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Comment la GRC aida Harper à devenir premier ministre (3de3)Anonyme, Martes, Septiembre 23, 2008 - 15:07
Bureau des Affaires Louches
Dans cette troisième et dernière partie, nous verrons comment Harper devint le protecteur du commissaire de la GRC Giuliano Zaccardelli lorsque celui-ci se retrouva dans l'eau chaude dans la foulée de l'affaire Arar. Nous verrons aussi comment les conservateurs continuèrent à exploiter politiquement l'enquête de la GRC sur l'affaire des fiducies de revenu, dont nous découvrirons d'ailleurs l'aboutissement. Enfin, nous verrons les efforts qui ont été entrepris pour obliger la GRC à rendre des comptes pour son rôle lors des élections de 2005-2006. Il n'y avait pas que l'enquête sur l'affaire des fiducies de revenu qui mettait la GRC sur la sellette. Irrégularités dans la gestion de la caisse de retraite, rétrogradation de policières qui s'étaient plaintes d'agressions sexuelles de la part d'un collègue et absence totale de coopération avec la commissaire des plaintes du public contre la GRC : bref, jamais la Gendarmerie semblait n'avoir eu si mauvaise presse. Mais le gros scandale qui accabla le plus la GRC, celui qui retint le plus l'attention d'entre tous, fut sans contredit l'affaire Arar. Le 18 septembre 2006, le juge Dennis O'Connor publiait un rapport volumineux de plus de 1300 pages sur l'affaire Arar dans lequel il blâma sévèrement la GRC pour sa négligence et son manque de professionnalisme. Dans son rapport, O'Connor nota que les malheurs d'Arar découlaient du simple fait que celui-ci connaissait Abdullah Almalki, un citoyen canadien d'origine syrienne qui faisait l'objet d'une enquête de sécurité baptisée Projet A-O Canada. Or, les agents impliqués "manquaient d'expérience et de formation dans la conduite d'enquêtes touchant la sécurité nationale", déplora le juge. O'Connor écrivit aussi que la Gendarmerie avait partagé avec les autorités américaines des informations qui étaient "inexactes, montraient M. Arar sous un jour défavorable et exagéraient l'importance de l'enquête effectuée par la GRC". Ainsi, la GRC fit apparaître le nom de Arar dans un diagramme intitulé "Complices de Ben Laden : l'organisation al-Qaïda à Ottawa" qu'elle a ensuite fourni à ses homologues américains. (125) Selon O'Connor, les autorités américaines "se sont très probablement appuyées" sur ces informations pour envoyer Arar en Syrie. Non seulement la GRC avait-elle bâclée son travail, mais en plus elle chercha à couvrir ses arrières en mentant aux autorités politiques canadiennes et aux médias, dénonça O'Connor. Quant au SCRS, O'Connor lui reprocha d'avoir utilisé des informations sur Arar en provenance de la Syrie sans préciser qu'elles avaient été arrachées sous la torture. Pour sa part, Arar fut totalement blanchi. "Je suis en mesure d'affirmer catégoriquement qu'aucune preuve n'indique que M. Arar a commis quelque infraction que ce soit ou que ses activités constituent une menace pour la sécurité du Canada", écrivit O'Connor, qui recommanda à Ottawa de le dédommager. (126) O'Connor prôna également la tenue d'une enquête indépendante concernant les cas de trois autres citoyens canadiens, soit Abdullah Almalki, Ahmad El Maati et Muayyed Nureddin, qui furent eux aussi emprisonnés sans accusations en Syrie, où ils furent interrogés sous la torture au sujet de leurs activités au Canada. Le juge recommanda aussi que le partage d'informations entre la GRC et d'autres agences soit soumis à la surveillance d'un organisme indépendant. Durant la semaine qui suivit le dépôt du rapport O'Connor, la GRC s'enferma dans le mutisme le plus complet. Puis, le 28 septembre, le commissaire de la GRC Giuliano Zaccardelli commenta pour la première fois en public le rapport O'Connor en témoignant devant le comité sur la sécurité publique et la sécurité nationale de la Chambre des communes. Fait particulier, Zaccardelli avait dû prêter serment qu'il allait dire la vérité avant de commencer son témoignage, ce qui était une première pour un témoin entendu par un comité parlementaire depuis l'arrivée au pouvoir des conservateurs. (127) Il faut cependant préciser que c'était le député libéral Mark Holland qui était à l'origine de cette initiative. Durant son témoignage, Zaccardelli présenta des excuses à Maher Arar et à sa famille au nom de la GRC. Mais surtout, le commissaire de la GRC s'efforça de minimiser les dégâts. Il chercha notamment à diriger une partie du blâme vers les États-Unis, en affirmant notamment que les autorités américaines avaient agit "unilatéralement" en déportant Arar. Il indiqua aussi que les services de renseignement américains possédaient leurs propres informations sur Arar, qu'ils n'avaient pas daignés partager avec la GRC. (128) Zaccardelli déclara que la GRC avait changée ses pratiques en matière de partage d'informations depuis cette affaire. Par ailleurs, le commissaire de la GRC fit comprendre assez clairement qu'il n'avait aucune intention de quitter son poste. Mais là où Zaccardelli suscita le plus d'incrédulité, c'est lorsqu'il prétendit qu'il avait apprit dès octobre 2002, soit peu de temps après l'arrivée d'Arar en Syrie, que la GRC avait communiqué des informations erronées à son sujet aux autorités américaines. "On a essayé de corriger cette information", déclara-t-il à qui voulait bien l'entendre. Zaccardelli affirma également que le gouvernement canadien avait été informé de la "situation." Ces déclarations étaient problématiques à plus d'un égard. D'abord, le rapport O'Connor contredisait les prétentions du commissaire de la GRC. Ensuite, Zaccardelli, ou la GRC, n'avait jamais prit la parole pour rectifier le tir lorsque des informations dépeignant Arar comme un terroriste s'étaient mise à circuler dans les médias canadiens. Bien que le ministre de la Sécurité publique, Stockwell Day, déclara que Zaccardelli jouissait toujours de la confiance du gouvernement du Canada, il restait que la performance du commissaire de la GRC devant le comité parlementaire n'avait pas sût convaincre tout le monde. En effet, Zaccardelli s'était montré évasif à plus d'une occasion. Aussi, le fait qu'aucun des policiers impliqués dans l'affaire Arar n'avaient fait l'objet de sanctions, certains ayant même été promus, en déconcerta plus d'un. Malgré leurs critiques, ni les libéraux, ni les néo-démocrates n'allèrent jusqu'à demander la démission du commissaire de la GRC. En fait, seul le Bloc québécois exigea son départ. (129) Par contre, dans le Globe and Mail, le chroniqueur politique John Ibbitson écrivit que Zaccardelli aurait dû démissionner après le dépôt du rapport O'Connor. (130) L'éditorial dans le même journal réclamait lui aussi la démission du commissaire de la GRC. (131) Zaccardelli devrait démissionner pour le bien de la GRC, à défaut de quoi Stockwell Day devrait le congédier, pouvait-on aussi lire dans l'éditorial du quotidien The Gazette. (132) Zaccardelli ne l'avait pas encore réalisé, mais il était assis sur un siège éjectable. En fait, son témoignage allait faire de lui le bouc émissaire par excellence pour l'affaire Arar. Car c'est à partir de ce moment que de gros nuages noirs commencèrent à s'accumuler au-dessus de la tête du commissaire de la GRC. Ainsi, les appels à la démission se multiplieront au cours de la semaine qui suivirent son passage devant le comité parlementaire. Le principal problème de Zaccardelli venait du fait que pas moins de trois anciens ministres libéraux qui avaient été responsables de la GRC contredisaient son témoignage. En effet, Lawrence MacAulay, Wayne Easter et Anne McLellan confièrent au Toronto Star que Zaccardelli ne leur avait jamais informé que la GRC avait fournit des renseignements erronés sur Arar aux autorités américaines. En fait, plus le gouvernement Harper tardait à montrer la porte à Zaccardelli, plus l'indulgence des conservateurs à l'égard du commissaire de la GRC apparaissait suspecte. "Le présent gouvernement est-il si redevable à Zaccardelli pour son intervention inhabituelle, capitale pourrait-on dire, lors des dernières élections qu'il est prêt à se fermer les yeux devant l'incompétence ou pire encore ?", demanda le chroniqueur James Travers du Toronto Star. (134) "Si c'est vrai, cela confirmerait que la relation existant entre le parti ou pouvoir et la police fédérale est digne de celle que l'on retrouve dans le tiers-monde", poursuivit Travers. "Ayant bénéficié politiquement d'une enquête de la GRC très publique, désormais étrangement secrète, sur les fuites entourant la décision des libéraux sur les fiducies de revenu, les conservateurs protègent un commissaire qui devrait démissionner ou être congédié." La crédibilité de Zaccardelli continua à dégringoler lorsque Ward Elcock et Jim Judd, respectivement l'ancien et actuel directeur du SCRS, témoignèrent au parlement. Les deux dirigeants des services secrets canadiens affirmèrent tous deux qu'ils ignoraient que la GRC avait fourni aux autorités américaines des renseignements truffés d'erreurs au sujet d’Arar. (135) "Je ne vois pas comment un ministre peut continuer à avoir confiance en lui après qu'il ait caché une information si importante", commenta le critique en matière de sécurité du Bloc québécois, Serge Ménard. "Pourquoi le gouvernement Harper protège-t-il tant le commissaire?", demanda Josée Boileau du Devoir dans un éditorial intitulé "Qu'il parte !" (136) "Certains ont la réponse : la GRC serait