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Quand les conservateurs dépassent les limitesAnonyme, Viernes, Octubre 10, 2008 - 23:24
Bureau des Affaires Louches
Le BUREAU DES AFFAIRES LOUCHES recense ici divers cas de manquements aux lois électorales de la part des conservateurs de Harper, de la nomination d'un élu coupable d'avoir violé la loi électorale au poste de ministre de la justice, en passant par les contributions non-déclarées au congrès de mars 2005, à Montréal, jusqu'à l'enquête du Commissaire aux élections fédérales portant sur la possibilité bien réelle que les conservateurs pourraient avoir dépassés les limites du plafond des dépenses électorales autorisées de plus d'un million de dollars lors de la campagne électorale de 2005-2006. Ils n'ont aucune difficulté à voir la paille dans l'oeil de leur voisin mais ne voient pas la poutre qui se trouve dans le leur. La facilité qu'ils ont à porter des jugements n'a d'égale que leur incapacité à supporter les regards inquisiteurs à leur endroit. Ils prêchent les vertus de la loi et de l'ordre mais laissent à d'autres le soin de mettre en pratique leur évangile légaliste. Ils sont forts pour donner des leçons de morale aux autres mais leur performance laisse fort à désirer lorsque vient le temps de donner l'exemple. Ils veulent multiplier les interdits alors qu'ils se croient tout permis. Qui ça ? Les politiciens de la droite conservatrice canadienne Ceux-là même qui disent vouloir faire la vie dure aux criminels mais qui ont horreur de se retrouver sur le banc des accusés. Ceux-là même qui prônent l'application de peines plus sévères contre les délinquants juvéniles mais qui font preuve du plus grand des mépris à l'égard des règles du jeu en matière électorale. Faites ce que nous vous disons, mais gare à vous si vous essayez de nous imiter : voilà ce que nous disent, en substance, les conservateurs de Stephen Harper par leur comportement contradictoire entre le discours et l'acte. S'il y a une morale à cette histoire, alors la voici : les pires ennemis de l'éthique en politique sont souvent ceux qui s'en prétendent les plus fervents adeptes ! À l'approche du scrutin du 14 octobre 2008, le BUREAU DES AFFAIRES LOUCHES a décidé de recenser divers cas de manquements aux lois électorales qui firent les manchettes aux cours des trois dernières années, révélant ainsi le petit côté délinquant des conservateurs de Harper à la population canadienne. De la nomination d'un élu coupable d'avoir violé la loi électorale au poste de ministre de la justice, en passant par les contributions non-déclarées au congrès de mars 2005, à Montréal, jusqu'à l'enquête du Commissaire aux élections fédérales portant sur la possibilité bien réelle que les conservateurs pourraient avoir dépassés les limites du plafond des dépenses électorales autorisées de plus d'un million de dollars lors de la campagne électorale de 2005-2006. C'est d'ailleurs l'enquête sur le financement des dépenses électorales qui avait amené la Gendarmerie royale du Canada (GRC) au bureau national de Parti conservateur du Canada, en avril dernier. Peut-on imaginer une situation plus embarrassante pour un parti politique aussi pro-flic que celui de Harper ? Enfin, c'est encore l'affaire du financement électoral qui expliquerait la dissolution du Parlement et le déclenchement d'une campagne électorale fédérale, le 7 septembre dernier. Après tout, Harper n'a-t-il pas prétendu que le Parlement était devenu "dysfonctionnel" au moment même où des membres du comité permanent de l'éthique réfléchissait tout haut à la possibilité de faire appel aux forces de l'ordre pour obliger Il s'en trouvera sûrement certains qui diront que tout le monde a droit à l'erreur. Mais on dit aussi qu'une faute avouée est à moitié pardonnée. Compte tenu du refus obstiné des conservateurs de se livrer au moindre repentir et de leur intolérance quasi-allergique à toutes formes de critiques dirigées contre eux, force est de constater que leurs fautes sont impardonnables. La loi et l'ordre, mais pas Politicien très à droite, Vic Toews fit d'abord carrière sur la scène provinciale manitobaine. De 1995 à 1999, Toews fut membre du gouvernement progressiste-conservateur de Gary Filmon, où il occupa les fonctions de ministre du Travail, puis de ministre de la Justice et de Procureur général du Manitoba. Lors de son passage mouvementé au ministère de la Justice, Toews parraina divers projets de loi plutôt controversés. Par exemple, en septembre 1997, Toews fit adopter une loi draconienne qui tenait les parents légalement responsables des méfaits commis par leur progéniture, ce qui constituait alors une première au Canada. (1) L'année suivante, Toews fit adopter une loi permettant la saisie de véhicules lorsque son propriétaire est arrêté en flagrant délit de sollicitation de services sexuels. Cette loi, qui était une autre première au Canada, pouvait même s'appliquer aux chauffeurs de taxis. (2) Empêtrés dans un épouvantable scandale d'élections truquées (3), les progressistes-conservateurs de Filmon furent chassés du pouvoir lors des élections générales de septembre 1999. Toews fut quant à lui défait dans son comté de Rossmere (Winnipeg nord), par une mince différence de 294 votes. L'année suivante, Toews tenta sa chance sur la scène fédérale en se joignant à l'Alliance canadienne, le grand parti de la droite conservatrice canadienne alors dirigée par le politicien albertain Stockwell Day. L'Alliance tenta sans succès de battre les libéraux de Jean Chrétien lors des élections générales fédérales de novembre 2000, de sorte qu'elle dû se contenter de former l'Opposition officielle à la Chambre des communes. De son côté, Toews parvint à se faire élire dans la circonscription rurale de Provencher, dans le sud-est du Manitoba. En janvier 2001, Day nomma Toews au poste de critique en matière de justice pour l'Opposition officielle, une position que le député manitobain occupera sans interruption jusqu'en novembre 2005. Or, dix mois après cette nomination, Toews se retrouva devant la justice : il fut accusé d'avoir enfreint la loi électorale manitobaine durant les élections provinciales de septembre 1999 ! (4) Cette accusation découlait d'une enquête menée par Élections Manitoba, laquelle avait permit d'établir que Toews avait dépassé la limite de dépenses électorales permises, ce qui constituait une infraction pénale passible d'une amende maximale de 2000 dollars. Élections Manitoba accusa donc Toews d'avoir dépensé illégalement 7500 dollars au-dessus de la limite permise dans le comté de Rossmere. Toews enregistra alors un plaidoyer de non culpabilité. Il prétendit qu'il était victime d'un obscur malentendu entre lui et son ancien parti. Pourtant, Toews ne démontra guère d'empressement à tirer au clair ce soi-disant quiproquo. En effet, les procédures dans sa cause traînèrent durant cinq longues années. Jusqu'au 25 janvier 2005, jour où Toews fit volte-face et décida de reconnaître sa culpabilité à l'infraction reprochée devant le juge Raymond Wyant. Notons que le juge Wyant devait sa nomination à la magistrature manitobaine à nul autre que Vic Toews, du temps où celui-ci occupait le poste de ministre de la Justice au sein du gouvernement Filmon. (5) C'était peut-être pour cette raison que l'avocat de Toews en profita pour demander au juge Wyant de lui faire la faveur d'accorder une absolution inconditionnelle au député fautif. Pour sa part, l'avocat d'Élections Manitoba demanda l'imposition d'une amende s'établissant entre 500 et 1000 dollars. À Ottawa, le gouvernement libéral n'allait pas laisser passer une aussi belle occasion d'embarrasser l'Opposition officielle, désormais dirigée par le chef du Parti conservateur du Canada, Stephen Harper. Ainsi, Reg Alcock, député libéral manitobain et président du Conseil du trésor, demanda à Harper de congédier Vic Toews de son poste de critique en matière de justice en raison de ses démêlés avec la justice. En soutien à sa demande, Alcock mentionna le fait que Toews avait "sciemment brisé la loi au Manitoba et qu'il a continué de cherché à éviter le jour du jugement pendant plusieurs années." (6) Un porte-parole du premier ministre Paul Martin s'interrogea aussi sur le fait que Toews avait essayé d'obtenir la clémence d'un juge qu'il avait personnellement nommé à la magistrature. Geoff Norquay, porte-parole de Harper, balaya du revers de la main cette demande des libéraux en affirmant que le leader conservateur avait une confiance totale envers Vic Toews. Celui-ci se défendit en expliquant qu'il avait choisit de plaider coupable parce qu'il n'avait pas le temps nécessaire à se consacrer à son procès. Harper ignora les critiques libéraux et Toews fut maintenu à son poste. Un an plus tard, les conservateurs de Harper remportèrent l'élection générale fédérale du 23 janvier 2006. Lorsqu'il forma son gouvernement, le premier ministre Harper confia à Toews le ministère de la Justice. Compte tenu des tribulations de Toews avec la loi électorale, ce choix avait surpris bien des observateurs politiques, d'autant plus que Harper avait fait campagne en dénonçant les malversations de ses adversaires libéraux. D'ailleurs, avec 125 députés conservateurs siégeant à la Chambre des communes, ce n'était pas comme si Harper était en manque de candidats pour combler un poste aussi important. "L'avocat Vic Toews se mérite un emploi au Cabinet, mais faire de lui le visage de la loi et de l'ordre semble étrange compte-tenu de sa condamnation l'année dernière pour avoir violé les lois électorales manitobaines", commenta le chroniqueur politique Don Martin du National Post. (7) "Certes, il s'agissait d'une infraction mineure et d'un malentendu, mais le fait est que son entrée au Cabinet aurait été bloquée s'il avait contrevenu à la loi fédérale." En fait, si Toews "avait été mis à l'amende pour avoir dépassé la limite des dépenses lors d'une élection fédérale, cela l'aurait empêché de se présenter à nouveau pour une période de cinq ans, selon la Loi électorale du Canada", nota pour sa part la journaliste Janice Tibbetts de la chaine de journaux CanWest. (8) Toews occupa le poste de ministre de la Justice jusqu'au 4 janvier 2007, date à laquelle il fut muté au Conseil du trésor lorsque Harper procéda à son premier mini-remaniement ministériel depuis son arrivé au pouvoir. Quand Harper dénonçait Pour une formation politique vieille de moins de cinq ans (9), le Parti conservateur du Canada (PCC) n'aura pas tardé à se mettre les pieds dans les plats et à multiplier les embrouilles avec Élections Canada, une agence fédérale indépendante relevant du Parlement canadien, et non pas du gouvernement. En juin 2006, soit à peine six mois après l'arrivée au pouvoir des conservateurs, John Baird, alors président du Conseil du Trésor du gouvernement Harper, avait reconnu lors de son passage devant un comité sénatorial que le PCC avait omis de déclarer à Élections Canada des contributions politiques s'élevant à près de 2 millions de dollars. (10) Baird, qui est actuellement ministre à l'Environnement, avait alors affirmé que les conservateurs estimaient que les frais déboursés par les participants au congrès du PCC qui s'était tenu à Montréal, en mars 2005, n'étaient pas des contributions politiques au sens où l'attendait la loi électorale. À l'époque, le congrès avait suscité la participation de 2679 personnes, moyennant des frais de 600 dollars chacun. Certains participants purent toutefois profiter de rabais sur les frais d'inscription. Or, la loi fédérale sur le financement électoral stipulait clairement que les frais de participation à un congrès politique constituaient une contribution à un parti "au sens où la personne s'acquittant de ces frais ne reçoit aucun produit ou service ayant une valeur commerciale." Naturellement, les conservateurs s'entêtèrent à insister sur leur innocence. Toutefois, leur seule défense consista à prétendre qu'ils faisaient une lecture différente du texte de loi. Selon eux, puisque leur congrès de 2005 ne généra aucun profit, alors la loi ne les obligeait pas à comptabiliser les frais d'inscription sous la rubrique des contributions politiques. Mais il y avait plus. Les formulaires d'inscription au congrès du PCC indiquaient que les conservateurs avait même facturé jusqu'à 750 dollars aux groupes professionnels et associations diverses, lesquelles étaient représentées par des lobbyistes pour la plupart. Le formulaire d'inscription indiquait que les frais pouvaient être réglés par carte de crédit ou par chèque d'entreprise. Cela signifiait donc que certaines de ces contributions pourraient être illégales puisque les nouvelles dispositions législatives sur le financement électoral en vigueur depuis 2004 interdisait aux partis politiques fédéraux de recevoir des dons d'entreprises. Réagissant à ces révélations, le Directeur général des élections (DGÉ) du Canada, Jean-Pierre Kingsley, fit savoir qu'il aimerait bien jeter un coup d'oeil aux livres du PCC. (11) Dans un communiqué envoyé au lendemain du témoignage de John Baird, Élections Canada déclara que "la population a le droit de savoir précisément ce qui s'est passé", tout en précisant que l'agence fédérale "n'est pas habilité par la loi à vérifier les livres d'un parti enregistré, ni à en exiger la production." La prise de position de Kingsley déplu royalement au gouvernement conservateur. Un porte-parole du premier ministre Harper affirma que le communiqué du DGÉ le laissait "perplexe." Ces premières frictions marquèrent le début d'un bras de fer qui opposera ouvertement le DGÉ aux conservateurs. En fait, ce n'était pas d'hier que le chef conservateur ne portait pas particulièrement dans son coeur le grand patron d'Élections Canada, qui avait été nommé par le gouvernement progressiste conservateur de Brian Mulroney, en 1990. Harper avait eu l'occasion de croiser le fer avec Kingsley à plusieurs reprises durant la période où il était le président d'un groupe de pressions très à droite, le National Citizens Coalition, entre 1998 et 2002. À l'époque, la National Citizens Coalition avait affronté Kingsley devant les tribunaux lors d'une longue bataille légale visant l'abolition des plafonds de dépenses qu'Élections Canada voulait imposer aux groupes d'intérêt désireux de participer à des campagnes électorales. "Jean-Pierre Kingsley réagit davantage comme un policier plutôt qu'un fonctionnaire", avait écrit Harper dans un communiqué de presse lorsque le DGÉ avait évoqué la possibilité de rendre le vote obligatoire, en décembre 2000. (12) "Que fera-t-il ensuite ? La police de Kingsley va-t-elle utiliser la liste électorale pour aller de maison à maison afin de forcer les gens à se rendre aux urnes ou les arrêter ? C'est tout simplement bizarre. Le Parlement devrait réfléchir soigneusement afin de savoir si l'approche de ce type-là à l'égard de l'administration électorale est adéquate pour une démocratie du 21e siècle." Cinq ans plus tard, Harper ne semblait pas être revenu à de meilleurs sentiments envers Kingsley. La seule différence était que maintenant, c'était désormais lui qui avait le gros bout du bâton. De son côté, Kingsley ne semblait pas particulièrement disposé à vouloir de faire de cadeau aux conservateurs. Ainsi, en septembre 2006, Kingsley témoigna à son tour devant un comité sénatorial et rejeta l'interprétation de la loi électorale que faisait le parti de Harper au sujet des frais d'inscription à leur congrès. D'après Kingsley, "tous les frais payés pour participer à une manifestation politique d'un parti enregistré équivalent à une contribution au parti, sauf dans les cas où les participants en tirent des avantages concrets ayant une valeur commerciale." (13) À court d'arguments, le gouvernement Harper sembla forcé de reconnaître, tacitement à tout le moins, que son interprétation de la loi était erronée. C'est ainsi qu'en novembre 2006, les conservateurs proposèrent d'amender la Loi fédérale sur la responsabilité de façon à ce que les frais d'inscription au congrès d'un parti politique ne soient plus considérés comme une contribution politique. (14) Rappelons que la Loi sur la responsabilité se voulait la réponse des élus fédéraux aux recommandations qu'avait formulé le juge John Gomery afin de prévenir la répétition d'un scandale comme celui des commandites. