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Réponse à un contact sur la mort de Juan Camilo Mouriño, Secretario de gobernación (ministre de l'intérieur) du Mexique

Anonyme, Domingo, Febrero 1, 2009 - 14:42

Le texte ci-joint est une réponse de la Fraction Interne du CCI à l'e-mail reçu d'un de leur nouveau sympathisant au Mexique leur demandant leur appréciation sur un événement qui venait de susciter une lourde campagne idéologique dans ce pays. Ce texte est intéressant, pour nous prolétaires du Canada parce qu’historiquement la bourgeoisie canadienne a dû tout comme la bourgeoisie mexicaine considérer son intérêt national de classe en fonction de celui de son puissant voisin américain. Les prolétaires n’ont pas à choisir aucun camp de la bourgeoisie.

Des communistes internationalistes de Montréal
cim_...@yahoo.fr

Réponse à un contact sur la mort de Juan Camilo Mouriño,
Secretario de gobernación
(ministre de l'intérieur) du Mexique

Cher camarade,
Nous avons reçu ton message dans lequel tu nous interroges sur quelle est notre "appréciation sur l'accident de Mouriño" (1). Vu que nous sommes entrés en contact avec toi récemment et que tu connais à peine nos positions, il nous semble important de profiter de l'occasion de cette réponse pour t'exposer à la fois notre cadre d'analyse sur la situation particulière du Mexique et le contexte de la situation mondiale actuelle.

Sur l'événement en soi, sur le crash de l'avion dans lequel le ministre voyageait, nous ne devons pas nous arrêter sur les spéculations pour savoir s'il s'agit d'un accident ou d'un attentat. Ces semaines, l'Etat capitaliste a martelé qu'il s'agissait d'un "accident", au moyen d'une campagne idéologique qui, plus elle devenait insistante, plus elle soulevait de doutes. Dans la mesure où l'avion volait dans des conditions tout à fait normales et que rien de semblable à "'l'explication" officielle n'était jamais arrivé en 50 ans de fonctionnement de l'aéroport de la ville de Mexico, il est improbable qu'un tel "hasard" ait pu arriver précisément à l'homme politique mexicain le plus important après le Président.
Pour nous, la mort de Mouriño obéit à un "règlement de comptes" entre fractions rivales de la bourgeoisie. Contrairement au show sur "l'accident" monté par les télévisions, ces "règlements de comptes" sont très communs au sein de la classe bourgeoise du Mexique (comme, par ailleurs, dans le monde entier). Il suffit de jeter un oeil rapide sur l'histoire moderne du Mexique pour voir comment celle-ci est émaillée d'épisodes dans lesquels un supposé "hasard" - sous la forme d'un "assassinat troublant" dont personne ne sait comment la protection de l'homme politique a pu être trompée, ou d'un "accidents alors qu'il voyageait" - se charge de modifier l'échiquier des luttes inter-bourgeoises. Depuis les assassinats de Carranza et Obregón au début du 20e siècle, jusqu'aux plus récents de Colosio, Ruiz Massieu et du Cardinal Posadas (assassiné par balles bien que, selon la version officielle, accidentellement !) ou l'accident de Clouthier durant l'orageuse "période de transition" du Président Salinas de Gortari, et les "accident" d'Aguilar Zinzer (qui s'était opposé à la guerre en Irak) ou de Martín Huerta durant le mandat présidentiel antérieur de Vicente Fox.

Mais quel est l'intérêt pour la classe ouvrière de consacrer une attention à ces "règlements de comptes" au sein de la classe bourgeoise ? Avant tout, il faut l'aider à sortir du piège de "l'information" des moyens de diffusion qui se focalisent sur le drame et sur les soi-disant "enquêtes" et dont l'unique objectif est de dévier l'attention des travailleurs sur les possibles causes et conséquences du changement violent de tel ou tel ministre. Ce type d'événements est accompagné d'importantes campagnes idéologiques dans lesquelles l'exaltation des supposées "vertus" du défunt et tout le caractère dramatique de la situation sont mises à profit pour provoquer la sympathie et l'appui des travailleurs envers telle ou telle fraction de la classe bourgeoise, tout cela baignant dans le "patriotisme". Pour les révolutionnaires, il est important de contrer ces campagnes idéologiques en dénonçant les véritables intérêts mesquins et les luttes sordides des capitalistes qui sont derrière ces événements lesquels, au moins momentanément, révèlent clairement que les intérêts capitalistes sont complètement antagoniques aux intérêts des travailleurs.

Quelles sont donc, selon nous, les causes et les conséquences de la mise hors jeu de Mouriño ?

Pour répondre à cette question, il nous faut revenir sur quelques aspects de notre caractérisation des relations au sein de la bourgeoisie et de la situation actuelle.

Comme classe, la bourgeoisie est toujours unie contre le prolétariat. Cependant, en son sein, de par sa propre nature et ses intérêts (obtenir les plus grands profits), la classe dominante se retrouve toujours, à la fois, divisée, en concurrence et luttant entre elle sur tous les plans (économique, politique, etc.). Cette concurrence et cette lutte la conduisent à former des fractions ou des groupes qui s'affrontent entre eux (2). Evidemment, les plus grandes divisions sont celles entre nations capitalistes. Historiquement, la bourgeoisie s'est regroupée autour des Etats nationaux pour défendre ses intérêts (même si au sein de chaque Etat existent aussi des divisions entre groupes aux intérêts encore plus particuliers).
"La bourgeoisie supprime de plus en plus l'émiettement des moyens de production, de la propriété et de la population. Elle a aggloméré la population, centralisé les moyens de production et concentré la propriété dans un petit nombre de mains. La conséquence totale de ces changements a été la centralisation politique. Des provinces indépendantes (...) ont été réunies en une seule nation, avec un seul gouvernement, une seule loi, un seul intérêt national de classe" (Le Manifeste du parti communiste, chap. XX, Marx et Engels, 1847, souligné par nous).

