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Julie Couillard et les motards : Les années dangereuses (1ere partie)Anonyme, Martes, Julio 1, 2008 - 01:08
Le Bureau des Affaires Louches
Julie Couillard, l'ex-copine de Maxime Bernier, a eue au cours des quinze dernières années trois conjoints qui ont tous été liés, à des degrés divers, à l'univers des groupes de motards. Afin de mieux discerner le sens qu'il faut donner aux révélations entourant le passé de Julie Couillard, le BUREAU DES AFFAIRES LOUCHES a décidé de se pencher sur la question de la complicité des conjointes ou ex-conjointes de motards. Nous vous proposerons ensuite d'examiner plus en détail les controverses auxquelles fut mêlée Gilles Giguère, conjoint de Julie Couillard qui est mort assassiné en 1996 dans des circonstances plutôt troubles. Par le Bureau des Affaires Louches Comme on le sait, Julie Couillard, l'ex-copine de Maxime Bernier, a eue au cours des quinze dernières années trois conjoints qui ont tous été liés, à des degrés divers, à l'univers des groupes de motards. De 1993 à 1996, Julie Couillard partagea sa vie avec Gilles Giguère, qui fut l'associé de l'un des usuriers les plus prospères de Montréal, Robert Savard. Proche de Maurice «Mom» Boucher, un des plus célèbres membres des Hells Angels québécois, Giguère mourut assassiné peu de temps avant la date prévu de son mariage avec Couillard. L'année suivante, Julie Couillard fréquenta Stéphane Sirois, un membre des Rockers, un club affilié aux Hells. Couillard épousa Sirois après son départ des Rockers, mais leur union ne fit pas long feu. Notons que tout ceci se passait à l'époque où les Hells Angels et une coalition de rivaux appelée l'Alliance se livrait une guerre sans merci qui fit 165 morts et donna lieu à 181 tentatives de meurtre en l'espace de sept ans. Puis, de 2004 jusqu'au début de 2005, Julie Couillard entretint une liaison avec Robert Pépin, un individu condamné pour recel qui s'était endetté auprès d'un usurier proche des Hells. À cela s'ajoute le fait que son frère, Patrick Couillard, offre des services de massothérapeute au Pro-gym, un centre d'entraînement reconnu comme étant un point de rencontre réputé pour des membres et sympathisants des Hells. Quant à son père, Marcel Couillard, il fut trouvé coupable d'avoir produit de la marijuana avec un système hydroponique mis sur pied par Sirois. Enfin, avant même de se lier à des hommes du milieu des motards, Julie Couillard avait été l'amie de coeur de Tony Volpato, un des hommes de confiance du célèbre mafieux Frank Cotroni, aujourd'hui décédé. «J'ai jamais été accusée d'aucun acte criminel», se défendit Couillard lors de la fameuse entrevue qu'elle accorda au réseau TVA, le 25 mai, soit la veille de la démission de Maxime Bernier de son poste de ministre des Affaires étrangères. C'était la première fois que Couillard s'exprimait en public depuis qu'elle s'était retrouvée bien malgré elle au coeur d'une tempête médiatique qui avait débutée trois semaines plus tôt. Tout en reconnaissant que ses anciens amours n'étaient pas des enfants de choeur, Couillard n'eut que de bons mots à dire au sujet de son ancien milieu. «Premièrement, ces gens-là, j'ai absolument rien à dire contre eux», commença-t-elle. «Ils m'ont toujours bien traités. Et puis, je tiens à dire, y ont peut-être pas le panache et l'allure des diplomates, mais je vais vous dire une chose, je me sentais beaucoup plus respectée et beaucoup plus en sécurité que je me suis senti au cours des trois dernières semaines, aussi invraisemblable que ça peut sembler aux gens.» Bref, Couillard ne cacha pas qu'elle se sentait tout à fait à son aise au sein du milieu interlope. Bien entendu, l'intense couverture médiatique de l'affaire Bernier-Couillard occasionna des débats relativement à l'intérêt journalistique de fouiller le passé de cette femme. Il faut tout de même reconnaître que la relation Bernier-Couillard avait quelque chose de particulièrement tordu sur le plan politique. N'oublions pas que Bernier fut un ministre de premier plan d'un gouvernement conservateur ouvertement pro-flic qui avait fait de la lutte à la criminalité l'un de ses principaux cheval de bataille électoral. Or, Bernier a pourtant choisit d'avoir pour amie de coeur une femme qui, non seulement a eu plusieurs hommes liés au milieu interlope dans sa vie, mais entretenait aussi une haute estime des motards par-dessus le marché. Lors de son entrevue à TVA, Couillard déclara que Bernier, aujourd'hui devenu simple député, «était tout à fait au courant de tout». Bernier l'a récemment contredit sur ce point, en affirmant que ni elle, ni personne d'autre, ne l'avait «informé de ses liens passés avec des personnes impliquées dans le crime organisé». Lors d'un discours prononcé devant ses partisans, en Beauce, l'ex-ministre conservateur prétendit n'avoir appris l'existence du passé trouble de Couillard seulement le 20 avril dernier, soit environ deux semaines avant que l'affaire n'éclate sur la place publique. Cette affirmation fut toutefois accueillie avec un certain scepticisme à Ottawa. En effet, selon Le Devoir, le bureau du premier ministre Stephen Harper avait été contacté à ce sujet par des journalistes de la colline parlementaire bien avant le 20 avril. (1) Aux yeux de plusieurs observateurs, il apparaît peu vraisemblable que Bernier soit demeuré dans l'ignorance après que le bureau de Harper eut été mis au parfum. Il va de soit que ce n'est pas un crime en tant que tel que d'être la blonde d'un homme vivant des fruits de la criminalité, aussi bandit soit-il. Cela étant, il reste que les femmes qui unissent leur destinée à celle d'hommes du milieu des motards ne peuvent faire autrement que d'avoir une assez bonne idée de ce qui se passe dans la vie de leur conjoint. Après tout, ces femmes ne vivent pas dans une bulle qui les isolent de tous les aspects du monde criminel, au contraire. Elles se retrouvent par la force des choses à partager certains des bons et des mauvais côtés de la vie de motards. Si elles profitent nécessairement d'une partie des dividendes découlant des activités criminelles de leur conjoint, il peut aussi leur arriver de partager les risques inhérents au mode de vie de gangster. Fait significatif, l'État québécois juge que les liens de ces femmes avec les groupes de motards sont si étroits qu'il leur refuse l'accès au