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il y avait quelque chose de profondément tordu, pour ne pas dire carrément scandaleux, de la part des conservateurs d'essayer d'utiliser une loi destinée à assainir les moeurs politiques fédérales afin de couvrir leurs propres manquements à la législation électorale en vigueur. Le porte-parole du Conseil du trésor, Mike Van Soelen, expliqua qu'un besoin de "clarification" était apparu en prétextant que les partis interprétaient différemment l'obligation de déclarer à Élections Canada les frais d'inscription au congrès. Or, dans les faits, le PCC était le seul parti fédéral qui soutenait que la loi électorale n'assimilait pas les frais d'inscription à un congrès à des contributions politiques. N'ayant pas réussi à faire amender la loi, les conservateurs durent se résoudre à déclarer forfait. Le 21 décembre, le PCC déposa un rapport financier révisé pour l'année 2005, dans lequel il déclarait les revenus générés par les frais d'inscription au congrès de Montréal. (15) En calculant les frais d'inscription comme des dons, le PCC fit une découverte embarrassante : trois délégués au congrès, incluant le premier ministre Harper lui-même, avaient dépassés la limite du montant maximal de 5000 dollars que les particuliers pouvaient verser en contributions à un parti politique. Le PCC a donc dû rembourser 456 dollars à Harper et aux deux autres délégués qui avaient fait preuve d'une générosité excessive. Mais ce n'était pas là la seule surprise qui attendait Élections Canada. En effet, dans son rapport financier révisé, le PCC divulgua pour la première fois un montant additionnel de 1.45 millions de dollars en revenus, soit 539 915 dollars en dons et 913 710 dollars sous la rubrique "autres revenus." Le rapport révéla également l'existence de 1.45 millions de dollars à titre d'"autres dépenses", sans apporter de plus amples précisions à ce sujet. C'est alors qu'un nouveau coup de théâtre survint. Le 22 décembre, soit le lendemain du dépôt du rapport financier révisé du PCC, Kingsley annonça soudainement sa démission de son poste de directeur général d'Élections Canada qu'il occupait depuis les dix-sept dernières années. (16) La lettre de démission de Kingsley ne fournissait aucunes explications à son geste. Le communiqué laconique émis par le bureau du premier ministre Harper n'apportait pas davantage de précisions. "Au cours de sa longue carrière dans l'administration publique, M. Kingsley a toujours servi la population canadienne de son mieux", pouvait-on lire. "Le gouvernement du Canada lui est reconnaissant de sa riche contribution et lui souhaite bon succès dans tout ce qu'il entreprendra." Mais les éloges de Harper ne dupait personne, surtout pas l'opposition libérale, qui réagissa à cette nouvelle en exigeant que toute la lumière soit faite autour de ce départ inattendu. "Quel que soit le gouvernement en place, M. Kingsley n'hésitait pas à le ramener à l'ordre", déclara le leader parlementaire du Parti libéral du Canada, Ralph Goodale. "Nous devons aller au fond des choses pour voir si des pressions indues ont été exercées contre M. Kingsley parce qu'il a eu le courage d'alerter la population sur les finances du (Parti conservateur)", ajouta-t-il. Le soudain départ de Kingsley laissa de nombreuses questions sans réponses car l'ex-DGÉ, naguère si volubile, resta muet comme une carpe à ce sujet. L'explication se trouvait peut-être dans le fait que Kingsley avait commencé à fourrer son nez dans une affaire qui était beaucoup plus dommageable politiquement pour les conservateurs que l'histoire des contributions non-déclarées. Une affaire si explosive qu'elle mena à une perquisition de la GRC au bureau national du PCC. C'est à tout le moins ce que suggérait un article publié à la une du quotidien The Ottawa Citizen, plus de seize mois après la mystérieuse démission de Kingsley. (17) Au diable les (limites de) dépenses ! Jean-Pierre Kingsley était peut-être parti mais les démêlés du Parti Conservateur du Canada avec la loi électorale ne faisaient que commencer. Ce que le public ne savait pas encore à ce moment-là, c'est qu'un différend opposait le PCC à Élections Canada relativement aux demandes de remboursement des dépenses de publicités électorales de plusieurs dizaines de candidats conservateurs. Le litige s'envenima jusqu'à ce que l'affaire éclate au grand jour, donnant lieu à l'un des plus grands scandales politiques des conservateurs depuis l'arrivée au pouvoir de Stephen Harper. Voici comment l'affaire commença. Moins d'un mois avant l'annonce de sa démission, Kingsley avait envoyé des lettres demandant aux agents officiels de quatorze candidats conservateurs, dont six québécois, de produire au plus tard le 15 janvier 2007 des documents relatifs à leurs dépenses électorales. (18) Aux yeux du DGÉ, les rapports de campagne de ces candidats pour l'élection du 23 janvier 2006 étaient incomplets au chapitre des dépenses de publicité électorale. Les demandes du DGÉ portaient plus spécifiquement sur la facture que les organisateurs de la campagne de ces candidats avaient soumises au Fonds conservateur Canada, l'agent officiel du PCC, avec la mention suivante : "Candidate share of media buy costs and candidate share of advertising production" (Traduction : part du candidat aux coûts d'achat de publicité médiatique et part du candidat à la production de publicité). Comme cette pièce justificative laissa Élections Canada sur sa faim, le DGÉ exigeait donc des agents officiels visés qu'ils lui soumettent une copie du contrat ou de tout autres accords écrits entre l'annonceur et le parti concernant la dépense précitée, de même qu'une copie de l'annonce elle-même, un document précisant la date de présentation de l'annonce et un document précisant la date à laquelle l'agent officiel avait autorisé la dépense. Les lettres de Kingsley énonçaient également les conséquences possibles qui guettaient les candidats en cause qui n'obtempéraient pas à ses demandes. Ainsi, le versement de la dernière tranche du remboursement des dépenses électorales du candidat ne pourra être effectué tant que les documents n'auront pas été soumis, prévenait le DGÉ. Précisons que tout candidat recevant au moins 10 pour cent des suffrages a droit de se faire rembourser jusqu'à 60 pour cent de ses dépenses électorales. Les répercussions pouvaient devenir encore plus fâcheuses pour les députés conservateurs Sylvie Boucher et Ron Cannan, qui étaient les deux seuls candidats élus parmi les quatorze qui étaient visés par les demandes du DGÉ. Dans ses lettres, Kingsley cru bon de leur rappeler que la loi prévoit que le candidat élu qui omet de produire un document ne peut continuer à siéger et à voter à titre de député à la Chambre des communes. Le 15 janvier 2007, soit la journée même de la date limite pour la production des documents exigés, Michael Donison, alors directeur général du PCC, envoya une lettre à Élections Canada pour l'informer qu'il n'existait pas de document contractuel unique entre les candidats, ou le parti, et le Groupe Retail Media, la firme torontoise qui était responsable de l'achat de temps d'antenne pour le compte des conservateurs à l'échelle canadienne lors de la campagne électorale de 2005-2006. (19) Donison demanda également une extension de délai pour produire les autres documents demandés. Dix jours plus tard, Ann O'Grady, cheffe de la direction financière pour le Fonds conservateur du Canada, envoya une lettre à Élections Canada dans laquelle elle donna un aperçu de l'ampleur du programme d'achats de publicité dite régionale via le Groupe Retail Media. (20) Ainsi, O'Grady révéla que le Fonds conservateur avait avancé des fonds à soixante-sept candidats conservateurs désireux de participer au soi-disant programme. (On en apprendra éventuellement davantage au sujet de ces soixante-sept candidats, dont vingt-sept s'étaient présentés au Québec et dix-sept ont été élus à la Chambre des communes.) Dans sa lettre, O'Grady précisait également que le coût total des achats de publicité régionale s'élevait à 1.2 millions de dollars tandis que le coût de production associé au programme totalisait 121 000 dollars. Enfin, la lettre de O'Grady était également accompagnée de divers documents au sujet de la publicité électorale des conservateurs, incluant une lettre du Groupe Retail Media expliquant sa relation avec le PCC, l'horaire de diffusion des publicités radiophoniques et télévisées, une copie de la facture de Retail Media pour l'achat de publicité par les candidats concernés, etc. Comme nous le verrons ci-dessous, ces révélations seront lourdes de conséquences pour le PCC. Le 21 février, la Chambre des communes approuvait à l'unanimité la nomination de Marc Mayrand à titre de nouveau directeur général des élections du Canada. Auparavant, Mayrand avait été surintendant aux faillites et professeur de droit civil à l'Université de Ottawa. À ce moment-là, des dizaines de candidats conservateurs n'avaient toujours pas reçu le remboursement de leurs dépenses électorales auquel ils estimaient avoir droit. Les achats de publicités dites régionales constituaient la principale pomme de discorde qui retardaient le versement du remboursement des dépenses électorale. En fait, Élections Canada était encore loin d'être convaincu que ces publicités régionales devaient être rangées dans la catégorie des dépenses électorales d'un candidat local. Les hésitations d'Élections Canada reposaient notamment sur le fait que ces publicités dites régionales s'étaient démarquées de celles diffusées au niveau national uniquement par l'inscription, en petits caractères, à la toute fin du message, d'une liste des candidats ayant contribué à leur financement. Élections Canada semblait juger que cet apport était insuffisant pour que ces publicités puissent correspondre aux critères d'une publicité électorale locale, celle-ci devant a priori faire directement la promotion du candidat ou à tout le moins s'en prendre à ses adversaires. Il faut aussi noter que cette distinction entre publicité locale et nationale avait une incidence financière. En effet, Élections Canada se montre plus généreux lorsqu'il s'agit de rembourser des dépenses électorales effectuées dans le cadre de la campagne locale d'un candidat plutôt que celles qui sont faites pour le compte de la campagne nationale d'un parti politique enregistré. Ainsi, le candidat éligible aura droit à un remboursement pouvant aller jusqu'à 60 pour cent de ses dépenses électorales, alors que dans le cas d'un parti, le taux de remboursement ne s'élève qu'à 50 pour cent, soit une différence de 10 pour cent. Dans le cas qui nous occupe, seuls deux candidats sur soixante-sept ne parvinrent pas à obtenir le plancher de 10 pour cent de suffrages qui leur aurait permis de se rendre éligibles au remboursement de leurs dépenses électorales. Quant aux soixante-cinq autres candidats, leurs demandes de remboursement atteignaient la somme totale de 777 000 dollars. Mais ce n'était pas tout. La méthode de financement de ces publicités posait également problème à Élections Canada. Le PCC avait transféré des sommes totalisant plus d'un million de dollars à soixante-sept de ses candidats lorsque ceux-ci savaient que leurs dépenses électorales resteraient en-dessous de la limite permise. Le stratagème impliquait généralement des candidats n'ayant à peu près aucune chance d'être élus ou, au contraire, ceux dont la victoire était assurée. Dans le cas qui nous occupe, les sommes transférées aux candidats allaient de 2000 dollars à 52 000 dollars. Les soixante-sept candidats qui reçurent les fonds du parti retournèrent ensuite l'argent au PCC, qui lui s'en servit pour financer l'achat des publicités régionales. Puis, une fois l'élection terminée, le PCC s'attendait à ce qu'Élections Canada rembourse l'achat de publicité électorale qui avait été effectué au nom du candidat, mais avec l'argent du parti. Dans les faits, l'argent du parti avait servi à financer l'achat de publicité électorale destinée, non pas à promouvoir les candidats au niveau local, mais bien à la campagne nationale du parti. Pourtant, sur papier, c'était bien le candidat qui assumait le coût d'achat de ces publicités. Bref, tout portait à croire que le PCC avait eu recours à une combine comptable surnommée la "méthode in and out." Le stratagème est parfois aussi appelé le système "aller-retour" ou "entrée-sortie." La conséquence de ce stratagème était double. D'une part, il permit au PCC de diminuer ses dépenses électorales sur papier, de manière à donner l'impression qu'il avait respecté la limite des dépenses électorales permises. Notons à ce sujet que le plafond des dépenses pour la campagne nationale du PCC avait été fixé à 18 278 278 dollars lors de la campagne de 2005-2006. Il en avait d'ailleurs fallut de peu pour que le PCC défonce le plafond des dépenses électorales permises. En effet, les dépenses du PCC avaient totalisées 18 019 179 dollars, ce qui incluait 9 174 392 dollars en publicités, soit seulement 259 099 dollars en-dessous de la limite autorisée. D'autre part, la manoeuvre avait aussi pour effet de gonfler artificiellement les dépenses électorales des candidats locaux, de sorte que ceux-ci purent réclamer à Élections Canada des remboursements plus copieux que s'ils avaient été faits au nom du parti. Comme il s'agissait ici de fonds publics, les contribuables auraient été floués, n'eut été de la vigilance d'Élections Canada. Pendant qu'Élections Canada était en train de découvrir le pot aux roses, l'attente du remboursement des dépenses électorales commença à devenir franchement agaçante pour les conservateurs, surtout que la totalité des sommes en jeu s'élevaient à plus d'un million de dollars. Susan Kehoe, la nouvelle directrice générale intérimaire du PCC, décida donc de prendre les choses en main en se montrant plus insistante auprès du nouveau DGÉ, Marc Mayrand. Dans une lettre de quatre pages datée du 12 avril, Kehoe fit valoir l'urgence de la situation. Elle affirma que le temps que mettait Élection Canada à rembourser les dépenses électorales devenait de plus en plus préoccupant pour certaines associations conservatrices de circonscription. (21) Dans de telles conditions, il n'était pas possible pour celles-ci de dresser un budget en vue du prochain scrutin, déplora Kehoe. Selon Kehoe, une publicité devait être considérée comme étant locale en autant qu'elle ait été payée et autorisée par l'agent officiel d'un candidat local "sans égard au contenu 'local' ou 'national'." "Quand les candidats ont été invités à participer au concept d'achat médiatique régional, chacun a indiqué un degré de participation financière auquel il s'engageait", écrivit Kehoe. "En tout respect, ce n'est pas à Élections Canada de décider si cette méthode de répartition des coûts partagés est plus raisonnable qu'une autre", ajouta-t-elle. Enfin, Kehoe plaida qu'il n'y avait rien dans la loi qui interdisait les transferts de fonds de la campagne nationale aux caisses électorales des candidats. La lettre de Kehoe n'eut pas beaucoup de succès. Non seulement ses arguments restèrent sans effets auprès du DGÉ, mais en plus Élections Canada demanda au commissaire aux élections fédérales, William Corbett, d'intervenir dans le dossier, au cours du même mois d'avril. Autrefois responsable de la division du droit criminel au Service fédéral des poursuites du ministère de la Justice, Corbett avait été nommé au poste de commissaire aux élections par Kingsley quelques mois avant qu'il n'annonça sa démission. Le seul fait que le commissaire Corbett ait été appelé à examiner les dépenses électorales des conservateurs était lourde de sens en soi. En effet, c'est au commissaire aux élections fédérales que revient la décision de déclencher une enquête et, le cas échéant, intenter des poursuites devant les tribunaux. Le litige opposant le PCC à Élections Canada venait de donc prendre une toute nouvelle dimension. Après tout, si le PCC avait dépensé plus qu'il n'en avait le droit lors de la campagne électorale de 2005-2006, cela pouvait soulever des questions plutôt gênantes sur la validité de sa victoire du 23 janvier 2006. Bref, le PCC se trouvait dans un bien beau pétrin... Entre-temps, le DGÉ décida de ne pas rembourser les dépenses électorales douteuses de cinquante candidats conservateurs. Si les dix-sept autres participants au programme d'achat de publicité régionale eurent droit aux remboursements, c'était parce qu'Élections Canada avait commencé à éprouver des doutes seulement après l'envoi du chèque, comme ce fut le cas pour la candidate Josée Verner, aujourd'hui ministre au sein du gouvernement Harper. Au mois de mai suivant, les conservateurs contestèrent la décision du DGÉ devant la Cour fédérale. En tout, trente-sept agents officiels