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La rivalité entre la Chine et les États-Unis à l’avant-plan… sur piste et hors piste

Eric Smith, Domingo, Agosto 10, 2008 - 14:33

Revolution

Les Jeux de 2008 viennent tout juste de débuter à Beijing et se poursuivront jusqu’au 24 août prochain. Les Jeux olympiques sont l’occasion de grandes performances athlétiques, mais il s’agit aussi d’un événement à forte teneur politique. Tandis qu’on appréciera les compétitions et les performances des athlètes, le spectacle qu’on nous présentera sera marqué par une bonne dose de politique et un fort contenu idéologique, parfois subtilement, mais souvent de manière ouverte.

Les relations et les rivalités entre les grandes puissances s’expriment de différentes manières lors des Jeux olympiques. À Beijing, ce sont bien sûr les complexes relations entre la Chine et les États-Unis qui marqueront le plus ce qui se tramera, autant dans les compétitions que dans les tractations hors piste.

Contrairement à ce qu’on nous rabâchera, la Chine triomphante n’est pas un pays socialiste. Elle le fut, certes, de 1949 à 1976, à une époque où elle était soustraite aux circuits mondiaux capitalistes. Mais aujourd’hui, la Chine est un pays on ne peut plus capitaliste, profondément empêtré dans les filets du système capitaliste mondial, dont elle est même devenue un pivot, à certains égards. Les Jeux de Beijing coïncident d’ailleurs avec l’entrée de la Chine dans le rang des grandes puissances.

Le fait même que la Chine soit l’hôte des Jeux olympiques reflète les enjeux géopolitiques mondiaux. Cela renforcera sans aucun doute son statut sur la scène internationale. Pour autant, il est difficile de concevoir que le Comité international olympique ait pu accorder les Jeux à Beijing sans l’accord explicite des dirigeants des États-Unis. Quant à eux, les dirigeants chinois n’en poursuivent pas moins leurs propres objectifs stratégiques à travers cette gigantesque opération.

C’est cette dynamique plutôt complexe qui forme la trame à partir de laquelle les médias états-uniens [et occidentaux, de manière générale] vont couvrir les Jeux. La propagande à laquelle ils ont déjà commencé à se livrer reflète les intérêts des États-Unis face à la Chine; elle vise à nous amener à voir les relations entre les deux pays à partir du prisme des intérêts de « notre » classe dominante. Cette propagande frappera constamment sur ces trois clous :

1. En s’extirpant de « la tyrannie et du chaos » de l’époque de Mao, la Chine a pu connaître un boom économique; toutefois, elle reste une société oppressive sur le plan politique, qui aurait intérêt à jouir de « l’ouverture » et des « libertés » qui caractérisent les démocraties occidentales.

2. La nature répressive du régime chinois est, dans une large mesure, l’héritage de l’époque de Mao et de son régime communiste et autoritaire.

3. La tenue des Jeux olympiques à Beijing marque l’émergence de la Chine dans le cercle des grandes puissances, mais la place qui lui sera conférée autour de la table des grands doit demeurer tributaire des exigences imposées par la puissance hégémonique incontestable que constituent les États-Unis.

Voyons maintenant ce qu’il en est et surtout, quels intérêts se cachent derrière ces thèmes de propagande.

La vraie nature de la Chine

Un article récemment publié par le San Francisco Chronicle (« Chinese Making a Great Leap Forward », 3/08/2008) a donné le ton : « Au moment où la République populaire de Chine s’apprête à recevoir les Jeux olympiques, ses 1,3 milliards d’habitants peuvent être fiers de ce qu’ils ont accompli depuis qu’ils se sont débarrassés de l’idéologie maoïste et ont embrassé les forces du marché. »

La Chine, il est vrai, affiche un taux de croissance élevé. C’est une puissance économique et politique montante. Mais cette croissance a été obtenue sur le dos de centaines de millions d’esclaves salariéEs dans les villes, et au prix de la dévastation des campagnes. Et cela s’est produit dans le cadre d’un système – le système impérialiste mondial – qui a perverti le développement économique du pays. Si la Chine s’avère effectivement une puissance économique montante, le cœur de son économie bat toujours au rythme d’un ordre mondial dominé par l’impérialisme US. Les investissements impérialistes y coulent à flots, tandis que les profits soutirés du travail des ouvriers ensevelis dans les mines de charbon et des ouvrières qui assemblent des jouets et des iPod pour les consommateurs occidentaux sortent du pays.