L'époque actuelle, que nous caractérisons comme celle de la décadence du capitalisme, est celle d'un monde non seulement encore divisé par les frontières nationales, mais aussi en lutte mortelle et constante de tous contre tous entre pays capitalistes pour les marchés, les sources de matières premières, les zones d'influence, les zones stratégiques, lutte au premier rang de laquelle on trouve les grandes puissances et dans laquelle celles-ci entraînent toutes les autres. Il faut remarquer que cette lutte entre bourgeoisies nationales n'est pas une lutte "des méchants contre les bons", des "impérialistes contre les progressistes", de bourgeoisies "oppresseurs contre des peuples qui luttent pour leur indépendance", etc., comme le peint l'idéologie bourgeoise. Actuellement, toutes les bourgeoisies nationales, grandes et petites, "développées" et "tiers-mondistes", ont le même caractère exploiteur, décadent, réactionnaire et impérialiste. La seule différence est que les unes sont plus fortes que les autres et qu'elles maintiennent entre elles des relations de domination où, bien sûr, les plus puissantes soumettent et contraignent les plus faibles. Cependant cela n'implique pas que les plus "faibles" soient plus "progressistes", ou "moins exploiteuses" que les plus "fortes".

Il est fondamental pour la classe ouvrière de comprendre cet aspect car, durant les derniers cent ans, les travailleurs exploités ont été entraînés à se massacrer entre eux dans les guerres bourgeoises impérialistes - spécialement dans la Première et la Seconde guerre mondiale - précisément derrière l'idéologie de la "défense de la nation" (idéologie qui prend actuellement la forme de la "guerre contre les Etats terroristes" ou de "la lutte de libération" contre l'impérialisme). Nous ne pouvons, dans le cadre de cette lettre, développer plus sur cette question. Nous pourrons y revenir à l'occasion. Citons seulement Rosa Luxemburg, une des révolutionnaires qui a compris de la manière la plus nette et profonde les changements du capitalisme de sa phase d'ascendance à sa phase de décadence à la lumière de la Première guerre mondiale :

"La politique impérialiste n'est pas l'oeuvre d'un pays ou d'un groupe de pays. Elle est le produit de l'évolution mondiale du capitalisme à un moment donné de sa maturation. C'est un phénomène international par nature, un tout inséparable qu'on ne peut comprendre que dans ses rapports réciproques et auquel aucun État ne saurait se soustraire. C'est de ce point de vue seulement qu'on peut évaluer correctement dans la guerre actuelle la question de la "défense nationale". L'Etat national, l'unité et l'indépendance nationales, tels étaient les drapeaux idéologiques sous lesquels se sont constitués les grands États bourgeois du coeur de l'Europe au siècle dernier. (...) Le programme national n'a joué un rôle historique, en tant qu'expression idéologique de la bourgeoisie montante aspirant au pouvoir dans l'État, que jusqu'au moment où la société bourgeoise s'est tant bien que mal installée dans les grands Etats du centre de l'Europe et y a créé les instruments et les conditions indispensables de sa politique. Depuis lors, l'impérialisme a complètement enterré le vieux programme bourgeois démocratique : l'expansion au-delà des frontières nationales (quelles que soient les conditions nationales des pays annexés) est devenue la plate-forme de la bourgeoisie de tous les pays. (...) Certes, la phrase nationale est demeurée, mais son contenu réel et sa fonction se sont mués en leur contraire. Elle ne sert plus qu'à masquer tant bien que mal les aspirations impérialistes, à moins qu'elle ne soit utilisée comme cri de guerre, dans les conflits impérialistes, seul et ultime moyen idéologique de capter l'adhésion des masses populaires et de leur faire jouer leur rôle de chair à canon dans les guerres impérialistes.

La tendance générale de la politique capitaliste actuelle domine la politique des États particuliers comme une loi aveugle et toute-puissante,. tout comme les lois de la concurrence économique déterminent rigoureusement les conditions de production pour chaque entrepreneur particulier" (La Crise de la Social démocratie allemande ou Brochure de Junius, ch.7, 1915, nous soulignons).

Dans ce cadre, quelle est la situation de la bourgeoisie mexicaine ?

Nous pouvons appliquer à la bourgeoisie mexicaine ce dicton selon lequel son malheur est d'être "si loin de Dieu et si près des Etats-Unis". En effet, la formation de l'Etat et le développement capitaliste du Mexique ont été déterminés en grande partie par sa frontière avec les Etats-Unis, le pays qui est devenu la première puissance mondiale au cours du 20e siècle.