qui avaient représentés au moins une quarantaine de candidats conservateurs lors de la campagne électorale de 2005-2006 étaient partie prenante dans ce recours judiciaire contre la décision d'Élections Canada. Toutefois, la décision d'affronter le DGÉ devant un tribunal public posait un risque politique pour les conservateurs : les pièces déposées au dossier (la correspondance entre les responsables du PCC et Élections Canada, des rapports financiers documentant le modus operandi du stratagème "in and out", etc.) allaient devenir accessibles au public et alimenter tôt ou tard les manchettes des journaux. C'est d'ailleurs ce qui finira par arriver. Quand conservateur rime avec tricheur Le quotidien The Ottawa Citizen fut le premier média à révéler publiquement l'existence de l'affaire dans un long article publié à la une de son édition du 23 août 2007, ce qui tombait précisément dix-neuf mois, jour pour jour, après l'élection générale fédérale qui porta au pouvoir les conservateurs de Harper. (22) Pour la première fois, le public canadien fut informé de la possibilité bien réelle que les dépenses électorales du PCC avaient peut-être dépassées fixées selon la loi lors de la campagne de 2005-2006. Le Citizen consulta des documents d'Élections Canada qui lui apprirent que cinquante candidats conservateurs réclamaient à Élections Canada des remboursements de dépenses électorales totalisant 1.05 million de dollars pour des achats de publicités télévisées ou radiophoniques qu'ils avaient payés via le PCC. De ces cinquante candidats, seulement quatre d'entre eux n'avaient pas reçut de transferts de fonds de la part du Parti conservateur du Canada. Gary Caldwell, candidat défait dans la circonscription de Compton-Stanstead, en Estrie, confirma l'existence du stratagème. Il affirma au Citizen avoir reçut de l'argent provenant du PCC pour acheter de la publicité qui n'était pas destinée à mousser sa propre candidature auprès des électeurs de sa circonscription mais bien à faire la promotion de la campagne nationale des conservateurs. "Le parti fédéral voulait mener à bien certaines de leurs dépenses à travers les comptes des candidats qui ne dépensaient pas au maximum", expliqua-t-il. Ainsi, durant la campagne de 2005-2006, le Fonds conservateur avait transféré 37 228 dollars dans le compte de campagne de Caldwell. De cette somme, 33 253 dollars servirent à financer l'achat de publicités à la radio et à la télévision. Élections Canada refusa de rembourser cette dépense, une décision avec laquelle Caldwell ne trouva rien à redire. Pourtant, son agent officiel fut l'un de ceux qui poursuivirent Élections Canada devant la cour fédérale. Précisons qu'au moment de la parution de l'article du Citizen, Caldwell avait quitté le PCC pour se joindre au Parti vert du Canada. Le porte-parole du PCC, Ryan Sparrow, était également cité dans l'article du Citizen. Il prétendit que des candidats des quatre autres grands partis politiques fédéraux avaient eux aussi versés des fonds à leur formation politique pour financer l'achat de publicité électorale. Toutefois, le Citizen nota qu'aucun des candidats du Parti libéral du Canada et du Bloc québécois n'avaient utilisé leur propre parti comme intermédiaire pour procéder à l'achat de publicités radiophoniques ou télévisées. Quant au Nouveau parti démocratique, il eut effectivement recours à cette pratique mais dans une bien moindre mesure : vingt-cinq candidats qui se partagèrent soit des dépenses des achats de publicités électorales pour une somme totalisant 90 182 dollars. À Ottawa, la réaction de l'opposition ne se fit pas attendre. "Si ces allégations sont prouvées, cela revient à de la fraude électorale", affirma le Parti libéral dans un communiqué de presse. (23) Lors d'une conférence de presse, le député libéral néo-brunswickois Dominic LeBlanc qualifia de "sérieuse" cette affaire de financement électoral douteux et demanda au PCC d'ouvrir ses livres. "Ce million de publicité supplémentaire peut-être en surplus de la limite permise, au cours des deux dernières semaines d'une campagne très serrée, a-t-il pu faire une différence? Évidemment", lança LeBlanc, qui était le porte-parole du parti libéral dans ce dossier. Une analyse de certains résultats électoraux semblait d'ailleurs accréditer la thèse mise de l'avant par le député libéral. Les publicités en question avaient en effet été diffusées dans des circonscriptions où conservateurs et libéraux se livraient une lutte particulièrement féroce. Dans onze circonscriptions remportées de justesse par les conservateurs, les résultats les plus serrés faisait état d'une victoire par une différence moyenne de seulement 816 votes. (24) Ces circonscriptions incluait celle représentée par le ministre de la Santé, Tony Clement, ainsi que celle du ministre des Finances Jim Flaherty. Notons que Clement avait obtenu seulement vingt-huit votes de plus que son plus proche adversaire, l'ex-ministre libéral Andy Mitchell, ce qui représentait 0.1 pour cent des suffrages exprimés par les électeurs de la circonscription de Parry Sound-Muskoka, située au nord de Toronto. Certains des anciens candidats conservateurs ne furent pas particulièrement amusés de découvrir que leur propre caisse électorale avait été utilisée par leur parti en vue de toucher des montants de remboursement plus alléchants de la part d'Élections Canada. Cet fut le cas de Jean Landry, le candidat conservateur défait dans Richmond-Arthabaska, en Estrie. Landry, qui avait siégé comme député du Bloc québécois de 1993 à 1997, déclara au quotidien Le Devoir que son parti ne lui avait jamais fait de publicité en retour des quelques 43 000 dollars qui voyagèrent entre le Fonds conservateur et le compte de campagne du candidat. (25) "J'ai jamais rien vu à TVA ni TQS, ni dans les journaux locaux ou les journaux nationaux qui viennent à Victoriaville", dénonça Landry. "La publicité que j'ai eue, je l'ai payée moi-même", ajouta-t-il. "Ils ont fait cela pour se remplir les poches. Ils reprochent aux libéraux le scandale des commandites, mais regardez ce qu'ils font! Et c'est encore au Québec que ça se passe", déplora Landry. L'ex-candidat confia également qu'il avait été interrogé durant trois heures par des enquêteurs du commissaire aux élections fédérales plus tôt au cours de l'été. "Des directeurs du parti conservateur m'ont téléphoné pour me dire de ne pas parler à nouveau avec Élections Canada parce qu'ils s'occupaient du problème", révéla Landry au Ottawa Citizen. La même journée que paru l'article du Citizen, l'avocate d'Élections Canada, Barbara McIsaac, demanda à la cour fédérale d'ordonner que les candidats conservateurs qui avaient été représentés par les agents officiels soient aussi nommés dans la poursuite intentée par le PCC. L'avocat qui représentait les agents officiels, Paul Lepsoe, s'opposa à l'idée. Lepsoe plaida notamment qu'un tel ajout aurait pour conséquence de rendre trop long l'intitulé de la cause. On peut aussi imaginer que la perspective que le public soit en mesure de faire le lien entre les agents officiels et les députés fédéraux qu'ils avaient représenté n'enchantait guère le PCC... Puis, le lendemain, coup de théâtre : le nombre d'agents officiels qui étaient parti prenante au recours judiciaire devant la cour fédérale passa de trente-sept à... deux. Il s'agissait de Gerry Callaghan et de David Pallet, qui avaient été respectivement agit à titre d'agents officiels pour les candidats Robert Campbell et Dan Mailer. "Lorsqu'il est devenu clair que le juge allait acquiescer à notre demande d'inclure dans la cause le nom de tous les candidats représentés par les agents, la partie adverse a réduit le nombre de demandeurs à deux", raconta McIsaac, un brin amusée par le revirement de situation. (26) Une source du PCC expliqua cette décision en disant à un journaliste du Globe and Mail que les deux demandeurs allait servir de cause type pour les autres agents officiels dont les noms avaient été rayés du dossier de la cour. (27) Mais il y avait plus. Les médias révélèrent que certains agents officiels n'avaient jamais consenti à faire parti de la poursuite contre Élections Canada. "Personne ne m'a jamais rien demandé", affirma Lise Vallières, agente officielle pour Jean Landry. "On n'a pas d'affaire dans le recours", déclara Landry, qui plaida lui aussi l'ignorance. "Le Parti conservateur a fait ça à mon insu. Je ne veux pas intenter de recours contre Élections Canada! C'est le Parti conservateur qui est dans l'erreur." D'une façon ou d'une autre, la marge de manoeuvre du parti de Harper pour minimiser les dégâts était devenu bien limité. Certains grands médias s'étaient emparés de l'affaire du financement des dépenses électorales du PCC et les conservateurs étaient frappés de plein fouet par la multiplication des révélations embarrassantes qui s'abattaient sur eux. Ainsi, on appris que les caisses électorales de plusieurs grosses pointures du parti avaient été mises à contribution dans les aller-retour de fonds. Les médias citèrent des noms de politiciens conservateurs influents, comme les ministres Stockwell Day (Sécurité publique), Lawrence Cannon (Transport), Maxime Bernier (Affaires étrangères) et Josée Verner (Patrimoine), de même que des membres importants du caucus conservateur, comme le Whip en chef du gouvernement, Jay Hill, la secrétaire parlementaire du premier ministre Harper, Sylvie Boucher, et le secrétaire d'État à l'Agriculture, Christian Paradis. Le quotidien The Ottawa Citizen révéla aussi que certains candidats défaits mêlés à l'affaire eurent droit à des postes importants aussi de l'appareil gouvernement. (28) On y mentionnait notamment les noms de Neil Drabkin, qui avait été battu dans le château fort libéral de Mont-Royal, à Montréal, et qui devint le chef de cabinet du ministre Stockwell Day ; Ian West, qui avait terminé en troisième position dans la circonscription d'Algoma-Manatoulin-Kapuskasing, et qui fut nommé conseiller politique auprès du ministre du Travail, Jean-Pierre Blackburn ; et Aaron Hynes, qui arriva deuxième dans la circonscription terre-neuviène de Bonavista-Gander-Grand Falls, et qui devint assistant aux affaires régionales du ministre de l'Environnement, John Baird. En fait, les documents déposés au dossier de la cour fédérale étaient terriblement accablants pour le PCC puisqu'ils démontraient de manière convaincante que le stratagème était particulièrement bien ficelé et orchestré par les plus hautes instances dirigeantes du parti. Par exemple, un courriel daté du 20 décembre 2005 provenant de Michael Donison, alors directeur général du PCC, expliquait en détail les procédures à suivre par les agents officiels des candidats. Il faudra, leur dit-il, signer des autorisations de transferts de fonds à l'intention du Fonds conservateur du Canada, qui pourra ainsi faire des dépôts et des retraits dans le compte bancaire du candidat. (Notons que Donison a depuis été nommé conseiller spécial de Peter Van Loan, à la fois leader du gouvernement à la Chambre des communes et ministre responsable de la Réforme démocratique. Ironiquement, Van Loan sera celui qui défendra les actions de son parti durant la période des questions au plus fort de la controverse...) Un autre courriel incriminant, celui-là de Brian Hudson, responsable de la campagne du PCC à Terre-Neuve, utilisait l'expression "in and then back out" pour parler de transferts de fonds qui s'effectueraient "le même jour" entre la caisse électorale du parti et celle des candidats. Dans son courriel, Hudson faisait également miroiter aux candidats conservateurs la possibilité d'utiliser comme bon leur semblera le remboursement d'Élections Canada. Jean Landry et Liberato Martelli, candidat défait dans la circonscription de Bourassa, à Montréal-Nord, affirmèrent tous deux au Devoir que les organisateurs québécois du Parti conservateur avaient trempés eux aussi dans la combine, notamment Pierre Coulombe, organisateur en chef pour le Québec, Nelson Bouffard, que certains considéraient comme le no. 2 de la machine organisationnelle conservatrice au Québec, et Michel Rivard, responsable de l'organisation dans la grande région de Québec. Martelli alla même jusqu'à suggérer que Harper était parfaitement au parfum. "Stephen Harper sait ce qui se passe", affirma-t-il. "Il fait du micro-management. Il sait tout ce qui se passe autour de lui." "Toutes les campagnes locales ont accepté de participer à cette publicité locale", prétendit un porte-parole du PCC qui refusait désormais de voir son nom être cité dans les médias par rapport à cette affaire. Cette prétention était toutefois contredite par Landry et Martelli, qui disaient au contraire que le parti ne leur avait pas donné le choix. "Au début, ils voulaient me donner 50 000 $!", se rappela Landry. "Je leur ai dit que je ne voulais pas de cet argent-là, que j'allais dépenser ce que je réussirais à ramasser. Celui qui m'avait approché pour ça, c'est Nelson Bouffard. Il n'arrêtait pas de me harceler avec ça. Il me disait qu'il fallait prendre ça, que c'était obligatoire." (29) "C'est Benoît Larocque, l'organisateur pour toute l'île de Montréal, qui m'a approché", raconta de son côté Martelli. "Il m'a dit: 'Est-ce que ça te dérangerait si on déposait 14 000 $ dans ton compte électoral?' Je lui demande c'est quoi l'attrape, et il me répond : 'Non, non, non, ce sera juste un 'in and out'. Tu vas avoir toutes les factures à l'appui. Ce sera juste là 24 heures.'" On apprendra aussi que les conservateurs de Harper n'en seraient pas à leurs premières magouilles dans le domaine du financement électoral. Dans un texte intitulé "Le Parti conservateur triche", Ann Julie Fortier raconta la désagréable expérience qu'elle vécue à la suite des élections générales fédérales de juin 2004. (30) À cette occasion, Fortier avait présentée sa candidature sous la bannière conservatrice dans la circonscription de Berthier-Maskinongé, qui chevauche les régions de Lanaudière et de Mauricie, lors des élections générales fédérales de juin 2004. Voici un extrait de son texte dénonciateur que publia Le Devoir : "Des gens censés être des bénévoles nous ont présenté des factures, dont plusieurs étaient douteuses et n'avaient jamais été autorisées par mon agent officiel. Mais voyez-vous, j'avais obtenu 11,3 % des voix en 2004 et donc j'avais droit à un remboursement de 60 % de mes dépenses électorales. On m'a alors proposé de gonfler mes dépenses de campagne afin d'en profiter. Tout ça grâce à l'argent public du remboursement! Étant une personne intègre, j'ai refusé! On m'a menacé de parler aux médias pour salir ma réputation si je refusais d'incorporer ces factures à ma campagne électorale. Le Parti conservateur m'a menacée à son tour de se débarrasser de moi si je n'étais pas d'accord." C'est d'ailleurs ce qui lui arriva, l'année suivante. "Parce que j'ai protesté, on m'a évincée comme candidate et exclue du parti", dénonça-t-elle. Après une semaine riche en révélations embarrassantes, Bernard Descôteaux du Devoir signa un éditorial fort critique à l'égard des conservateurs. "Les témoignages recueillis par Le Devoir et par l'Ottawa Citizen auprès de candidats montrent que ce stratagème n'était pas le fruit de l'action isolée de quelques organisateurs forts en comptabilité créative", écrivit Descôteaux. (31) "Il a été élaboré par le Parti conservateur, qui défend ce procédé avec vigueur, soutenant que tout est une question d'interprétation de la loi. Sous-entendu: les autres partis n'avaient qu'à faire de même. Bel esprit de la part d'un parti à la moralité prétendument sans faille et qui, pendant cette campagne électorale, n'a cessé de prétendre qu'il lavait plus blanc", ajouta l'éditorialiste. Le plus ironique dans toute cette histoire était sans doute le fait que le message de ces publicités qui se trouvaient précisément au coeur de la controverse donnaient des leçons de morale aux libéraux pour leur rôle dans le scandale des commandites. L'une de ces publicités disait même que l'annonce avait été payée par le Fonds conservateur du Canada avec de "l'argent propre", une allusion directe au fait que le parti libéral avait utilisé l'argent du programme des commandites lors de campagnes électorales antérieures. (32) Voilà ce qu'on appelle avoir du culot à revendre ! Le voile qui cachait le scandale L'affaire de financement des dépenses électorales des conservateurs offrait tous les ingrédients que l'on reconnaît habituellement aux scandales politiques d'envergure. Et pourtant, près de deux semaines après les premières révélations sur cette