Dans les villes, il y a certes une classe moyenne en croissance, relativement prospère. Mais dans les usines, la journée de 16 heures est encore courante, et les salaires couvrent à peine la nourriture et le loyer. Le travail des enfants y est endémique. La sécurité au travail demeure une fiction, tandis que les grèves et les manifestations sont durement réprimées. Plus de 700 millions de ChinoisES vivent encore dans des campagnes désormais appauvries : la plupart doivent s’arranger pour survivre avec moins de 2$ par jour. Les écarts s’agrandissent et prennent désormais l’allure d’un gouffre entre les riches et les pauvres, et entre les villes et les campagnes, tandis que les femmes et les minorités nationales voient leurs conditions se détériorer.

La vraie nature de la société chinoise transparaît on ne peut plus clairement dans le coût humain énorme lié à la tenue des Jeux : plus d’un million et demi de personnes ont en effet été déplacées, leurs logements ayant été détruits pour faire place aux infrastructures olympiques. Les ouvriers ayant construit le fameux stade (le « Nid d’oiseau ») ont dû travailler sans relâche, comme des forcenés, neuf heures par jour et sept jours par semaine, pour un salaire de 50$/semaine. Des millions de migrantEs, venuEs des campagnes, ont été cavalièrement expulséEs de la capitale, afin de présenter une image « plus convenable » au reste du monde. Sans parler du fait que la tenue des Jeux fut l’occasion d’une augmentation de la répression contre les manifestations et les autres formes de protestation.

Pour l’impérialisme US, les Jeux de Beijing sont aussi l’occasion de faire valoir avec plus d’intensité leurs intérêts économiques et politiques. Liée au réseau NBC (qui en détient les droits de retransmission exclusifs), la compagnie General Electric a profité de l’aubaine pour augmenter considérablement ses investissements en Chine. La puissante multinationale est impliquée dans plus de 300 projets en rapport avec la tenue des Jeux; c’est elle, notamment, qui a fourni l’infrastructure technologique du stade olympique. Son PDG affirme qu’il compte sur les Jeux pour favoriser l’établissement d’un « climat de bonne volonté pour plusieurs décennies en Chine » (« Networks Fight Shorter Olympic Leash », The New York Times, 21/07/2008).

Le véritable héritage de Mao

La Chine n’a pas toujours été telle qu’on la voit ces jours-ci. De 1949 à 1976, c’était un pays socialiste, où on luttait pour mettre fin aux rapports d’exploitation et faire reculer les idées qui y sont associées. « L’époque de Mao », comme on l’appelle, est l’objet de calomnies systématiques. Au cours des deux prochaines semaines, nul doute qu’on en entendra des vertes et des pas mûres… Voici pourtant quelques faits, dont NBC [et la SRC] ne parlera sûrement pas au cours des prochains jours :

• Au moment de la révolution en 1949, l’espérance de vie en Chine n’était que de 32 ans. Moins d’une personne sur six pouvait lire et écrire. Des famines périodiques faisaient en sorte que des milliers de gens crevaient de faim. Le peuple chinois était écrasé par ce que Mao appelait « les trois montagnes » qui le maintenaient dans la misère – savoir l’impérialisme, le féodalisme et le capitalisme bureaucratique (lié au capital impérialiste). Cette situation avait été rendue possible par la force des armes et les agressions militaires successives auxquelles la Chine avait été soumise. Elle était accompagnée d’une oppression politique et culturelle systématique.