Il est certain que la bourgeoisie mexicaine, à partir de la moitié du 20e siècle, a toujours été liée et soumise aux intérêts "expansionnistes" de la bourgeoisie nord-américaine. Cependant, il est nécessaire, là-dessus, de se débarrasser du mythe idéologique fondé sur l'existence d'une classe bourgeoise "nationaliste", "anti-impérialiste", toujours en opposition à telle fraction (voire même seulement à un despote "traitre") "vendue aux Etats-Unis". Il est vrai que la bourgeoisie mexicaine a son propre intérêt national de classe. Mais celui-ci n'est pas remis en cause, loin de là, par les accords, les alliances, les pactes de domination ou de subordination avec d'autres bourgeoisies nationales, et dont les travailleurs se rendent compte seulement quand ils commencent à en payer le prix par de plus grands sacrifices dans leurs conditions de vie et de travail. En particulier, la bourgeoisie mexicaine a dû apprendre à s'accommoder de la tutelle des Etats-Unis.

Comme exemple pour éclairer le point précédent, prenons le mythe qui se trouve aux origines de l'Etat capitaliste mexicain moderne, sur le héros national Benito Juárez. Il est considéré par l'histoire officielle comme le plus grand nationaliste et indépendantiste anti-nord-américain. Même l'actuelle gauche du capital, avec à sa tête López Obrador, brandit Juárez comme le symbole de "l'anti-impérialisme". Cependant, l'histoire officielle occulte le fait que le maintien de son gouvernement a dû s'appuyer en plus d'une occasion sur la bourgeoisie américaine. On connaît, pour ne mentionner qu'un seul cas, le Traité McLane-Ocampo (1859) dans lequel le gouvernement de Juárez cédait l'Isthme de Tehuantepec (3) aux Etats-Unis pour le libre passage de marchandises et de troupes (de manière similaire à ce qui est arrivé par la suite avec le Canal de Panamá), outre le permis pour le transit sans taxe pour le commerce américain, et même l'invasion de l'armée des Etats-Unis dans le cas où ils devraient "protéger" leurs intérêts.

Ce traité ne diffère en rien dans son essence politique avec les traités signés ces dernières années entre la bourgeoisie mexicaine et la bourgeoisie nord-américaine (par exemple le Traité de Libre Commerce ou le Plan Mérida) par lesquels les Etats-Unis obtiennent d'un côté de juteux avantages économiques et de l'autre l'utilisation et le contrôle militaire sur le Mexique. Cependant, il ne s'agit pas pour nous de "juger" Benito Juárez ce qui nous amènerait à tomber dans le jeu des mystifications idéologiques, mais seulement de montrer la position dans laquelle a constamment vécu la bourgeoisie mexicaine. L'idéologue de la bourgeoisie mexicaine Justo Sierra montre l'impasse dans laquelle était Juárez :

"Le gouvernement constitutionnel a honoré un autre contrat terrible : le traité McLane. Les Etats-Unis voulaient intervenir au Mexique. Au motif de l'insécurité de notre territoire, le Président américain Buchanan avait demandé au Congrès l'intervention armée pour aider le gouvernement constitutionnel (de Juárez). Ayant sans aucun doute pour objectif de l'en empêcher, le gouvernement qui avait essayé depuis un certain temps de trouver des ressources financières aux Etats-Unis, mais résolu à éviter l'intervention, négocia pour quatre millions de pesos qui finalement furent réduits à deux, un accord qui cédait à l'Union nord-américaine des franchises à Tehuantepec et dans une zone de la frontière Nord qui équivalait à la cession d'une partie de la souveraineté de la République sur le territoire national” (Justo Sierra, politicien et idéologue mexicain de la fin du XIXème siècle, début du XXème).

Ce qu'il faut comprendre est, donc, qu' historiquement la bourgeoisie mexicaine a dû considérer son intérêt national de classe en fonction de celui de la puissance voisine, grâce à des jongleries, en cédant des parties de sa "souveraineté" (commerce, territoire, etc.) pour éviter d'être complètement écrasée, vivant soumise, mais en même temps s'accommodant du mieux possible de cette "protection" (dans le sens que donne la mafia à ce concept). Cependant, en même temps, la bourgeoisie mexicaine a constamment cherché, comme moyen pour "équilibrer" ou "contrecarrer" la domination complète des Etats-Unis, l'ouverture à d'autres capitaux et puissances étrangères, principalement européennes. Cela a fait du Mexique, surtout dans les époques historiques "critiques" (spécialement de guerres), une zone où se sont fréquemment manifestées les rivalités entre les grandes puissances impérialistes. A ces rivalités, correspond aussi une certaine division au sein de la bourgeoisie nationale, mais non pas entre "nationalistes" et "vendus aux américains", mais simplement entre les fractions qui, pour leurs intérêts, sont plus enclines soit envers les Etats-Unis, soit envers les puissances européennes (même si celles-ci ont été beaucoup plus faibles surtout à partir de la fin de la soi-disant "révolution mexicaine" de 1910-1917).

Dans ce sens, nous pouvons nous rappeler, premièrement, que la fin de la guerre d'indépendance (en 1821) a laissé intacte de grandes aires d'influence et de domination commerciale, politique et idéologique de l'Espagne et de l'Eglise romaine qui ne reculèrent qu'à contrecoeur face à la poussée des nouvelles puissances mondiales (premièrement l'Angleterre et ensuite les Etats-Unis). Mais elles n'ont jamais tout cédé - au point qu'un siècle plus tard, les grands propriétaires de terre et les capitalistes liés à l'Espagne et au Vatican purent encore lancer les paysans du centre du pays, comme chair à canon, contre le gouvernement des généraux "révolutionnaires" qui essayaient de limiter leurs privilèges durant la sanglante "guerre des Cristeros" de 1926-1929. Cette influence continue non seulement d'exister de nos jours mais elle cherche même à se renforcer. Face aux difficultés actuelles des Etats-Unis, l'Espagne (et le Vatican) servent depuis plusieurs années d'espèce de fer de lance pour l'entrée au Mexique de capitaux de l'Union européenne.