devenue une police politique que l'on craint. N'a-t-elle pas réussi à faire déraper la dernière campagne électorale des libéraux en lançant une enquête sur des fuites au sujet des fiducies de revenu... pour, dit aujourd'hui la rumeur, se venger de la décision de Paul Martin de fouiller l'affaire Arar ?" Entre-temps, une nouvelle tuile s'abattit sur la GRC, cette fois-ci dans le cadre de l'affaire Juliet O'Neill. Rappelons que les perquisitions que cette journaliste du Ottawa Citizen avait subi en janvier 2004 avaient été l'un des éléments qui avait poussé le gouvernement Martin à mettre sur pied la commission O'Connor. La journaliste O'Neill n'avait jamais été inculpée bien que la couronne ait entretenu la possibilité que des accusations pourraient être déposées contre elle pour avoir reçu des informations classées secrètes dont elle s'était servie pour écrire un article sur Maher Arar, en novembre 2003. Le 18 octobre, la juge Lynn Ratushny invalida les deux mandats de perquisition utilisés pour fouiller le domicile et le bureau d’O'Neill. (137) Dans son jugement, la juge critiqua la GRC en affirmant que les policiers avaient fait preuve d'abus lorsqu'ils se servirent des mandats de perquisition pour menacer O'Neill de poursuites criminelles si celle-ci ne dévoilait pas l'identité de la source qui lui avait fourni de l'information sur Arar. Le tribunal statua également que certaines portions de l'article 4 de la Loi sur la sécurité de l'information étaient inconstitutionnelles parce qu'elles contrevenaient à la Charte canadienne des droits et libertés. Le niveau de confiance à l'égard de la GRC et de son commissaire Zaccardelli n'avait jamais été aussi bas. Par ailleurs, Zaccardelli lui-même ne s'était pas fait beaucoup d'amis ces derniers temps. Les journalistes qui n'avait toujours pas digéré l'affaire Juliet O'Neill ne lui faisait pas de cadeaux, tandis que plusieurs libéraux lui en voulait encore pour son rôle lors des élections générales. Bref, Zaccardelli s'était mit tellement de gens à dos qu'il ne restait pratiquement plus personne pour se porter à sa défense. Plus personne, à part... le premier ministre Stephen Harper. Devant les médias, les membres du gouvernement conservateur s'efforçaient de projeter une unité de façade. Mais, en privé, c'était une toute autre histoire. En effet, le sort de Zaccardelli faisait l'objet de vives dissensions parmi les élus conservateurs. Derrière les portes closes des réunions du cabinet, certains ministres réclamaient ouvertement sa tête. C'est ce que prétendirent à La Presse Canadienne deux sources travaillant à des niveaux importants au sein du gouvernement fédéral. Ainsi, au cours de l'automne, le ministre de la Sécurité publique Stockwell Day, le ministre de la Justice Vic Toews et le ministre des Affaires étrangères Peter MacKay avaient tous fait valoir qu'il était dans le meilleur intérêt du gouvernement de se débarrasser de Zaccardelli. Mais ils se heurtèrent à la sourde oreille du premier ministre Harper. Les deux sources rencontrées par La Presse Canadienne se sont toutes deux dites surprises du niveau de résistance que Harper opposa aux appels à la démission de Zaccardelli. (138) Cette réticence à chasser Zaccardelli était particulièrement déroutante de la part du chef conservateur. Avant de devenir premier ministre, Harper était pourtant loin d'être un apologiste de Zaccardelli. Le leader conservateur avait exprimé en privé à plusieurs occasions sa stupéfaction face à l'étonnante capacité du commissaire à la GRC à survivre aux scandales. "Il (Harper) hochait la tête et disait, 'Ça n'a pas de sens, c'est incroyable. Cet homme devrait être mit dehors'", se rappela l'une des deux sources. Or, après le témoignage de Zaccardelli devant le comité parlementaire, le ministre Stockwell Day fit exactement le même genre de remarque au cours d'une réunion de cabinet. "Day posa la question sans hésiter. Il a dit, 'Ce n'est pas correct. Pourquoi cet homme est-il encore là ?'", relata la source. Mais le premier ministre fit comme s'il n'avait pas entendu le ministre Day. "Harper a simplement changé de poste. Il a dit, 'Maintenant, passons au prochain sujet.'" Le désir de congédier Zaccardelli était également répandu au sein des membres du caucus conservateur, dont plusieurs étaient aussi d'avis que tous ceux qui devaient leur nomination à un gouvernement libéral devaient être remplacés. Cependant, Harper évitait toute critique de Zaccardelli dans ses communications avec le caucus. Selon les deux sources, il y avait un malaise grandissant au sein des conservateurs par rapport au fait que Zaccardelli semblait être devenu intouchable. "Personne ne comprenait pourquoi Harper tenait à le garder", affirma l'une des sources. "Tout le monde disait que Zaccardelli devait posséder des photos (incriminantes)", lança à la blague une des deux sources. Le rôle de Zaccardelli lors des élections figurait évidemment parmi les autres théories qui circulaient pour expliquer l'attitude du premier ministre Harper. Le député Garth Turner, qui avait été élu sous la bannière conservatrice mais qui passa ensuite dans le camp libéral, affirma qu'il était possible que Harper sente qu'il avait une dette politique envers Zaccardelli. Le 5 décembre, lorsque le commissaire de la GRC témoigna une seconde fois devant le parlement au sujet de l'affaire Arar, il avait une nouvelle version à offrir. Ainsi, Zaccardelli déclara qu'il avait appris seulement en 2006 que la GRC avait communiqué de faux renseignement sur Arar aux États-Unis, et non en 2002 comme il l'avait prétendu précédemment. Il tenta d'expliquer sa bévue en la mettant sur le compte de son manque de sommeil lors de son premier témoignage, ce qui n'empêcha pas le député Holland de crier au parjure. L'admission de Zaccardelli eut pour effet d'accroître considérablement la pression sur le gouvernement Harper pour qu'il se débarrasse de cet embarrassant commissaire. "S'il n'est pas parti d'ici le week-end, les conservateurs devront être accusés de lui avoir remboursé la dette qu'ils avaient envers lui depuis qu'il avait révélé qu'un ministre du cabinet libéral était sous enquête pour une fuite sur les fiducies de revenu lors du moment le plus volatile de la campagne électorale", écrivit le chroniqueur Don Martin du National Post. (139) Lors de la période des questions orales à la Chambre des communes, les questions des leaders des trois partis d'opposition portèrent sur le sort du commissaire de la GRC. (140) Stéphane Dion évoqua le fait que le commissaire de la GRC avait induit en erreur le parlement et demanda à Harper s'il allait "congédier M. Zaccardelli comme le bon sens l'exige." Le leader conservateur ne répondit ni oui, ni non, mais affirma tout de même qu'il était "surpris et inquiet de ce changement dans le témoignage présenté aujourd'hui." "La contradiction apparente dans les propos du commissaire est devenue évidente", déclara pour sa part le ministre Day. Lorsque l'opposition l'accusa de protéger Zaccardelli, Harper répondit que "le gouvernement ne peut pas tout simplement mettre des gens à la porte sans suivre les procédures établies." Il était devenu donc clair que Harper n'avait plus aucune intention de continuer à offrir sa protection à Zaccardelli, qui était devenu un boulet trop lourd et encombrant à traîner pour les conservateurs. Le lendemain, Zaccardelli annonça qu'il démissionnait de son poste de commissaire de la GRC qu'il occupait depuis six ans, mettant ainsi fin à trente-six ans de carrière policière. Dans sa lettre de démission, Zaccardelli expliqua que les événements qui avait suivi la publication du rapport O'Connor avaient "pris des proportions inattendues." (141) Ironie du sort, le même commissaire de la GRC qui avait fait perdre les élections aux libéraux, vraisemblablement pour avoir institué une commission d'enquête sur l'affaire Arar, devint le seul fonctionnaire canadien qui écopa pour son rôle dans l'affaire Arar. Un éditorial du Toronto Star commenta le départ de Zaccardelli en disant qu'il ne restait pratiquement plus d'espace sur le cercueil du commissaire de la GRC pour planter de nouveaux clous. (142) C'était là une façon bien imagée de rappeler que le passage de Zaccardelli à la tête de la GRC fut marqué par un nombre considérable de controverses. Et la première qui vint à l'esprit de l'équipe éditoriale du Toronto Star fut l'enquête de la GRC sur l'affaire des fiducies de revenu. "En tête de liste, il y avait le geste inhabituel du commissaire d'écrire une lettre au coeur de la campagne électorale de l'année dernière pour annoncer la tenue d'une enquête concernant la gestion du dossier des fiducies de revenu par l'ancien ministre des Finances Ralph Goodale. Ça n'aurait pas pu arriver à un pire moment pour les libéraux. Il n'y avait toujours pas de signe d'infraction, aucune accusation n'avait été portée et aucune explication n'a été fournie sur la raison qui avait motivée la GRC à aller contre la procédure habituelle en faisant cette annonce au lieu de ne pas commenter une enquête sans avoir suffisamment de preuve à l'effet que des accusations sont probables", pouvait-on lire dans le Star. La bataille pour obliger la GRC à rendre des comptes 2007. L'an 2 du gouvernement Harper. Le rôle controversé que joua la GRC lors des élections commençait à ressembler à de l'histoire ancienne. Bien des choses avaient effectivement changées depuis cet épisode mouvementé de la politique