affaire, Le Devoir demeurait le seul média écrit québécois à s'intéresser sérieusement au dossier. "Le plus surprenant est le peu d'indignation que ces révélations ont semblé provoquer depuis une semaine", nota d'ailleurs la chroniqueuse politique Manon Cornellier du Devoir. (33) "La chaîne de journaux CanWest, qui a dévoilé les premiers détails de l'affaire, en a fait état. D'autres quotidiens, surtout canadiens-anglais, et des médias électroniques ont suivi, mais au Québec, la poussière est vite retombée." À Ottawa, l'opposition libérale ne lâcha pas prise pour autant. Dès la rentrée de l'automne 2007, les libéraux firent part de leur intention de faire de l'affaire du financement électoral un de ses principaux cheval de bataille. Le 5 septembre, le député libéral Dominic LeBlanc convoqua une conférence de presse lors de laquelle il énuméra une liste de demandes. Il exigea que l'affaire du financement électoral soit examinée par le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes. Le député LeBlanc demanda aussi au premier ministre Harper de garantir que le stratagème "in and out" ne sera pas utilisé lors des élections partielles qui se tiendront dans trois circonscriptions québécoises le 17 septembre prochain. Il demanda aux conservateurs de fournir la liste de toutes les personnes impliquées dans l'affaire, ainsi que de collaborer avec Élections Canada en remboursant les sommes réclamées et enfin de mettre fin à leur recours contre le DGÉ en cour fédérale. Fidèles à eux-mêmes, les conservateurs se montrèrent intransigeant sur toute la ligne. Le député conservateur ontarien Pierre Poilièvre répliqua immédiatement en faisant de cette affaire une question de liberté d'expression. "Les candidats conservateurs ont passé des publicités conservatrices avec de l'argent conservateur. Ils ont suivi toutes les règles et ils sont restés en deçà de toutes les limites", lança-t-il. (34) Poilièvre affirma également que les conservateurs seraient disposés à la tenue d'audiences en comité parlementaire, "à condition que tous les partis ouvrent aussi leurs livres pour les deux dernières élections." Mais le timide début d'intérêt médiatique pour l'affaire du financement électoral sera éphémère. En effet, la même semaine, une controverse au sujet du vote des femmes musulmanes voilées lors des partielles du 17 septembre vola rapidement la vedette. La question du vote voilé avait déjà soulevé un tollé quelques mois plus tôt à l'occasion des élections générales québécoises, forçant le directeur général des élections du Québec (DGÉQ), Marcel Blanchet, à faire marche arrière sur l'autorisation qu'il avait initialement accordé aux femmes musulmanes de voter sans se dévoiler le visage. Au niveau fédéral, une nouvelle loi électorale adoptée par la Chambre des communes, en juin dernier, exigeait pour la première fois que les électeurs s'identifient en arrivant à leur bureau de scrutin. Toutefois, cette législation ne prévoyait aucune procédure spécifique pour les électeurs dont le visage était caché pour des raisons médicales ou religieuses. La nouvelle polémique sur le vote voilé éclata lorsqu'une dépêche de l'agence Presse Canadienne révéla qu'Élections Canada avait adopté de nouvelles directives permettant aux électeurs de voter sans se découvrir le visage, mais sous certaines conditions : montrer deux pièces d'identité, dont l'une avec photo, ou être accompagné d'un autre électeur de la même section de vote se montrant garant de l'identité de la personne. Sinon, la personne devra dévoiler son visage pour pouvoir exercer son droit de vote. (35) Dans un Québec qui n'avait pas encore vidé la question des accommodements raisonnables, la directive d'Élection Canada déclencha les passions comme jamais. "Comme gouvernement et comme formation politique, on est pas du tout d'accord avec Élections Canada", déclara le lieutenant politique de Harper au Québec, Lawrence Cannon. (36) Le leader parlementaire du Bloc québécois, Pierre Paquette, parla même "d'un geste qui frôle presque la provocation." Les libéraux fédéraux manifestèrent eux aussi leur désaccord. Quand au NPD, il décida au début de rester en-dehors du débat avant de se raviser et de demander au DGÉ de réévaluer sa position. La polémique fut d'une telle intensité qu'elle déborda même sur la scène politique provinciale, bien qu'il s'agissait d'élections complémentaires fédérales. Le leader de l'Opposition officielle à l'Assemblée nationale, Mario Dumont, le premier ministre Jean Charest et la cheffe du Parti québécois, Pauline Marois, protestèrent tous en choeur contre la directive d'Élections Canada. L'enjeu ne concernait pourtant qu'une fraction microscopique de l'électorat, laquelle n'avait d'ailleurs rien demandée à Élections Canada. Le président du Congrès islamique canadien, Mohamed Elmasry, déclara lui-même que les femmes voilées devraient montrer leur visage lorsqu'elles exercent leur droit de vote, en autant qu'elles puissent le faire devant une femme et à l'abri du regard des hommes. (37) Même dans les pays musulmans où les femmes jouissent du droit de vote, les électrices doivent montrer leur visage. Bref, comme faux-débat, on pouvait difficilement faire mieux. Et pourtant, la tempête médiatique dans le verre d'eau ne fit que s'amplifier jour après jour. En visite officielle en Australie, le premier ministre Harper fit monter la pression d'un cran sur Élections Canada. Il exprima son "profond désaccord" avec la directive controversée, laquelle ne respecterait pas l'esprit de la nouvelle loi électorale, selon lui. (38) "Je crois que c'est une loi qui a été adoptée unanimement par le Parlement et je pense que cette décision va complètement dans une autre direction", affirma le chef conservateur. "Moi, je m'inquiète de ça parce que le rôle d'Élections Canada, ce n'est pas de faire les lois", affirma-t-il. Puis, après avoir accusé les responsables d'Élections Canada d'outrepasser leurs pouvoirs en cherchant à se substituer au législateur, Harper y alla d'une menace à peine voilée. Si Élections Canada ne revenait pas sur sa directive, alors "le Parlement devra réfléchir aux mesures qu'il aura à prendre pour s'assurer que sa volonté soit faite", laissa-t-il savoir. (39) Le sous-entendu était limpide : si vous n'obtempérez pas à notre demande, alors nous vous remettrons à votre place. Bref, Harper n'y était pas allé avec le dos de la cuiller. Le leader de l'Opposition officielle et chef du Parti libéral Stéphane Dion critiqua d'ailleurs cette déclaration de Harper. "Nous croyons que le premier ministre est allé beaucoup trop loin en attaquant Élections Canada comme il l'a fait", affirma Dion. "En fait, je crois que le premier ministre essaie d'affaiblir la réputation d'Élections Canada au moment où le premier ministre et son parti sont eux-mêmes sous examen pour des raisons très graves. C'est une mesure de diversion du premier ministre." Le moins que l'on puisse dire, c'est que la controverse du vote voilé était effectivement arrivée à point nommé pour des conservateurs qui avaient grand besoin d'une diversion pour faire oublier leurs démêlés avec la loi électorale. L'éditorialiste André Pratte de La Presse fut l'un des rares à souligner la chose. "Pendant que cette controverse du voile fait la manchette, écrivit-il, Élections Canada enquête sur une affaire beaucoup plus importante, soit la possibilité que le Parti conservateur ait sciemment dépassé le plafond des dépenses électorales permises lors de la campagne de 2006." (40) De son côté, le DGÉ décida qu'il était temps de répondre publiquement aux critiques qui l'assaillait depuis plusieurs jours. Non seulement Mayrand refusa-t-il de céder, mais en plus il renvoya les parlementaires à leurs devoirs lors d'un point de presse tenu à Ottawa, le 10 septembre. Le DGÉ rappela aux élus fédéraux que la loi électorale qu'ils avaient eux-mêmes adoptés, à peine trois mois plus tôt, prévoyait des méthodes de vote ne requérant aucune identification visuelle, comme le vote par courrier postal ou la présentation de pièces d'identité sans photo au bureau de scrutin. (41) Mayrand révéla aussi qu'il avait prévenu un comité du Sénat, en juillet, qu'il n'y avait rien dans le projet de loi qui empêcherait une femme voilée de voter sans se découvrir. "Le Parlement n'a pas alors jugé opportun de modifier le projet de loi", lança-t-il. Le DGÉ invita donc les politiciens insatisfaits à jouer leur rôle en changeant ce qui leur déplaisait dans la loi. Mayrand venait à son tour de remettre les parlementaires à leur place. La même journée, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambres des communes tenait une audience spéciale à la demande des libéraux et des bloquistes pour discuter d'une motion portant sur l'étude des allégations entourant l'affaire du financement électoral du PCC. Avant le début de l'audition, le libéral Dominic LeBlanc souleva un petit problème au comité parlementaire. Il attira l'attention sur le fait que Jay Hill, l'un des dix-sept candidats élus du PCC qui avait prit part au stratagème du "in and out", siégeait sur ce même comité. (42) LeBlanc suggéra donc à Hill de songer à se récuser de l'audience. Mais cela ne fut pas nécessaire puisque la réunion dévia rapidement sur la question du vote voilé. Lorsque le député conservateur Joe Preston déposa une motion à ce sujet, les membres du comité parlementaire s'entendirent d'un commun accord de discuter de cette controverse avant d'aborder l'affaire du financement des dépenses électorales des conservateurs. (43) Les conservateurs venaient de remporter une première manche. Ils s'employèrent ensuite à gagner du temps, en se livrant à des tactiques obstructionnistes en prolongeant d'inutiles discussions sur des points d'ordre légaux et procéduriers. Les conservateurs réussirent à repousser la tenue d'un vote sur la motion de Preston jusqu'à ce qu'il ne resta plus que peu de temps pour discuter de la motion qui était à l'origine même de la réunion, soit l'affaire du financement électoral du PCC. Le comité parvint éventuellement à adopter à l'unanimité une motion du Bloc québécois demandant à Élections Canada de renoncer à sa directive sur le vote à visage couvert avant la tenue des partielles du 17 septembre. Lorsque la motion suggérant l'étude de l'affaire du financement électoral revint à l'ordre du jour de la réunion, le député conservateur Scott Reid se lança alors dans un long rappel au règlement. Reid plaida notamment que la motion était irrecevable sous prétexte qu'elle concernait un litige qui faisait l'objet d'une cause devant les tribunaux. Il réussit à convaincre le président du comité, soit le député conservateur Gary Goodyear, de prendre la question en délibéré jusqu'au lendemain, ce qui eut pour effet de suspendre tout débat sur le sujet. Le lendemain, Goodyear annonça le rejet de la motion. Mais le NPD rappela que le comité s'était déjà penché sur des affaires qui étaient pendantes devant les tribunaux, comme le scandale des commandites et les dépenses de l'ancien commissaire à la vie privée, George Radwanski. La décision de Goodyear fut alors renversée par les membres de l'opposition. Le comité permanent revenait donc à la case départ. Pendant ce temps, le bras de fer opposant Mayrand aux élus fédéraux continuait de plus belle. Le DGÉ déclara publiquement son rejet de la motion adopté par le comité parlementaire la veille. "La loi n'oblige pas à l'identification visuelle des électeurs", réitéra Mayrand. "C'est un non direct à notre motion", commenta Goodyear, qui annonça du même coup que le comité sommait à comparaître le DGÉ le lendemain matin, vraisemblablement pour le sermonner. (44) Les conservateurs continuèrent à s'en prendre à Mayrand, le Whip du gouvernement Harper, Peter Van Loan, allant jusqu'à qualifier son attitude d'"entêtement." La comparution de Mayrand se révéla d'ailleurs être un exercice d'une inutilité complète puisque le DGÉ campa sur ses positions malgré l'insistance des députés. Comme on l'a vu ci-haut, l'affaire du financement électoral des conservateurs n'avait pas réussit à soulever grand intérêt chez les médias québécois, à l'exception notable du Devoir. Grâce à la controverse du vote voilé, les tribulations des conservateurs avec la loi électorale furent définitivement relégués au second plan de l'actualité, comme s'il ne s'agissait-là que d'un vulgaire fait divers parmi tant d'autres. Il y avait quelque chose de profondément déconcertant dans le fait que la quasi-totalité de la classe politique et la plupart des grands médias québécois accordèrent davantage d'importance à la possibilité qu'une poignée d'électrices puissent voter le visage voilé lors d'élections partielles plutôt qu'à l'hypothèse bien plus sérieuse que le Parti conservateur pouvait avoir triché lors des élections générales qui l'avait mené au pouvoir. L'opposition libérale tenta tant bien que mal de raviver l'intérêt médiatique envers l'affaire du financement électoral en vue du commencement de la session parlementaire automnale. En entrevue au Devoir, le député LeBlanc préconisa que l'enquête sur les dépenses électorales du PCC passe à la vitesse supérieure. "La question des remboursements est devant la Cour fédérale, mais Élections Canada a aussi entamé un processus d'enquête avec le Commissaire aux élections, et nous aimerions que ces deux processus aboutissent à des conclusions le plus vite possible", affirma LeBlanc. (45) Selon lui, "s'il n'y a pas eu de jugement définitif, ils seront peut-être tentés de répéter les mêmes scénarios" lors des prochaines élections générales. Bien que le député libéral ne voulait pas avoir l'air d'essayer de dicter la conduite d'Élections Canada, il suggéra tout de même à l'agence fédérale de ne pas attendre la fin des procédures devant les tribunaux avant de passer à l'action. "Quand plus d'un an et demi après l'élection, il y a encore une contestation systématique, Élections Canada devrait peut-être se pencher sur des options autres que d'attendre que n'expirent les délais à la Cour fédérale", plaida LeBlanc. Le député proposa donc à Élections Canada d'envisager d'appliquer les dispositions de la loi électorale interdisant à des élus de siéger à la Chambre des communes lorsqu'ils contreviennent à la loi. Bien entendu, LeBlanc avait à l'esprit les dix-sept députés conservateurs qui avaient trempés dans le stratagème du "in and out" lors des élections de 2005-2006. Il faut savoir que le gouvernement Harper avait décidé de repousser le début de la session parlementaire au 16 octobre. Le gouvernement conservateur avait l'intention de présenter un nouveau discours du trône qui nécessitera un vote de confiance à la Chambre des communes. Pour remporter le vote, Harper aura besoin de l'appui d'au moins un des partis d'opposition. S'il devait être privé de dix-sept députés, le nombre d'élus conservateurs serait ramené à 109 députés, ce qui pourrait évidemment compliquer la vie, pour ne pas dire la survie, du gouvernement minoritaire. Même dans l'éventualité improbable où le NPD décidait d'appuyer le discours du trône, cela serait insuffisant pour assurer une majorité de votes. C'est donc dans un contexte où chaque vote pouvait devenir très précieux que le député LeBlanc mit de l'avant sa suggestion à Élections Canada. "Les 17 députés supposément impliqués ne devraient pas pouvoir voter sur le discours du Trône sans avoir les mains propres", lança-t-il. "Élections Canada a une responsabilité sobre de considérer s'il doit transmettre un avis formel au président de la Chambre des communes à l'effet qu'il y a 17 députés qui ne rencontrent pas la loi." Deux jours plus tard, Élections Canada clarifiait la situation des dix-sept députés. "Tous les candidats à qui on avait demandé de fournir des documents précis supplémentaires [...] les ont fournis dans les délais établis", déclara John Enwright, porte-parole d'Élections Canada. (46) "Aussi, il n'y a pas de députés qui pourraient se voir empêchés de siéger et de voter, comme le prévoit l'article 463(2) de la Loi électorale du Canada", ajouta-t-il. Évidemment, le gouvernement Harper survécu au vote de confiance qui suivit le discours du trône. Fort de cette petite victoire, les conservateurs purent poursuivre en toute tranquillité leurs tactiques d'obstruction au comité parlementaire sur les procédures durant les mois à venir. Que celui qui n'a jamais Depuis le début de l'affaire du financement des dépenses électorales, une des principales lignes de défense des conservateurs consistait à dire que les autres partis politiques s'adonnait au même type