Il faut se rappeler aussi que la seconde moitié du 20e siècle correspond non seulement à l'expansion naissante des Etats-Unis, mais aussi à la dernière impulsion d'expansion des vieilles puissances européennes, principalement l'Angleterre, mais aussi la France et l'Allemagne, au Mexique (et dans toute l'Amérique Latine). C'est, pour parler plus largement, la période d'aiguisement de la concurrence entre les puissances impérialistes dans le monde qui, en fin de compte, conduira en 1914 à l'éclatement de la Première guerre généralisée pour la répartition du globe. Cette période correspond au Mexique à celle de la dictature longue de trois décennies de Porfirio Diaz qui, au plan des relations internationales, exprime de nouveau de manière claire les "jongleries" avec les grandes puissances dans lequel a dû se maintenir la bourgeoisie nationale. Un haut fonctionnaire du gouvernement de Diaz, éminent idéologue de la bourgeoisie mexicaine, expliquait ainsi ce jeu devant le ministre français :

"Il ne fait aucun doute que nous ne pouvons répondre à cette invasion [référence à l'entrée de capitaux américains] de manière extrémiste car les Etats-Unis ont contribué au développement de notre pays et ils continuent à le faire, et continueront encore plus dans le futur. Nous devons présenter un état d'esprit favorable à un voisin aussi puissant et éviter toute chose qui provoque son inimitié. D'autre part, nous avons le droit et aussi le devoir de chercher ailleurs un contrepoids à l'influence continuellement croissante de notre puissant voisin. Nous devons nous tourner vers d'autres cercles desquels nous pouvons obtenir un appui dans certaines circonstances pour préserver notre indépendance industrielle et commerciale. Nous ne pouvons trouver ce contrepoids que dans le capital européen" (José López Portillo y Rojas(4), 1901, cité par F. Katz dans La guerra secreta en México, souligné par nous).

Même le renversement de Diaz obéit en bonne partie - outre les forces sociales internes - à l'appui apporté initialement par les Etats-Unis à la fraction des propriétaires terriens du Nord à la tête desquels se trouvait Madero, qui voyaient leurs intérêts menacés par l'ouverture de Diaz aux capitaux européens. Comme le signale l'historien Katz :

"Le régime de Diaz n'a pas été défait uniquement par les multiples forces dont il suscitait l'hostilité, mais aussi par les très puissantes forces dont l'opposition apparut en-dehors du pays : celles d'importants groupes économiques aux Etats-Unis. Dans son effort pour retenir ce qu'il était arrivé à considérer comme une invasion des investisseurs nord-américains, Diaz a commencé à se tourner vers les puissances européennes, à les inviter à investir dans son pays et à défier en cela la suprématie nord-américaine. Quand cette invitation fût honorée, elle se convertit en une des principales scènes de la rivalité européo-nord-américaine en Amérique Latine (Friederich Katz. La guerra secreta en México, T. I., souligné par nous).

Nous ne pouvons dans cette correspondance retracer toute l'histoire des luttes impérialistes et des fractions bourgeoises au Mexique. A la fin de la Première guerre mondiale, les Etats-Unis profitèrent de la ruine des vieilles puissances européennes pour développer leur expansion mondialement, et particulièrement pour "prendre possession", pour ainsi dire, de toute l'Amérique Latine. Cependant, les puissances européennes conservèrent encore une influence forte et des intérêts en Amérique Latine. Et celle-ci a continué à être, même jusqu'à la Seconde guerre mondiale, un terrain de luttes entre les puissances européennes et les Etats-Unis même si ces derniers devinrent prépondérants, particulièrement au Mexique qui s'est transformé en leur "arrière-cour".

Il est intéressant, néanmoins, de rappeler le cas historique de "l'expropriation pétrolière". La version officielle sur la "nationalisation" du pétrole en 1938 est un autre mythe maintenu avec intérêt par la bourgeoisie mexicaine. Car, derrière ces événements, elle réussit à entraîner effectivement les ouvriers et les paysans pauvres derrière la défense des intérêts capitalistes, non seulement en leur faisant accepter d'énormes sacrifices pour indemniser les compagnies pétrolières (en particulier les ouvriers du pétrole durent accepter des conditions de travail encore plus dures, l'imposition d'un syndicat étatique et l'interdiction de toute grève), mais en général comme un premier pas de la bourgeoisie mexicaine pour convertir le pays en fournisseur de matières premières (pétrole, aliments, coton...) pour les Etats-Unis en vue de la Seconde guerre impérialiste mondiale.