programme d'indemnisation des victimes d'actes criminels (IVAC) lorsque leur conjoint trouve la mort de manière violente. (2) Comme la plupart des femmes du milieu, Couillard n'était pas dupe et savait elle aussi ce qui se passait. «Je ne suis pas ici pour passer pour une innocente», a elle-même dit Couillard à un certain moment durant son entrevue à TVA. Ainsi, La Presse rapporta récemment que Couillard était parfois présente lorsque Gilles Giguère faisait pression sur des créanciers tardifs. D'ailleurs, selon Stéphane Sirois, Couillard n'aurait jamais vraiment coupé les ponts avec le milieu. La GRC l'avait même placée sous surveillance lors de l'enquête antidrogue qui mena à l'arrestation de son père, en 1998. Puis, lorsque Sirois confia à Couillard que «Mom» Boucher aurait envisagé de l'éliminer, c'est à un personnage bien connut du milieu qu'elle s'adressa pour tirer cette affaire au clair. Enfin, les récentes allégations de Marie-Claude Montpetit, une ancienne conseillère en immigration, à l'effet que Couillard aurait été tenancière de deux maisons de débauche dans lesquelles des immigrantes auraient été forcées de se prostituer suggèrent que l'ex-petite amie de Bernier pourrait avoir jouée un rôle plus actif qu'on ne l'aurait cru à prime abord dans le monde criminel. (3) Bref, il semble difficile de ne pas se salir un peu les mains de temps à autres quand on côtoie d'aussi près un milieu aussi criminalisé que celui des motards... au même titre qu'il ne doit pas être particulièrement évident de se tenir loin de la magouille lorsqu'on trempe jusqu'au cou dans le monde politique ! Étonnamment, en dépit d'un intérêt médiatique soutenu pour tout ce qui touche aux affaires de motards, très peu de choses ont été écrites au sujet de la place qu'occupent les femmes dans ce milieu très masculin. Le BUREAU DES AFFAIRES LOUCHES a donc décidé de se pencher sur la question de la complicité des conjointes ou ex-conjointes de motards afin de mieux discerner le sens qu'il faut donner aux révélations entourant le passé de Julie Couillard. Nous entendons nous limiter à énumérer quelques cas qui apparurent dans l'actualité québécoise au cours des dix dernières années. Après avoir fait un petit survol de cette question, nous vous proposerons ensuite d'examiner plus en détail le parcours de vie de Gilles Giguère (dans la 1ère partie) et de Stéphane Sirois (dans la 2ième partie) ainsi que leur relation respective avec Julie Couillard sur fond de «guerre des motards» et d'enquêtes policières. De la complicité des conjointes Si l'on se fie aux arrestations effectuées par les escouades spéciales, l'implication de la gente féminine dans les activités criminelles des groupes de motards existe mais reste marginale. Prenons par exemple la gigantesque rafle de l'opération Printemps 2001. Sur les 118 membres, aspirants ou complices des Hells Angels qui furent arrêtés le 28 mars 2001, on dénombra seulement trois femmes. (4) Les accusations auxquelles celles-ci durent répondre découlait de l'enquête appelée Projet Océan, qui visait la vaste de machine de narcotrafic des Hells. Fait inusité, c'est une femme qui avait permit à la police d'amasser suffisamment de preuves pour clore le Projet Océan. (5) D'origine bolivienne, Sandra Craig avait introduit certains Hells à des narcotrafiquants colombiens. Craig n'avait pas particulièrement appréciée de faire l'objet d'une tentative d'assassinat après s'être faite roulée par ses contacts chez les Hells. Elle se vengea en remettant aux policiers des documents incriminants qui établissaient un lien entre le trafic de drogue et «la banque des Hells», un appartement inhabité de la rue Beaubien, à Anjou, qui servait de comptoir bancaire aux motards. Parmi les trois femmes accusées du Projet Océan, on retrouvait Monique Gauthier, qui était l'ex-épouse de Michel Rose, un membre du chapitre des Nomads, le club-élite des Hells. Lors de son arrestation, Gauthier fut trouvée en possession de 3,78 millions $CAN et de 161 000 $US. Bien que son rôle s'était limitée au comptage de l'argent sale à la «banque des Hells», Gauthier fut condamnée à purger cinquante-quatre mois de prison après avoir plaidée coupable à des accusations de trafic de stupéfiants, de complot pour faire du narcotrafic et de gangstérisme. (6) Chantal Contant, une autre des femmes accusées, avait été arrêtée pour avoir transportée des sommes d'argent totalisant 40 000 $ à la «banque des Hells». Elle déposait les fonds dans un compte au nom de «Gertrude», que la police relia à son ami, Walter Stadnick, lui aussi des Nomads. Sans antécédent judiciaire, Contant fut l'une des rares accusées à bénéficier d'une remise en liberté en attente de procès. Elle écopa d'une amende de 15 000 $ et d'une probation de deux ans après avoir avouée sa culpabilité à une accusation de possession d'un produit de la criminalité. (7) Mais les statistiques policières en matière d'arrestation ne disent pas tout sur le phénomène de la complicité des conjointes de motards. Si l'on reste dans le registre de l'argent sale, on peut mentionner le cas de la criminologue Danielle Saint-Arnaud, ex-épouse de Normand Bélanger, dit «Pluche». St-Arnaud n'a jamais été accusée pour avoir cachée dans un réfrigérateur une somme s'élevant à 245 000$ que les policiers saisirent lors de l'opération Printemps 2001. (8) Surnommé «l'homme à la valise», Bélanger était réputé être le «grand argentier» des Rockers. Il était devenu un «prospect» des Nomads lorsqu'il fut arrêté sous onze accusations de meurtre d'individus associés à l'Alliance, ainsi que complot pour meurtres, trafic de drogue et gangstérisme, lors de la grande rafle de mars 2001. Gravement atteint d'une maladie mortelle incurable, le juge Pierre Béliveau de la cour supérieure du Québec autorisa sa remise en liberté sous de sévères conditions, en septembre 2002. Le tribunal lui ordonna notamment de s'abstenir de tout contact avec des membres ou des proches des Hells et leurs conjointes, et de demeurer chez... son ancienne épouse. Dans son jugement, le juge Béliveau mentionna qu'«il faut prendre acte que lorsqu'elle faisait vie commune avec M. Bélanger, Mme St-Arnaud était consciente du fait que ce dernier vivait dans l'illégalité, sans nécessairement connaître son appartenance aux Hell's Angels, qu'elle a profité de la situation et qu'elle l'a même aidé, notamment en lui servant de