République islamique a exécuté pas mal de gens sous la même accusation; l’on comprend facilement la crainte que de tels propos ont pu susciter chez plusieurs.

L’intensification de deux importantes contradictions

L’intensification de deux contradictions majeures – la contradiction entre les masses populaires et le pouvoir dominant, et celle qui oppose les diverses factions à l’intérieur même de la classe politique – constitue l’une des plus importantes caractéristiques du récent soulèvement.

Il est de notoriété publique que la confrontation au sein de l’establishment politique iranien ne se résume pas à l’actuel différend qui oppose le président Ahmadinejad à son principal rival, Moussavi, quant au décompte des voix de l’élection présidentielle. Cette querelle recouvre en fait une importante bataille, plus ancienne, entre les deux personnages les plus puissants qui incarnent la République islamique, savoir Ali Akbar Rafsanjani (ex-président de la République de 1989 à 1997) et le soi-disant «guide suprême de la révolution islamique», Sayyid Ali Khamenei. La lutte entre ces deux hommes se poursuit depuis plusieurs années, et elle semble arrivée à ébullition. Des rumeurs font même état de tueries entre commandants des fameux «Gardiens de la révolution» loyaux à l’un ou l’autre des leaders.

Lors des débats télévisés qui ont eu lieu à la veille de la dernière élection, les deux principaux candidats, Ahmadinejad et Moussavi (soutenus respectivement par Khameini et Rafsanjani), se sont écartés de l’habituel bla-bla et des promesses creuses et n’ont pas hésité à dénoncer leurs crimes respectifs. Ahmadinejad est même allé jusqu’à dénoncer le caractère corrompu de l’ex-président Rafsanjani. Si Moussavi s’est gardé d’attaquer Khameini ouvertement, il n’a pas manqué de se reprendre au lendemain du scrutin. Même si les querelles entre les diverses factions du régime ont toujours été notoires, c’est bien la première fois qu’elles font ouvertement surface aux yeux des masses.

Ce climat inédit a incité et favorisé l’expression de la colère, qui grondait de manière sourde parmi les couches populaires. En retour, la mobilisation des masses a provoqué l’accentuation des rivalités à l’intérieur du régime, créant ainsi une situation qui échappe au contrôle des uns et des autres. De fait, les deux principaux protagonistes ne sont pas nécessairement en position de pouvoir céder ou trouver un compromis susceptible de résoudre la crise.

La rivalité entre les diverses factions du régime est particulièrement complexe, dans la mesure où elle n’oppose pas nécessairement deux camps aux contours parfaitement définis; elle repose sur des intérêts économiques, des visions politiques et des caractéristiques idéologiques variées, qui s’entrelacent. À cet égard, deux questions méritent d’être précisées.

La première, c’est que Rafsanjani et Moussavi se battent tous les deux, au même titre que Khameini et Ahmadinejad, pour maintenir le régime islamique et le réhabiliter aux yeux des masses, et non pour l’abolir. La deuxième, c’est que les États-Unis restent déterminés à renverser la République islamique ou à tout le moins, à «remodeler» le régime iranien de façon significative. À cet égard, les récents soubresauts au sein du régime ont beaucoup à voir avec la question de savoir qui sera en mesure d’émerger et de sortir gagnant, au terme d’un processus sanglant dont l’issue apparaît désormais inévitable.

Des deux côtés, l’on semble prêt à conclure une entente avec les É.-U., dans la mesure où une telle entente permettrait, à l’un ou à l’autre, de sauver sa peau. Ironiquement, même si les camps Moussavi et Ahmadinejad se prétendent tous deux les héritiers légitimes, idéologiquement et politiquement, de la «révolution islamique» et se battent pour en préserver les contours, la confluence de leurs luttes intestines et des sentiments et protestations populaires qu’ils sont loin de contrôler, a pour résultat une perte de légitimité incontestable du régime.

L’enchevêtrement de la contradiction entre le peuple et le régime et des contradictions internes à l’intérieur même du régime crée à la fois des avantages et des désavantages, du point de vue des intérêts révolutionnaires du peuple iranien. Le fait que tout en contribuant à faire disparaître de vieilles illusions, cela en génère de nouvelles parmi les masses n’est pas le moindre des dangers que recèle la situation actuelle.

Des facteurs puissants, que l’on retrouve à la fois dans la propagande de la BBC et de Voice of America et celle du régime – sans parler des rouages de la vie elle-même – renforcent l’idée que le conflit actuel oppose d’une part le fondamentalisme islamique, et d’autre part la démocratie électorale à l’occidentale, à quelques nuances près.

La démocratie bourgeoise, dans laquelle les élections servent à masquer la dictature de la bourgeoisie monopoliste, n’est certes qu’une illusion pour les masses des pays impérialistes; mais c’est encore plus évident dans les pays dominés comme l’Iran. Les puissances impérialistes ont toujours utilisé la force et les menaces pour y faire valoir leurs intérêts, sans parler de la force destructrice du capital lui-même. Les illusions sur la démocratie bourgeoise persistent néanmoins en Iran, notamment parce qu’elles reposent sur la perspective d’une intégration plus poussée du pays dans l’économie capitaliste mondiale et sur la volonté exprimée par l’actuel président des États-Unis, Barack Obama (et d’une manière plus agressive que son prédécesseur), de reconfigurer le Moyen-Orient.

L’enchevêtrement de ces diverses contradictions constitue donc une importante caractéristique de la crise actuelle et du soulèvement du peuple iranien. Mais il n’est pas dit que ce qui a débuté comme une querelle entre des rivaux tout aussi réactionnaires l’un que l’autre finira de la même manière. Le caractère inattendu du soulèvement populaire a bouleversé les plans des différents protagonistes. En outre, la situation actuelle crée des conditions favorables à l’intervention des communistes; elle les place dans une situation où ils et elles peuvent amener les masses à mieux saisir leurs intérêts révolutionnaires et à rompre avec les divers camps réactionnaires qui tentent de gagner leur assentiment. Certains le font en s’appuyant sur des croyances populaires profondes, alors que d’autres cherchent à obtenir leur soutien sur une base plus pragmatique: mais dans un cas comme dans l’autre, cela ne pourra avoir comme effet que d’étouffer la révolte des masses.

Chose certaine, des centaines de milliers de gens ont déjà montré qu’ils étaient prêts à aller bien plus loin que là où l’opposition islamiste veut les amener, et ailleurs que là où les impérialistes leur conseillent d’aller.

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Article paru dans Le Drapeau rouge-express, nº 214, le 2 juillet 2009.
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