Selon la mystification idéologique, avec cet événement, le pétrole s'est converti en "propriété de tous les mexicains". Cependant, comme l'a toujours enseigné le marxisme, la nationalisation d'une industrie dans le capitalisme ne signifie pas que celle-ci se convertisse en "propriété de toute la société", mais qu'elle est simplement administrée maintenant par l'Etat capitaliste au profit de l'ensemble de la classe capitaliste dans la mesure où les ouvriers de ces industries continuent à être des ouvriers salariés, exploités par le capital. Mais en outre, l'expropriation de 1938 n'a même pas signifié "l'indépendance" de l'industrie pétrolière du Mexique, mais seulement la fin de la domination du capital anglais qui continuait à se maintenir jusqu'alors, pour devenir à partir de là subordonnée au capital... américain. Face à l'ivresse nationaliste qui se déchaîna lors de l'expropriation pétrolière (et que la Gauche du capital en particulier continue à alimenter jusqu'à aujourd'hui), il n'y eut qu'un seul petit groupe politique appartenant à la Gauche communiste internationale, le Grupo de Trabajadores Marxistas pour dénoncer toute cette situation :

"Aujourd'hui comme hier, ils reçoivent le pétrole du Mexique avec la différence qu'ils l'achètent au gouvernement mexicain au lieu de l'acheter aux compagnies pétrolières. Les prix sont les mêmes, le pétrole est le même et, l'avenir va se charger de le démontrer rapidement, les sociétés continueront d'être les mêmes en ce qui concerne leur appartenance américaine". ("Le caractère réactionnaire des nationalisations dans la phase impérialiste du capitalisme". Grupo de Trabajadores Marxistas - Comunismo n°1, 1938. Repris dans la brochure de la Fraction, Textes du Groupe de Travailleurs Marxistes, septembre 2008)

Cette situation a perduré jusqu'à nos jours. Après plusieurs décennies où la production pétrolière du Mexique a diminué (au point d'importer du pétrole), la découverte du gisement de Cantarell a permis de refaire du Mexique un pays exportateur important à partir de la seconde moitié des années 1970. Cependant, la bourgeoisie mexicaine ne développa pas l'industrie du raffinage (production de gazole et autres dérivés). Elle se dédia allégrement à l'usufruit des profits de l'exportation de brut, principalement vers... les Etats-Unis. Mais en plus, avec le changement de la situation internationale du début de la décennie (la chute des Twin Towers de New-York en 2001), le pétrole du Mexique est devenu une priorité stratégique pour les Etats-Unis.

Et en effet, après l'effondrement du bloc impérialiste de l'Est, le démembrement de l'ancienne URSS, et l'extinction qui s'en est suivie du jeu de blocs impérialistes qui était sorti de la Seconde guerre mondiale, les Etats-Unis restèrent comme la première puissance mondiale indiscutée, comme "gendarme du monde", dans une situation où les conflits impérialistes n'avaient pas disparu, mais prirent un visage convulsé (ou "chaotique" comme nous disions dans le CCI) durant plus d'une décennie. Cependant, au tournant du nouveau millénaire, le refus des autres grandes puissances (l'Allemagne principalement, mais aussi la France, la Russie, et d'autres) de continuer à suivre les aventures guerrières des Etats-Unis pour imposer leur "ordre", dans le contexte de la crise chronique du capitalisme, a marqué de nouveau un changement dans la situation internationale : le début d'une nouvelle marche de la bourgeoisie mondiale vers une troisième conflagration généralisée comme moyen d'un nouveau règlement de comptes, d'une nouvelle répartition du globe. Dans ces conditions, le contrôle des sources de matières premières et surtout énergétiques, acquiert une importance stratégique militaire bien au-delà de son importance commerciale.

Les Etats-Unis, le plus gros consommateur de pétrole, n'est pas auto-suffisant. Mais, bien au contraire, il est le premier importateur de pétrole du monde. Et il est intéressant de noter d'où viennent ces importations : en premier lieu des pays arabes du Moyen-Orient, c'est-à-dire de la région la plus "chaude" du globe quant aux rivalités et conflits entre grandes puissances, une région où les Etats-Unis maintiennent de plus en plus difficilement leur suprématie ; en second lieu, du Vénézuela, un pays qui est ouvertement passé du côté de la Russie et qui tend à défier chaque fois plus les Etats-Unis ; et, finalement, du Canada et du Mexique qui, en réalité, sont les sources les plus sûres de pétrole (tant par leur frontière commune que par le caractère de pays "amis") que possèdent les Etats-Unis aujourd'hui et pour le futur.

Pour donner une idée des liens du Mexique avec les Etats-Unis par rapport au pétrole, nous pouvons dire(5) que le Mexique a produit, ces dernières années, quelques 2 500 millions de barils de pétrole par jour. De ceux-ci, plus de la moitié, quelques 1 500 millions, sont destinés à l'exportation (le reste est traité dans les 6 vieilles raffineries du Mexique pour la consommation intérieure). Si déjà en 1985, 50% allait vers les Etats-Unis (les autres 50% vers l'Europe et l'Asie), ces dernières années, ce sont 80% de l'exportation de brut mexicain qui est destiné aux Etats-Unis. La production de pétrole mexicain est donc contrôlée par le capital américain, sans compter qu'en outre, ils revendent ensuite au Mexique un cinquième de ce même pétrole sous forme de gazole et de dérivés (50% de la consommation de gazole et de dérivés du Mexique provient actuellement des Etats-Unis).

Comme on le voit, les cris de López Obrador et de toute la gauche du capital autour du fait que "Calderón veut remettre le pétrole mexicain aux Etats-Unis" est une autre mystification : non seulement depuis l'époque de Cárdenas, les Etats-Unis ont le contrôle exclusif du pétrole du Mexique, mais en plus, dans la dernière décennie, le Mexique est devenu une source stratégique de pétrole pour les Etats-Unis.

Quelle est donc la signification de l'actuelle "réforme énergétique" de Calderón ?