prête-nom et en détenant un coffret de sûreté où ce dernier a placé d'importantes sommes d'argent.» (9) Le juge exprima ensuite l'avis que St-Arnaud et son nouveau conjoint étaient «des personnes sérieuses qui ne sauraient être définitivement discréditées du fait de leur complaisance passée, sinon de leur complicité». Pour cette raison, le tribunal se disa «convaincu qu'ils ne toléreraient pas que M. Bélanger profite de la situation pour contacter ses complices». Toutefois, le 26 février 2004, lorsque la police lança l'opération Sud qui visait les Hells qui auraient pris la relève après Printemps 2001, Bélanger figurait parmi les quelques quarante accusés... (10) «Pluche» retourna donc derrière les barreaux en attendant de répondre à des accusations de prêt usuraire et de gangstérisme. Toutefois, en mai 2004, la maladie eut raison de Bélanger, qui rendit l'âme dans un centre de soins palliatifs. Selon journaliste André Cédilot, de La Presse, les biens que les motards acquièrent avec l'argent sale sont souvent enregistrés au nom de leur femme, ainsi que les membres de leur famille. (11) Dans la foulée de Printemps 2001, les tribunaux prononcèrent plusieurs ordonnances de blocage de biens. Il ne s'agissait-là que de la première étape d'un processus menant ultimement à la confiscation des biens jugés suspects par l'État. On parle notamment de maisons qui, selon la police, auraient été acquise avec les profits faramineux du narcotrafic. Moins de deux semaines après la vague d'arrestations du 28 mars 2001, Claude Olivier, un avocat criminaliste, fut mandaté pour contester devant les tribunaux les ordonnances de blocage de biens. (12) «Actuellement, j'ai comme clients huit femmes ou conjointes de Hells détenus et d'autres viendront bientôt s'ajouter», déclara-t-il à La Presse à l'époque, ajoutant qu'il ne fallait pas oublier qu'il y avait des femmes et des enfants derrière les motards arrêtés et qu'à la suite des ordonnances de blocage, ces personnes se retrouvèrent sans le sou. L'État québécois chercha notamment à confisquer les avoirs de Normand Robitaille, un Nomad qui avait plaidé coupable à des accusations de complots pour meurtres, trafic de stupéfiants et gangstérisme plus de deux ans après son arrestation de mars 2001. La valeur combinée des biens visés s'élevait à un million de dollars, ce qui incluait des immeubles, des véhicules, des meubles, 200 000 $ argent liquide, mais aussi une maison de 140 000 $, à La Prairie, que Robitaille avait acheté en 1993 avant de la revendre deux ans plus tard à sa conjointe de fait, Annie-Sophie Bédard, une avocate criminaliste. Selon la poursuite, les revenus déclarés de Me Bédard, qui s'établissaient à seulement 14 000 $ en 1995, ne permettait pas à celle-ci de débourser une hypothécaire mensuelle de 1050 $. (13) En mars 2005, la cour supérieure rendit jugement en ordonnant la confiscation de 500 000 $ en biens, soit la moitié des avoirs visés. La maison de La Prairie figura parmi les biens qui échappèrent à l'État. «Bien qu'on puisse avoir des doutes sur les intentions véritables des parties au contrat de vente», écrivit le juge Réjean Paul, «ces doutes sont insuffisants pour ordonner la confiscation de cet immeuble». (14) Il n'y a pas que chez les Hells que les conjointes peuvent être appelées à jouer un rôle dans le recyclage des produits de la criminalité, communément appelé le blanchiment d'argent. Certaines conjointes des membres et associés des Rock Machine, le groupe le plus connut et le plus important de l'Alliance, se retrouvèrent dans le collimateur de la justice à la suite du blocage en biens totalisant 4,4 millions $, incluant les repaires fortifiés de Montréal et de Québec des Rock Machine. En mai 1998, l'enquête policière aboutissa au dépôt de quatre-vingt treize accusations de narcotrafic et de blanchiment d'argent contre neuf personnes, dont certaines des principales têtes dirigeantes des Rock Machine, tels que les frères Salvatore et Giovanni Cazzetta, de Montréal, et Claude Vézina, dit «Ti-Loup», et Dany Légaré, de Québec. (15) Parmi les autres accusés, on retrouvait pas moins de quatre femmes, soit Maria Cazzetta et Suzanne Poudrier, dont les conjoints respectifs mourront tous deux assassinés durant la «guerre des motards» (16), ainsi que France Gauthier et Hélène Filion, respectivement la conjointe et l'ex-femme de Vézina. Après un long procès, Maria et Giovanni Cazzetta, Suzanne Poudrier et un quatrième accusé, Gilles Lambert, furent tous trouvés coupables de complot pour possession et possession de produits de la criminalité, en juin 1999. Les deux veuves s'en tirèrent chacune avec une peine d'un an avec sursis, en plus de la confiscation des biens visés par l'accusation, dont la valeur s'établissait à 655 093 $ dans le cas de Maria Cazzetta et à 345 387 $ dans le cas de Poudrier. (17) Giovanni Cazzetta reçut quant à lui une sentence de cinq années d'emprisonnement consécutive à la peine qu'il purgeait déjà pour trafic de cocaïne, tandis que Lambert écopa de trois ans de pénitencier. Trois mois plus tard, Vézina et Légaré plaidèrent tous deux coupables aux accusations de possession de produits de la criminalité. (18) Ils reçurent respectivement des sentences de quatre et de trois ans d'emprisonnement à être purgées de façon concurrente avec les peines de sept et de cinq ans d'incarcération auxquelles ils avaient été condamnés, deux ans plus tôt, pour possession d'explosifs et narcotrafic. Quant à l'ancienne et la nouvelle conjointe de Vézina, qui n'avaient fait qu'agir comme prête-nom, elles bénéficièrent d'un arrêt des procédures. Règle générale, la blonde d'un homme du milieu des motards ne s'impliquera pas directement dans les activités de trafic de drogue de son conjoint. Mais il existe des exceptions. Manon L'Espérance en était une. Mère de trois enfants, L'Espérance était la conjointe de Pierre Tremblay, dit «Gros Pit», un individu que la police décrivait comme étant «le roi du PCP» au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Tremblay était une relation d'affaires des Satan's Guards, un club-école du Saguenay qui était parrainé par le chapitre de Trois-Rivières des Hells Angels. «Gros Pit» était notamment l'un des neuf copropriétaires du local des Satan's Guards, situé à Chicoutimi. Selon la police, les membres des Satan's Guards et leurs acolytes exercèrent un quasi-monopole sur