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Darwin et le mouvement ouvrier

Anonyme, Miércoles, Abril 1, 2009 - 08:13

Un sympathisant du CCI

Darwin et le mouvement ouvrier...

On commémore cette année le 200e anniversaire de la naissance de Charles Darwin (et les 150 ans de la publication de son livre L'Origine des espèces). Depuis toujours, l'aile marxiste du mouvement ouvrier a salué la contribution remarquable apportée par Darwin à la compréhension par l'humanité d’elle-même et de la nature.
Darwin était, à plusieurs égards, un représentant typique de son époque, intéressé par l’observation de la nature et heureux d'entreprendre des expériences sur la vie de la faune et de la flore. Son étude empirique, notamment des abeilles, des coléoptères, des vers, des pigeons et des bernacles, était scrupuleuse et détaillée. L'attention que portait Darwin à ces dernières était si tenace que ses jeunes enfants «se mirent à penser que tous les adultes devaient avoir la même préoccupation ; l’un d’entre eux demanda même, à propos d’un voisin : où est-ce qu’il s'occupe de ses bernacles ? ' » (Darwin, Desmond & Moore).

Ce qui distinguait Darwin, c'était sa capacité à aller au-delà des détails, à théoriser et à chercher des processus historiques, pendant que d'autres se contentaient de classer les phénomènes par catégories ou se rangeaient aux explications existantes. Un exemple typique de cette attitude est la réponse qu'il a apportée à la découverte de fossiles dans les Andes, à des milliers de mètres d’altitude. Grâce à l'expérience d'un tremblement de terre et aux Principes de la Géologie de Lyell, sa réflexion porta sur l'échelle des mouvements terrestres qui avaient amené des fonds marins dans les montagnes, sans avoir recours au récit biblique sur le Déluge. «Je crois fermement que, sans réflexion spéculative, il ne peut y avoir d'observation qui soit juste et originale» (comme il l’a écrit dans une lettre à AR Wallace, le 22/12/1857).

Il n'avait pas peur non plus d'utiliser des observations faites dans un domaine et de les appliquer à d'autres. Bien que Marx ait fait peu de cas de la plupart des écrits de Thomas Malthus, Darwin a utilisé les idées de ce dernier sur la croissance démographique de la population humaine pour développer sa théorie de l'évolution. «En octobre 1838, il s’est trouvé que j’ai lu pour me distraire le livre de Malthus sur la population et, étant bien préparé à apprécier la lutte pour l’existence qui a lieu partout, grâce à une observation prolongée et ininterrompue des habitudes des animaux et des plantes, j’ai été immédiatement frappé par le fait que, dans ces circonstances, des variations favorables tendraient à être préservées et des variations défavorables à être détruites. Le résultat en serait la formation de nouvelles espèces. A partir de là, je disposai finalement d’une théorie pour mon travail » (Darwin, Souvenirs sur le développement de mon esprit et de ma personnalité).

C’était 20 ans avant que cette théorie apparaisse publiquement avec L’Origine des Espèces, mais les bases étaient déjà là. Dans L’Origine des espèces, Darwin explique qu'il emploie «l’expression de Lutte pour l'Existence dans un sens large et métaphorique » et «par commodité » et que, par Sélection Naturelle, il veut dire la «préservation des variations favorables et le rejet des variations nuisibles.» L'idée de l'évolution n'était pas nouvelle mais, en 1838, Darwin développait déjà une explication sur comment les espèces ont évolué. Il compara les techniques des éleveurs de lévriers et des colombophiles (sélection artificielle) à la sélection naturelle qu'il considérait être «la plus belle partie de [sa] théorie » (Darwin, cité par Desmond & Moore).