Ces dernières années, la production de pétrole au Mexique tend à diminuer. Officiellement, on dit que le gisement de Cantarell s'épuise. Certains disent qu'il s'agit d'une diminution provoquée pour accélérer la réforme. Ce qui est sûr, c'est que la réforme de Calderón chercher à ouvrir l'exploration et l'exploitation des fameuses "eaux profondes" du Golfe du Mexique à l'investissement de capitaux privés ("étrangers"). Cependant, le projet de la bourgeoisie mexicaine doit s'accommoder, une fois de plus, avec les intérêts des Etats-Unis qui, justement, se sont lancés dans la lutte pour le contrôle des sources de pétrole à l'échelle mondiale ce qui inclut en premier lieu le contrôle de sa propre aire géographique, c'est-à-dire précisément du Golfe du Mexique. Comme nous le disions il y a quelques mois :

"Ces dernières années, les luttes inter-impérialistes pour le contrôle du pétrole et du gaz à l'échelle planétaire sont devenues critiques. Pour la première puissance, la sécurité de l'approvisionnement du pétrole et du gaz provenant du Mexique et de la région andine (Venezuela, Bolivie...) ainsi que le contrôle des gisements en "eaux profondes" tant du Golfe du Mexique que de ceux récemment découverts dans les eaux du Brésil. Mais c'est justement sur cet aspect que les Etats-Unis doivent agir avec la plus grande fermeté et attention pour maintenir leur hégémonie dans la région. D'un côté, le projet de "réforme énergétique" qu'avance l'actuel gouvernement mexicain pour briser le monopole de la production par la compagnie étatique PEMEX est devenu une question de "sécurité nationale" pour la bourgeoisie nord-américaine. Il doit garantir le contrôle complet du flux de pétrole vers les Etats-Unis et éviter aussi l'entrée d'entreprises de pays potentiellement, ou ouvertement ennemis, comme l'Espagne ou la Russie. D'un autre côté, les Etats-Unis doivent batailler aussi contre les prétentions impérialistes régionales d'un pays comme le Brésil qui a déclaré l'étatisation de l'extraction de pétrole en "eaux profondes". Et, finalement, les Etats-Unis doivent affronter l'opposition ouverte du gouvernement du Venezuela qui, dans le cours des dernières années, est devenu le principal foyer de contestation et de polarisation des différentes bourgeoisies nationales (Bolivie, Equateur, Nicaragua...) contre les Etats-Unis." (Bulletin n°44, septembre 2008, nous soulignons)

Le problème - pour les Etats-Unis - est que la réforme, en brisant le monopole de Pemex [la compagnie étatique de pétrole mexicain] sur l'extraction, ouvre la porte - via la concurrence pour les contrats - non seulement aux compagnies américaines (qui de fait contrôlent déjà le pétrole mexicain), mais aussi aux compagnies pétrolières d'autres puissances, comme la Repsol espagnole ou les grandes compagnies russes qui ont déjà commencé à pénétrer en Amérique Latine ces dernières années, puissances qui expriment des intérêts différents - pour ne pas dire antagoniques - à ceux des Etats-Unis.

A ce qui précède, s'ajoute non seulement la subsistance, mais aussi un certain renforcement - avec la venue du PAN au pouvoir - des restes des vieilles fractions "pro-européennes" de la bourgeoisie nationale auxquelles se sont ajoutés des capitaux ouvertement pro-européens plus "récents", surtout d'origine espagnole. Cette situation n'est pas, bien sûr, produite par un "virage" de l'ensemble de la bourgeoisie mexicaine, mais des bouleversements dans les relations impérialistes : souvenons-nous que ce fût le Président Salinas de Gortari, à la fin des années 1980, qui impulsa la liquidation du régime de parti unique (le PRI) au pouvoir et l'établissement d'un régime "d'alternance" de partis. Pour cela, il fût nécessaire de renforcer et de rénover le PAN (le vieux parti de droite où s'étaient enkystées les fractions liées au Vatican) avec une fournée de "jeunes" entrepreneurs. Les Etats-Unis virent d'un bon oeil ce changement, comme un moyen de renforcement de l'Etat capitaliste mexicain alors que le problème de l'accession au gouvernement de quelques "pro-européens" n'était pas un élément préoccupant dans la mesure où l'Europe marchait encore derrière les Etats-Unis dans ces années-là. Cependant, la question changea radicalement à partir de 2001 quand les grandes puissances européennes menées par l'Allemagne et la France se distinguèrent des Etats-Unis face à la seconde guerre d'Irak, marquant ainsi l'existence d'une opposition croissante à son hégémonie. Dans le cas du Mexique, la situation est devenue encore plus tendue quand le nouveau gouvernement de Zapatero décida de retirer les troupes espagnoles d'Irak. A partir de là, l'influence européenne au Mexique s'est devenue un "caillou dans la chaussure" des Etats-Unis ; et cela encore plus dans la mesure où cette influence cherche à s'étendre encore plus en Amérique Latine.

Evidemment, les fractions mexicaines "pro-européennes" n'ont pas, loin de là, la force suffisante pour faire retourner les intérêts de l'ensemble de la bourgeoisie mexicaine contre les Etats-Unis (quelque chose qui, par contre, peut arriver dans d'autres pays, y inclus d'Amérique Latine). Cependant, l'existence de ces fractions peut être mise à profit par les puissances antagoniques aux USA pour au moins les distraire, les déstabiliser, les affaiblir au maximum possible et cela dans leur "propre arrière-cour" (et en plus, ce n'est pas la première fois que les puissances européennes essaient ce genre de choses au Mexique).

