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Les arrière-pensées réactionnaires du sport (Frédéric Baillette)

patc, Lunes, Agosto 11, 2008 - 14:47

Frédéric Baillette

Voici un texte incontournable de Frédéric Baillette portant sur les arrière-pensées réactionnaires du sport.

En cette 'saison olympique', et moins de deux ans avant les jeux de Vancouver, rappelons-nous les authentiques tenants et aboutissants du cirque sportif.

Le sport est très souvent présenté par ses laudateurs et ses défenseurs comme un fait universel, un invariant culturel. Sous des formes certes changeantes, il aurait été pratiqué à toutes les époques et sous toutes les latitudes. Son omniprésence dans le temps et dans l’espace ne ferait aucun doute. Dans cette vision divine, mystique et quasiment céleste, le Sport transcenderait les hommes, il serait « de partout et de toujours », il apparaît, dès lors, comme une sorte d’entité supra-naturelle. Phénomène transhistorique, il serait également au-dessus des batailles politiques, des luttes de classe et des conflits armés. Il formerait un monde à part, une sorte de supra-nation, un « gouvernement universel ». Le sport, et plus particulièrement l’olympisme, cette « ONU sportive » (Jean-Marie Brohm), aurait ainsi une mission humanitaire à accomplir, une sainte croisade à mener : contribuer à la paix sur terre, établir et maintenir la cohésion et « la paix sociale » (De Coubertin), instaurer l’entente cordiale entre les hommes de bonne volonté (sportive), en les rassemblant, par-delà leurs convictions (religieuses ou politiques) et leurs origines (sociales ou raciales), autour d’une même ferveur religieuse (la passion du sport, la communion athlétique). Intrinsèquement neutre et politiquement correct, le sport oeuvrerait essentiellement pour l’amitié, la réconciliation, l’harmonie sociale, la coexistence pacifique, bref, l’apaisement et la résolution de tous les conflits.

Aussi, tous les partis politiques (excepté l’extrême gauche et certaines organisations libertaires) s’accordent pour célébrer les bienfaits du sport et récitent régulièrement tous les poncifs du catéchisme sportif : égalité des chances, loyauté de la lutte olympique, exemplarité de la valeur éducative (école de vertu, de solidarité, de « droiture morale », etc.), universalité de la « culture » sportive, « message d’espoir pour tous les opprimés », rassemblement fraternel, pacifique (oecuménisme sportif, mythe de la trêve olympique), etc.

Si dans son essence la compétition sportive [1] est postulée pure et innocente, c’est qu’elle est présentée comme un besoin fondamental de l’homme, une tendance instinctive, une sorte de disposition naturelle et primitive. Pour les tenants de cette version innéiste, l’homme aurait toujours ressenti l’impérieuse nécessité de se mesurer et de rivaliser physiquement avec ses semblables. Le désir de comparer ses capacités physiques, d’élire le plus fort, le plus rapide et de chercher sans cesse le dépassement de ses limites biologiques serait inhérent à la vie de l’homme, à son existence même. La compétition physique serait ainsi une donnée anthropométrique fondamentale, « enracinée au plus profond de la nature humaine », inscrite dans la part animale de l’homo sapiens.

Or, ce qu’il faut affirmer, c’est que cette représentation du sport comme sphère autonome et apolitique [2] est un mythe [3] tenace qui permet d’occulter la réalité peu reluisante du spectacle sportif contemporain (notamment le dopage et les violences endémiques [4]), ses nombreuses collaborations (ou collusions) avec des régimes politiques totalitaires et son parti pris idéologique réactionnaire. D’une part, le sport est, dès son apparition, indissociable du système capitaliste, dont il est pétri des valeurs, d’autre part, il est une « dépolitisation des réalités du monde » (Michel Beaulieu), dictant à des milliards d’individus une « vision sportive de l’univers ».