"La méthode du matérialisme historique"

Trois semaines seulement après la publication de L’Origine des Espèces, Engels écrivait à Marx : «Darwin, que je viens juste de lire, est magnifique. Il y avait un point sur lequel la téléologie n'avait pas été démolie ; maintenant c' est fait. En outre, il n'y a jamais eu, jusqu'ici, d' aussi splendide tentative pour démontrer le développement historique dans la nature, au moins avec autant de succès.» La "démolition de la téléologie" fait référence au coup que L’Origine des espèces a porté à toutes les idées religieuses, idéalistes ou métaphysiques qui cherchent à expliquer les phénomènes par leurs effets plutôt que par leur cause. Ceci est fondamental dans une vision matérialiste du monde. Comme Engels l’a écrit dans L’Anti-Dürhing (chapitre 1), Darwin «a porté le coup le plus rude à la conception métaphysique de la nature en démontrant que toute la nature organique actuelle, les plantes, les animaux et, par conséquent l’homme aussi, est le produit d'un processus d'évolution qui s’est poursuivi pendant des millions d'années».

Dans les documents de préparation à son ouvrage, La Dialectique de la Nature, Engels souligne la signification de L’Origine des Espèces. «Darwin, dans son ouvrage qui a fait époque, est parti de la base la plus large existante du hasard. Précisément, des différences infinies et accidentelles entre les individus d’une même espèce, différences qui s’accentuent jusqu'à ce qu'elles transforment les caractéristiques de l’espèce ,(…) l'ont obligé à mettre en question les bases précédentes de la régularité en biologie, à savoir le concept d’espèce dans sa rigidité et son invariabilité métaphysiques passées.»

Marx lut L'Origine des espèces un an après sa publication et a immédiatement écrit à Engels (19/12/1860) «Voilà le livre qui contient la base, en histoire naturelle, pour nos idées». Plus tard, il écrivit que le livre avait servi «de base naturelle-scientifique à la lutte de classe dans l'histoire» (lettre à Lassalle, 16/1/1862).

En dépit de leur enthousiasme pour Darwin, Marx et Engels n'étaient pas sans critique à son égard. Ils se rendaient bien compte de l'influence de Malthus et, aussi, que la perspicacité de Darwin était utilisée dans le "Darwinisme social" pour justifier le statu quo de la société victorienne, la grande richesse pour quelques-uns et, pour les pauvres, la prison, les foyers de travail, la maladie, la famine ou à l’émigration. Dans son introduction à La Dialectique de la Nature, Engels dégage certaines implications : «Darwin ne savait pas quelle amère satire de l'humanité il écrivait (...) quand il montrait que la libre concurrence, la lutte pour l'existence, célébrée par les économistes comme la plus haute réalisation historique, est l'état normal du règne animal.» C’est seulement «l’organisation consciente de la production sociale» qui peut conduire l'humanité, de la lutte pour la survie à l'extension des moyens de production comme base de la vie, du plaisir et du développement ; et cette "organisation consciente" exige une révolution par les producteurs, la classe ouvrière.

Engels voyait également comment les luttes de l'humanité (et la compréhension marxiste de celles-ci) dépassaient le cadre de Darwin : «la conception de l'histoire comme une série de luttes de classe est déjà bien plus riche dans son contenu et sa profondeur que celle qui se contente de la réduire à des phases de lutte pour l'existence» (La Dialectique de la Nature, notes et fragments).

Cependant, de telles critiques ne remettent pas en cause la place de Darwin dans l'histoire de la pensée scientifique. Dans un discours sur la tombe de Marx, Engels soulignait que «de même que Darwin a découvert la loi du développement de la nature organique, Marx a découvert la loi du développement de l'histoire de l’humanité».

"Le marxisme après le darwinisme"

Alors que Darwin a été, tour à tour, à la mode ou démodé dans la pensée bourgeoise (mais pas chez les scientifiques sérieux), l'aile marxiste du mouvement ouvrier ne l'a jamais abandonné.