la vente de drogue et firent la loi dans les bars de la région durant une dizaine d'années. (19) Leur mainmise sur le marché fut quelque peu ébranlée par une série de razzias policières, à commencer par l'opération Tip lancée le 29 mars 2000. Ce jour-là, la police perquisitionna le local des Satan's Guards et procéda à l'arrestation de dix-huit personnes, qui durent répondre d'un total de soixante-quatorze accusations, dont celles communes de complot pour faire le trafic de stupéfiants. Parmi les accusés, on retrouva le couple L'Espérance-Tremblay, chez qui les policières saisirent un kilogramme et demi de PCP. Alain L'Espérance, le frère de Manon, fut également arrêté. Accusée de complot et de narcotrafic, Manon L'Espérance était considérée par la police comme l'une des principales têtes de ce vaste réseau d'approvisionnement et de revente de PCP, dont les ramifications s'étendait jusqu'à la ville de Québec et même aux Escoumins, sur la Côte-Nord. Depuis au moins trois ans, L'Espérance dirigeait deux établissements, l'un à La Baie et l'autre à Chicoutimi, où se transigeaient entre 300 et 500 quarts de gramme de cocaïne par semaine, selon l'évaluation policière. (20) Quant à son conjoint, «Gros Pit» Tremblay, il dû répondre à lui seul d'une cinquantaine de chefs d'accusations. Lui et Alain L'Espérance furent d'ailleurs les seuls accusés à demeurer détenu en attente de leur procès. Bien que la police plaçait Manon L'Espérance au sein de la cellule de commandement du réseau, la couronne a consenti à sa remise en liberté sous diverses conditions. Puis, en juin 2001, la couronne décida de faire la monter la pression en se prévalant de la loi antigang contre six accusés, incluant Manon L'Espérance, son conjoint et son frère Alain. Ceux-ci durent désormais répondre de deux nouvelles accusations, soit complot et trafic de stupéfiants au profit d'une organisation criminelle (gangstérisme). (21) Il s'agit d'infractions criminelles dont la peine maximale est de quatorze années d'emprisonnement qui doivent être purgées de façon consécutive au reste de la sentence. Les procédures prirent fin le 3 avril 2002, lorsque l'ensemble des accusés enregistrèrent des plaidoyers de culpabilité. Manon L'Espérance se reconnut coupable des accusations de complot, de trafic et de gangstérisme et s'en tira avec une sentence de deux ans moins un jour à purger dans la collectivité, une suggestion commune de son avocat et du procureur de la couronne. (22) Tenant compte de l'absence d'antécédents judiciaires de la mère de famille, le juge Jean-Claude Beaulieu décrivit L'Espérance comme une femme soumise à son conjoint. Selon les observations du magistrat, Tremblay aurait d'ailleurs exercé une emprise sur tous les accusés dans ce dossier. Une lettre que Manon L'Espérance avait adressé à son conjoint et qui fut saisie par la police lors de la perquisition joua également en la faveur de l'accusée. Écrite deux mois avant l'opération Tip, la lettre révélait que la conjointe de «Gros Pit» en avait assez de cette vie-là. Le juge Beaulieu profita d'ailleurs de l'occasion pour lancer un appel à toutes les femmes de dénoncer leurs conjoints lorsqu'ils les incitent à briser la loi. Quant à Tremblay lui-même, il fut condamné à une peine à de deux ans moins un jour d'emprisonnement. Bien entendu, la complicité des conjointes de motards peut prendre des formes diverses et varier selon les circonstances. En avril 2003, lorsque les policiers parvinrent à mettre le grappin sur André Chouinard, un ex-Nomad qui était en cavale depuis l'opération Printemps 2001, ils procédèrent également à l'arrestation de sa conjointe, Lynn Maybury. (23) Celle-ci fut accusée de complicité après le fait pour avoir aidé Chouinard à échapper aux autorités qui le recherchait pour l'inculper du meurtre de huit individus associés à l'Alliance, ainsi que d'importation de milliers de kilos de cocaïne, de trafic de stupéfiants et de gangstérisme. Le mariage du couple Chouinard-Maybury avait été célébré en grande pompe au Château Vaudreuil, un chic hôtel de la banlieue ouest de Montréal, en mai 1999. La noce fut immortalisée sur une bande vidéo qui fut diffusée lors du mégaprocès des Hells, ce qui avait fait beaucoup jaser à l'époque car on y voyait notamment certains avocats de la défense s'en donner à coeur joie sur la piste de danse. Notons que Chouinard avait été l'un des Hells avec qui Sandra Craig avait fait affaire. Vers la fin de l'année 2000, le scandale des taupes à la Société d'assurance automobile du Québec (SAAQ) révéla que deux femmes ayant entretenu des liaisons amoureuses avec des motards avaient vendus des renseignements aux Hells Angels et aux Rock Machine, selon le cas. Il y a d'abord eut le cas de France Garon, une employée de la SAAQ vivant à Charlesbourg qui avait été la conjointe d'un Rock Machine. Garon travaillait depuis une dizaine d'années au département du support technique pour les permis et immatriculation de la SAAQ, ce qui lui donnait accès à des banques de renseignements personnels contenant des noms, adresses et numéros de plaques. (24) Se sentant mis sous filature, certains Rock Machine recherchaient des informations sur des véhicules qu'ils jugeaient suspects. Garon, qui avait des dettes de jeu, leur vendit des renseignements sur une vingtaine de plaques, dont une seule appartenait à un Hells, soit un membre du chapitre de Trois-Rivières. (25) Elle fut piégée par un proche des Rock Machine devenu informateur. Arrêtée en décembre 2000, Garon plaida coupable à des accusations d'abus de confiance et reçut une peine d'un an avec sursis. La deuxième affaire de fuite à la SAAQ eut des conséquences beaucoup plus sérieuses. Une femme qui, selon la police, était une ancienne maîtresse d'un haut dirigeant des Hells avait utilisée illégalement le fichier informatique de la SAAQ pour recueillir des renseignements personnels sur onze individus associés aux Rock Machine ainsi que sur le journaliste Michel Auger. (26) Au moins trois de ces personnes furent ensuite tuées et six autres furent victimes de tentative d'assassinat, dont Michel Auger, ce qui porta à croire que les informations ainsi recueillies servaient à préparer des meurtres. La taupe ne travaillait pas à la SAAQ, mais bien chez un de ses mandataires, en l'occurrence Accès-Sport, un organisme voué à la réinsertion socio-économique. En mai 2001, Ginette