Il semble important d’insister sur cinq points :

1) Le sport est une donnée culturelle, une production historiquement datée (l’Angleterre de la fin XVIIIème siècle puis et surtout l’Europe du XIXème siècle), il prend son essor avec l’avènement de la société capitaliste industrielle. Ainsi, dès sa naissance, le sport est politiquement et idéologiquement déterminé par le mode de production capitaliste [5]. Comme le notait le sociologue Norbert Élias, il y a bien une « sociogenèse du sport » qui va imprimer sa marque sur sa constitution originelle et conditionner son développement. Dans son apparition et tout au long de son processus d’institutionnalisation, le sport (tout comme l’olympisme) est « consubstanciellement intégré au mode de production capitaliste et à l’appareil d’État bourgeois » (Jean-Marie Brohm). L’institution sportive est organiquement, incorporée au système de production capitaliste dans lequel elle s’épanouit. La diffusion et l’emprise planétaire du sport, l’olympisation du monde vont accompagner l’expansion impérialiste du système capitalisme (et du capitalisme bureaucratique d’État). C’est dans cette paternité que réside la singularité du sport (un sport improprement qualifié de « moderne », par ceux qui voudraient faire croire à une continuité, à une unité avec des sports dits antiques, médiévaux, traditionnels ou encore exotiques). Aussi, il y a homologie de structure et identité de point de vue entre l’organisation sportive et l’organisation capitaliste. Rien d’étonnant que les principes constituants du sport (compétition, rendement, performance, record) reflètent les catégories dominantes du capitalisme industriel.

De ce point de vue, il ne saurait y avoir d’un côté un « sport ouvrier », une version socialiste (prétendue authentique) du sport (et encore moins un usage révolutionnaire de celui-ci), et d’autre part une confiscation bourgeoise, capitaliste qui serait, elle, dénaturée, défigurée, corrompue et qui expliquerait toutes les soi-disant « déviations » ou « dégradations » de l’idéal olympique. La logique sportive est la même à l’Est qu’à l’Ouest. Les récentes révélations sur l’institutionnalisation du dopage en ex-RDA (longtemps présentée comme le paradigme du sport communiste), sa planification scientifique et son étatisation devrait définitivement dessiller les incrédules ou les idéalistes intégristes.

Le sport est porteur de toutes les « valeurs » capitalistes qu’il contribue à plébisciter en les présentant comme « naturelles », comme allant de soi et nécessaires : lutte de tous contre tous (struggle for life), sélection des « meilleurs » et éviction des « moins bons », transformation du corps en une force essentiellement productive, recherche du rendement maximum, de son exploitation optimale (la performance), etc.

2) Les grandes rencontres sportives (jeux Olympiques, coupes du monde, etc.) ont constamment servi de paravent et de caution à des régimes bafouant en toute impunité les droits de l’homme et les droits démocratiques les plus élémentaires : les J. O. de Berlin (1936) furent ainsi un soutien moral et financier au régime nazi (qui venait de promulguer les lois de Nuremberg) et servirent à camoufler la mise en place du génocide juif [6] ; en 1978, en Argentine, le Mundial de football fut brillamment organisé par la Junte fasciste du général Videla qui remporta là un formidable succès populaire ; les J. O. de Moscou (1980) eurent lieu alors que les russes envahissaient sauvagement l’Afghanistan et que les dissidents soviétiques étaient massivement déportés dans les Goulags ; le Rallye Paris-Dakar, aventure néo-coloniale et para-militaire ultra médiatisée, permet à quelques nantis, sponsorisés par des multinationales, de s’adonner en toute impunité à une course poursuite destructrice et mortifère dans des régions déchirées par la misère et la famine ; récemment les jeux Asiatiques (1990) ont redoré le blason de la Chine terni par le massacre de la place Tien Anmen et les centaines de victimes de la répression du printemps de Pékin (tout comme en 1968 les J. O. de Mexico avaient recouvert sous les fastes de la « fête de la jeunesse » les corps des étudiants massacrés quelques jours auparavant sur la place des Trois-Cultures). Tous ceux qui défendirent le maintien de l’organisation de ces manifestations (en s’élevant avec virulence contre les différents appels au boycott) se sont rendus objectivement complices des crimes contre l’humanité perpétrés sous le couvert de ces festivités, de ces bacchanales sportives. Pire, par une présence apparemment neutre, ils les ont cautionnés et entérinés, ils ont permis à des régimes dictatoriaux d’asseoir leur prestige et de continuer leurs exactions après avoir reçu l’absolution sportive.