• La révolution socialiste a libéré le pays des chaînes de l’impérialisme et permis une amélioration spectaculaire des conditions de vie des masses. L’espérance de vie en Chine a plus que doublé entre 1949 et 1975, passant de 32 à 65 ans. Au début des années 1970, le taux de mortalité infantile à Shanghai (la plus grande ville de Chine) était plus bas qu’à New York… Quand Mao est mort en 1976, près de 90% de la population chinoise savait lire et écrire. Les soins de santé (gratuits, ou presque), l’éducation et les activités politiques et culturelles étaient désormais accessibles dans les campagnes. Et les femmes avaient réalisé de grands pas sur le chemin de l’égalité.

Le summum de cette riche expérience, ce fut bien sûr la Révolution culturelle, tant décriée, qui a vu les couches populaires émerger en masse sur la scène politique et participer aux débats, aux manifestations et aux luttes comme cela ne s’était jamais vu, en Chine ou ailleurs. Sous la direction de Mao et du quartier général révolutionnaire au sein du Parti communiste, les masses se sont mobilisées pour identifier et déraciner les reliquats de l’ancienne société et combattre les nouvelles formes d’exploitation aux niveaux économique, politique et idéologique – et ceux, comme Deng Xiaoping, qui les soutenaient.

Après la mort de Mao en 1976, les forces pro-capitalistes au sein du parti ont organisé un coup d’État et renversé le socialisme. Elles ont emprisonné des dizaines de milliers de révolutionnaires, incluant ses plus proches collaborateurs (la fameuse « bande des quatre »), et réintroduit la Chine dans la grande chaîne impérialiste. Depuis, la Chine est redevenue un pays capitaliste.

La révolution chinoise fut certes complexe, et comme toutes les grandes œuvres qui naissent, elle fut traversée par bon nombre de contradictions. Au total, elle représente une formidable avancée qu’il faut étudier, dont il faut faire le bilan et tirer les leçons, afin de préparer la prochaine étape de la révolution mondiale.

Chose certaine, pour l’impérialisme et ses laquais, la révolution chinoise demeure l’une des pires choses qui ne soient jamais arrivées. Elle a arraché le quart de l’humanité des griffes du système mondial d’exploitation. Elle fit aussi puissamment contrepoids au pouvoir politique, économique et militaire de l’impérialisme. Voilà pourquoi les impérialistes se sont tellement réjouis quand le socialisme y a été renversé, eux qui n’ont d’ailleurs pas perdu de temps pour inonder la Chine de leurs investissements.

Présentement, l’impérialisme US plume la Chine à deux titres : d’une part, ses investissements lui permettent d’engranger d’énormes profits; d’autre part, il utilise les conditions plutôt répugnantes qu’on y retrouve – et dont il profite, par ailleurs – pour en imputer la faute au socialisme et au communisme, en associant ces tares à l’époque de Mao, dont elles constitueraient des vestiges.

La montée de la Chine dans un monde dominé par l’impérialisme US

Les Jeux de Beijing marquent l’entrée de la Chine dans le cercle des grandes puissances politiques et économiques. Cela se produit toutefois dans un contexte particulier, où l’impérialisme US s’avère l’unique superpuissance mondiale. Dans une série d’articles en cours de publication (« Shifts and Faultlines in the World Economy and Great Power Rivalry : What is Happening and What It Might Mean », dont les trois premiers extraits sont déjà disponibles sur www.revcom.us), l’économiste maoïste Raymond Lotta écrit :

« La dynamique de la montée de la Chine est relativement complexe. Elle est toutefois façonnée par la contradiction entre sa force économique grandissante et le fait qu’il s’agit toujours d’un pays dépendant. La Chine dépend en effet du capital et des marchés étrangers. En même temps, elle émerge au titre de puissance économique mondiale, notamment par la place centrale qu’elle occupe dans la production manufacturière. La Chine a accumulé d’importantes réserves en devises étrangères, ce qui lui confère un avantage face au dollar. Elle se montre plus agressive dans la recherche de nouveaux marchés, particulièrement dans les pays du tiers-monde, et exporte de plus en plus de capitaux hors frontières. »