Martineau et son conjoint, Raymond Trudeau, durent répondre d'un total de cent chefs d'accusation d'abus de confiance et d'utilisation frauduleuse des ordinateurs de la SAAQ. L'enquête permit d'établir que c'était Trudeau qui se chargeait de fournir les renseignements de la SAAQ à un contact chez les Hells. (27) En juin 2002, Martineau et Turgeon plaidèrent coupable et furent condamnés respectivement à trente-huit mois et à cinq ans de prison. Les femmes du milieu de motards ne s'exposent pas seulement à des risques d'arrestation et d'emprisonnement. Comme nous le verrons dans la deuxième et dernière partie de cette série d'articles, l'ex-Rocker Stéphane Sirois affirme aujourd'hui que Julie Couillard aurait été en danger de mort parce qu'un influent membre des Hells Angels l'aurait soupçonné d'être de mèche avec la police. Durant la «guerre des motards», il arriva à au moins deux reprises que des conjointes liées aux deux camps belligérants se fassent tirer dessus. Bien qu'il n'y a rien qui démontre que les balles leur était spécifiquement destinées, il convient tout de même de remarquer que les deux incidents survinrent à moins de deux semaines d'intervalle. Ainsi, le 20 septembre 1999, Sandra Gloutney, la conjointe du Nomad Denis Houle, dit «Pas Fiable», vit la mort de près lorsqu'un tireur embusqué ouvrit le feu sur son véhicule alors qu'elle quittait sa résidence, à Piedmont. (28) L'un des projectiles manqua de peu la tête de Gloutney, qui était au volant du véhicule, tandis que son frère qui était passager s'en tira indemne. Blessée au bras gauche, Gloutney fut conduite à l'hôpital, mais refusa de porter plainte. Quatre ans plus tôt, Houle avait lui-même été la cible d'une tentative de meurtre. Puis, le 1er octobre suivant, Sunny Doucet fut à son tour blessée par balles lors de l'assassinat de son conjoint, Tony Plescio, un membre des Rock Machine. Plescio sortait d'une fête pour enfants qui se déroulait dans un restaurant McDonald, à Montréal-Nord, lorsqu'il fut abattu. De son côté, Doucet se trouvait dans le stationnement du McDonald et cherchait des couches dans le coffre arrière de sa voiture lorsqu'elle reçut une balle au pied à peine quelques instants avant de voir son conjoint s'écrouler sous les balles. (29) Le frère de Tony, Johnny Plescio, un membre fondateur Rock Machine, fut quant à lui assassiné l'année précédente, à Laval. Bien que les assassinats de conjointes de motards soit un phénomène rarissime, la chose reste dans le domaine du possible. Natacha Desbiens, la conjointe de Stéphane Hilareguy, dit «Archie», un membre des Rockers, devint la 146e victime de la «guerre des motards» lorsque son corps carbonisé fut découvert dans sa maison incendiée à Saint-Roch-de-Richelieu, sur la Rive-Sud de Montréal, le 16 juin 2000. (30) Desbiens avait été abattue d'une balle dans la tête tandis que les restes de Hilareguy seront retrouvés à Potton, en Estrie, le 6 avril 2002. (31) L'unique survivant de la tuerie fut le bébé du couple, âgé de deux mois et demi, qui fut découvert la nuit du sinistre par des secouristes sur le terrain adjacent à la résidence. Dans le milieu des motards, la rumeur voulait que Hilareguy a été liquidé parce qu'il avait négligé de mettre le feu à une camionnette qui avait été utilisée pour commettre un meurtre à Montréal-Nord. Lorsque les policières mirent la main sur le véhicule des tueurs, ils trouvèrent une foule d'indices à l'intérieur, dont des empreintes digitales. Quant à sa conjointe Desbiens, elle était perçue comme un danger par certains Hells parce que Hilareguy aurait eu la mauvaise idée de lui faire trop de confidences... (32) L'avocat, l'ex-flic, le shylock Née le 21 juin 1969, Julie Couillard est issue d'une famille de trois enfants. Elle vécut une enfance apparemment sans histoire à la ville de Lorraine, dans les Basses-Laurentides, avant de déménager dans le secteur de Ville-Émard, dans le sud-ouest de Montréal. Elle occupa divers petits emplois avant de tenter sa chance dans le showbiz québécois en tant que comédienne et mannequin durant les années '90. Membre de l'Union des artistes, Julie Couillard interpréta quelques petits rôles à la télévision, notamment à l'émission de Surprise sur prise où elle prit part à un gag visant à piéger le comédien Serge Thériault, en 1995. (33) Elle a aussi tenu un rôle de maîtresse dans la série René Lévesque, à TVA, remplaça une hôtesse à l'émission La poule aux oeufs d'or en plus de livrer une prestation au Salon de la mariée et de danser dans un vidéoclip du groupe Gipsy Kings. Ironiquement, ce ne sont pas ses incursions dans le monde artistique qui la rendirent célèbre, mais plutôt ses diverses relations avec des hommes du milieu interlope, à commencer par Tony Volpato, avec qui elle entretint une liaison, entre 1991 et 1993. (34) Propriétaire d'une compagnie de céramique, Volpato fut l'homme de confiance de Frank Cotroni, dit «Le Gros», membre d'une célèbre famille criminelle liée à la branche calabraise de la mafia. Le frère aîné de Frank, Vic Cotroni, dit «l'Oeuf», fut considéré comme le parrain de la mafia montréalaise durant des décennies avant que le clan sicilien des Rizzuto ne prenne le pouvoir, dans les années '80. Les Cotroni s'étaient impliqués dans les clubs de nuit et les maisons de jeu, la contrebande internationale d'héroïne, l'industrie alimentaire et le trafic illégal d'immigrants italiens aux États-Unis. Leur influence s'étendait aux syndicats de la construction, de l'hôtellerie et de la restauration, ainsi qu'aux milieux politiques québécois. (35) Dans un rapport sur la présence de la mafia dans l'industrie de la boxe publié en 1986, le juge Raymond Bernier décrivit Volpato comme un personnage ayant «une main de fer dans un gant de velours» qui aida Frank Cotroni à exercer un «contrôle complet sur la famille Hilton». À l'époque, Volpato n'eut d'ailleurs aucune hésitation à se porter à la défense de son ami Cotroni. «Frank Cotroni est un gentleman, le genre de type qui donne tout le temps et qui ne reçoit jamais», plaida-t-il. (36) Lorsque Julie Couillard rencontra Volpato dans un bar, en 1991, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) l'avait mis sous enquête pour son rôle dans le trafic de cigarettes de contrebande. L'écoute électronique avait révélée que Volpato agissait à titre de représentant «d'un groupe de financiers» auprès des