Á maintes reprises des opposants politiques, des « subversifs », des indésirables (étudiants, mendiants, petits voyous, prostituées, etc.) ont été évacués, emprisonnés, éliminés, pour que l’organisation des grandes rencontres sportives soit irréprochable et que nul « élément perturbateur » ne vienne ternir la bonne image que se composait le pays hôte. Il ne faut jamais oublier que derrière les athlètes se profilent toujours des états, que glorifier les premiers c’est toujours acclamer et médailler le pays dans lequel ils ont été élevés, lui accorder un satisfecit, lui rendre un puissant hommage.

3) Aujourd’hui plus que jamais, la pratique du sport de haut niveau devient en elle-même une atteinte aux droits de l’homme : le corps du sportif est chosifié, transformé dès le plus jeune âge en chair à records, en « morceaux de viande » (selon l’expression du gardien de but français Pascal Olmeta), en missile balistique. Il existe bel et bien un esclavagisme sportif, une exploitation négrière des athlètes. Gavés d’exercices physiques dès l’enfance (voir les ravages causés par ce que l’on appelle avec diplomatie l’Entraînement Sportif Intensif Précoce), reclus, encasernés dans des centres où la préparation confine au conditionnement, bien souvent nourris (parfois même à leur insu) de produits dopants hautement nocifs, les sportifs de haut niveau ne sont plus que des instruments aux mains des multinationales, des holdings financiers et des politiques de prestige national. Quant aux pays pauvres (tout particulièrement l’Afrique) ils servent aujourd’hui de réservoir aux clubs de football européens qui vont y puiser de la main d’œuvre à bon marché, exploitable et corvéable à merci, revendable, échangeable et à tout moment expulsable vers leur pays d’origine si elle ne donne pas entière satisfaction : « La chasse au petit nègre », à la perle noire est à nouveau ouverte ! [7]

Dans ce contexte de guerre et de guérilla sportive, il n’est pas étonnant que certains sportifs se transforment en mercenaires, en parfaits hommes de main (à la solde d’un état ou d’un riche commanditaire) dont l’objectif (dans certains cas parfaitement déclaré) est de détruire l’adversaire, de l’anéantir au besoin en le brisant physiquement. Dans une arène sportive de plus en plus militarisée, massivement quadrillée par des unités spéciales, les brutalités, les violences ouvertes deviennent coutumières, elles font même partie du spectacle (la boxe, cette barbarie qui « devrait être bannie des pays civilisés », comme le proposaient des médecins américains, reste le paradigme indépassé de ce goût pour le sang et l’assassinat médiatisé et sponsorisé). Aujourd’hui, alors que des centaines de sportifs sont victimes de la corrida sportive, il est urgent que les pouvoirs politiques mettent un bémol à la surenchère du citius, altius, fortius orchestrée par les « proxénètes des stades » (sponsors, affairistes, dirigeants véreux, hommes d’états à la recherche de consécration, etc.) et affirment haut et fort qu’aucune médaille ne vaut la santé d’un sportif !

4) Le sport, parce qu’il est le plus puissant facteur de massification, un « agrégateur » et un intercepteur de foule exceptionnel, a toujours rempli des fonctions socio-politiques essentielles pour le maintien de l’ordre, et notamment :

- le contrôle social des populations (embrigadement et encadrement de la jeunesse), la gestion des pulsions agressives et sexuelles (canalisées, réorientées et liquidées dans des voies socialement tolérées et dans des lieux circonscrits et policés). Le sport est, en effet, constamment présenté comme un remède, un antidote, une solution immédiate à tous les maux sociaux : contre la délinquance juvénile, contre le malaise des banlieues, contre l’alcoolisme, le tabagisme, et aujourd’hui la drogue, contre les « dépravations » (la masturbation, « le péril charnel », les effets de la libération sexuelle), efficace anesthésiant de l’agitation révolutionnaire. Il est présenté, à la fois, comme une « hygiène politique préventive » et comme le moyen privilégié de réinsertion des « déviants sociaux » (Erving Goffman).