Plekhanov, dans une note de son livre La Conception moniste de l'histoire (chapitre 5), décrit le rapport entre la pensée de Darwin et celle de Marx : «Darwin a réussi à résoudre le problème de comment se sont créées les espèces végétales et animales dans la lutte pour l'existence. Marx a réussi à résoudre le problème de comment ont surgi différents types d'organisation sociale dans la lutte des hommes pour leur existence. Logiquement, l’investigation de Marx commence précisément là où finit celle de Darwin […] L'esprit de recherche est absolument le même chez les deux penseurs. C'est pourquoi on peut dire que le marxisme est le darwinisme appliqué à la science sociale.»

Un exemple de l'interdépendance entre le marxisme et les contributions de Darwin se trouve dans le livre Ethique et Conception Matérialiste de l'Histoire de Kautsky. Bien que Kautsky surestime l'importance de Darwin, il s'inspire de son livre La Filiation de l'Homme pour décrire l'importance des sentiments altruistes, des instincts sociaux dans le développement de la morale. Dans le chapitre 5 de La Filiation, Darwin décrit comment « l'homme primitif » s’est socialisé et comment « [les hommes] se seraient mutuellement avertis du danger, et se seraient apportés une aide mutuelle lors des attaques. Tout ceci implique un certain degré de sympathie, de fidélité et de courage ». Il décrit : «quand deux tribus d'hommes primitifs… entraient en compétition, si l’une comprenait (…) un plus grand nombre de membres courageux, bien disposés, et fidèles, toujours prêts à s'avertir du danger, à s’aider et à se défendre mutuellement, nul doute que cette tribu réussirait mieux et vaincrait l'autre. Il faut garder à l'esprit que la fidélité et le courage devaient être de la plus haute importance, dans les guerres incessantes entre sauvages. L'avantage qu’ont des soldats disciplinés sur des hordes indisciplinées provient principalement de la confiance que chaque homme ressent dans ses camarades. (…) Les personnes égoïstes et querelleuses ne s’uniront pas et, sans union, rien ne peut être réalisé.» Sans doute Darwin exagère à quel point les sociétés primitives étaient engagées en guerre permanente les unes contre les autres, mais la nécessité de la coopération comme fondement de la survie n'était pas moins importante dans les activités telles que la chasse et dans la distribution du produit social. C'est l'autre face de la "lutte de pour l’existence", où nous voyons le triomphe de la solidarité et de la confiance mutuelles sur la division et l'égoïsme.

"De Darwin à un avenir communiste"

Anton Pannekoek était non seulement un grand marxiste, mais aussi un astronome de renom (un cratère de la face cachée de la lune et un astéroïde portent son nom). Aucune discussion sur "marxisme et darwinisme" ne serait complète sans faire référence à son texte de 1909 du même nom (que nous allons republier dans la Revue internationale).

En premier lieu, Pannekoek affine notre compréhension du rapport entre le marxisme et le darwinisme. «La lutte pour l'existence, formulée par Darwin et soulignée par Spencer, exerce un effet différent sur les hommes et sur les animaux. Le principe selon lequel la lutte conduit au perfectionnement des armes utilisées dans les conflits, mène à des résultats différents chez les hommes et chez les animaux. Chez l'animal, il mène à un développement continu des organes naturels ; c'est la base de la théorie de la filiation, l'essence du darwinisme. Chez les hommes, il mène à un développement continu des outils, des moyens de production. Ceci est, cependant, le fondement du marxisme. Ici nous voyons que le marxisme et le darwinisme ne sont pas deux théories indépendantes, chacune s'appliquant à son domaine spécifique, sans rien avoir en commun avec l'autre. En réalité, le même principe est à la base des deux théories. Elles forment une unité. La nouvelle direction prise par les hommes, la substitution des outils aux organes naturels, fait se manifester ce principe fondamental différemment dans les deux domaines ; celui du monde animal se développe selon les principes darwiniens, alors que pour l'humanité le principe marxiste s'applique.»