contrebandiers, soit les Warriors de la réserve de Kahnawake et la famille Ouellette, de Lanaudière. (37) Volpato sera plus tard condamné à verser une amende de 8000 $ pour son rôle dans cette affaire. L'escouade des stups de la GRC s'intéressait aussi à Volpato dans le cadre d'une enquête sur un projet d'importation de cocaïne qui avait débutée en 1992. Volpato avait alors joué le rôle d'intermédiaire entre le clan Cotroni et des agents doubles de la GRC qui se faisaient passer pour des narcotrafiquants. Il fut plus tard condamné à six ans de prison pour avoir comploté en vue de faire entrer 180 kg de cocaïne au Canada. Notons enfin que Volpato n'était pas étranger au monde des motards. Ainsi, lorsque Maurice «Mom» Boucher, le plus célèbre des Hells Angels québécois, fut arrêté pour possession d'arme, en mars 1995, le nom et le numéro de téléphone de Volpato figuraient dans le carnet de numéros de téléphone du motard. (38) Selon The Toronto Star, Couillard et Volpato se fréquentèrent de temps à autre, ce qui laisse supposer une relation qui n'avait rien de stable. En fait, le grand amour de Julie Couillard fut Gilles Giguère, dit «L'indien», qui était âgé de près de vingt ans de plus qu'elle. Leur idylle dura de 1993 à 1996. «J'ai aimé éperdument quelqu'un dans ma vie, et c'était Gilles», affirma-t-elle dans une récente entrevue accordée au magazine 7 Jours. (39) «Il a été mon plus grand professeur. Gilles a été mon père, ma mère, mon frère, mon meilleur ami, mon amant, mon partenaire de vie et de business.» Entrepreneur en construction, Gilles Giguère a eut sa part de démêlés avec le système judiciaire. En juillet 1991, lorsque l'escouade antigang du Service de police de la communauté urbaine de Montréal (SPCUM) démantela un vaste réseau de voleurs et de receleurs lié au gang de l'Ouest, Giguère figurait parmi les suspects. (40) Deux ans plus tard, il fut mêlé à une affaire d'extorsion. Giguère n'a jamais été membre d'une bande de motards en tant que tel, mais il gravitait autour des Hells Angels. À l'époque, les médias le décrivaient généralement comme le «bras droit» de Robert «Bob» Savard, un homme d'affaires qui était réputé être un important prêteur usuraire proche des Hells. Savard a lui aussi eut maille à partir avec la loi. À partir 1976, il se fit arrêté régulièrement sous divers chefs d'accusations, tels que complot, menaces, extorsion et trafic de drogue, mais il arrivait à s'en sortir indemne pratiquement à chaque coup, par manque de preuve. Sauf en 1985, où il écopa d'une peine de trois ans d'emprisonnement pour une affaire de menaces et d'intimidation. Au cours de l'année 1995, le nom de Gilles Giguère revint à quelques reprises dans l'actualité judiciaire. D'abord, le 20 février, Giguère fut arrêté en lien avec la découverte d'une cache d'armes, à Montréal-Est. Quatre fusils mitrailleurs, quatre gilets pare-balles ainsi que trente-trois kilos de marijuana et vingt-sept appareils de vidéopoker furent saisis par l'escouade antigang du SPCUM dans le sous-sol d'un immeuble à logements dont Giguère était le propriétaire. (41) Pour les journalistes de la presse écrite, il ne faisait aucun doute que cet incident était lié à la guerre meurtrière opposant les Hells Angels à l'Alliance, une coalition regroupant notamment les Rock Machine et les Dark Circle. (42) Le nom de Giguère refit à nouveau surface lorsque «Mom» Boucher fut arrêté en rapport avec une histoire de chicane de bar, en octobre 1995. La couronne n'ayant pu convaincre le tribunal que «Mom» représentait un danger pour la société, celui-ci fut remis en liberté sous diverses conditions, dont celle de ne pas communiquer directement ou indirectement avec dix-sept individus, dont Gilles Giguère et Robert Savard. (43) Julie Couillard peut difficilement plaider l'ignorance des fréquentations de Giguère, elle qui fut photographiée par la police en compagnie de Giguère, Savard et «Mom» Boucher. (44) En fait, on raconte qu'elle et Giguère étaient devenus «quasi inséparables», au point où il arrivait même à Couillard d'être à ses côtés lorsqu'il faisait pression sur des individus qui avait du mal à respecter leur échéance de paiement sur des prêts consentits à des taux usuraires. Voici comment Julie Couillard expliqua au magazine 7 Jours l'attitude qu'elle avait semble-t-il adoptée à l'époque : «J'avais 22 ans lorsque j'ai rencontré Gilles. Nous avons été ensemble pendant quatre ans. J'étais tellement naïve ! Je savais qu'il connaissait des gens qui connaissait des motards, mais je ne prenais pas les motards au sérieux. Pour moi, c'était des durs qui faisaient de la moto. Les vrais criminels, c'était la mafia, c'était les Italiens.» (45) Voilà qui est tout de même quelque peu difficile à croire. Car les faits d'armes liés à la guerre sanguinaire entre les Hells à l'Alliance faisaient régulièrement les manchettes des journaux à l'époque. En août 1995, lorsqu'un garçon âgé de onze ans du nom de Daniel Desrochers perdit la vie dans le quartier d'Hochelaga-Maisonneuve, dans l'est de Montréal, des suites de l'explosion d'une bombe destinée à un narcotrafiquant, les motards apparurent comme des ennemis publics en puissance aux yeux d'une partie grandissante de l'opinion publique. C'est ainsi qu'un mois plus tard, un troisième protagoniste s'ajouta à la «guerre des motards» : une escouade spéciale appelée Carcajou composée d'enquêteurs de la Sûreté du Québec (SQ), du SPCUM, de la GRC. Carcajou se vit confier le mandat de mettre les bouchées doubles pour faire la vie dure aux belligérants engagés dans cette guerre à finir. Julie Couillard ne se doutait probablement pas qu'elle allait bientôt goûter elle-même à la médecine de Carcajou. Ainsi, le matin du 18 décembre 1995, Julie Couillard eut la surprise de sa vie lorsque des policiers du SWAT défoncèrent la porte de sa résidence, à Pointe-aux-Trembles, et firent brusquement irruption dans sa chambre à coucher alors qu'elle se trouvait encore au lit avec son conjoint Giguère. «Ils ont tiré les couvertes et je me suis retrouvée nue devant eux parce qu'ils ont aggripé mon chum pour le projeter par terre», raconta-t-elle par la suite à un journaliste du Allô Police. (46) La journée de Julie Couillard était encore loin d'être terminée puisqu'elle fut ensuite emmenée au quartier général de la SQ, rue Parthenais. Marcel Couillard, le père de Julie, fut également arrêté. De 8h