- l’occultation des conflits politiques et sociaux, la dépolitisation et l’adhésion à un idéal commun (défense du village, de la patrie, d’une religion, etc.), l’orientation de la pensée vers des zones stériles (crétinisation et lobotomisation des meutes sportives, vociférantes et trépignantes) [8]. Le spectacle sportif est au sens fort une aliénation des masses, il endort la conscience critique, l’occupe, la détourne en faisant rêver, en apportant un bonheur illusoire (fonction narcotique du sport). Il est un appareil de colonisation de la vie vécue (Jürgen Habermas). Comme la religion, il est un opium du peuple, un dérivatif, qui divertit et fait diversion, permet de scotomiser le réel. Ainsi, en juin 1994, en Thaïlande, la « footmania » liée au déroulement de la coupe du monde de football (États-Unis) permit d’étouffer la crise politique : les députés de l’opposition décidèrent de reporter d’un mois le vote d’une motion de censure contre le gouvernement, alors que les étudiants et autres prodémocratiques arrêtaient de protester contre les lenteurs des réformes politiques pour suivre quotidiennement de 23 h à 8 h du matin les diffusions en direct de toutes les rencontres (Libération, 27 juin 1994). Le spectacle sportif via le petit écran est devenu un puissant hypnotiseur (on estime à au moins 2 milliards le nombre des personnes ayant suivi la finale de la dernière Coupe du monde de football).

- une compensation aux inégalités sociales et une justification de ces inégalités (avec efforts et sacrifices, il est toujours possible d’accéder à l’élite), un contrepoids à la grisaille du quotidien. Le spectacle sportif substitue des « satisfactions fantasmatiques » à des satisfactions réelles agissant comme un calmant, une arme de dissuasion (Erich Fromm).

- l’édification d’une identité nationale, régionale. Le sport galvanise, électrise les passions et les coagule dans un même élan patriotique et chauvin. Il est en temps de paix un élément permettant de maintenir et d’exprimer un sentiment national : dans les pays arabo-musulmans les clubs de football sont ainsi progressivement devenus des lieux privilégiés où se forgent une conscience nationale, un sentiment identitaire : « Les équipes étrangères deviennent des ennemis à abattre » [9] . En Europe, Silvio Berlusconi qui, avec l’appui des forces néo-fascistes, devait conquérir la majorité absolue au Parlement italien, avait décidé d’appeler son parti Forza Italia, reprenant à son compte le slogan que hurlent tous les tifosi encourageant la Squadra Azzurra [10] .

5) Enfin le sport est « un véhicule puissant de diffusion de l’idéologie établie » (Jean-Marie Brohm) qui contribue à la reproduction et à la légitimation de l’ordre bourgeois. L’institution sportive est un efficace appareil idéologique d’état (Louis Althusser) qui distille massivement, planétairement une idéologie réactionnaire et fasciste. Elle est même pour Michel Caillat « le paradigme de l’idéologie fasciste » [11] : apologie de la force physique, glorification de la jeunesse, culte de la virilité et vénération (pour ne pas dire idolâtrie) du surhomme ; dépréciation, déclassement et éviction des individus considérés inaptes, faibles ou trop vieux (sur ce point le sport est l’école de la non-solidarité) ; hiérarchisation puis tri (sous couvert de sélection « naturelle ») des individus en fonction de leurs potentialités physiques (il existe bel et bien un eugénisme sportif) ; culte des élites, vénération et exaltation de l’effort musculaire, de la souffrance, de l’exténuation et de la mort (et pas seulement symboliquement) ; anti-intellectualisme primaire, amour du décorum et du cérémonial démesuré (hymnes nationaux, chants guerriers, « Ola », parades paramilitaires, débauche d’emblèmes, de drapeaux et d’oriflammes, etc.) ; exacerbation des passions partisanes, du chauvinisme et du nationalisme, etc.

Rien d’étonnant que le sport ait toujours été l’enfant chéri des gouvernements dictatoriaux, fascistes et nazis, « au point de devenir un élément constitutif indispensable de ces régimes » (comme le notait le sociologue Jacques Ellul). Rien d’étonnant qu’en 1936 Pierre de Coubertin ait été délicieusement conquis par l’organisation des « jeux de la croix gammée », que Juan Antonio Samaranch (Président du CIO) ait été un membre important du parti franquiste, que cet ancien dignitaire fasciste supervisa tout au long des années 1974 et 1975 la mise au pas de la Catalogne (« la répression atteignit une ampleur jamais vue depuis les années 40, avec arrestations massives, tortures, exécutions ») [12] . Rien d’étonnant non plus que Joào Havelange (président de la Fédération Internationale de Football, mais également fabriquant d’armes) ait toujours eu un penchant notoire pour les dictateurs et les potentats africains... Et ce ne sont là que les exemples les plus criants.