Et ainsi, dans les conditions actuelles d'aiguisement des tensions et des luttes impérialistes au niveau mondial, dans lesquelles la bourgeoisie mexicaine se trouve liée aux intérêts et au destin de la bourgeoisie nord-américaine, le gouvernement de Calderón est traversé, d'une certaine manière, par le vieux dilemme de la bourgeoisie nationale selon lequel, comme disait López Portillo y Rojas, il faut "maintenir un voisin aussi puissant dans un état d'esprit favorable et éviter toute chose qui puisse provoquer son inimitié, mais à la fois chercher ailleurs un contrepoids à son influence continuellement croissante"..

Bien sûr, la venue de Calderón au pouvoir n'a pas seulement reçue l'aval des Etats-Unis mais ce même Calderón a montré son penchant pour la première puissance mondiale. Cependant, il est significatif que l'ascension de Calderón ait été accompagnée en même temps d'une ouverture croissante aux capitaux européens, principalement espagnols. Et, précisément, dans la dernière décennie, le principal porte-parole et représentant au gouvernement de ces capitaux espagnols et européens a été - ou plutôt "fut" -... Juan Camilo Mouriño.

Il est connu qu'entre Calderón et Mouriño s'est établie une alliance (Calderón parle d'une "amitié personnelle") depuis 2000 quand le PAN (avec Vicente Fox) a accédé à la Présidence. Comme coordinateur du groupe parlementaire du PAN, Calderón a nommé Mouriño à la tête de la commission pour l'énergie (6). Depuis lors, et profitant des réformes commencées du temps de Salinas de Gortari pour permettre l'investissement privé - surtout d'entreprises étrangères - dans le secteur énergétique (qui normalement est supposé être un monopole étatique), Mouriño a réussi à octroyer beaucoup de contrats (dans l'électricité, le gaz, etc.) à diverses entreprises non-américaines, et spécialement à des espagnoles (tels l'Unión Fenosa, Iberdrola ou GPA Energy). Par la suite, Mouriño est devenu le principal collaborateur de Calderón quand celui-ci a accédé au ministère de l'énergie réussissant, par exemple, en 2004 l'attribution de l'un des plus juteux contrats du mandat du Président Fox pour le "joyau de la couronne" espagnole : Repsol comme principale entreprise chargée de l'exploration du bassin de Burgos (50 000 kms2 au Nord du Mexique), le gisement de gaz naturel le plus riche découvert au Mexique, un contrat de 20 ans pour lequel Repsol obtiendra plus de 2 000 millions de dollars.

Finalement, une fois Calderón nommé Président du Mexique, Mouriño arriva aussi au sommet de sa carrière quand son ami lui donna le Secretaría de Gobernación(7). Depuis ce poste, et en intervenant sur des questions qui formellement ne faisaient pas partie de ses fonctions (relations extérieures et énergie), Mouriño initia une politique qui, petit à petit, commença à "incommoder" la bourgeoisie américaine et les fractions prédominantes du Mexique liées aux Etats-Unis.

D'une part, l'ouverture évidente vers l'Europe, et vers l'Espagne en particulier, se reflète au plan diplomatique dans le fait qu'en seulement deux ans de gouvernement, Calderón a déjà eu 4 rencontres avec Zapatero (une au Mexique, deux en Espagne, et une autre au Salvador). Lors de la dernière, Calderón s'engagea à appuyer l'intégration de l'Espagne au G20. Au plan économique, la porte ouverte aux capitaux espagnols dans les secteurs financier, énergétique, du tourisme, des télécommunications..., se reflète dans le fait que l'Espagne est devenue ces dernières années le second investisseur étranger au Mexique, avec 10% des investissements étrangers, même si, bien sûr, les premiers restent les Etats-Unis.

En plus, Mouriño est intervenu dans la normalisation des relations diplomatiques avec... le Vénézuela et Cuba. C'est-à-dire avec les gouvernements d'Amérique Latine qui sont les plus "anti-Etats-Unis" et qui, ces derniers temps, se sont rapprochés d'une autre puissance antagonique aux Etats-Unis : la Russie. Deux semaines avant sa mort, Mouriño affirmait que la relation du Mexique avec Cuba était une "priorité" lors de la réception du ministre cubain des affaires étrangères.

D'autre part, ce fut aussi Mouriño qui, par la suite,durant la préparation du "Plan Mérida" au moyen duquel les Etats-Unis vont augmenter leur "aide", c'est-à-dire leur intervention militaire au Mexique, a déclaré "inacceptable" la clause qui donnait droit à la supervision par le gouvernement américain de la police et de l'armée mexicaine. Mais surtout, ce fut l'ingérence de Mouriño dans la réforme énergétique qui finit, semble-t-il, par le convertir en un obstacle sérieux tant pour les Etats-Unis que pour les intérêts de l'ensemble de la bourgeoisie nationale alignée avec les premiers. Il était clair que Mouriño cherchait à favoriser "l'ouverture" du Golfe du Mexique non seulement aux Etats-Unis mais aussi aux autres puissances qui n'étaient pas nécessairement "amies" de la première puissance de la même manière qu'il l'avait fait pour l'électricité et le gaz.