canadienne. Les libéraux avaient perdu leur aura d'invincibilité et était dirigés par un chef qui avait encore du mal à s'imposer. Les fiducies de revenu n'étaient plus ce qu'elles étaient depuis qu'Ottawa s'était enfin décidé à les imposer. Et le commissaire Giuliano Zaccardelli n'était plus dans le décor. Bref, rien ne permettait de croire que l'affaire des fiducies de revenu allait rebondir de nouveau dans l'actualité cette année-là. C'est pourtant ce qui arriva. À l'extrémité ouest du pays, l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique (BCCLA, selon son acronyme anglais) refusait d'accepter que les questions entourant le rôle de la GRC lors des élections restent sans réponses. D'ailleurs, ce n'était peut-être pas le fruit du hasard si ce fut une organisation de Colombie-Britannique qui décida de prendre les moyens pour que la GRC rende des comptes. En effet, s'il y avait bien une province canadienne où la GRC fut soupçonnée de parti-pris politique, c'était celle de Colombie-Britannique. Bien des habitants de Colombie-Britannique n'avaient pas oublié la manière que la GRC s'était conduite dans l'affaire North Burnaby Inn, une enquête qui portait sur une demande de permis d'exploitation d'un casino qui éclaboussa le NPD qui était alors au pouvoir dans cette province. Le 2 mars 1999, lorsque la GRC effectua une perquisition au domicile du premier ministre néo-démocrate de Colombie-Britannique, Glen Clark, une équipe de la télévision de la chaîne BCTV se trouvait déjà sur place. Lors du bulletin de nouvelles, les téléspectateurs ont pu voir Dale Clark, l'épouse de Glen, ouvrir la porte de sa demeure aux policiers. Les images embarrassantes de la perquisition furent diffusées à la grandeur du Canada et contribuèrent à ébranler politiquement le premier ministre Clark. La GRC fut sévèrement critiquée pour sa façon de procéder dans cette affaire. Devant le tollé, la section des affaires internes de la GRC dû ouvrir une enquête pour découvrir si la descente à la résidence du leader du NPD avait fait l'objet d'une fuite. (143) Clark démissionna quelques mois plus tard, lorsqu'il fut confirmé qu'il faisait l'objet d'une enquête criminelle. La BCCLA écrivit d'abord au commissaire Zaccardelli pour lui faire part de ses préoccupations relativement à la fameuse lettre qu'il avait envoyé à la députée néo-démocrate Judy Wasylycia-Leis durant la campagne électorale, dans laquelle il annonçait la tenue d'enquête criminelle sur l'affaire des fiducies de revenu. La BCCLA fit valoir qu'il était prévisible que la lettre serait utilisée à des fins partisanes. Peu impressionné par la réponse qu'elle reçut de la part de la GRC, la BCCLA porta une première plainte devant la Commission des plaintes du public de la GRC (CPP), en juillet 2006. (144) Précisons que le processus de traitement des plaintes de la CPP peut être plutôt laborieux. Bien que la CPP se décrit comme un "organisme fédéral distinct et indépendant de la GRC", il reste que la Loi sur la GRC prévoit que c'est la Gendarmerie qui est d'abord chargée de faire enquête lorsqu'une plainte est portée à la Commission ! (145) Dans sa plainte, la BCCLA allégua que la décision de Zaccardelli d'informer Wasylycia-Leis de l'existence d'une enquête criminelle était inappropriée. La BCCLA allégua également que la GRC avait prit une décision arbitraire en confirmant publiquement l'ouverture d'une enquête criminelle par voie de communiqué de presse. De plus, la BCCLA allégua que la GRC n'avait pas menée d'enquête malgré son annonce à cet effet. Enfin, la BCCLA affirma que l'enquête de la GRC fut inadéquate. La BCCLA critiqua sous différents motifs la décision de la GRC de dévoiler l'existence de son enquête. D'abord, la décision fut prise en l'absence d'une politique autorisant la GRC à confirmer publiquement l'existence d'une enquête. Ensuite, la décision fut prise soit dans le but d'influencer l'élection ou sinon sans aucune considération pour les conséquences qui pourrait découler d'une telle façon de procéder, minant ainsi la confiance du public envers la GRC. Enfin, la décision fut prise dans une situation qui ne nécessitait pas une telle divulgation et sans non plus qu'il ne fut démontrée qu'elle était dans l'intérêt public. En novembre 2006, la BCCLA porta une seconde plainte devant la CPP contre Zaccardelli et la GRC pour être entrés en communication avec des membres d'un parti politique canadien, en l'occurrence Wasylycia-Leis, ce qui eut pour effet de compromettre la neutralité politique de la Gendarmerie. Le 9 janvier 2007, la sous-commissaire aux ressources humaines de la GRC, Barbara George, répondit par écrit à la première plainte de la BCCLA. "Rien n'indique que le commissaire ou tout autre membre de la GRC ait tenté d'influencer l'issue de ces élections", écrivit George, qui précisa que son patron, Zaccardelli, avait respecté les normes en répondant à la députée Wasylycia-Leis. "La GRC est une organisation policière qui est tenue par la loi d'enquêter sur les activités criminelles, peu importe qu'une campagne électorale soit en cours", ajouta-t-elle. Insatisfait de cette réponse, la BCCLA renvoya sa première plainte devant la CPP, le 1er février suivant. Dans sa lettre à la CPP, l'Association plaida que la décision de la GRC d'informer un membre de l'opposition d'une enquête criminelle sensible n'était ni nécessaire, ni compatible avec l'impératif démocratique stipulant que la branche exécutive, en l'occurrence la police, ne doit pas exercer d'influence sur les élections. La BCCLA fit également valoir que l'interférence politique de la GRC pouvait miner la confiance du public à la fois envers la Gendarmerie de même qu'à l'égard de l'intégrité du processus électoral. Pour ces raisons, la BCCLA demanda à la CPP que sa plainte soit examinée dans le cadre d'une enquête publique. Cette demande fut médiatisée via un communiqué de presse de la BCCLa. La nouvelle fut reprise dans une dépêche de La Presse Canadienne, ce qui donna à la démarche de BCCLA une visibilité à l'échelle canadienne. (146) C'est alors que survint un rebondissement pour le moins singulier. Le même jour, le président intérimaire de la CPP, Paul Kennedy, porta lui-même plainte contre la GRC pour avoir révélé à la députée Wasylycia-Leis et au public l'existence de son enquête dans le dossier des fiducies de revenu. (147) Les motifs de la plainte de Kennedy étaient pour ainsi dire quasi identiques à ceux de la plainte de la BCCLA. Sur le plan strictement légal, il n'y avait rien qui empêchait Kennedy d'agir de la sorte puisque la loi sur la GRC accorde au président de la CPP le pouvoir de porter plainte personnellement. Ce qu'il y avait de curieux, c'était pourquoi Kennedy avait-il attendu treize mois après les événements avant de le faire. Pourquoi maintenant ? Il y avait forcément un lien à faire avec les démarches de la BCCLA dans ce dossier, mais lequel ? Kennedy était-il motivé par un quelconque désir mesquin de couper l'herbe sous le pied de la BCCLA ? Chose certaine, la soudaine décision de Kennedy de prendre les devants dans ce dossier eut deux conséquences. La première conséquence était que la GRC venait de gagner du temps. En effet, bien que le contenu de la plainte du président de la CPP ressemblait à s'y méprendre à la première plainte de la BCCLA, la GRC se devait malgré tout de la traiter comme s'il s'agissait d'une toute nouvelle plainte. Autrement dit, tout le processus devait être repris à zéro, ce qui avait pour effet de retarder le moment où la CPP allait se prononcer sur la conduite de la GRC lors des dernières élections fédérales. La deuxième conséquence était que la première plainte de la BCCLA tomba en désuétude. En fait, la BCCLA se retrouva reléguée au rang de simple spectateur impuissant dans ce processus dont elle avait pourtant été elle-même l'initiatrice. Ainsi, le processus de plainte à la CPP prévoit que seuls les plaignants ont le droit de recevoir le rapport d'enquête et d'être représentés en tant que partie lors d'une enquête publique. La situation avait quelque chose d'ironique. De tous ceux qui avaient déplorés la conduite pour le moins questionnable de la GRC durant la campagne électorale, la BCCLA fut la seule à se montrer conséquente avec ses critiques et à prendre des moyens concrets pour trouver des réponses à des questions que tant de gens s'étaient posés. Cela ne pouvait vraisemblablement que signifier une chose : la GRC semblait être en bonne voie de s'en tirer à bon compte. Deux mois et demi plus tard, la GRC informa la BCCLA qu'elle mettait fin à son enquête concernant sa deuxième plainte sans donner davantage de suite. En mai, la CBBLA demanda à la CPP de procéder à un examen de la décision de la GRC de mettre fin à sa deuxième plainte. Un mois plus tard, le directeur général de la CPP donnait suite à la demande de la CBBLA en écrivant ce qui suit : "Il existe une très grande similitude entre l'objet de votre plainte et celui de la plainte du président. L'examen par la Commission de la décision sur votre plainte et l'examen obligatoire auquel elle procédera à l'égard de la décision sur la plainte du président seront tous les deux probablement fondés sur des documents pertinents identiques. Compte tenu de ce qui précède et dans l'espoir d'une plus grande efficacité, la Commission procédera à l'examen de votre plainte après la décision de la GRC concernant la plainte du président." Selon toute vraisemblance, cette décision avait toute