En Europe, en Amérique Latine, en Russie, les stades de football sont d’ailleurs devenus le lieu d’expression privilégié de groupuscules fascistes ou néo-fascistes qui ont leurs tribunes réservées. Les bras tendus fleurissent, les invectives racistes et antisémites [13] , les slogans nazis fusent en toute impunité dans les virages occupés par ceux qu’il est convenu d’appeler les « Ultras » [14] , les agressions délibérément racistes se multiplient aux alentours de certains grands stades (tandis que les forces de l’ordre restent bien souvent passives...). « Toutes les grandes équipes ont des groupuscules de supporters nazis aux noms évocateurs : "Oranges mécaniques" pour la Juventus de Turin, "Brigades rouges et noires" pour le Milan AC, "Granata Korps" pour le Torino, "Mauvais garçons" pour le FC Barcelone, tandis que les "Ultras sur" du Réal de Madrid sont ouvertement franquistes » [15] . Citons encore le groupe des Zyklon B (gaz de sinistre mémoire) de Berlin. En Allemagne, dès 1982, le Front d’Action national-socialiste « a compris que, avec la fascination qu’une certaine jeunesse avait pour la violence dans les stades, il y avait un vivier militant à exploiter, [ce qu’ils firent en se lançant] dans une propagande intense dans les tribunes des stades, dénonçant pêle-mêle "l’invasion turque", "le danger gauchiste", "le terrorisme de la RAF", etc. » [16] Si un peu partout en Europe l’extrême-droite recrute activement dans les stades de football, c’est que l’idéologie sportive (notamment la haine de l’Autre) se marie bien avec les thèses les plus réactionnaires.

Pour Jean-Marie Le Pen, dealer des idées d’extrême droite en France, il ne fait d’ailleurs aucun doute que « le sport est "de droite", car il nécessite bon nombre de qualités, "loyauté, sens de l’effort, générosité, etc." qui sont celles de droite. » [17] Et, il ne faudrait pas trop longtemps pour faire resurgir du « etc. » la bête immonde...

Il importe donc de lutter contre l’hégémonie du modèle sportif, de dénoncer les arrière-pensées des discours pro-sportif et de l’idéologie olympique, d’appeler au boycott de toutes les grandes manifestations sportives et de promouvoir parallèlement toutes les activités où dominent la convivialité, l’amitié, l’entraide, la solidarité, l’hospitalité. Cette lutte ne saurait être vaine : tout produit historique est transitoire (Marx), il est en constant devenir et en devenir-autre, c’est-à-dire sujet à altération. Le sport n’est, de ce point de vue, ni éternel, ni impérissable, et, tout comme il est apparu et s’est développé dans une société donnée, il peut se décomposer et disparaître dans un autre type de formation sociale. Rien n’est immuable, comme le notait déjà Hegel, « tout ce qui existe mérite de périr » et le sport ne saurait faire exception.

Frédéric Baillette

[1] Parler de compétition sportive, de sport de compétition est une tautologie, puisque, par définition, le sport se distingue du large éventail des pratiques corporelles et des manières d’exercer ou de mettre son corps en jeu, justement par la place centrale qu’elle fait à la compétition. Le sport par définition est compétition, il est l’institutionnalisation de la compétition physique, son organisation, sa réglementation.

[2] Tout au plus les « amis » du sport admettent qu’il peut y avoir une utilisation du sport à des fins politiques : le sport est alors considéré comme pris en otage, à son corps défendant pourrait-on dire, par des gouvernements peu scrupuleux.

[3] Pour une étude des différentes composantes du mythe sportif, le lecteur pourra se reporter au livre pionnier de Jean-Marie Brohm, Le Mythe olympique, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 1981.

[4] Pour une analyse contemporaine des aspects négatifs du spectacle sportif, voir Frédéric Baillette et Jean-Marie Brohm (textes rassemblés par), Critique de la modernité sportive, Paris, Les Éditions de la Passion, 1995.