de combine comptable que celle qui leur était reprochée. Ils utilisaient notamment cet argument pour ralentir les travaux des comités parlementaires jusqu'à ce que l'opposition accepte que les dépenses de tous les partis, et pas seulement les leurs, soient scrutées à la loupe. "Tous les autres partis politiques d'envergure ont également recours à cette même pratique", écrivit le député conservateur Christian Paradis dans une lettre ouverte publiée dans Le Devoir. (47) Ils le ferait même "depuis des générations", a surenchérit son collègue, le député Pierre Poilièvre. Toutefois, une source très au fait du dossier à Élections Canada ne voyait pas tout à fait les choses de la même façon. "Jamais nous n'avons vu quelque chose d'aussi flagrant que cette fois-ci", affirma au Devoir cette source sous le couvert de l'anonymat. Qui est-ce qui disait vrai dans cette histoire ? La pratique était-elle aussi généralisée que voulait le faire croire les élus conservateurs ? Ou était-ce plutôt les conservateurs qui avaient battus tous les records dans ce domaine, comme semblait le suggérer la source d'Élections Canada ? Un petit retour en arrière ne serait peut-être pas inutile pour trancher de façon satisfaisante ces questions. Par le passé, un seul parti politique fédéral avait déjà été éclaboussé publiquement pour avoir eu recours au stratagème connut sous le nom de "la méthode in and out" et c'était le Bloc québécois. En avril 2003, le quotidien National Post avait en effet révélé que le Bloc avait utilisé ce procédé lors des élections générales de novembre 2000. (48) À l'époque, Élections Canada remboursait 50 pour cent des dépenses électorales de tous les candidats qui recevait au moins 15 pour cent des suffrages dans leur circonscription. Voici comment fonctionnait la méthode au Bloc. Dans un premier temps, le parti faisait mine de verser un salaire à ses travailleurs d'élection habituellement bénévoles. Ensuite, les militants versaient le montant de leur pseudo rémunération dans la caisse électorale du Bloc. Enfin, les salaires bidons étaient comptabilisés comme une dépense remboursable dans les livres du parti. Selon le Post, le stratagème avait permit au Bloc de gonfler artificiellement ses dépenses remboursables. En fait, la méthode fut si payante qu'Élections Canada versa plus de 150 000 dollars au Bloc en remboursement de dépenses de type "in and out." De plus, des vingt candidats aux élections de 2000 ayant déclaré le plus haut niveau de dépenses électorales, quatorze étaient bloquistes, rapporta le Post. Voilà qui n'était pas peut dire pour un parti qui ne présenta que soixante-quinze candidats sur les 1000 et plus qui avaient brigués les suffrages à travers le Canada lors de cette élection. Enfin, les bénévoles du Bloc y gagnaient aussi au change puisque ceux qui avaient versé un "don" bénéficiaient d'un crédit d'impôt pouvant atteindre la somme de 500 dollars. Bien entendu, les têtes dirigeantes du "parti propre au Québec" la trouvèrent moins drôle lorsque leur petite combine fit la une du National Post. Lorsque des journalistes le questionnèrent à ce sujet, le chef bloquiste Gilles Duceppe insista sur le caractère "tout à fait légal" de la méthode. (49) "C'est l'une des rares fois où je vois qu'on reproche à des gens de respecter la loi de A à Z" lança Duceppe, qui avait visiblement du mal à cacher sa mauvaise humeur. Et que disait au juste le DGÉ de l'époque, Jean-Pierre Kingsley, de tout ceci ? "Je dois admettre qu'à mon avis, ça ne va pas dans le sens de l'esprit de la loi", déclara-t-il en entrevue téléphonique avec La Presse Canadienne. (50) "Mais si on prend chaque geste séparément, ça respecte les dispositions de la loi", ajouta-t-il cependant. Kingsley rappela qu'il avait recommandé, en 1996, la disparition de cette pratique de financement et de d'autres méthodes similaires. "Mais, on n'a pas retenu ma suggestion", expliqua-t-il à La Presse. (51) À Ottawa, les autres partis fédéraux assurèrent qu'ils n'avaient pas recours à de telles pratiques. Stephen Harper, qui était alors le chef de l'Alliance canadienne, s'engagea lui-même à ne pas utiliser de tels procédés, et ajouta que le gouvernement Chrétien devrait remédier à la situation en empêchant quiconque d'autre d'exploiter une telle faille dans la loi électorale. "Cela ressemble très certainement à une faille que nous voudrions refermer. Ce n'est pas ainsi que nous nous attendons à ce que les deniers publics soient versés", affirma-t-il. Comme l'affaire tomba en pleine campagne électorale québécoise, à deux semaines du scrutin du 14 avril 2003, les trois grands partis politique furent interpellés sur cette question. À plus forte raison parce que celui-là même qui fut identifié comme étant le cerveau de la combine, l'ex-député bloquiste Pierre Brien, portait les couleurs de l'Action démocratique du Québec (ADQ) lors de cette élection, où il se présentait dans le comté de Rouyn-Noranda-Témiscamingue. (52) La méthode "in and out" avait même été surnommée la "formule Brien" au sein du Bloc. Le Parti québécois (PQ), alors au pouvoir à Québec, fut également mis sur la sellette en raison des liens étroits qu'il entretenait avec le Bloc. Ainsi, le National Post allégua que le candidat péquiste dans Mercier, Daniel Turp, aurait généré environ 30 000 dollars en transactions de type "in and out" lorsqu'il avait été candidat du Bloc québécois. Le premier ministre Bernard Landry reconnut que la pratique existait aussi au sein du PQ, mais chercha du même souffle à en minimiser la portée et la gravité. "Mes conseils juridiques disent que ce n'est pas illégal", déclara-t-il. (53) "C'est une pratique rarissime chez nous, qui n'est pas encouragé, et moi-même, franchement, je n'étais pas au courant", ajouta-t-il ensuite. Le leader libéral Jean Charest ne nia pas lui non plus que son parti pouvait avoir recours à cette méthode, mais il se montra beaucoup plus prudent dans ses déclarations publiques à ce sujet. "À ma connaissance, ce n'est pas une pratique qui a été instaurée, décrétée chez nous", affirma Charest, qui avait dirigé le Parti progressiste conservateur du Canada avant de faire le saut sur la scène provinciale. "Quand on est chef de parti, on ne contrôle pas tout ce qui se passe dans les 125 comtés", a-t-il cependant tenu à préciser. Enfin, on retrouva la même attitude défensive du côté de l'ADQ. "Il n'y a pas de mot d'ordre, il n'y a rien d'érigé en système", souligna Jean-Luc Benoît, l'attaché de presse du chef de l'ADQ, Mario Dumont. La controverse ravivait d'ailleurs de biens mauvais souvenirs pour l'ADQ, qui avait eu maille à partir avec le DGÉ du Québec à la suite des élections générales de novembre 1998. Le DGÉ avait ouvert une enquête après que l'ADQ eut déclaré des dépenses électorales de l'ordre de 800 000 dollars, dont certaines étaient plutôt douteuses. L'ADQ était allée jusqu'à rétribuer des militants pour "surveiller" des pancartes électorales. (54) L'enquête du DGÉ avait permit d'établir que l'ADQ avait gonflé indûment le montant de ses dépenses électorales, lesquelles étaient remboursées à 50 pour cent par des fonds publics. En mars 2000, quatorze d'accusations avaient été déposées contre cinq personnes, incluant trois dirigeants adéquistes. (55) L'année suivante, les accusations les plus graves furent retirées après que trois des accusés eurent accepté de plaider coupables à des infractions mineures. (56) (Soit dit en passant, Pierre Brien ne parvint pas à se faire élire lors du scrutin d'avril 2003, à l'instar de l'écrasante majorité des candidats adéquistes. Notons toutefois que l'ADQ, qui forme aujourd'hui l'Opposition officielle à l'Assemblée nationale, invita récemment Brien à reprendre du service au printemps dernier. C'est ainsi que le père de la "formule Brien" occupe la fonction de chef de cabinet du leader parlementaire de l'ADQ, Sébastien Proulx depuis le printemps dernier. (57)) Il n'en demeurait pas moins que l'argument des conservateurs à l'effet qu'ils faisaient comme les autres partis avait quelque chose d'inusité dans le sens où les politiciens cherchent habituellement à insister sur ce qui les différencient de leurs adversaires. Mais le PCC semblait si convaincu de l'efficacité de cette ligne de défense qu'il décida de tenter de la tester devant la cour fédérale, en novembre 2007. C'est ainsi que l'avocat du PCC déposa un affidavit signé par Geoff Donald, un agent du Parti conservateur, alléguant que tous les partis fédéraux d'opposition et des dizaines de leurs candidats auraient eux aussi recours à la méthode "in and out", lors de la campagne de 2005-2006. Selon le document, le Parti libéral du Canada aurait transféré 1.7 million de dollars à ses candidats régionaux pour leur facturer ensuite divers services (téléphone, design, brochures, règles administratives) pour la somme de 1.3 million de dollars. (58) Parmi les candidats pointés du doigt, on retrouvait le chef libéral Stéphane Dion, le porte-parole libéral dans le dossier du financement électoral, Dominic Leblanc, et la leader adjointe de l'Opposition à la chambre des communes, Marlene Jennings. Le document conservateur n'épargnait pas non plus les deux autres grands partis. On y alléguait que le NPD avait transféré environ 884 000 dollars à divers candidats locaux et les avait facturé pour la somme de 545 000 dollars. Quant au Bloc québécois, il aurait effectué 732 000 dollars de transferts à ses candidats locaux et leur factura par la suite la somme de 820 000 dollars. Le PCC se plaignit qu'Élections Canada ne voyait pas ces transactions comme des dépenses électorales illégales et alléguait même que l'achat de publicité au contenu national payée par des candidats locaux avait été remboursé aux autres partis. "Pourtant, Élections Canada a apparemment accepté ces dépenses libérales/néo-démocrates sans poser de question alors qu'il remet en question celles des candidats du Parti conservateur", déplorait le document. (59) En fait, Geoff Donald alléguait qu'Élections Canada n'avait jamais fait la distinction entre contenu local et contenu national pour aucun candidat, "mis à part les candidats du Parti conservateur." Pour le PCC, il s'agissait-là d'un "changement abrupt" d'interprétation de la loi. Les députés conservateurs Pierre Poilièvre et Tom Lukiwski préféraient quant à eux parler d'un changement "arbitraire" d'interprétation de la loi. "J'espère que ce message ce rendra à Élections Canada. Nous ne laisserons pas une agence fédérale décider ce qu'on peut dire dans une publicité parce que nous vivons dans une démocratie", déclara Poilièvre devant un comité parlementaire. "Élections Canada devrait se faire à l'idée parce que cela ne changera pas", ajouta-t-il. Fait intéressant, Mario Dumont avait eu le même réflexe de crier à la persécution de la part de l'agence chargée de l'application de la loi électorale lorsque le DGÉ déposa une série d'accusations contre des têtes dirigeantes de son parti, en 2000. Cette réaction similaire, ajoutée à de nombreuses affinités sur le plan idéologique, fait aujourd'hui en sorte que l'ADQ est de plus en plus perçu comme un espèce de pendant provincial du parti conservateur de Harper. Les arguments des conservateurs en laissèrent plusieurs perplexes. "Le PC manque carrément de retenue dans les circonstances", dénonça Maurice Cloutier, rédacteur en chef du quotidien La Tribune, de Sherbrooke. (60) "Il se comporte comme un fraudeur qui se fait attraper par les policiers et qui les blâme de l'avoir débusqué lui plutôt que son voisin. Lorsqu'une personne ou une entreprise commet une faute, elle ne peut se défendre en prétextant que d'autres font comme elle. Ce n'est pas sérieux. En plus de chercher à banaliser cette pratique abusive, les conservateurs ont le culot d'attaquer l'intégrité de l'agence qui fouille cette affaire." Le 14 janvier 2008, ce fut au tour d'Élections Canada de livrer sa version des faits. Un affidavit de cinquante-cinq pages signé par Janice Vézina, dirigeante principale des finances à Élections Canada, fut déposée à la cour fédérale. À divers endroits dans le document, Vézina réfuta les allégations conservatrices : citations attribuées à tort à Élections Canada, référence à un mauvais document, comparaisons boiteuses, etc. Quant aux échantillons de publicités électorales libérales fournis par le PCC, ils n'ébranlèrent pas la position d'Élections Canada, au contraire. "Il est clair en consultant le script radiophonique que la publicité en question invite spécifiquement les électeurs à voter pour un candidat en particulier", était-il écrit. (61) Par ailleurs, il ne faisait aucun doute aux yeux d'Élections Canada que les publicités dites régionales du PCC n'avait aucun contenu local puisqu'elles ne faisaient pas la promotion d'un candidat précis, seulement celle du parti. "Les publicités elles-mêmes n'ont pas réussi à dissiper nos doutes que ces dépenses n'avaient pas vraiment été celles des candidats", écrivit Vézina. Élections Canada avait des motifs encore plus sérieux de soupçonner que le Parti conservateur d'avoir enfreint la loi électorale. Dans une région donnée, expliqua Vézina, le PCC procédait à l'achat d'un bloc publicitaire et les candidats participants se partageaient ensuite la facture. Or, répartition de la facture était bien inégale. Le document offrait l'exemple de trois candidats conservateurs de Toronto. "Le coût imparti aux trois campagnes a été de 49 999,88 $, 19 999,95 $ et 39 999,91 $ respectivement. Élections Canada n'a trouvé aucun document qui aurait pu expliquer une telle variation entre les coûts impartis aux candidats pour ce qui semble être des publicités à fréquence identique", indiquait Élections Canada. En fait, c'était un aveu venant de la bouche même d'un agent officiel d'une candidate conservatrice de Vancouver qui confirma les soupçons d'Élections Canada. "Je crois que nous avons contribué à la campagne nationale de publicités télévisées. Nous n'allions pas être capables de dépenser le maximum permis par la loi, alors le parti nous a demandé si nous pouvions aider", raconta cet agent à un enquêteur d'Élections Canada. De plus, un grand nombre de candidats locaux ayant participé aux achats publicitaires de groupe furent incapables de fournir une quelconque pièce justificative, et ce, même si la dépense pouvait parfois atteindre les 50 000 dollars. "On s'attendrait d'être capable de recevoir de la part d'un agent officiel plus de détails pour une dépense d'une telle ampleur", s'étonna Vézina. En fait, c'était toujours le PCC qui géra cette affaire par la suite, fournissant même aux agents officiels une lettre-type, avec du papier à en-tête du parti, pour répondre aux questions d'Élections Canada. La GRC chez les conservateurs Le 15 avril 2008 pourrait fort bien passer dans l'histoire pour la journée où le ciel tomba sur la tête du Parti conservateur du Canada. Ce jour-là, des enquêteurs du commissaire aux élections fédérales accompagnés de membres de la GRC menèrent une perquisition au bureau national du PCC, au centre-ville d'Ottawa. Le but de cette visite surprise consistait à saisir certains documents liés aux dépenses des conservateurs lors des élections fédérales de 2005-2006. Des caméras de réseaux de télévision étaient présentes sur les lieux pour filmer cet événement hors de l'ordinaire. Des stratèges libéraux qui se mêlèrent aux journalistes apportèrent leurs propres caméras vidéo pour s'assurer d'immortaliser la scène. Cette perquisition spectaculaire créa une onde de choc d'un bout à l'autre du Canada. À partir de ce moment, il deviendra impossible pour les grands médias écrits québécois de continuer à négliger l'importance politique de l'affaire du financement électoral des conservateurs comme ils l'avaient fait depuis le début de la controverse, à l'exception du Devoir. Les conservateurs eurent fort à faire pour minimiser une situation aussi incroyablement embarrassante. En fin d'après-midi, le PCC diffusa une brève déclaration dans laquelle on mentionna que "Élections Canada" avait visité son quartier général, mais en passant sous silence la présence de la GRC. (62) L'omission de ce "détail" ne passa évidemment pas inaperçu aux yeux de l'opposition. De leur côté, les autorités se montrèrent peu loquaces. La dénonciation faite sous serment en soutien à la demande de mandat de perquisition était gardée sous scellés au tribunal. Le commissaire aux élections fédérales souhaitait que tous les document se rapportant au mandat de perquisition demeurent sous scellés pendant les trois prochains mois, et ce, "pour ne pas compromettre