l'apparence d'un rejet à peine déguisé de la seconde plainte de la BCCLA au profit de celle du président de la CPP. Pour la BCCLA s'en était trop. Elle attaqua cette décision en déposant une demande de contrôle judiciaire devant la cour fédérale relativement à la décision de la CPP. La CBBLA demanda au tribunal d'ordonner à la CPP de procéder sans délai à l'examen de sa plainte et de tenir une enquête publique à ce sujet. Les relations entre la BCCLA et la CPP venaient de franchir le point de non-retour. Ainsi, quelques mois plus tard, le président de la BCCLA, Jason Gratl demandait carrément le départ de Kennedy de son poste de président intérimaire de la CPP. (148) L'attitude de Kennedy concernant les plaintes contre la GRC pour son rôle lors des élections fédérales figurait parmi les motifs invoqués en soutien à sa demande. Comme le nota Gratl, non seulement Kennedy avait-il forcé la BCCLA à le traîner devant la cour fédérale "pour qu'il fasse son boulot", mais en plus le grand patron de la CPP présenta de "piètres requêtes" dans le but d'empêcher le tribunal d'entendre la demande de contrôle judiciaire déposée par l'Association. "Quel genre de commissaire aux plaintes du public serait prêt à dépenser des fonds publics pour résister à une plainte du public ?", demanda Gratl. Mais la BCCLA connaissait trop bien la réponse à cette question : un commissaire qui, avant d'hériter de ce poste, avait agit pendant de nombreuses années en tant que conseiller juridique pour la GRC et le SCRS au cours de ses vingt-années de carrière au ministère de la Justice ! Au début de l'année suivante, la juge Sandra J. Simpson rejeta la demande de contrôle judiciaire faite par la BCCLA. Dans ses motifs, le tribunal écrivit ceci : "La Commission s'engage à examiner la plainte de la demanderesse une fois qu'elle aura en sa possession un rapport de la GRC sur la plainte de la Commission. Il est désormais certain que ce rapport sera entre les mains de la Commission d'ici la fin du mois. Dans ces circonstances, la question est devenue pratiquement théorique et aucune ordonnance ne sera rendue." (149) Une arrestation opportune sur fond de publicité négative Le 1er février 2007, la Commission des plaintes du public contre la GRC causa toute une surprise lorsque son président annonça qu'il portait plainte contre la GRC pour sa conduite lors des élections de 2005-206. Mais ce rebondissement inattendu fut rapidement suivi d'un autre, deux semaines plus tard. Contre toute attente, la GRC procéda à une arrestation dans l'affaire des fiducies de revenu après quatorze mois d'enquête. Ainsi, le 15 février, Serge Nadeau, un haut fonctionnaire du ministère des Finances à Ottawa, fut accusé d'abus de confiance, une infraction criminelle dont la peine maximale est de cinq années d'emprisonnement. La GRC reprocha à Nadeau de s'être servit d'informations privilégiées pour en tirer un avantage personnel. La GRC alléguait plus particulièrement que Nadeau avait acheté des titres à la bourse en sachant que leur valeur était destinée à monter en raison des informations confidentielles qu'il détenait sur l'annonce que le ministre des Finances de l'époque, Ralph Goodale, s'apprêtait à faire au sujet des fiducies de revenu, en novembre 2005. Nadeau fut immédiatement suspendu de ses fonctions. Il était directeur général de l'analyse à la direction de la politique de l'impôt au ministère des Finances. Son arrestation fut accueillit avec incrédulité par ses collègues de travail, qui le dépeignèrent comme un fonctionnaire respecté qui se donnait à fond au boulot. (150) On apprendra éventuellement que Nadeau avait fait parti du cercle restreint de hauts fonctionnaires qui furent informés de la teneur de la décision de Goodale sur les fiducies de revenu vingt-quatre heures avant quelle ne soit annoncée publiquement. (151) Le surintendant principal de la GRC, Dan Killam, profita de l'occasion pour annoncer que l'enquête "exhaustive" sur l'affaire des fiducies de revenu était désormais terminée. La nouvelle de l'arrestation de Nadeau suscita évidemment bien des réactions à Ottawa. Pour les libéraux, l'heure était maintenant à demander des comptes à leurs adversaires. Selon eux, la conclusion de l'investigation policière démontrait que les partis d'opposition de l'époque auraient dû s'abstenir de se servir de l'enquête de la GRC pour lancer des allégations de corruption politique durant la campagne électorale. "Il est regrettable qu'une poignée de politiciens ait utilisé cette affaire pour faire du salissage et des insinuations", déplora Goodale. (152) "Aujourd'hui, on a la preuve qu'ils avaient tort et ils devraient se rétracter et s'excuser." Des stratèges libéraux qui avaient travaillés étroitement avec Paul Martin soulevèrent eux aussi des questions au sujet de l'enquête de la GRC. "La question de savoir pourquoi la GRC a annoncée son enquête au moment où elle l'a fait et de la façon qu'elle l'a fait a toujours intrigué les gens", affirma David Herle, qui fut co-président de la campagne du PLC à l'échelle nationale lors des élections générales de 2004 et de 2005-2006. (153) Scott Reid, l'ex-directeur des communications de Paul Martin, rappela que l'enquête sur l'affaire des fiducies de revenu avait eu un impact "dévastateur" sur la campagne libérale et se demanda si la conduite de la GRC s'expliquait par un "manque de jugement ou quelque chose de plus pernicieux." (154) Même la députée néo-démocrate Judy Wasycylcia-Leis reconnut pour la première fois qu'elle avait été "stupéfaite" que la GRC l'informe de la tenue d'une enquête sur l'affaire des fiducies de revenu. "À l'époque, je ne faisait que mon travail", expliqua-t-elle lors d'un entretien avec Macleans.ca. (155) "Il se trouve que la GRC me répondit et il m'incombait d'informer les gens. Mais je n'ai aucune idée pourquoi la GRC a fait ce qu'elle a fait et j'attends toujours les résultats de l'enquête. La GRC devra s'expliquer là-dessus." Toutefois, sur le fond, Wasylycia-Leis continuait à critiquer Goodale, en lui reprochant de ne pas avoir été celui qui prit l'initiative de contacter la police. D'ailleurs, de l'avis des néo-démocrates, le dépôt d'une accusation dans ce dossier leur donnait entièrement raison de s'être adressés à la GRC. Aussi, le NPD était d'avis que c'était plutôt Goodale qui devrait s'excuser. "Il doit présenter des excuses à tous les Canadiens pour avoir manqué à son devoir de protéger les marchés financiers et l'intégrité du ministère des Finances", affirma Wasylycia-Leis dans un communiqué de presse. Don Drummond, économiste en chef à la banque Toronto-Dominion, abonda dans le même sens. À son avis, l'arrestation de Nadeau ternissait la réputation du ministère des Finances. "Durant la longue histoire du ministère, rien de tel n'était jamais arrivé", affirma Drummond qui travailla au ministère des Finances pendant vingt-trois ans avant d'aller se recycler dans le secteur privé. (156) Notons d'ailleurs que Drummond avait été un proche collaborateur de Paul Martin, lorsque celui-ci était ministre des Finances, durant les années '90. Entre-temps, le chef libéral Stéphane Dion demanda à Harper de retirer une publicité en français que le Parti conservateur venait tout juste de lancer au Québec et qui faisait notamment allusion à l'enquête de la GRC sur l'affaire des fiducies de revenu. La publicité anti-libérale montrait l'image d'un journal dont la manchette indiquait "La GRC enquête sur l'entourage de Goodale". "Le premier ministre a le devoir de demander à son parti de retirer sa publicité négative qui fait ombrage à la réputation de Ralph Goodale", déclara Dion. Mais les conservateurs n'avaient aucunement l'intention de renoncer à cette publicité. "Elle fait référence à un fait, il y a eu une enquête", rétorqua Ryan Sparrow, porte-parole du parti. Le premier ministre Harper lui-même en rajouta, en disant que c'était à Goodale d'offrir ses excuses. "Vous vous rappellerez qu'il a dit aux Canadiens qu'aucun membre dans son entourage ou de son ministère était impliqué d'une quelconque façon", le chef conservateur. "Maintenant que nous voyons que quelqu'un a été inculpé, je pense franchement que ça ne fait que confirmer les grands titres de journaux que nous citons dans notre campagne publicitaire." Goodale dénonça Harper pour son refus d'admettre que la publicité contenait une "fausseté flagrante", et accusa le premier ministre de se comporter davantage comme un "voyou politique plutôt qu'en vrai leader" Mais Harper alla encore plus loin. "Je crois que les libéraux devraient s'excuser à Zaccardelli pour avoir suggéré aux Canadiens que la GRC avait inventé ce scandale", lança le leader conservateur. (157) (N'y avait-il pas que quelque chose de profondément révélateur dans le fait que Harper continuait à défendre l'ex-commissaire de la GRC même après que celui-ci eut démissionné de son poste dans des circonstances plutôt déshonorantes ?) Le ministre des Finances Jim Flaherty se permit même de suggérer que la Gendarmerie n'avait jamais cessé d'enquêter sur Goodale, contredisant ainsi la déclaration de la GRC à l'effet que l'enquête était belle et bien terminée. "Si M. Goodale veut des excuses, il devrait aller voir la GRC et leur demander s'ils enquêtent encore sur lui", affirma-t-il. (158) Finalement, la publicité tant décriée des conservateurs fut retirée pour une raison qui était tout à fait étrangère avec la sauvegarde de la réputation de Goodale. En fait, c'est