à 23h, un enquêteur de la SQ du nom de Gilles Malenfant la cuisina sans ménagement, en alternant mensonges et sous-entendus menaçants. Voici comment Couillard relata son expérience au journaliste Jean-Pierre Rancourt du Allô Police, qu'elle rencontra en présence de Giguère : «J'ai demandé pourquoi j'étais là et il m'a dit, en me regardant, l'air méprisant: pour extorsion et complot pour meurtre de Loretta Lavallée. Les bras m'ont tombé. Je me demandais de quoi il parlait. Je n'en revenais pas. Le policier savait tout sur moi. Il me disait que ma carrière, s'il le voulait, serait terminée, qu'il pourrait me brûler partout à Montréal, dans toutes les agences de casting et à la télé. C'est simple, il n'avait qu'à mettre ma photo dans la première page du Journal de Montréal et ma carrière serait terminée.» Pour ce qui est de son conjoint Giguère, celui-ci dût répondre d'une kyrielle d'accusations aux côtés de «Bob» Savard, ainsi que de l'avocat criminaliste Gilles Daudelin et de l'ex-caporal de la SQ Gaétan Rivest. L'affaire fit les gros titres des journaux, et pour cause. Me Daudelin était un avocat bien connut qui comptait des membres et des associés des Hells parmi ses clients. Avant son arrestation, il représentait Giguère dans l'affaire de la cache d'armes. Quant à Rivest, après une carrière policière de quatorze ans, il était devenu un bruyant détracteur de la SQ. Six mois plus tôt, Rivest s'était mis à dénoncer sur toutes les tribunes ses anciens collègues de la SQ, qu'il accusait de se livrer au parjure et à la fabrication de preuves. (47) L'ex-policier alla même jusqu'à s'auto-incriminer, en affirmant avoir battu un suspect pour le forcer à confesser un meurtre. Il reconnut également avoir prit part à la contrebande de cigarettes «à grande échelle» après son départ de la SQ, en 1991. (48) L'avocat Daudelin fut accusé d'avoir comploté, avec Giguère et Savard, en vue de faire assassiner une agente immobilière, cette fameuse Loretta Lavallée dont le nom avait été évoqué lors de l'interrogatoire de Couillard. De plus, Me Daudelin fut également inculpé d'avoir incité un témoin à se parjurer relativement à l'affaire de la cache d'armes pour laquelle Giguère était en attente de procès. Rivest fut quant à lui accusé d'avoir menacé de voies de fait graves, avec la complicité de Giguère et de Savard, un ancien partenaire d'affaires qui était propriétaire d'un restaurant de l'est de Montréal, Gerry Etchevery. (49) Bien qu'aucune accusation ne fut retenue contre Julie Couillard et son père marcel, leurs noms furent néanmoins cités dans un article de La Presse signé par André Cédilot. À en croire l'article, «Julie Couillard, l'amie de Giguère, et son père, Marcel, auraient également participé» à une tentative d'extorsion contre Mme Lavallée. (50) Les noms de Julie et de Marcel Couillard furent également mentionnés dans un article du quotidien The Gazette en rapport avec cette affaire. (51) Peut-être l'enquêteur de Carcajou avait-il décidé de mettre à exécution sa menace de saboter la carrière de mannequin et de comédienne de la conjointe de Giguère ? À l'époque, les avocats des accusés avaient immédiatement criés au coup monté. (52) Cette hypothèse se trouvait renforcée quand on tenait compte du fait que Rivest avait été accompagné de Me Daudelin et de Savard lorsqu'il avait rencontré le ministre de la Sécurité publique du Québec, Serge Ménard, pour le sensibiliser aux abus de certains membres de la SQ, en avril 1995. (53) Quelques semaines plus tard, Ménard avait fait part de son sentiment «d'avoir été piégé», en affirmant que cette rencontre s'inscrivait dans le cadre d'«un plan pour jeter le discrédit sur la SQ» qui aurait été concocté par les Hells. (54) Le sentiment de Ménard était apparu après qu'il eut apprit que «Mom» Boucher, alors incarcéré, s'était félicité d'avoir poussé l'idée de cette rencontre lors d'une conversation téléphonique interceptée par la police. «Moé chu en prison, j'pense à ça, j'me crosse pi j'viens, j'viens s'a police», avait alors lancé «Mom» à un de ses amis motard. (55) Rivest avait répliqué à ces allégations en intentant une poursuite en dommages-intérêts de 1,3 millions $ contre le ministre Ménard, de même que le Journal de Montréal. (56) Les premiers doutes concernant la solidité des accusations apparurent lorsque les quatre accusés purent reprendre tour à tour leur liberté. Rivest fut le premier à pouvoir prendre congé des cellules. Il sera ensuite suivi de Me Daudelin. Quant à Giguère et Savard, ils passeront tous deux le temps des fêtes derrière les barreaux avant d'être libérés sous conditions après avoir signés un engagement s'élevant à 100 000$ chacun, le 3 janvier 1996. Les doutes se confirmèrent lorsque les accusations contre le quatuor s'écrouleront comme un château de cartes seulement deux mois plus tard. La preuve contre les accusés reposait essentiellement sur les dires du délateur Léo Lemieux, un personnage traînant un casier judiciaire plutôt chargé. Décrit dans les pages de La Presse comme un fer-à-bras responsable de la «collection» pour des usuriers de l'est de la métropole, Lemieux aurait travaillé avec Giguère sur la construction. De l'aveu même de la poursuite, Lemieux «semblait assez peu crédible». (57) Or, c'est Lemieux qui avait prétendu aux policiers que Daudelin, Giguère et Savard complotaient en vue d'extorquer puis de liquider Mme Lavallée. Toutefois, aucune preuve indépendante ne venait corroborer ses allégations. Un second délateur du nom de Normand Major s'était bien montré prêt à témoigner contre le trio. Mais le problème, c'était que Major tenait ses informations de... Lemieux. On apprendra par la suite qu'une agente de probation avait déjà écrit que le délateur Lemieux avait l'«habitude de vivre dans le mensonge» et éprouvait même un «besoin pathologique de mentir». (58) Le dernier clou fut enfoncé dans le cercueil de la poursuite lorsque Lemieux échoua au test de détecteur de mensonge. Le 26 février 1996, la couronne annonça donc qu'elle n'avait aucune preuve à présenter à l'enquête préliminaire, ce qui entraîna l'acquittement de Giguère, Savard et Daudelin. Deux jours plus tard, les accusations portées contre Rivest, qui s'appuyaient également sur le même délateur, tombèrent à leur tour. (59) Ce dénouement était évidemment fort peu glorieux pour Carcajou. Le chroniqueur Yves Boisvert de La Presse parla