la nature et l'étendue de l'enquête." Naturellement, la question qui était sur toutes les lèvres était de savoir ce qui avait amené la GRC aux bureaux du PCC. "Ce n'est pas une enquête de la GRC. Nous sommes ici pour aider seulement", se contenta de dire le caporal Jean Hainey. (63) "Le Commissaire aux élections fédérales a demandé à la GRC d'aider le commissaire à exécuter un mandat de perquisition", précisa pour sa part John Enwright, porte-parole à Élections Canada. (64) Le premier ministre Harper tenta tant bien que mal de présenter l'affaire comme un simple différend entre le PCC et Élections Canada sur l'interprétation de la loi électorale. "Le Parti conservateur a donné à Élections Canada tous les documents qu'il réclamait", prétendit le chef conservateur à qui voulait bien le croire. Harper chercha aussi à jeter un doute sur les véritables motivations qui animait l'agence responsable de la loi électorale dans ce dossier. "Il n'est pas clair dans notre esprit pourquoi Élections Canada a posé un tel geste aujourd'hui. Ses employés devaient être interrogés demain par nos avocats", lança Harper, en insinuant la possibilité d'un lien avec la perquisition. Explications aussitôt rejetées par l'opposition. "Il essaie de se présenter comme victime, mais c'est lui qui a mené une campagne électorale contre le scandale des commandites des libéraux", rappela le chef du NPD, Jack Layton. "Il a promis un gouvernement plus blanc que blanc et on voit maintenant qu'il essaie de blâmer Élections Canada ou la GRC qui font des efforts pour obtenir la vérité." "Ça révèle que M. Harper a beaucoup à cacher", commenta de son côté le député libéral Dominic LeBlanc. "Si le Parti conservateur était transparent, la GRC n'aurait pas été obligée de défoncer la porte de leur quartier de campagne aujourd'hui", ajouta-t-il. (65) "C'est un gouvernement qui fait exactement le contraire de ce qu'il prônait alors qu'ils étaient dans l'opposition", observa pour sa part Gilles Duceppe. (66) Bien entendu, l'événement déclencha un véritable déluge de mauvaise presse contre les conservateurs. "Les conservateurs sont dans de sales draps. Et ils ne voient pas comment faire disparaître la grosse tache que représente le dépassement de leurs dépenses électorales lors du dernier scrutin", nota Pierre-Paul Noreau, éditorialiste au quotidien Le Soleil. (67) "Les conservateurs, comme bien d'autres, ne peuvent résister à la tentation de potentiellement abuser du système quand ils en ont les moyens", écrivit de son côté Manon Cornellier, chroniqueuse politique au Devoir. (68) "L'image du chevalier de la transparence de Stephen Harper est ternie", souligna le politologue Christian Dufour. (69) À la Chambre des communes, la perquisition au quartier général du PCC monopolisa une bonne partie de la période des questions. (70) Refusant d'apporter le moindre éclaircissement sur la situation, les conservateurs voulurent plutôt faire accroire qu'ils étaient dépassés par les événements face à une opposition incrédule. De plus, Harper et son leader parlementaire au Parlement, Peter Van Loan, ne manquèrent jamais une occasion de rappeler que "le Parti conservateur lui-même a intenté des poursuites devant les tribunaux" dans cette affaire. "Notre position juridique est en béton", insista même Harper. Le député LeBlanc ne se montra toutefois guère impressionné par le surplus d'assurance déployé par le premier ministre. "Pendant huit mois, les conservateurs ont fait obstruction à un comité parlementaire chaque fois qu'il tentait d'enquêter sur le scandale des transferts", rappela-t-il. "Les conservateurs ont même poursuivi Élections Canada dans une tentative bidon en vue de retarder cette enquête. Finalement, les conservateurs ont fait de l'obstruction pendant tellement longtemps que le commissaire aux élections a dû faire appel à la GRC." Malheureusement pour les conservateurs, leur calvaire ne faisait que commencer car les perquisitions se poursuivirent pour une seconde journée d'affilée à leur bureau national. En fait, le mandat de perquisition autorisait les enquêteurs à fouiller les bureaux des conservateurs durant une période de 72 heures. En cette deuxième journée, la journaliste Hélène Buzzetti du Devoir se rendit elle-même sur lieux, question de pouvoir rapporter ce qui s'y passait. "Un gardien de sécurité était posté devant la porte des bureaux conservateurs", écrivit-elle. (71) "Deux agents de la GRC sont entrés avec leur veste pare-balles, l'un d'eux tenant une caméra numérique à la main. Plus tard, deux agents sont partis avec trois grosses valises noires et deux mallettes en plastique moulé plus petites contenant leur 'matériel'. (...) Six personnes sont sorties peu de temps après, dont au moins deux ont été identifiées comme travaillant pour Élections Canada. Elles poussaient un chariot sur lequel se trouvaient cinq boîtes de carton et un attaché-case en cuir." Les membres de l'opposition revinrent à la charge de plus belle à la période des questions pour exiger les explications qu'ils n'avaient pas obtenu la veille. Gilles Duceppe demanda à Harper de rendre public le mandat de perquisition tout en critiquant l'attitude qu'affichait le chef conservateur dans toute cette affaire. "Avec ses réponses arrogantes et ses attaques envers cette institution démocratique, le premier ministre me fait penser à Jean Chrétien, l'ex-premier ministre du Canada, qui ne se gênait pas pour attaquer la crédibilité du juge Gomery lors du scandale des commandites", lança le chef bloquiste. (72) "C'est le même comportement. On sent que le vieux fond réformiste refait surface." Mais ce fut sans doute le député néo-démocrate Charlie Angus qui se montra le plus dur dans ses propos contre les conservateurs. "Les conservateurs avaient promis à la population canadienne qu'ils mettraient la barre plus haute que les vieux libéraux corrompus. Pourtant, ils leur ressemblent en maudit", fit-il remarquer. Les propos d'Angus déplurent d'ailleurs au président des Communes, qui rappela le député à l'ordre. De leur côté, les conservateurs continuèrent à faire le procès de l'agence responsable de la loi électorale fédérale. "Élections Canada ne vise que le Parti conservateur", clama Peter Van Loan. "C'est pour cette raison que nous avons intenté une poursuite contre Élections Canada", indiqua-t-il ensuite. Puis, Van Loan lança cette petite remarque pleine de sous-entendus : "Je me demande aussi pourquoi le Parti libéral du Canada était sur les lieux, comme par hasard, accompagné d'une équipe de tournage." Les conservateurs cherchaient vraisemblablement à amener le public à soupçonner que la perquisition pourrait avoir été arrangée avec le gars des vues, voire qu'il y avait peut-être collusion entre Élections Canada et les libéraux. La journaliste Buzzetti rapporta toutefois dans Le Devoir que les libéraux étaient arrivés seulement après que les médias commencèrent à diffuser la nouvelle de la perquisition en cours. (73) La même semaine, les journalistes de la colline parlementaire apostrophèrent le DGÉ Marc Mayrand, qui comparaissait devant un comité sénatorial. "Pas de commentaire. Je vais vous laisser juger de la situation", leur dit-il. (74) Lorsqu'une journaliste lui demanda s'il ne ressentait pas une certaine frustration d'être ainsi accusé de partialité, Mayrand répondit : "Ça fait partie du territoire, je dirais, à l'occasion... malheureusement." En fait, les accusations que lançaient les conservateurs en direction Élections Canada étaient si grossières qu'elles commencèrent même à se retourner contre eux. Pierre-Paul Noreau du Soleil n'hésita pas à ridiculiser le parti de Harper : "Élections Canada est coupable de faire de la petite politique partisane au détriment du Parti conservateur. Pardon ? Attendez, ce n'est rien. L'organisme indépendant se livre en plus à de l'abus de pouvoir en utilisant des tactiques d'intimidation à l'égard du gouvernement parce celui-ci ose contester une de ses décisions devant les tribunaux... Non mais vraiment, y a-t-il une personne sensée au pays prête à avaler un scénario aussi tordu ?" (75) Le 18 avril, un juge ontarien ordonna la levé des scellés sur les documents qui avaient été déposés à la cour en soutien à la demande de mandat de perquisition. La décision tomba un vendredi et les autorités judiciaires firent savoir que les documents seront disponibles au public au plus tôt le lundi suivant. Ce qui laissait aux conservateurs une fin de semaine complète pour peaufiner une stratégique de relations-publiques de limitation des dégâts. cette fin de semaine-là, l'éditorialiste André Pratte de La Presse signa un texte qui exprimait davantage de doutes à l'égard de la démarche d'Élections Canada plutôt qu'envers les conservateurs. "L'affaire étant à la fois floue et délicate, on se demande ce qui a poussé le Commissaire aux élections fédérales (l'enquêteur d'Élections Canada) à prendre une mesure aussi draconienne que la perquisition", écrivit Pratte. (76) "On a l'impression d'assister désormais à une épreuve de force entre Élections Canada et le PC plutôt qu'à un débat juridique", ajouta-t-il. C'était-là pratiquement faire écho aux propos des conservateurs qui, depuis le début, voulait présenter l'affaire de cette façon aux yeux du public. Bien entendu, si l'éditorialiste de La Presse avait envie de ramer à contre-courant, libre à lui de le faire. Ce qu'il y avait d'étrange dans sa façon de procédé, cependant, c'était qu'il n'avait pas attendu que les documents de cour soient rendus public avant d'écrire que "l'illégalité des gestes des organisateurs conservateurs n'est pas évidente." Comment pouvait-elle être évidente dans un contexte où ni lui, ni le reste de la population, n'avaient encore tous le faits en main ? En fait, les seuls qui connaissaient le motif exact de la perquisition, c'était les conservateurs eux-mêmes, mais ceux-ci avaient choisi de garder le secret. "Il vaut mieux réserver notre jugement sur ce scandale... qui n'en est pas encore un", conclua Pratte, qui semblait bien décidé à accorder le bénéfice du doute aux conservateurs. Quand on mettait les choses en perspective, la position éditoriale de Pratte n'avait rien de particulièrement étonnante en soi. En effet, depuis le tout début de l'affaire de financement électoral, La Presse avait été l'un de ces grands médias qui mirent des gants blancs pour traiter de cette controverse, et ça, c'était lorsqu'il daignait écrire à ce sujet. Ce choix n'était peut-être pas étranger au fait que les conservateurs ont la réputation de récompenser les médias qui savent se montrer "compréhensifs" à leur égard. D'ailleurs, le jour même où La Presse publia le texte de Pratte, le PCC se livra justement à une petite démonstration de favoritisme médiatique. En effet, une poignée de médias triés sur le volet furent conviés à une rencontre avec de hauts responsables conservateurs incluant le directeur de campagne Doug Finley, le principal responsable des relations avec les médias, Ryan Sparrow, et l'avocat Paul Lepsoe, dans une chambre d'hôtel du centre-ville d'Ottawa, en soirée. Les conservateurs voulaient ainsi faire connaître leur version des faits avant que le tribunal ne divulgue le mandat de perquisition et les autres documents s'y rapportant. Durant la réunion, un dirigeant influent du parti ayant requis l'anonymat qualifia d'abusives la perquisition et les saisies, soulignant que dix-sept boîtes avaient été emmenées à l'extérieur des bureaux du PCC et que les disques durs de tous les ordinateurs avaient été copiés. (77) Les médias qui eurent le privilège d'être sélectionnés par les conservateurs reçurent en primeur un CD-Rom contenant une partie des documents qui étaient sur le point d'être rendus publics. Bien entendu, les conservateurs n'avaient pas oublié d'inviter La Presse. Quant aux autres médias choyés, il s'agissait du quotidien The Toronto Star et les réseaux CTV et TVA. Le Ottawa Citizen, qui avait fait éclater l'affaire l'année précédente, ne figurait pas au nombre des invités, ni aucun des autres journaux de la chaîne CanWest. Idem pour Le Devoir, qui fut le premier quotidien québécois à couvrir l'affaire, ni même Radio-Canada, qui avait été le premier à révéler la perquisition au quartier général des conservateurs. "Dans cette dispute entre Élections Canada et le Parti conservateur, il y a deux camps. Semble-t-il, aux yeux des conservateurs, Radio-Canada fait pas partie du bon", commenta la journaliste Emmanuelle Latraverse lors du Téléjournal. (78) Toutefois, les choses n'allèrent pas comme prévue lorsque des journalistes qui n'étaient pas sur la liste d'invités se retrouvèrent dans le hall d'entrée de l'hôtel pour questionner leurs collègues. (79) Agacés par la façon de faire des conservateurs, des représentants des médias se rassemblèrent à l'extérieur de la chambre pour obtenir des explications. Un journaliste de la CBC tenta même de s'inviter à l'intérieur avec un caméraman, mais ils se firent rapidement montrer la porte. L'opération de "damage control" était en train de virer au fiasco. Lorsqu'ils réalisèrent qu'ils étaient en train de perdre complètement la face devant les caméras de télévision, les dirigeants conservateurs prirent leur courage à deux mains et fuyèrent les journalistes par une sortie de secours. "Cela renforce l'image de culpabilité des conservateurs", commenta le leader parlementaire du Parti libéral, Ralph Goodale. "Ils font des efforts extraordinaires pour créer le bon message, le faire avaler à la population, le contrôler... Mais en fin de compte, ils ne parviennent qu'à se rendre ridicules." Les conservateurs ont-ils La divulgation des documents liés au mandat de perquisition donna lieu à une nouvelle série de révélations extrêmement accablantes pour les conservateurs. Le public pu prendre connaissance de la dénonciation sous serment signée par Ronald Lamothe, un enquêteur adjoint au commissaire aux élections fédérales. Avec les annexes, ce document très étoffé s'élevait à plus de 600 pages. Le document fit notamment état du manque collaboration des conservateurs à l'enquête. Ainsi, seize des dix-huit candidats ou agents conservateurs à qui ils avaient demandé des entrevue refusèrent de rencontrer les enquêteurs du commissaire. Le document permettait aussi de comprendre pourquoi le commissaire avait fait appel à la GRC pour la perquisition, qui aura duré trois jours en tout. Ainsi, le commissaire aux élections ne disposait que de quatre enquêteurs dans ce dossier, et aucun d'eux n'avait une connaissance assez approfondie en informatique pour mener à bien ce type de perquisition. (80) L'aide des spécialistes informatiques de la GRC fut donc sollicitée, de même que celle d'un juricomptable privé. Mais surtout, on y confirmait les motifs qui avaient incité le commissaire à s'adresser à la Cour supérieure de l'Ontario pour obtenir un mandat de perquisition lui permettant de fouiller les bureaux du PCC et de saisir des quantités considérables de données informatiques et documentaires. Lamothe y soutenait que les dépenses publicitaire des Conservateurs avaient permis au parti "de dépenser plus de 1 million $ au-delà de limite légale de 18 millions $." Notons que toute personne trouvée coupable d'avoir excédé le plafond des dépenses électorales est passible d'une amende maximale de 1000 dollars et d'une peine d'emprisonnement maximale de trois mois. On savait déjà qu'Élections Canada soupçonnait le PCC d'avoir en quelque sorte "pelleté" son surplus en budget publicitaire dans la cour de ses candidats les moins dépensiers. On découvrait maintenant que cette thèse était largement accréditée par certains courriels compromettants obtenus par Élections Canada et reproduits dans les annexes à la dénonciation. Ainsi, une communication par courriel datée du 8 décembre 2005 entre David Campbell et Andrew Kumpf était particulièrement incriminant. Campbell et Kumpf travaillaient tous deux pour le Groupe Retail Media, la firme torontoise de placement de publicités avec qui le PCC avait fait affaire pour procéder aux achats de temps d'antenne durant la campagne de 2005-2006. Dans son courriel, Campbell rapportait une conversation qu'il avait eu avec Irwin Gerstein, le président du Fonds conservateur du Canada, l'agent officiel du parti : "Ils ont peut-être atteint leur limite légale de dépenses. Ils pensent à déplacer vers les circonscriptions certains blocs de temps d'antenne. J'ai cru comprendre que c'était afin de légalement porter au maximum les dépenses de publicité." (81) La suite des choses semblait donner raison au publicitaire