le déclenchement d'élections générales au Québec, le 21 février, qui convainquit le parti de Harper que cette publicité n'avait plus sa place. (159) Dion, de même que certains analystes, affirmèrent qu'en période électorale, ce genre de publicité anti-libérale pouvait nuire aux chances de réélection du Parti libéral de Jean Charest, même si les deux formations politiques sont distinctes l'une de l'autre. Les conservateurs n'avaient sûrement pas envie de se faire accuser de diffuser des publicités susceptibles d'aider le Parti québécois. Mais les conservateurs nièrent que que ce facteur motiva leur décision. Ils expliquèrent plutôt qu'ils craignaient que leur publicité ne se perde dans la mer de propagande électorale qui envahira les ondes. L'enquête de la GRC avait peut-être aboutit à une mise en accusation, mais ceux qui saluèrent l'arrestation de Nadeau auraient toutefois tout intérêt à y regarder à deux fois car il y avait loin de la coupe aux lèvres. Ainsi, certains chroniqueurs de l'actualité financière ne cachèrent pas leur scepticisme. "En déclenchant son enquête, la GRC risquait de mettre au jour un grand scandale qui aurait vu tomber de leur piédestal des grands gestionnaires de portefeuilles, des grands courtiers, des grands dirigeants d'entreprise. Finalement, il n'en est rien", écrivit Michel Girard dans La Presse. (160) "Si les titres de plusieurs grandes entreprises à dividendes élevés (compagnies de téléphone et banques) et de fiducies de revenu ont fait l'objet d'achats anormalement massifs juste avant l'annonce du ministre Goodale, ce n'est qu'une question de coïncidence, dont seule la Bourse connaît les grands secrets!", ajouta-t-il. "Qui aurait pu croire qu'un simple fonctionnaire fédéral pouvait influencer la Bourse de Toronto à ce point ?", demanda Girard sur un ton que l'on devinait sarcastique. Pour Jean-Paul Gagné du magazine Les Affaires, le dénouement de l'enquête de la GRC "prouve à nouveau que le mécanisme canadien d'enquête sur les crimes financiers est d'une inefficacité remarquable." (161) Selon lui, Nadeau n'était tout simplement qu'"un fonctionnaire du ministère fédéral des Finances qui aurait eu la maladresse d'acheter ou de faire acheter une quantité d'actions représentant une part infime de l'important volume de titres échangés le 23 novembre 2005." Face à un tel résultat, Gagné n'hésita pas à parler ouvertement de "farce." "La GRC espère peut-être que son honneur est sauf auprès du grand public. Or, c'est un petit poisson rouge d'aquarium domestique qu'elle nous a présenté le 9 février. Tous les gros poissons repérés par son sonar sont passés à travers les mailles de son filet", dénonça-t-il. Le timing de l'arrestation de Nadeau avait lui aussi de quoi laisser plutôt songeur. Était-ce vraiment le fruit du hasard si cette arrestation survint précisément deux semaines après que la Commission des plaintes du public contre la GRC se décida à procéder à une enquête relativement aux allégations d'ingérence lors des des élections générales fédérales ? En terminant son enquête en procédant à une arrestation, n'était-ce pas là la meilleure façon pour la GRC de justifier une enquête policière qui était elle-même sur la sellette ? Par ailleurs, l'évolution de la cause de Nadeau devant la cour ontarienne continua à alimenter les sentiments de perplexité. En effet, que penser du fait que la preuve dans ce dossier était si volumineuse que la poursuite dû remettre pas moins de onze boites de documents à l'avocat de Nadeau pour que celui-ci puisse préparer sa défense ? (162) Pour une cause qui se résumait à une seule et unique accusation d'abus de confiance, voilà qui sortait de l'ordinaire. Et que penser des efforts déployés par les procureurs de la couronne en vue d'empêcher la diffusion du maximum d'informations relativement à l'enquête de la GRC qui mena à l'arrestation de Nadeau ? Quels secrets de la GRC essayait-on de cacher au public ? Lorsque Nadeau fut accusé, le seul document du dossier qui était accessible au public était sa sommation. Dès le début, la juge Ann Alder de la cour de l'Ontario avait rendu une ordonnance de mise sous scellés de tous les documents relatifs aux ordonnances de communication de documents et/ou de données dans cette affaire, ce qui incluait les dénonciations faites sous serment par les enquêteurs de la GRC. Le 29 mars, les avocats du quotidien The Globe and Mail, de l'agence de nouvelles La Presse Canadienne et du réseau CTV contestèrent les ordonnances de mise sous scellés devant le juge Michael J. Quigley de la cour supérieure de l'Ontario. Durant l'audience, la couronne se montra favorable à l'ouverture des scellés, à condition que le tribunal accepte d'imposer une ordonnance de non-publication applicable jusqu'à la fin des procédures. Pour soutenir sa demande, la couronne plaida que la publicité entourant cette cause pourrait affecter le droit de l'accusé à un procès juste et équitable. Cette requête reçut d'ailleurs l'appui de l'avocat de Nadeau. Estimant que la couronne n'avait pas prouvée l'existence d'un préjudice, le juge Quigley rejeta la demande d'ordonnance de non-publication. Le tribunal ordonna également que la cour de l'Ontario rende accessible au public tous les documents relatifs aux ordonnances de communication dans un délai de vingt jours. Cette décision permit aux médias de faire de nouvelles révélations sur l'enquête de la GRC. Tout d'abord, les allégations de la GRC à l'égard de Nadeau furent précisées. Ainsi, Nadeau aurait procédé à l'achat de 3100 unités du Fond de revenu Pages Jaunes en cinq transactions, et ce, moins de huit heures avant que Goodale ne fasse son annonce sur les fiducies de revenu. Il les aurait ensuite revendus en deux transactions le mois suivant, ce qui lui aurait permit d'empocher un gain s'élevant quelque part entre 6368 et 7378 dollars. (164) Comme le fit remarquer le Globe and Mail en page éditoriale, cela représentait le prix moyen d'une rénovation d'une salle cuisine. (165) Bref, on était bien loin des volumes de transaction vertigineux de centaines de millions de dollars qui prirent place sur les marchés boursiers dans les heures qui précédèrent l'annonce du ministre Goodale et qui avaient rapidement suscité des soupçons chez certains observateurs attentifs de la haute finance, ce qui avait amené une certaine députée du NPD à faire part de ses inquiétudes à la GRC. Mais le plus intéressant dans tout ça n'était pas ce que la GRC avait appris sur les transactions suspectes de Nadeau mais bien comment cette information était parvenu jusqu'à elle. Car le crédit de cette découverte ne revenait pas à la GRC, mais plutôt à l'Autorité des Marchés Financiers (AMF), l'organisme agissant à titre de chien de garde auprès de l'industrie des valeurs mobilières au Québec. Les premiers éléments de preuve à l'égard de Nadeau ne firent surface qu'en mars 2006, lorsque François Lapierre, enquêteur auprès de l'AMF, effectuait une vérification ponctuelle de transactions faites dans le secteur des fiducies de revenu. "Il vit le nom 'Nadeau' avec pour employeur le ministère des Finances fédéral", pouvait-on lire dans un document de la GRC déposé au dossier de la cour. (166) "Cela lui mit la puce à l'oreille." L'AMF fit suivre cette information à la GRC, qui ouvrit une enquête sur Nadeau. La GRC ne tarda pas à découvrir le rôle que Nadeau joua dans le processus décisionnel qui mena à l'adoption de la nouvelle politique du ministre des Finances sur les fiducies de revenu. Bref, l'AMF pointa du doigt Nadeau et la GRC n'eut qu'à suivre cette piste prometteuse qui s'avéra payante. Voilà qui réduisait à sa plus simple expression le mérite qui revenait à la GRC pour l'arrestation du seul suspect dans l'affaire des fiducies de revenu. La GRC devait donc une fière chandelle à l'AMF. Car si l'AMF n'avait pas été là, la GRC n'aurait pas pu arrêter Nadeau. Et si elle n'avait pas arrêté Nadeau, la GRC aurait eu beaucoup plus de difficultés à légitimer une enquête fort controversée dont les répercussions politiques se feront encore sentir pendant longtemps. Mais une autre surprise de taille était encore à venir. La GRC était apparemment sur le point de procéder à l'arrestation d'une deuxième personne, cette fois-ci sous l'accusation d'avoir divulgué des informations privilégiées dans le dossier des fiducies de revenu peu avant l'annonce du ministre Goodale. C'est ce que révélait un document interne de la GRC daté d'août 2006 obtenu en vertu de la Loi d'accès à l'information. (167) Mais la GRC dû renoncé à aller de l'avant lorsque les dispositions de la Loi sur la sécurité de l'information sur lesquelles elle voulait se baser pour porter des accusations furent déclarées inconstitutionnelles par la juge Ratushny dans l'affaire Juliet O'Neill, en octobre 2006. Comme le jugement Ratushny n'a jamais été porté en appel, cette seconde personne échappa définitivement aux accusations. Voilà qui expliquait donc pourquoi une enquête qui, à l'origine, devait porter sur "un bris de sécurité ainsi qu'un transfert illégal d'informations privilégiées", avait plutôt aboutit à une accusation d'abus de confiance. Sur le plan politique, cette nouvelle révélation représentait le pire scénario possible pour les libéraux. Ainsi, lorsque la GRC avait annoncée qu'elle mettait fin à son enquête sans porter d'accusation en vertu de la Loi sur la sécurité de l'information, les libéraux avait eu beau jeu de clamer que les allégations de fuite