Pannekoek a également développé l'idée de l'instinct social sur la base des contributions de Kautsky et de Darwin :

«Le groupe chez qui l'instinct social est le mieux développé pourra se maintenir sur son territoire, alors que le groupe chez qui l'instinct social est peu développé, soit deviendra une proie facile pour ses ennemis, soit ne sera pas en mesure de trouver les endroits favorables à son alimentation. Ces instincts sociaux deviennent donc les facteurs les plus importants et les plus décisifs qui déterminent qui survivra dans la lutte pour l'existence. C'est à cause de cela que les instincts sociaux ont été élevés à la position de facteurs prédominants.»

«Les animaux sociaux sont en mesure de battre ceux qui mènent la lutte individuellement.»

La distinction entre les animaux et l’homo sapiens réside, entre autres, dans la conscience.

«Tout ce qui s'applique aux animaux sociaux s'applique également à l'homme. Nos ancêtres simiesques et les hommes primitifs qui se sont développés à partir d’eux étaient tous sans défense, de faibles animaux qui, comme presque tous les singes, vivaient dans des tribus. Ici, ce sont les mêmes motivations sociales, les mêmes instincts sociaux qui ont dû apparaître, qui, plus tard, se sont transformés en sentiments moraux. Que nos coutumes et notre morale ne soient rien d’autre que des sentiments sociaux, des sentiments que nous rencontrons chez les animaux, est connu de tous ; même Darwin a parlé des " habitudes des animaux qu'on appellerait morale chez les hommes". La différence se trouve seulement dans le niveau de conscience ; dès que ces sentiments sociaux deviennent clairs pour les hommes, ils prennent le caractère de sentiments moraux.»

Pannekoek critique aussi le "Darwinisme Social" quand il montre comment les "darwinistes bourgeois" sont tombés dans un cercle vicieux - le monde décrit par Malthus et Hobbes est, sans surprise, semblable au monde décrit par Hobbes et Malthus ! : «Sous le capitalisme, l’humanité ressemble la plupart du temps au monde des animaux rapaces et c'est pour cette raison même que les darwinistes bourgeois ont recherché le prototype humain chez les animaux qui vivent en solitaires. Ils y étaient conduits par leur expérience. Leur erreur, cependant, a consisté dans le fait qu’ils considéraient les conditions capitalistes comme éternelles. Le rapport qui existe entre notre système capitaliste concurrentiel et les animaux solitaires a été exprimé par Engels dans son livre, L'Anti-Dühring, comme suit :

'En fin de compte, l'industrie moderne et l'ouverture du marché mondial ont rendu la lutte universelle et, en même temps, lui ont imprimé un violence inconnue jusqu'ici. Maintenant ce sont les avantages des conditions, naturelles ou artificielles, qui décident de l'existence ou non des capitalistes individuels ainsi que de toute une série d'industries et de pays. Celui qui échoue, est rejeté sans merci. C’est la lutte darwinienne pour l’existence de l’individu, transposée de la nature dans la société avec une rage décuplée. La condition de l’animal dans la nature apparaît comme l’apogée du développement humain'».

Mais les conditions capitalistes ne sont pas éternelles, et la classe ouvrière a la capacité de les renverser et d’en finir avec la division de la société en classes aux intérêts antagoniques. «Avec l'abolition des classes, l’ensemble du monde civilisé deviendra une grande communauté productive. Au sein de cette communauté, la lutte qui opposait ses membres cessera et se transformera en lutte avec le monde extérieur. Ce ne sera plus une lutte contre notre propre espèce, mais une lutte pour la subsistance, une lutte contre la nature. Mais, grâce au développement de la technique et de la science, on ne pourra pas vraiment appeler cela une lutte. La nature est subordonnée à l’homme et, avec très peu d’efforts de la part de celui-ci, elle le pourvoira en abondance. Ici, une nouvelle vie s’ouvre à l’humanité : le dégagement de l’homme du monde animal et son combat pour l’existence au moyen d’outils arrivent à leur terme, et un nouveau chapitre de l’histoire de l’humanité commence.»

Car (Traduit de World Revolution, organe du CCI en Grande-Bretagne)

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