Durant des mois, par la "fuite" d'informations confidentielles aux médias et dont toute la gauche du capital avec López Obrador se fit le porte-parole, Mouriño subit une pression pour démissionner de sa charge : premièrement, "on découvrit" qu'il n'était pas mexicain, mais espagnol, ce qui lui interdisait d'occuper des charges d'importance nationale ; ensuite, "on découvrit" qu'il avait des années auparavant sous le gouvernement précédent facilité illégalement l'enrichissement de sa famille dans le secteur énergétique ; et finalement, "on découvrit" que son père s'était enrichi aussi au moyen d'opérations frauduleuses et de blanchiment d'argent. Du fait que, malgré la pression subie sur son gouvernement au sujet de Mouriño, Calderón, soit le soutenait loyalement, soit n'avait pas les moyens de lui faire quitter le gouvernement, les médias donnaient des versions complètement opposées sur son destin quelque jours avant l'accident d'avion : alors que certains pronostiquaient qu'il se maintiendrait au mieux jusqu'à la fin de l'année ; d'autres au contraire le voyaient comme le prochain candidat à la présidence du pays, parrainé par Calderón.

Quelques jours après l'approbation de la réforme énergétique, toute cette situation de tensions s'est terminée d'un coup... avec "l'accident" d'avion et la mort de Mouriño. Il est clair que les capitaux européens (surtout espagnols) et les fractions de la bourgeoisie nationale liées à eux, ont subi un dur revers. De même, le gouvernement de Calderón a reçu un sévère avertissement lui signifiant qu'il devait être plus "discipliné", qu'il devait en terminer avec toute velléité "d'ouverture" vers les puissances grandes et petites "non amies" des Etats-Unis (8).

Lors de ses obsèques, et face à la crème de toute la bourgeoisie mexicaine, Calderón éleva son ami au rang de martyr chrétien et de héros national. Cependant, comme on le voit, la mort de Mouriño a obéi à des causes plus terre-à-terre, mesquines et sinistres : la lutte mortelle entre les différentes fractions du capital pour la conservation de leurs profits, leurs privilèges et leur pouvoir.

Quelle doit être la position du prolétariat ?

Avant tout, ne pas se laisser entraîner dans les campagnes idéologiques d'aucune des fractions du capital qui cherchent à l'entraîner derrière elle, ni de "gauche", ni de "droite", ni "amie des Etats-Unis", ni "anti-américaine". Par exemple, aujourd'hui quelques groupes gauchistes font beaucoup de bruit sur la politique de Chávez qui, en s'opposant aux Etats-Unis, se peint de couleur "anti-impérialiste" et même "révolutionnaire", voire "socialiste". En réalité, les Chávez ou Castro, Lula ou Evo Morales, défendent des intérêts tous autant capitalistes et impérialistes bien qu'ils choisissent de se mettre sous l'ombre d'une puissance antagonique aux Etats-Unis.

Face à l'aiguisement des tensions, des luttes et des guerres impérialistes dans lesquelles les grandes puissances occupent le premier rang en entraînant les bourgeoisies nationales du monde entier, la chose fondamentale pour le prolétariat est, comme nous disons, de se maintenir sur son terrain de classe, c'est-à-dire de maintenir indépendante sa lutte en défense de ses propres intérêts de classe, tant immédiats qu'historiques, contre l'exploitation capitaliste.

La Fraction, décembre 2008

1 Le Secretario de gobernación est une sorte de super-ministre de l'Intérieur des gouvernements mexicains, en fait le second dans l'ordre hiérarchique après le Président de la République [NDT].
2. Nous n'abordons pas ici la particularité de la constitution en blocs impérialistes rivaux à la veille des deux guerres mondiales.[NDLR]
3 L'isthme de Tehuantepec, la partie la plus étroite du territoire mexicain entre le Pacifique et le Golfe du Mexique,, marque le passage de l'Amérique du Nord à l'Amérique centrale [NDT]
4.- Ce personnage est, effectivement, le grand-père de celui qui sera le président du Mexique (pour le Parti Révolutionnaire Institutionnel) entre 1976 et 1982, José Lopez Portillo. La "révolution mexicaine" n'a pas liquidé la vieille classe foncière-capitaliste de l'époque de Porfirio, elle a plutôt fini par pactiser ou subir le mimétisme de la nouvelle bourgeoisie surgi à partir des généraux "révolutionnaires"..
5 Chiffres calculés de manière approximative à partir de différentes statistiques officielles et de dépêches de journaux. Sans compter que la situation a changé rapidement ces dernières années et ces derniers mois.
6. Les données qui suivent sur Mouriño viennent de notes périodiques parues sur internet ces dernières années :c'est à dire qu'elles sont connues publiquement.
7. Le Secretaría de Gobernación est l'équivalent dans les autres pays du ministre de l'intérieur, c'est-à-dire celui qui contrôle la police interne du pays (sécurité, services secrets, partis politiques...).
8 Peut-être peut-on comparer la mort de Mouriño aux deux pétroliers mexicains, durant le gouvernement d'Avila Camacho en 1942, qui avait eu l'idée, en pleine guerre mondiale, de vendre du pétrole à l'Allemagne comme moyen pour faire pression sur les entreprises nord-américaines qui n'acceptaient pas l'indemnisation de l'expropriation pétrolière. A l'époque, le résultat fut la déclaration de guerre du Mexique comme allié inconditionnel des Etats-Unis, aux puissances de l'Axe.

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