d'informations privilégiées dans l'affaire des fiducies de revenu n'avaient aucun fondements. Si, au contraire, l'enquête de la GRC avait abouti à des accusations formelles de transfert illégal d'informations privilégiées, les libéraux auraient certes été embarrassées mais ils auraient au moins pu se consoler en se disant que le procès constituerait une opportunité de tirer au clair une fois pour toutes les allégations de fuites qui leur avait causé tant de tort politique lors de la campagne électorale. Privés de toute possibilité d'être innocentés de manière définitive ni par les GRC, ni par les tribunaux, les libéraux étaient donc condamnés à demeurer d'éternels suspects. Le rôle de la GRC enfin reconnut ! Le 6 février 2008, le nouveau commissaire de la GRC, William Elliott, se présenta devant un comité parlementaire de la Chambre des communes. Parmi les sujets à l'ordre du jour : le rôle de la GRC lors des dernières élections générales, qui fut à nouveau dénoncé, cette fois-ci par le critique libéral en matière de sécurité publique, Ujjal Dosanjh. Fait intéressant, avant de se joindre aux libéraux fédéraux, Dosanjh avait brièvement occupé le poste de premier ministre de la Colombie-Britannique en succédant à Glen Clark, le leader néo-démocrate dont la carrière politique avait été mise en déroute suite à une enquête controversée de la GRC. Dosanjh fit valoir au commissaire Elliott que la confirmation officielle d'une enquête par la GRC sur l'affaire des fiducies de revenu était "apparue comme une grossière ingérence dans une élection." Elliott répondit en disant qu'il ignorait si des politiques ou des lignes de conduite avaient été enfreintes ou n'avaient pas été suivies" dans cette affaire. "La GRC n'a pas de politiques ou de lignes directrices adéquates en matière de communications relativement aux enquêtes criminelles", reconnut le commissaire de la GRC. (168) Dosanjh demanda ensuite ce que la GRC comptait faire pour empêcher la répétition d'une telle situation à l'avenir. "Nous nous apprêtons à prendre de mesures pour clarifier nos lignes de conduites, et ainsi améliorer nos pratiques", répondit alors Elliott. Questionné par La Presse Canadienne au sujet du rôle de la GRC lors des élections, Elliott affirma qu'il ne souhaitait pas exprimer d'opinion à ce sujet. "La GRC est plutôt incohérente en ce qui a trait à la divulgation d'informations se rapportant aux enquêtes", concéda-t-il cependant. Quelques semaines plus tard, l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique (BCCLA) intervint publiquement pour demander à la Commission des plaintes du public contre la GRC (CPP) de recommander à la GRC et au ministre de la Sécurité publique, Stockwell Day, l'adoption d'une ligne de conduite destinée à empêcher la Gendarmerie d'influencer les élections. (169) Le président de l'Association, Jason Gratl, déclara qu'une telle politique était devenu nécessaire en raison de fait que la GRC "semble à l'occasion prête à s'aventurer dans des eaux partisanes." La BCCLA recommanda donc que la GRC s'abstienne de révéler l'existence d'une enquête criminelle sauf dans des cas exceptionnels, par exemple, lorsque la sécurité publique serait menacée de façon imminente ou pour faire avancer une enquête au point mort. L'Association indiqua qu'elle ne voyait pas d'objection à ce qu'une enquête soit connue du public lorsque des accusations ont été approuvées par des procureurs de la couronne. La BCCLA demanda également à ce que le rapport d'examen de la plainte du président intérimaire de la CPP, Paul Kennedy, concernant la conduite de la GRC lors des dernières élections soit rendu public. Rappelons que cette plainte portait sur deux gestes qu'avait posé certains membres de la GRC relativement à l'affaire des fiducies de revenu : le premier était la lettre de l'ex-commissaire Zaccardelli qui avait été envoyée par télécopieur, le 23 décembre 2005, et qui informait la députée Wasylycia-Leis qu'une enquête criminelle serait ouverte sur l'affaire des fiducies de revenu ; le deuxième était un communiqué de presse que la GRC diffusa durant la soirée du 28 décembre suivant, dans lequel la Gendarmerie confirmait essentiellement les informations contenues dans la lettre adressée à Wasylycia-Leis tout en ajoutant "qu'elle ne possède en ce moment aucune preuve d'actes illégaux ou répréhensibles de la part de quiconque incluant le ministre des Finances Ralph Goodale." La plainte de Kennedy se divisait en deux volets. Dans un premier temps, il s'agissait de "déterminer si les agents de la GRC qui ont transmis les renseignements ont respecté les politiques, les méthodes, les lignes directrices et les exigences réglementaires en ce qui a trait à la divulgation de tels renseignements." Quant au deuxième volet, il touchait aux allégations d'ingérence politique de la part de la GRC. Plus spécifiquement, le président de la CPP cherchait savoir "si les politiques, les méthodes et les lignes directrices en la matière permettent en effet de faire face à une situation où la divulgation d'information relative à une enquête policière peut avoir une incidence hors de proportion sur le processus démocratique si bien que la confiance des membres du public à l'égard de l'indépendance de la police est ébranlée." Le 31 mars, la Commission exauça le voeu de la BCCLA en rendant public son rapport (170), lequel fut d'ailleurs d'un grand intérêt puisqu'il apporta des révélations inédites sur les dessous de la stratégie de gestion des communications de la GRC relativement à son enquête sur l'affaire des fiducies de revenu. Comme on le sait, les enquêtes sur les plaintes adressées à la CPP sont toutes confiées à la GRC. La plainte du président intérimaire de la Commission n'y échappa pas. Dans un premier temps, le rapport de la CPP s'attarda donc au rapport final de la GRC sur la plainte de Kennedy, lequel fut signé par le sous-commissaire de la GRC William Sweeney. L'enquête fut menée par la sergente Lise Noiseux, qui communiqua avec au moins dix-huit personnes, soit des membres réguliers et des membres civils de la GRC, qui avaient tous participé à un niveau ou à un autre au processus menant à l'envoi de la lettre de Zaccardelli à Wasylycia-Leis et à la diffusion du communiqué de presse de la GRC. L'enquête révéla que "la décision finale a été prise par le commissaire Zaccardelli", et ce, dans les deux cas. Dans son rapport, la CPP s'attarda aux normes de service et aux politiques administratives de la GRC en matière de diffusion de renseignements. "Les normes de service prévoyaient aussi un suivi auprès des plaignants, au besoin", notait la Commission. "Dans le cas qui nous importe, Mme Wasylycia-Leis, qui ne faisait que donner suite aux hypothèses des médias, a été élevée au statut de plaignante et s'est vu confirmer par écrit la tenue d'une enquête criminelle." La CPP nota qu'"aucune politique de la GRC ne traitait de façon explicite des personnes pouvant être considérées comme des plaignants à juste titre." Dans un premier temps, Zaccardelli confia à son adjoint exécutif, le surintendant Mike McDonald, le soin de mettre au point la lettre destinée à Wasylycia-Leis. Une fois qu'il approuva et signa ladite lettre, Zaccardelli demanda à McDonald de l'envoyer par télécopieur. L'adjoint de Zaccardelli semblait d'ailleurs tenir mordicus à ce que l'information se rende jusqu'à la députée de l'opposition puisqu'il l'avisa par téléphone deux fois plutôt qu'une de l'arrivée de la lettre du commissaire de la GRC. Voici ce qu'on pouvait lire dans le rapport de la CPP à cet effet : "Le surintendant McDonald a appelé aux bureaux de Mme Wasylycia-Leis à Winnipeg et à Ottawa vers 15 h 15 le 23 décembre 2005. Il a appris que les deux bureaux étaient fermés jusqu'au 3 janvier 2006. Il a donc laissé un message aux deux bureaux indiquant qu'il envoyait par télécopieur la lettre du commissaire Zaccardelli, et il a ensuite télécopié la lettre." Fait intéressant, la GRC commença à élaborer son communiqué de presse avant même que la députée du NPD ne médiatise le contenu de la lettre de Zaccardelli. "Les infocapsules avaient été préparées en prévoyant que, une fois que Mme Wasylycia-Leis aurait accusé réception de la lettre du commissaire, la GRC pourrait alors indiquer qu'il existait suffisamment de renseignements pour amorcer une enquête criminelle." La diffusion du communiqué de presse s'appuyait sur une pratique générale consistant à confirmer "les faits connus." "Autrement dit, si les renseignements étaient divulgués par une source fiable, la GRC confirmerait ces renseignements", précisa la CPP dans son rapport. La lecture du rapport de la CPP ne laissait plus aucun doute sur le fait que la GRC savait très bien ce qu'elle faisait lorsqu'elle s'invita durant la campagne électorale de 2005-2006. La GRC s'était fixée pour objectif de rendre publique l'existence de son enquête criminelle sur l'affaire des fiducies de revenu. Comme elle ne pouvait prendre elle-même l'initiative de le faire sans courir le risque de contrevenir à ses normes en matière de communication de renseignements, elle se servit tout simplement de la députée Wasylycia-Leis pour parvenir à ses fins. C'est ce que dit en substance le rapport de la CPP dans l'extrait ci-dessous : "En l'espèce, la publication de la lettre du commissaire par la porte-parole néo-démocrate des Finances le 23 décembre a été considérée comme une divulgation de source fiable, et c'est d'ailleurs pourquoi des