En outre, la montée de la Chine se produit dans un contexte où les États-Unis occupent toujours le premier rang de l’économie mondiale : « Les États-Unis représentent la “colle” qui cimente l’ensemble des morceaux. Politiquement et militairement, ils sont garants d’un ordre mondial qui profite à l’ensemble des grandes puissances, à tout le moins pour le moment. […] Au plan économique, les États-Unis sont en déclin. Mais l’impérialisme US dispose d’une capacité militaire inégalée face à ses rivaux, actuels et potentiels. Depuis 2001, il s’appuie fortement sur cet avantage, comme en témoigne la guerre en Irak et en Afghanistan, qui vise essentiellement à sécuriser sa domination absolue pour les prochaines décennies. »

Les relations complexes et contradictoires entre les deux pays constituent la trame de fond de la propagande états-unienne autour des Jeux de Beijing. Elles expliquent pourquoi les États-Unis soufflent le chaud et le froid à propos de la Chine, alternant les critiques du rôle qu’elle joue au Darfour (ou de ses relations avec le régime Mugabe au Zimbabwe) et les encouragements envers sa « modernisation ».

La nature des relations entre les deux pays éclaire la teneur des reportages qu’on peut actuellement lire et entendre dans les médias à propos des « horreurs » qui se produisent en Chine, où l’on dénonce les salaires de crève-faim et les conditions de travail désastreuses dans les usines, l’extrême pauvreté qui sévit dans les campagnes ou encore, la répression des dissidentEs.

Ces reportages envoient le message que la Chine n’est pas assez fiable et « bonne joueuse » pour être considérée comme un partenaire égal dans le cercle des grands : la Chine doit changer, dit-on, dans le sens où elle doit se plier aux normes imposées par les États-Unis. On est prêt à conférer un certain rôle à la Chine, mais uniquement dans le cadre délimité du système impérialiste mondial.

En outre, les situations qu’on déplore s’expliqueraient essentiellement par la culture de copinage et de corruption qui y règne, qui découlerait elle-même du monopole politique du Parti communiste. Cette « analyse » vise à justifier la position dominante des États-Unis et à obscurcir la véritable cause de la pauvreté et de la répression en Chine : dans les faits, ces horreurs sont le produit du capitalisme et de la position désavantageuse de la Chine à titre de pays dominé.

La condamnation états-unienne de l’exploitation des ouvriers et des paysans et de la répression en Chine est purement hypocrite. Les États-Unis crient au meurtre à propos du traitement que la Chine réserve aux TibétainEs, mais ils se gardent bien de faire le parallèle avec la situation des NoirEs aux États-Unis, où un jeune sur neuf croupit en taule. Ils s’insurgent contre les conditions déplorables des migrantEs, qui sont techniquement considéréEs comme des « illégaux » dans les villes chinoises, tout en taisant le fait qu’au moins 10 millions de sans-papiers sont brutalement exploités aux États-Unis, où ils subissent les raids terroristes des agents des services d’immigration. Et pendant que le gouvernement états-unien surveille illégalement les appels téléphoniques de millions de citoyenNEs, il a le culot de dénoncer le contrôle de l’Internet par le gouvernement chinois…

* * *

On estime qu’au cours des deux prochaines semaines, plus de quatre milliards de personnes suivront les Jeux de 2008. Plus que jamais, les Jeux olympiques symbolisent cette dichotomie entre des performances athlétiques inspirantes qui nous tiennent en haleine et le fait que cette fête est imprégnée par les rivalités entre les grandes puissances et marquée par une forte dose d’idéologie empoisonnée. Dans ce contexte, on peut certes affirmer que la rivalité entre les États-Unis et les Chine se fera sentir autant sur piste que hors piste.

Traduit et abrégé d’un article paru dans l’hebdomadaire Revolution du RCP,USA (n° 139, disponible sur www.revcom.us).

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Article paru dans Le Drapeau rouge-express, nº 186, le 10 août 2008.
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