[5] Sur cette question fondamentale de la genèse du sport on se reportera à l’ouvrage fondateur de Jean-Marie Brohm, Sociologie politique du sport, Paris, Jean-Pierre Delarge, Éditions Universitaires, 1976. Réédité en 1992 aux Presses Universitaires de Nancy.

[6] Jean-Marie Brohm, Jeux olympiques à Berlin, 1936, Bruxelles, Éditions Complexe, 1983.

[7] Voir l’excellent dossier d’Amnesty International : « Sport et droits de l’homme : des liaisons dangereuses », n° 26, décembre 1990.

[8] Cf. Jean-Marie Brohm, Les Meutes sportives. Critique de la domination, Paris, L’Harmattan, 1994.

[9] Cf. Youcef Fatès, Sport et Tiers-Monde, Paris, PUF, 1994.

[10] « N’importe qu’elle proposition, note Jean Baechler, peut devenir idéologique, pour peu qu’elle soit utilisée dans la combat politique. "Allez France !" peut n’être qu’un slogan sportif innocent ; il peut aussi se transformer en slogan idéologique, s’il est mis au service d’une passion nationale ou nationaliste. Autrement dit, une proposition quelconque peut toujours servir à un usage idéologique, pour peu qu’on lui injecte une dose quelconque d’intention politique. » Jean Baechler, Qu’est-ce que l’idéologie ?, Paris, Éditions Gallimard, collection « Idées », n° 345, 1976, p. 25.

[11] De son côté Michel Caillat, après avoir soigneusement étudié les thèmes réactionnaires qui, depuis plus d’un siècle, saturent le discours sportif, conclut également : « Le sport est un phénomène d’imprégnation fasciste. [...] L’idéologie sportive est le paradigme de l’idéologie fasciste, de ce fascisme quotidien, ordinaire qui colle à la peau. » L’Idéologie du sport en France depuis 1880 (Race, guerre et religion), Paris, Les Éditions de la Passion, 1989.

[12] Pour une étude de cette édifiante reconversion du fascisme à l’olympisme, se reporter au livre de Vyv Simson et Andrew Jennings, Main basse sur les J.O., Paris, Flammarion, 1992, chapitre 5 : « Le bras tendu, je vous salue », p. 84-98.

[13] Cf. Philippe Broussard, « Les tribunes du racisme », Le Monde, 14 février 1990. Republié dans Quel Corps ?, n° 40 (« Football connection »), juillet 1990, p. 192-194. Plus largement se reporter dans ce même numéro à l’édifiant dossier de presse rassemblé sous le titre : « Dans les abattoirs d’attraction : l’internationale des Ducon-la-joie », p. 123-221.

[14] Batskin, un membre actif du Pitbull Kop qui rassemble les supporters d’extrême droite du Paris-Saint-Germain, déclarait ainsi au mensuel Lepenniste Le Choc du Mois (n° 28, mars 1990) : « Les tribunes des stades de football sont les derniers endroits où l’on peut tendre le bras droit et crier comme au Parc des Princes "Paris est fasciste !" sans terminer en prison. [...] Notre objectif, qui est celui de presque tous les hooligans en Europe, est de rejeter la police hors des stades afin de déployer librement nos bannières dans les tribunes. » Interview reproduit intégralement dans Quel Corps ?, n° 40, op. cit., p. 214-215.

[15] Didier Pagès, « Football : ceux qui vont mourir te saluent ou à qui profite le crime ? », Quel Corps ?, n° 40, op. cit., p. 137 et l’ensemble du paragraphe « Bas bleus, shorts blancs et chemises brunes », p. 134-140.

[16] Jean Mandrin, « L’euro-hooliganisme », in Centre de Recherche, d’Information et de Documentation Antiraciste, Rapport 96 : Panorama des actes racistes et de l’extrémisme de droite en Europe, Paris, CEDIDELP/CRIDA, 1994, p. 208.

[17] Cité par Le Canard Enchaîné, 8 juillet 1987. Dans L’Équipe du 15-16 février 1986, il avait déjà confié aux journalistes qui l’accueillaient que « notre monde égalitariste n’aime pas la philosophie même du sport, car la philosophie du sport, c’est l’émulation, c’est le classement, c’est la hiérarchie du résultat, c’est la volonté de vaincre. Tous mots qui sont antinomiques des philosophies qui sont actuellement à la mode. »

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