infocapsules ont été préparées après que la télécopie a été envoyée le 23 décembre. Il appert, d'après les documents figurant au dossier, que la GRC savait que ses gestes du 23 décembre entraîneraient la confirmation publique par la GRC de la tenue d'une enquête criminelle sur l'affaire des fiducies de revenu. Malgré l'important rôle qu'elle a joué dans cette divulgation et la création d'un scénario qui prévoyait que Mme Wasylycia-Leis publierait le contenu de la lettre du 23 décembre, la GRC a refusé d'accepter la responsabilité de ses gestes dans les mois qui ont suivi. Elle a plutôt laissé entendre que Mme Wasylycia-Leis avait rendu les renseignements publics et que la GRC n'avait que confirmé les faits connus." Le rapport final de la GRC fit aussi état du refus de Zaccardelli de collaborer à l'enquête sur la plainte de la CPP. "Lorsque la sergente Noiseux l'a interrogé sur ces incidents, le commissaire Zaccardelli a répondu qu'il était nommé dans une poursuite au civil en rapport avec cette affaire et que son avocat lui avait recommandé de ne pas formuler de commentaires", pouvait-on lire. Selon toute vraisemblance, la poursuite au civil à laquelle Zaccardelli faisait allusion était la demande de contrôle judiciaire qu'avait déposée la BCCLA devant la cour fédérale dans laquelle il était nommé en tant qu'intimé. Kennedy jeta un doute sur la valeur réelle de cette explication en notant que Zaccardelli "avait toutefois refusé de faire une déclaration lors d'une enquête sur une plainte du public antérieure liée à cette affaire, laquelle avait été amorcée avant que la poursuite civile soit intentée." D'ailleurs, Zaccardelli ne fut pas le seul à se montrer peu coopératif. Le rapport de la CPP indiqua en effet qu'"aucun cadre supérieur du centre de décision de la GRC chargé de l'enquête sur les fiducies de revenu et ayant participé au processus d'approbation des communications liées à cette enquête n'a fourni de renseignements au sujet des décisions de la GRC d'envoyer la lettre à Mme Wasylycia-Leis et d'émettre le communiqué ultérieur." Le sous-commissaire Sweeney rapporta que les preuves fournies durant l'enquête démontraient que "les membres de la GRC ayant participé à la communication de ces informations ont respecté toutes les politiques et toutes les dispositions législatives applicables." L'enquête de la GRC "n'avait pas permis de conclure à une contravention des textes législatifs et réglementaires." Cette conclusion s'appuyait sur le fait que la GRC "n'avait pas de politique portant sur la notification des plaignants quant à l'intention de la GRC de tenir une enquête criminelle sur les allégations qui ont été portées à son attention." La CPP ne trouva rien à dire face à ce raisonnement. "Compte tenu de l'absence de telles politiques, méthodes ou lignes directrices spécifiques, je ne peux conclure que des membres de la GRC ont dérogé aux normes applicables", écrivit Kennedy. Par contre, la GRC ne s'était pas auto-exonérée sur toute la ligne puisque le sous-commissaire Sweeney reconnu que "le fait de préciser le nom d'une personne en particulier, en l'espèce M. Goodale, n'était pas conforme aux pratiques antérieures." Le sous-commissaire Sweeney précisa que "la décision de le faire a été prise par le commissaire Zaccardelli." Malgré tout, celui-ci s'en tirait complètement indemne puisque le rapport de la CPP en arriva à la conclusion qu'"il n'existe aucune preuve selon laquelle le commissaire Zaccardelli s'est fondé sur des facteurs inadéquats pour prendre ses décisions." Le rapport de la CPP s'attaqua ensuite au deuxième volet de la plainte, soit celui touchant aux allégations d'ingérence politique de la part de la GRC. "Les sondages réalisés par EKOS entre le 26 novembre 2005 et le 18 janvier 2006 révèlent que l'appui de la population est brusquement passé du Parti libéral au Parti conservateur", nota le rapport de la CPP. "Ce revirement dans l'opinion publique s'est produit au moment des divulgations de la GRC, soit entre le 23 et le 28 décembre 2005", pouvait-on lire ensuite. La CPP se montra prudente et refusa de voir un lien de cause à effet. "Il est impossible d'affirmer avec certitude que la divulgation de renseignements par la GRC est le seul facteur qui a causé ce brusque revirement dans les intentions des électeurs", écrivit Kennedy. Le rapport de la CPP se contenta d'énoncer une simple généralité à l'effet que l'ingérence politique de la police en période électorale faisait parti du domaine des possibilités. "Il est clair que, par ses gestes ou ses omissions, la police peut influencer, intentionnellement ou non, le résultat des élections, ce qui peut compromettre le processus démocratique", indiqua le président de la CPP. Puis, le rapport de la CPP conclua que rien n'empêchait la GRC de se livrer à de l'ingérence politique. "Je suis d'accord avec la GRC pour dire que ses politiques, méthodes et lignes directrices en la matière ne permettent pas de faire face à une situation où la divulgation d'information relative à une enquête policière peut avoir une incidence hors de proportion sur le processus démocratique si bien que la confiance des membres du public à l'égard de l'indépendance de la police est ébranlée", observa Kennedy. "En raison du rôle central du processus électoral dans une démocratie et de la brièveté de la période électorale, il doit y avoir au départ une présomption en faveur de la non-divulgation de l'existence d'une enquête criminelle", fit valoir la CPP. Le président Kennedy recommanda donc que la GRC élabore une politique spéciale concernant la divulgation de renseignements portant sur des "enquêtes très délicates", c'est-à-dire toute enquête pouvant avoir une incidence sur le processus électoral, ou qui concerne des personnages politiques, des hauts fonctionnaires ou même des cadres supérieurs d'une importante société cotée en bourse. Notons que la GRC n'est liée d'aucune façon par les recommandations de la CPP. Kennedy présenta son rapport lors d'un point du presse, à Ottawa. Les journalistes présents cherchèrent à tirer les vers du nez du président de la CPP quant aux conclusions qu'il tirait du rôle que joua la GRC lors de la campagne électorale. "Je n'ai pas la moindre idée de ce qui a pu se passer dans la tête du commissaire (Zaccardelli)", affirma Kennedy qui cherchait à se défiler. Il concéda du bout des lèvres qu'il était "crédible d'assumer" que la mention du nom de Goodale dans le communiqué de presse de la GRC pouvait avoir eue une influence négative sur les élections. Devant l'insistance des journalistes, Kennedy se rendit à l'évidence et admit que "la GRC savait" que ces actions auraient un impact sur la campagne. "Dans ce cas particulier, fournir de l'information au milieu d'une élection à une personne qui est critique en matière de Finances, vous savez que ça sera utilisé dans un but particulier", déclara le président de la CPP. (171) Le rapport de la CPP suscita diverses réactions. La BCCLA exprima sa déception, reprochant à Kennedy d'avoir omis de tisser les liens qui s'imposaient entre ses conclusions de faits et l'attribution des responsabilités dans cette affaire. "Les faits dépeignent un commissaire manipulant cyniquement les résultats de la dernière élection fédérale. M. Kennedy ferma les yeux devant ses propres conclusions de faits et négligea de tisser des liens", affirma Jason Gratl, président de la BCCLA, qui estimait que le président de la CPP n'avait pas fait une analyse sérieuse des normes générales de la GRC et de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du commissaire Zaccardelli dans ce cas particulier. (172) À Ottawa, les réactions furent diverses. "Il semblerait que les plans de communication de la GRC à ce sujet n'étaient pas accidentels ou faits par mégarde ou sous l'impulsion du moment", commenta Goodale. "En fait, ils ont été soigneusement élaborés et exécutés." (173) Le libéral Dosanjh fut celui qui se montra le plus intransigeant dans sa critique de la GRC. "Que cela ait été de l'ingérence politique intentionnelle ou non, le fait est que c'était de l'ingérence politique", déclara le député. (174) "En fait, la GRC est descendu dans l'arène politique. C'est une grave erreur qui n'aurait jamais dû arriver", ajouta-t-il. De son côté, la néo-démocrate Wasylycia-Leis reconnut le besoin de mettre en place de nouvelles lignes directrices mais désapprouva la présomption de non-divulgation. "S'il faut errer vers quoi que ce soit, cela devrait être dans le sens de l'ouverture, de la transparence et de la reddition de comptes", affirma-t-elle. Dans son éditorial, le Globe and Mail s'attarda au fait que "le nom de M. Goodale, un politicien avec une réputation sans tache, ressortait bizarrement" dans le communiqué de presse qu'avait émis la GRC, qui affirmait qu'elle ne détenait pas de preuve de geste illégal de sa part. (175) "En d'autres mots, M. Zaccardelli souleva des soupçons alors même qu'il déclarait qu'il n'y avait aucune raison pour le faire. Alors pourquoi l'avoir fait ?", demanda le Globe. Zaccardelli "devait sûrement savoir qu'il lançait une bombe dans la campagne électorale", pouvait-on lire ensuite. "Soit M. Zaccardelli a totalement mal interprété ce qui était dans l'intérêt public ou soit il avait certaines motivations politiques. Comme il refusa de répondre aux questions d'une enquête menée par un chien de garde indépendant sur cette affaire, le public est en droit d'être hautement sceptique des