Campbell dans l'interprétation qu'il faisait des propos qu'avait tenu Gerstein. En effet, dès le lendemain, le PCC entra en contact avec les différents réseaux télévisés avec lesquels il avait retenu du temps d'antenne pour faire changer la classification des publicités prévues : de nationales, elles devraient désormais être rangées dans la catégorie des publicités "régionales." Mentionnons aussi ce courriel tout aussi suspect, daté du 15 décembre 2005, qu'envoya Michael Donison, alors directeur général du PCC, au publicitaire Kumpf : "Les 25 candidats que tu as choisis au Québec à qui assigner une partie de l'achat de publicités ont presque déjà atteint leur limite de dépenses - seulement trois ou quatre ont encore une marge de manoeuvre de dépenses pour participer." Certains courriels illustrait que l'avocat Paul Lepsoe, celui-là même qui représentait le PCC devant la Cour fédérale, semblait avoir eu son mot à dire dans la mise en place du stratagème, comme celui-ci envoyé le jour même par Donison au publicitaire Kumpf : "J'ai parlé avec Paul Lepsoe. Il m'a suggéré de prendre des circonscriptions mitoyennes à celles sur notre liste - pourquoi pas celles sur la rive Sud de Montréal ? Aucun de ces candidats ne pourra ou ne voudra dépenser beaucoup. Ils pourraient mettre leur plafond à notre disposition." Mais ce n'était pas tout. Si le PCC avait dépassé la limite des dépenses autorisées, cela signifiait nécessairement qu'il avait aussi tenté de camoufler ce manquement à la loi lorsqu'arriva pour lui le temps de soumettre son compte de dépenses à Élections Canada. C'est ce qu'alléguait Lamothe dans sa dénonciation. Selon lui, le Fonds conservateur avait déclaré des dépenses en sachant qu'elles "contenaient des informations fausses ou des informations qui pouvaient induire en erreur", ce qui constituait une seconde infraction à la loi électorale. Dans ce cas-ci, la loi prévoyait des peines encore plus sévères, soit une amende maximale de 5000 dollars et une sentence d'emprisonnement maximale de cinq ans. Lamothe soupçonnait plus précisément le PPC d'avoir produit de fausses factures en utilisant l'entête du Groupe Retail Media, en décembre 2006. (82) Notons que lesdites factures avaient été soumises à Élections Canada en réponse à une demande écrite que le DGÉ de l'époque, Jean-Pierre Kingsley, avait adressé à quatorze candidats du parti quelques semaines avant sa démission, vers la fin de l'année 2006. Lamothe découvrit que ces fausses factures comportaient toutes la même faute de frappe ("nvoice" au lieu de "invoice", qui est le mot facture en anglais). "Je crois qu'elles ont été altérées par le Fonds conservateur du Canada ou le Parti conservateur du Canada parce qu'elles ne sont pas conformes aux factures émises par Retail Media au Parti conservateur du Canada ou au Fonds conservateur du Canada pour ce qui est de l'achat de temps d'antenne durant les 39es élections fédérales", écrivit Lamothe dans sa dénonciation. En fait, l'enquêteur estimait avoir de bonnes raisons de croire que les factures auraient été préparées par les dirigeants du parti et non pas par Retail Media. Lamothe en vint à cette conclusion après avoir interrogé les représentants de Retail Media, dont Marilyn Dixon, la PDG de l'entreprise. Ainsi, Dixon affirma que les factures soumises par les candidats locaux n'avaient pas été produites par son entreprise. De son côté, le publicitaire Kumpf déclara qu'il n'avait jamais envoyé de factures aux candidats locaux et que toutes les transactions avaient été effectuées avec les dirigeants du parti, à Ottawa. Voilà qui, en soi, en disait déjà beaucoup. En effet, depuis le début de l'affaire, les conservateurs s'étaient tués à répéter, tels des perroquets hypnotisés, que les autres partis politiques avaient eux aussi eut recours à la fameuse méthode "in and out." Toutefois, au vu des allégations du commissaire aux élections fédérales, l'impertinente de cette ligne de défense devint manifeste. Ainsi, à proprement parler, ce n'était pas le stratagème de transfert de fond des conservateurs en lui-même qui avait donné lieu à la perquisition au bureau national du PCC. En fait, si le parti de Harper était sous enquête, c'était parce qu'Élections Canada avait des motifs de croire qu'il pouvait avoir enfreint la loi électorale en excédant le plafond des dépenses autorisées et en produisant des déclarations qu'il savait être fausses ou trompeuses. Or, personne n'avait allégué que les autres partis politiques pouvaient avoir commis de telles infractions à la loi électorale. Pas même les conservateurs. Voilà donc qui pouvait expliquer pourquoi Élections Canada n'avait pas embêté les autres partis même si ceux-ci avaient peut-être employé une combine comptable similaire à celle des conservateurs, quoique dans une moindre mesure. Les conservateurs n'avaient donc qu'eux-mêmes à blâmer s'ils se retrouvaient dans un pareil pétrin. Mais, de toute évidence, cela aurait été trop leur en demander que de faire amende honorable. D'autant plus qu'une telle admission n'aurait pas été sans entacher leur victoire électorale du 23 janvier 2006, avec toutes les conséquences politiques que l'on peut facilement imaginer. D'une façon ou d'une autre, les adversaires des conservateurs n'attendirent pas un improbable mea culpa pour se prononcer sur cette question. "Si un parti a dépensé plus d'argent qu'il n'est permis, cela peut influencer le résultat d'une élection", déclara le chef du NPD, Jack Layton. Selon lui, lorsqu'un parti dépense en trop 1 million de dollars en publicité électorale, cela "ne permet pas d'avoir des élections équitables menées à armes égales." Le député néo-démocrate Pat Martin alla même jusqu'à affirmer que les élections du 23 janvier 2006 devraient être déclarées "nulles et non avenues" en raison de la tricherie présumée du PCC. Les libéraux étaient eux aussi d'avis que les dépenses excessives des conservateurs aient pu influer sur l'issue des dernières élections générales fédérales. Ils firent plus particulièrement valoir qu'il aurait suffi que 50 000 voix passent des conservateurs aux libéraux pour remporter quelques sièges de plus et ainsi faire pencher la balance en leur faveur. Au Bloc québécois aussi on n'hésitait pas à faire le lien entre les douteux transferts d'argent et la victoire de certains candidats conservateurs à l'échelle locale. Ainsi, le député bloquiste Michel Guimond remis en question la légitimité de la victoire de trois candidats conservateurs dans la région de Québec, soit Sylvie Boucher, Daniel Petit et Luc Harvey. (83) Notons que Harvey avait été élu avec une avance de seulement 231 votes dans Louis-Hébert, alors que Boucher battit son adversaire bloquiste de 820 voix dans Beauport-Limoilou tandis que Petit gagna Charlesbourg par 1372 votes. "La lutte aurait peut-être été un peu plus égale si on n'avait pas envahi la région de publicité nationale déguisée en publicité locale", soutint Guimond, qui allégua que les trois députés conservateurs avaient été élus grâce à de l'"argent sale." Dans le cas de Sylvie Boucher, la somme versée puis retirée de son compte par le PCC fit une différence incontestable puisqu'elle représentait 81 pour cent de toutes ses dépenses de campagne. (84) Les propos de Guimond piquèrent au vif les trois députés conservateurs qui parlèrent d'"une attaque mensongère, voire diffamatoire," dans une réplique publiée dans les pages du Soleil. (85) Le député Petit alla même jusqu'à intenter une poursuite en dommage de 200 000 dollars contre Guimond deux semaines plus tard. (86) L'ancien député bloquiste dans Mégantic-l'Érable, Marc Bouliane, affirma pour sa part que "l'argent qui a circulé a certainement eu un impact dans les comtés lors de l'élection." (87) Bouliane, qui avait été défait par le conservateur Christian Paradis, aujourd'hui ministre aux Travaux publics, suggéra que des élections devraient être reprises dans les circonscriptions où l'on découvrira des preuves de malversations. L'éditorialiste du Devoir Bernard Descôteaux s'exprima de manière plus nuancé sur la question. "Il serait présomptueux de croire que ce million de plus en publicité ait été ce qui a donné la victoire au Parti conservateur", écrivit-il. (88) "Cependant, ceux qui ont mis au point ce stratagème devaient espérer influencer par là le résultat de l'élection. Sinon, ils ne se seraient pas donné tout ce mal." Perdre sa virginité Les critiques contre les conservateurs fusèrent dans les médias d'un bout à l'autre du pays. Pour Randy Burton, chroniqueur du quotidien Star-Phoenix, de Saskatoon, "les conservateurs fédéraux font de leur mieux pour paraître coupables." (89) "L'image de probité de cette formation est irrémédiablement ternie. Le premier ministre Stephen Harper ne pourra plus jouer les purs face au Parti libéral", écrivit de son côté l'éditorialiste du Devoir Bernard Descôteaux. (90) Même les éditorialistes du National Post, un des quotidiens canadiens qui a le plus d'affinités idéologiques avec les conservateurs, ne furent d'aucun secours. Bien qu'ils étaient d'avis que les limitations au niveau des dépenses électorales étaient à la fois stupides et "antidémocratiques", il n'en demeurait pas moins que ces règles faisaient partie intégrante de la loi et qu'elles devraient être respectées tant et aussi longtemps qu'elles seront en vigueur. (91) "Les conservateurs connaissaient les règles et doivent maintenant démontrer qu'ils les ont suivis ou acceptés d'être punis", firent-ils valoir. Les conservateurs étaient en train de perdre la bataille de l'opinion publique, comme en témoignait un sondage La Presse Canadienne/Harris-Décima réalisé par téléphone auprès de 1000 La premier ministre Harper était assez intelligent pour sentir que le vent était en train de tourner. Réalisant que l'heure n'était plus à mener des procès d'intention contre Élections Canada, le chef conservateur s'employa donc à adoucir un peu le ton. "Nous avons respecté la loi telle que nous la comprenons", affirma Harper alors qu'il se trouvait en Louisiane où il participait à une rencontre avec ses homologues mexicains et américains. (93) "Lors de la dernière élection, nous avons respecté la loi telle qu'elle avait été interprétée dans le passé, et si cette interprétation change, nous nous y conformerons évidemment, mais nous nous attendrons à ce que les règles soient les mêmes pour tous les partis." Capitalisant sur le momentum, l'opposition se mit sur le mode offensif. Les libéraux exigèrent la suspension de Michael Donison, conseiller spécial auprès du ministre Peter Van Loan, et du ministre des Transport et lieutenant de Harper au Québec, Lawrence Cannon, le temps que toute la lumière soit faite sur cette affaire. (94) Il n'est pas inutile de rappeler que Cannon avait occupé des fonctions de la plus haute importance au sein du PCC lors de la campagne de 2005-2006. Il avait en effet été en charge de la stratégie électorale conservatrice au Québec ainsi que responsable de la nomination des candidats qui se présentèrent dans des circonscription de la Belle province. Les libéraux appuyèrent leur demande en soulignant que les courriels dont faisait mention le dossier de la cour illustrait en long et large que Donison avait été au coeur du stratagème "in and out." Quant au ministre Cannon, son adresse apparaissait dans chaque courriel déposé en guise de preuve par Élections Canada. Il ressortait aussi que Donison avait sollicité les conseils de Cannon à chaque fois qu'il avait à réquisitionner des candidats locaux pour prendre part au processus de pelletage des dépenses du PCC. Les demandes libérales furent évidemment rejetées par les conservateurs. La crédibilité de Cannon en prit néanmoins pour son rhume lorsqu'il fut pressé de questions par des journalistes au sujet de la répartition des coûts de la publicité en Outaouais, région où se situait la circonscription de Pontiac qu'il représentait aux Communes. Bien que ces publicités prétendument régionales achetées selon le système "in and out" devaient logiquement profiter à chacun des cinq candidats de l'Outaouais, deux d'entre eux versèrent près de 45 000 dollars chacun alors que Cannon n'avait eu qu'à payer seulement 6100 dollars. Cannon s'avoua incapable d'expliquer ces importantes variations dans une même région. "Je n'ai pas la formule de répartition", répondit le ministre. (95) "Non, je ne la connais pas. Cette information-là pourra être connue au moment où nous déposerons la preuve." Les propos de Cannon furent tournés en dérision par Gille Duceppe. "Un organisateur en chef qui ne s'occupe pas des dépenses, qui ne s'occupe pas des publicités, qui ne lit pas les courriels lui étant adressés, il fait quoi, comme organisateur en chef, lui? Il porte des médailles?", lança le chef bloquiste. (96) À la même époque, le Bloc québécois tendit un véritable piège à ours aux conservateurs. Il déposa une motion demandant à ce que la Chambre des communes "exprime sa pleine et entière confiance envers Élections Canada et le Commissaire aux élections fédérales." "S'ils votent en faveur de la motion, ils devront cesser de faire ces critiques disant qu'Élections Canada est partiale", jugea Duceppe. (97) Et s'ils votaient contre, continua-t-il, alors Élections Canada viendrait rejoindre la magistrature, la fonction publique fédérale et les médias sur la liste des institutions apparaissant suspectes aux yeux des conservateurs. Ce fut d'ailleurs au ministre Cannon que revint le rôle de plaider les arguments des conservateurs contre la motion du Bloc. Le lieutenant québécois de Harper expliqua que les conservateurs avaient toujours confiance en Élections Canada, mais qu'ils n'arrivaient pas à s'entendre sur l'interprétation de certaines dépenses électorales. "Nous avons de très sérieuses réserves sur ses agissements récents dans le différend qui nous oppose au sujet des dépenses électorales de la dernière élection et nous voulons que les tribunaux se penchent là-dessus", déclara Cannon. (98) Tous les députés conservateurs présents en chambre ce jour-là votèrent contre la motion. Inversement, tous les députés de l'opposition appuyèrent la motion, incluant le député néo-écossais Bill Cassey qui avait été exclut du caucus conservateur après avoir voté contre le budget du gouvernement Harper l'année précédente. La motion fut donc adoptée à 152 voix contre 117. Les conservateurs venaient de vivre un autre moment humiliant aux Communes. Mais le pire pour eux restait encore à venir... Un Parlement trop difficile L'opposition n'avait pas réussit à faire adopter une motion demandant la tenue d'une étude sur l'affaire du financement électoral des conservateurs au Comité permanent de la procédure et des affaires des Communes. Elle décida alors de tenter sa chance en se tournant vers un autre comité permanent des Communes, soit celui de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique. Une motion semblable fut donc présentée devant le comité de l'éthique. Les conservateurs répétèrent à nouveau les mêmes tactiques d'obstruction qu'ils avaient employés avec succès devant le comité sur la procédure. Cette fois-ci ils devaient toutefois composer avec un inconvénient auquel ils n'avaient pas eu affaire avant : ce n'était pas eux qui contrôlaient le comité permanent sur l'éthique, lequel était présidé par le député libéral Paul Szabo. Ainsi, après un certain nombre de mois d'obstruction, Szabo mit un terme aux débats futiles et utilisa ses pouvoirs de président pour demander aux membres du comité de voter sur la motion. Au grand désarroi des conservateurs, la motion fut adoptée le 20 juin, soit la même journée où les Communes procédèrent à l'ajournement de ses travaux pour la saison estivale. Rien n'empêchait toutefois les comités permanents de continuer à siéger durant l'été, ce qui tombait bien puisque les députés d'opposition du comité sur l'éthique avaient justement l'intention de rattraper le temps perdu en allant de l'avant avec la tenue d'audiences sur l'affaire du financement électoral dès la mi-juillet. Le premier témoin du comité permanent fut entendu le 15 juillet. Il s'agissait du DGÉ du Canada, Marc Mayrand. Pour la première fois, Mayrand expliqua en public les cinq facteurs qui avaient incité Élections Canada à refuser de rembourser les dépenses électorales de cinquante candidats conservateurs et à référer le dossier au commissaire aux élections fédérales. Ce fut d'abord la déclaration d'un agent officiel qui disait n'avoir aucune information sur l'achat des publicités régionales qui mit la puce oreille à Elections Canada. Ensuite, la