motivations de M. Zaccardelli." Durant la période des questions de la Chambre des communes, le député Dosanjh demanda au ministre Stockwell Day d'expliquer quelles mesures comptait-il prendre pour que la GRC établisse des lignes directrices en matière de communications publiques sur les enquêtes criminelles. Day répondit que les "recommandations mise de l'avant dans le rapport de la CPP sont actuellement mises en oeuvre." (176) Pourtant, le commissaire Elliott n'était pas allé aussi loin dans le communiqué officiel qu'il avait émis en réaction au rapport de la CPP. Le commissaire de la GRC s'était tout simplement contenté de remercier la CPP pour ses "précieux conseils" et affirma que son rapport "aidera à développer des politiques et des normes améliorées", sans préciser lesquelles des recommandations formulées par Kennedy seront retenues. (177) Nelson Kalil, un assistant de Kennedy, affirma qu'on ne l'avait pas informé d'un engagement de la part de la GRC d'appliquer les recommandations du rapport. Le stratège David Herle, qui avait co-présidé la campagne libérale, déclara sur le réseau CBC qu'une enquête publique sur cette affaire était devenue nécessaire. (178) Selon lui, le rapport de la CPP "n'est qu'une plate-forme de lancement pour la tenue de d'autres enquêtes." Herle affirma également que le commissaire Elliott avait "une obligation" de mener une enquête dans ses rangs. "Il est important de noter que toute influence sur une élection, soit-elle réelle ou le résultat d'une perception négative, peut briser la confiance entre les citoyens et la police qui est essentielle pour maintenir l'autorité de la loi dans une société civilisée", ajouta-t-il. La demande de Herle fut reprise dans les pages du Toronto Star par le chroniqueur James Travers, qui couvre la scène politique fédérale à Ottawa. "Tous les partis politiques de même que tous les citoyens partagent un intérêt commun à faire la lumière sur les actions obscures de Giuliano Zaccardelli", écrivit Travers. (179) "Malheureusement, la peur de l'embarras politique et la recherche de l'avantage partisan étouffent la curiosité politique et le besoin de savoir", s'indigna Travers. Ainsi, le chroniqueur rapporta qu'il y avait un bruit qui courrait dans la capitale nationale voulant que "les libéraux, les conservateurs et le NPD préfèrent ne pas attirer l'attention sur des abus qui sont davantage typiques aux dictatures du Tiers-Monde plutôt qu'aux démocraties du Premier-Monde." Puis, Travers résuma les fondements des réticences des trois grands partis fédéraux à aller au fond des choses dans cette affaire. "Les libéraux, qui sont ceux qui ont perdu le plus, sont si craintifs d'enlever les croûtes de leurs vieilles blessures internes qu'ils préfèrent ne pas jeter un nouveau regard sur des événements envers lesquels ils ne peuvent pas revenir en arrière. Les conservateurs, qui sont ceux qui ont gagné le plus, ne veulent pas soulever le spectre d'une victoire qui pourrait ne pas avoir été équitable ou loyale. Et le NPD qui penche à gauche veut oublié le rôle qu'il joua dans l'avènement au pouvoir du parti le plus à droite de notre histoire." À défaut d'une enquête, il faudra donc se contenter des deux principales théories en circulation pour expliquer les motivations qui animaient la GRC lors des élections. Travers écrivit que la première des théories voulait que "Zaccardelli, qui avait été nommé par Chrétien, a saisi l'opportunité d'embrocher Martin pour avoir ordonné des enquêtes sur les magouilles des commandites et l'affaire Maher Arar auxquelles son prédécesseur libéral s'était opposé et qui ont sérieusement portées atteinte à la GRC." L'autre théorie était que la GRC avait fait ce qui était en son pouvoir pour élire un gouvernement prônant la loi et de l'ordre et désireux de faire gonfler les budgets des forces policières. "Aucune démocratie qui se respecte ne peut laisser ces hypothèses inéprouvées", conclua Travers. En fait, le Parti vert du Canada, qui n'avait pas réussi à faire élire aucun de ses candidats le 23 janvier 2006, fut la seule formation politique fédérale à demander une enquête publique. "Le Parti Vert est d'avis que les fondements même de notre démocratie ont été compromis par cette ingérence de la GRC dans l'élection de 2006", déclara Elizabeth May, cheffe du parti dans un communiqué de presse daté de 4 avril. (180) "Si cette suite d'événements s'était produite dans un pays en développement, nous aurions très rapidement conclu à une république de bananes", fit-elle d'ailleurs remarquer. "Les Canadiennes et les Canadiens sont en droit de s'attendre à ce que le gouvernement ouvre une enquête approfondie pour vider la question de cette ingérence politique extrêmement grave", plaida May. Les Verts estimaient que cette enquête devrait "aller beaucoup plus loin" que l'examen mené par la Commission des plaintes du public contre la GRC. "Le refus du commissaire Zaccardelli de témoigner devant la Commission n'a été possible que parce que la Commission n'avait pas les pouvoirs suffisants pour l'obliger à comparaître. De toute évidence, il est dans l'intérêt du public d'ouvrir une enquête exhaustive dans cette affaire", observa May. Selon les verts, il fallait "contraindre M. Zaccardelli" à répondre à certaines des questions suivantes : "Pourquoi le commissaire Zaccardelli a-t-il choisi d'envoyer la lettre annonçant une enquête criminelle à la députée Judy Wasylycia-Leis? En quoi était-il urgent de contacter ses bureaux de Winnipeg et d'Ottawa pour avertir ses employés que la lettre arriverait par télécopieur ? Le Parti conservateur a-t-il offert une compensation ou des faveurs à M. Zaccardelli en contrepartie de cette information ? Y a-t-il un lien entre l'ingérence de M. Zaccardelli dans l'affaire des fiducies de revenu et le traitement subséquent de M. Zaccardelli dans la foulée du rapport du juge O'Connor sur le traitement de Maher Arar ? Y a-t-il un quelconque lien entre l'ingérence politique du commissaire Zaccardelli et les efforts déployés par les députés conservateurs pour bloquer l'enquête sur le détournement des fonds de pension de la GRC ?" Bien entendu, le Parti vert n'avait rien à perdre et tout à gagner politiquement dans la tenue d'une enquête publique susceptible d'embarrasser à la fois le NPD, son principal rival sur le plan électoral, mais aussi les conservateurs. D'ailleurs, inutile de préciser que cette demande resta sans lendemain. Six mois après le dépôt du rapport de la CPP, l'électorat canadien fut à nouveau convoqué aux urnes, et ce, sans même que la question du rôle controversé de la GRC lors du scrutin précédent n'ait été vidée. Chose certaine, la facilité avec laquelle la GRC influa sur le résultat d'une élection générale qui changea le cours de l'histoire du pays donnait à la démocratie canadienne un arrière-goût de banane moisie. Conclusion Au Canada anglais, il ne manqua pas d'observateurs de l'actualité politiques pour décrire l'intervention de la GRC durant la campagne électorale de 2005-2006 comme un geste sans précédent dans l'histoire canadienne. Et avec raison. Par le passé, la GRC nous avait plutôt habitué à une attitude de docilité, voire de collusion, à l'égard du parti au pouvoir, qu'il soit d'allégeance libérale ou conservatrice. Or, en fournissant délibérément des munitions politiques à l'opposition, la GRC frisait l'insubordination envers l'employeur, c'est-à-dire le gouvernement fédéral. Le comportement de la GRC pouvait sembler inexplicable et insensé... si on ne tenait pas compte de l'avertissement lancé par l'ancien membre de la GRC et du SCRS, Peter Marwitz. C'est lui qui avait écrit au premier ministre Paul Martin, en 2004, pour le prévenir qu'il allait au-devant des ennuis pour son parti aux prochaines élections s'il tenait une enquête publique sur l'affaire Maher Arar. Deux ans après sa tentative de chantage politique contre le gouvernement Martin, la "prophétie" de Marwitz semblait s'être réalisée. Ne dit-on pas que la vengeance est un plat qui se mange froid ? Certains diront peut-être qu'il ne faut pas y voir là de cause à effet. Que les propos de Marwitz et les événements de la campagne de 2005-2006 ne sont que de simples coïncidences. D'ailleurs, il y en a qui voient des coïncidences partout. Ce sont des théoriciens de la coïncidence. Certes, on ne peut nier que les coïncidences existent dans ce bas monde. Mais peuvent-elles tout expliquer en tout temps ? Il reste que l'ingérence de la GRC lors de ces élections soulève aux moins deux questions troublantes que peu de gens semblent avoir envie d'aborder. La première concerne l'élection des conservateurs de Stephen Harper. Une victoire facilitée par l'ingérence politique d'un corps policier dans le processus électoral peut-elle être légitime ? Les historiens auront sans doute le loisir de revenir sur cette question. La deuxième concerne le pouvoir politique de la GRC. En influençant le résultat d'une élection générale qui changea le cours de l'histoire canadienne, la GRC a fait la preuve quelle ne pouvait pas être sous-estimée. Après une aussi convaincante démonstration de sa capacité de nuisance, quel gouvernement aura encore la témérité de contrarier la GRC ? Or, permettre à la GRC de s'en tirer indemne, c'est nécessairement l'inviter à récidiver à la première occasion. source: (125) Le Devoir, "Arar blanchi, la GRC blâmée", Hélène Buzzetti, 19 septembre 2006, p. A1. |
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