documentation qui lui avait été soumise par les candidats était insuffisante. Enfin, le fait que le PCC mena les arrangements au nom des candidats, que les factures des publicités furent envoyées au parti et que les transferts de fonds étaient continuellement sous le contrôle du parti convainquirent le DGÉ qu'il y avait anguille sous roche. Le DGE affirma également qu'il avait demandé à son personnel de procéder à une révision des compte de dépenses de tous les candidats, de tous les partis, pour les élections générales du 23 janvier 2006 ainsi que celles de 28 juin 2004. "Elections Canada n'a pas identifié d'autres transactions ou groupe de transactions où ces facteurs étaient présents", indiqua Mayrand durant son témoignage. (99) La réponse déplut passablement aux députés conservateurs membres du comité permanent. Ceux-ci cherchèrent à mettre en doute l'impartialité d'Élections Canada lorsqu'ils interrogèrent longuement Mayrand au sujet de la perquisition menée au bureau national du PCC, avril dernier. Ils reprirent l'allégation à l'effet que les médias auraient été alertés de la présence de la GRC par une fuite. Mayrand expliqua qu'à l'époque, il avait réagit à ces allégations en lançant une vérification interne, laquelle démontra qu'il n'y avait eu aucune fuite au sein de l'organisme. Le lendemain, les députés conservateurs mirent tout en oeuvre pour retarder les travaux du comité ou encore imposer leur volonté, en vain. Ce fut encore une fois l'opposition qui eut le dessus. C'est ainsi que le comité sur l'éthique adopta une motion obligeant les soixante-sept candidats conservateurs qui prirent part au stratagème du "in and out", leurs agents officiels respectifs, les organisateurs du parti lors de la campagne de 2005-2006 et d'autres grosses huiles comme l'ancien chef de cabinet du premier ministre Harper, Ian Brodie, à venir répondre aux questions des députés durant l'été. Il avait tout de même fallu près d'un an d'efforts soutenus de la part des partis d'opposition pour en arriver à ce résultat. Le comité prévoyait entendre les premiers témoins à partir du 11 août et durant les trois autres journées suivantes. Cependant, la partie était loin d'être gagnée d'avance. D'abord, les membres de la Chambre des communes ne peuvent être contraints de se présenter devant un comité parlementaire. Ce privilège s'étendait évidemment aux dix-sept élus conservateurs dont les noms furent associés à l'affaire du financement électoral. Par contre, les autres citoyens ne pouvaient se dérober à une assignation à comparaître émise par un comité parlementaire. Le 5 août, le comité sur l'éthique fit parvenir trente et une sommations. Les personnes visées par les assignations incluaient Patrick Muttart, un des plus proches adjoints de Harper au bureau du premier ministre, Mike Donison, directeur du parti pendant la campagne de 2005-2006, Doug Finley, le directeur de la campagne nationale des conservateurs, Irving Gerstein, président du Fonds conservateur du Canada. On y retrouvait aussi des candidats conservateurs défaits, des agents officiels de candidats défaits et de plusieurs députés et ministres conservateurs. Au moins dix autres témoins acceptèrent de se présenter volontairement devant le comité. Le Devoir contacta certains organisateurs hauts placés du PCC et leur demanda s'ils avaient l'intention de témoigner. L'ex-organisateur en chef pour tout le Québec, Pierre Coulombe, prétendit qu'il n'était au courant de rien. "Je n'ai pas eu d'invitation, je n'ai pas reçu de subpoena. Je ne pense pas que j'ai affaire là", affirma-t-il. (100) Même son de cloche chez l'organisateur conservateur pour la région de Québec, Michel Rivard. "Je n'ai pas eu de subpoena, absolument pas. J'ai seulement eu une invitation par e-mail", déclara Rivard. Viendrez-vous à Ottawa tel que demandé mercredi prochain ?, lui demanda la journaliste Hélène Buzzetti. Réponse : "Je ne crois pas, non." Les deux organisateurs du PCC pour la région de Montréal, Benoît Larocque et Nelson Bouffard, refusèrent de répondre aux questions du Devoir. Une cinquième personne, Henri Gagnon, l'ex-agent officiel du député Daniel Petit, fit part de ses hésitations à se présenter. "Peut-être que oui, peut-être que non." De son côté, le président du comité, Paul Szabo, indiqua que les témoins récalcitrants sommés de comparaître n'auront d'autre choix que de se présenter. À défaut de quoi, "le comité pourra contacter le sergent-d'armes de la Chambre des communes et demander à ce que la police saisisse ces gens", déclara-t-il. L'audience de la journée du 11 août débuta par une situation pour le moins surréaliste qui illustra la volonté avec laquelle les conservateurs étaient déterminer à saboter la tenue d'audiences que Harper lui-même ne se gêna pas de qualifier de "parodie de justice" ("kangaroo court"). (101) Doug Finley, le grand manitou électoral du Parti conservateur (et mari de la ministre de l'Immigration, Diane Finley), se présenta sans avertissement devant le comité, deux jours avant la date prévue de son témoignage, et prit place à la table du comité sans y avoir été invité. (102) Il s'ensuivit un débat houleux de près de vingt-cinq minutes lors duquel les députés conservateurs insistèrent pour que Finley soit entendu dès maintenant. Le comité trancha la question par un vote et la majorité décida que Finley devrait comparaître le jour prévu et non celui de son choix. Le président du comité demanda donc poliment à Finley de quitter la table. Mais, au lieu d'obtempérer, Finley demeura silencieux et impassible. "J'ai besoin de procéder avec les autres témoins, alors je vous le demande pour une troisième fois, voudriez-vous s'il-vous-plaît quitter la table ?", répéta Szabo. Le président du comité ne vit alors d'autres choix que de faire expulser Finley par des agents de sécurité du Parlement, ce qui était du jamais vu dans l'histoire récente des Communes. À sa sortie de la salle, Finley expliqua aux journalistes qu'il n'était pas disponible durant le reste de la semaine et qu'il "doutait fortement" de pouvoir se présenter à nouveau devant le comité. Dans une déclaration d'ouverture qu'il avait préparée et qui a été distribuée aux médias, Finley invoquait le fait que la question des dépenses électorales était actuellement devant les tribunaux, ce pourquoi "les témoins du Parti conservateur ne répondront donc à aucune question." Le coup de théâtre de Finley attira davantage l'attention des médias que les témoignages à forte saveur incriminante de trois ex-candidats conservateurs qu'entendit le comité ce jour-là. Gary Caldwell, qui s'était présenté en Estrie, et Joe Goudie, un ancien ministre provincial de Terre-Neuve, racontèrent à tour de rôle, que c'était un organisateur du parti qui leur avait offert de transférer de l'argent dans leur compte qui était ressorti quelques jours plus tard. Ils affirmèrent tous deux ne jamais avoir de contrôle sur ces fonds et qu'ils n'avaient pas dépensés un seul sous de cette somme. Enfin, l'ex-candidat Liberato Martelli livra un témoignage coloré lors duquel il fit part de sa grande déception à l'égard des idéaux conservateurs de transparence dans lesquels il disait avoir cru. Dès le début, il mis en doute le désir des conservateurs de vouloir "entendre la vérité." "Ils ne sont pas aussi intègres qu'ils disent l'être", lança-t-il au grand bonheur des députés de l'opposition qui lui laissèrent la parole le plus longtemps possible. Lorsque le député conservateur Gary Goodyear affirma avoir affaire à un "témoin hostile", il fit rire de toute la salle. Sauf de Martelli, qui répliqua du tac-au-tac : "Je rappellerai à ce monsieur que mes impôts contribuent à payer son salaire." Les témoignages d'Andrew Kumpf, vice-président du Groupe Retail Media, et David Campbell, président de GroupM Canada (qui chapeautait l'entreprise), apportèrent des éléments d'information instructifs et utiles à l'étude du comité. Les deux dirigeants de la firme responsable de l'achat de publicités électorales du PCC affirmèrent qu'ils avaient questionné la légalité des dépenses lors de deux conférences téléphoniques avec des organisateurs conservateurs ainsi que leur avocat, Paul Lepsoe. Ils racontèrent s'être pliés à l'expertise de leur client, qui leur assura que le processus était conforme à la loi électorale. Ironiquement, ce fut les absents qui volèrent la vedette. Les propos rapportés par le greffier du comité laissaient croire que le PCC avait fait circuler une consigne du silence et un mot d'ordre de non-collaboration auprès des témoins convoqués par les parlementaires. Ainsi, Marc Duval, l'agent officiel du député Luc Harvey, aurait déclaré au greffier que le parti lui avait conseillé de s'abstenir de témoigner. André Laurin, agent officiel de la ministre Josée Verner, aurait pour sa part prédit au greffier que personne n'irait témoigner. Douglas Lowry, agent officiel du candidat défait Sam Goldstein, fut l'un des rares qui accepta de témoigner au comité. Il révéla que le parti lui avait confié qu'il n'était pas "très emballé" par sa décision. À la troisième journée des audiences, pas moins de douze organisateurs et dirigeants conservateurs avaient décidé de défier le comité en faisant fi de leur assignation à comparaître. (103) Les Finley, Donison, Muttart, Coulombe, Rivard et Bouffard brillèrent tous par leur absence. Des discussions entre certains des agents officiels convoqués et le greffier du comité de l'éthique donnaient des raisons de penser que le PCC faisait circuler un mot d'ordre de boycott des auditions. "Je ne connais pas leurs raisons", commenta le député conservateur Goodyear. "Que se passe-t-il si quelqu'un est en vacances, a eu une crise cardiaque ou doit se faire transplanter un rein ?" Le néo-démocrate Pat Martin n'y voyait pas là matière à rire. Il décrivit le refus de témoigner comme une "insulte" au Parlement qui ne devrait pas rester sans conséquence. "Cela établit un précédent terrible, terrible, pour tous les comités dans l'avenir, si les gens peuvent juste lever le nez sur eux et ignorer une citation à comparaître", lança-t-il. (104) Le député libéral Marcel Proulx abonda dans le même sens. "Pour nous assurer du bon fonctionnement des comités, je pense qu'on ne pourra pas passer outre cette situation", indiqua-t-il. "On va prendre les mesures nécessaires pour faire comprendre que le Parti conservateur n'est pas au-dessus des lois comme il le pense", déclara quant à elle la députée bloquiste Carole Lavallée. (105) Ainsi, le Bloc québécois évoqua la possibilité de demander à la Chambre des communes de faire carrément appel à la police pour traîner les témoins récalcitrants devant le comité. Les autres options possibles incluait de renvoyer le dossier au président de la Chambre des communes pour qu'il décide d'appliquer des sanctions qui pourraient aller jusqu'à l'outrage au Parlement. Les derniers témoins furent entendus le 14 août. Ce jour-là, le comité décida de donner une seconde chance aux témoins qui ne s'étaient pas présentés en convenant de les convoquer à nouveau au cours de la session parlementaire de l'automne prochain. Les travaux du comité furent ensuite suspendus jusqu'à la rentré parlementaire, prévue le 15 septembre. Les conservateurs avaient peut-être gagnés un sursis, mais ils ne pouvaient certainement pas se permettre le luxe d'ignorer qu'un jour ou l'autre que l'opposition leur demandera des comptes. Alors que la situation semblait se gâter pour les conservateurs, Harper décida d'opter pour la fuite en avant. Ainsi, lors de la dernière journée d'audition du comité de l'éthique, le premier ministre laissait clairement entrevoir qu'il songeait désormais à déclencher une élection générale dans un avenir très rapproché. Il y avait cependant un petit problème : son gouvernement avait fait adopté une loi sur les élections à date fixe qui prévoyait que le prochain scrutin devait se tenir seulement le 19 octobre 2009. Toutefois, il ne s'agissait pas là d'un obstacle insurmontable. Dans sa grande sagesse, le gouvernement Harper avait inscrit dans la loi une disposition permettant de contourner l'obligation de respecter la date fixe. "La loi sur les élections à date fixe permet quand même de déclencher une élection si le Parlement ne fonctionne plus", précisa le directeur des communications de Harper, Kory Teneycke. (106) C'est ainsi que les conservateurs soulevèrent la thèse du "dysfonctionnement" du Parlement. "Stephen Harper a raison. Le Parlement ne fonctionne pas bien. Ce qu'il néglige de dire, ou préfère ne pas voir, c'est que ce sont les conservateurs eux-mêmes qui provoquent une bonne part de ce dysfonctionnement", nota Pierre Jury en page éditoriale du quotidien Le Droit. (107) "Le comité de l'éthique, qui a siégé cette semaine, a offert quelques preuves des problèmes vécus au Parlement et malheureusement, ce sont les Bleus qui en sont la cause", ajouta-t-il. L'équipe éditoriale du quotidien The Toronto Star ne cacha pas son scepticisme, en notant que le Parlement avait adopté trois budgets conservateurs et la plupart des grands projets de loi du gouvernement. "Ce qui se passe vraiment n'a rien à voir avec un Parlement dysfonctionnel mais avec un Parlement qui fonctionne trop bien au goût du premier ministre et qui fait son travail en lui demandant des comptes. Ce qui est particulièrement vrai sur les comités parlementaires, que les partis d'opposition contrôlent et utilisent comme véhicules pour enquêter sur les malversations conservatrices comme la combine de financement électoral "in and out" et l'affaire Bernier", argua le Star. (108) Pour sa part, l'opposition disait voir clair à travers du jeu du gouvernement conservateur. Stéphane Dion accusa Harper "de fabriquer une crise parlementaire qui n'existe pas." Sur les vingt-cinq comités réunis, seuls trois d'entre eux "fonctionnent difficilement, parce que le premier ministre demande aux présidents de ces comités de ralentir ou de paralyser les travaux", déclara le chef libéral. (109) "Ils ont même écrit un manuel pour expliquer à leurs députés comment faire de l'obstruction en comité", renchérit Gilles Duceppe. Pour la journaliste Hélène Buzzetti, le motif se cachant derrière ce soudain empressement des conservateurs à renverser leur propre gouvernement ne semblait faire aucun doute. "Au coeur de cette hausse de la température électorale semblent se trouver les travaux du comité de l'éthique en cours cette semaine", écrivit-elle dans Le Devoir. (110) "La réalité, c'est que Stephen Harper veut se sauver des scandales qui lui collent à la peau", allégua Duceppe. (111) Une opinion que partageait Dion, qui affirma que la menace d'élections générales que brandissait le premier ministre avait pour but d'empêcher les Canadiens tous les détails de dossiers chauds comme celui des dépenses électorales conservatrices, entre autres choses. Bref, voyant que leurs efforts pour saboter la tenue d'audiences sur l'affaire du financement électoral semblaient voués à l'échec, les conservateurs préférèrent aller jusqu'à saborder leur propre gouvernement plutôt que de faire face à la musique. C'était l'hypothèse la plus valable. Car on avait du mal à voir quel autre motif logique pourrait avoir poussé Harper à devancer l'échéance fixée par la loi sur les élections à date fixe pour plonger le Canada au grand complet en élection générale. La thèse de la "crise parlementaire" n'avait de crédibilité qu'aux yeux des conservateurs. Quoiqu'une élection n'est jamais gagnée d'avance, il est bien possible qu'au point où les choses en étaient rendus, Harper pouvait avoir fait l'analyse que son gouvernement avait plus perdre à laisser l'opposition continuer de dicter sa volonté sur le comité de l'éthique. Seule majorité parlementaire pouvait permettre aux conservateurs de prendre le contrôle des comités parlementaires et ainsi mettre un terme à l'étude sur le financement des dépenses électorales. Et la seule façon d'obtenir une telle, c'était en déclenchant une élection générale. Harper avait vraisemblablement décidé de jouer le tout pour le tout. Après trois semaines d'intenses spéculations à saveur électorales, la Chambre des communes fut dissoute, le 7 septembre 2008. Le coup d'envoi à la 40e élection générale fédérale venait d'être donné. L'électorat canadien était convoqué sans même savoir avec certitude si la victoire du parti au pouvoir avait été entachée d'irrégularités et de tricheries. Sources : (1) Star - Phoenix, "Manitoba law makes parents responsible for youth crime", September 23 1997. |
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