d'«un premier faux pas pour l'escouade Carcajou». Me Daudelin intentera éventuellement une poursuite au civil et recevra la somme de 200 000 $ quelques années plus tard en dédommagement pour les torts qu'il a subit en rapport avec cette histoire. (60) Giguère n'était toutefois pas tout à fait au bout de ses peines car il devait encore subir son procès pour possession d'armes et de drogue, qui devait s'ouvrir le 17 mai suivant. À ce moment-là, son avocat, Me Daudelin était devenu un témoin potentiel pour sa défense, faisant en sorte qu'il n'était désormais plus en position de le représenter à son procès. Conséquemment, Giguère dût retenir les services d'un nouvel avocat, soit Me Michel-Charles Charlebois, qui représentait déjà Gaétan Rivest dans d'autres dossiers. Le 26 avril, Me Charlebois contacta le procureur de la couronne affecté au dossier pour l'informer de son intention d'interroger le délateur Léo Lemieux ainsi que son contrôleur, l'ex-sergent-détective de l'escouade antigang du SPCUM Robert Octeau, qui était devenu membre de Carcajou. Lorsque Giguère quitta son domicile lors de cette même journée, ce sera la dernière fois que Julie Couillard le verra en vie. «Un beau jour, il est parti au dépanneur et il n'est jamais revenu», raconta-t-elle à 7 Jours. «Comme il rentrait à la maison tous les soirs, je n'ai rien vu venir. C'est avec le recul que j'ai compris des choses, mais j'étais jeune à l'époque.» Deux jours plus tard, la disparition de Giguère fut signalée dans un entre-filet parut dans La Presse. Rappelant qu'en décembre 1995, la police avait mis trente-trois heures avant de reconnaître qu'elle détenait Giguère sous sa garde, Me Charlebois souleva alors la possibilité que son client puisse «avoir été 'enlevé' par la police pour fin d'interrogatoire». (61) La même journée, le corps sans vie de Giguère fut retrouvé par un passant dans un fossé inondé en bordure d'une route à l'Épiphanie, au nord-est de Montréal. (62) Giguère avait été atteint de deux projectiles d'armes à feu au visage. À première vue, l'auteur du meurtre n'aurait laissé aucune trace derrière lui, laissant croire qu'il pourrait s'agir de l'oeuvre d'un «professionnel». Le camion de Giguère fut retrouvé sur le terrain de stationnement du bar-restaurant O'Tooles, à Charlemagne. Le véhicule, qui était verrouillé, fut ensuite remorqué au quartier général de la SQ, pour qu'il soit examiné par des spécialistes qui tenteront de dénicher des indices. «Le meurtre de Gilles est survenu trois mois avant la date prévue de notre mariage», se rappella Couillard. «Les invitations étaient lancées, et la robe, choisie. Tout était prêt.» Le couple avait aussi choisit sa destination pour le voyage de noces, soit la Floride. Les billets d'avion avaient d'ailleurs été payés par «Bob» Savard, qui devait aussi agir agir à titre de témoin au mariage. Comme on peut s'en douter, la mort soudaine de Giguère laissa un gros vide dans la vie de Julie Couillard. «À 26 ans, après avoir perdu mon conjoint, assassiné, je suis restée enfermée chez moi pendant deux mois», confia-t-elle à 7 Jours. «Je n'arrivais pas à assimiler ni à accepter ce qui m'était arrivé. Pour ne pas devenir folle, je me suis lancé dans le travail. Le meurtre de Gilles avait détruit ma carrière de mannequin, je n'arrivais plus à contrôler mon trop-plein d'émotions. J'ai mis cinq à faire mon deuil.» Personne ne sera jamais été inculpé en rapport avec cette affaire, comme dans bien d'autres cas d'individus liés au milieu interlope qui perdirent la vie de manière violente à cette époque. Évidemment, dans le contexte de la «guerre des motards», les règlements de compte et homicides en tous genres étaient devenus monnaie courante. Les liens de Giguère avec «Mom», de même que le fait qu'il soit accusé en rapport avec la découverte d'une cache d'armes, pouvaient avoir fait de lui une cible tentante pour les tueurs de l'Alliance. Certains chroniqueurs de la scène judiciaire semblaient privilégier une autre théorie: Giguère aurait décidé de passer dans le camp de la police, ce qui était une autre façon de réduire son espérance de vie dans ce bas-monde. On se rappellera d'ailleurs que Julie Couillard avait raconté au Allô Police qu'un enquêteur de la SQ avait cherché à lui faire croire que son conjoint était devenu un délateur durant son interrogatoire, en décembre 1995. Selon Michel Auger du Journal de Montréal, Giguère aurait fourni aux policiers des informations concernant des crimes violents, des affaires d'extorsion et de prêts usuraires et d'autres complots impliquant des motards. (63) Il aurait fait des révélations incriminantes au sujet de «Mom» Boucher, de Savard et de Rivest et s'était même montré prêt à répéter ses dires en cour. De son côté, le Allô Police rapporta que le meurtre de Giguère «était prévisible» pour le milieu interlope montréalais «parce que des rumeurs de plus en plus persistantes circulaient à l'effet qu'il avait joint le rang des délateurs en donnant plusieurs déclarations aux policiers». (64) Michel Auger, qui fut très proche des milieux policiers tout au long de sa carrière, précisa toutefois que Giguère n'était pas devenu délateur. Me Charlebois confirma par contre que Giguère avait signé sept déclarations qu'il avait faites aux policiers. Giguère lui en avait d'ailleurs remis quatre d'entre elles et devait lui apporter les trois autres le 27 avril, soit la veille de la découverte de son cadavre. Voilà qui pouvait accréditer la thèse voulant que Giguère aurait été abattu pour avoir trop parlé. Cependant, Me Charlebois, qui avait eu le réflexe de soupçonner la police d'être derrière la disparition de son client, semblait nourrir une toute autre hypothèse. Selon lui, le procès de Giguère était susceptible de donner lieu à des révélations fort embarrassantes pour certains policiers. Quelques mois plus tard, l'avocat affirma publiquement que la police avait omis d'explorer certaines pistes concernant le meurtre de Giguère, sous-entendant ainsi que l'enquête avait été bâclée. (65) Il faudra attendre jusqu'à la publication d'un article choc dans le défunt journal Le Juste Milieu pour connaître plus en détails le fond de la pensée de Me Charlebois. Le Juste Milieu était un journal de format tabloïd qui avait été lancé par Rivest et Savard, en octobre 1997. Tiré à 100 000 exemplaires et distribué dans 9000 points de vente partout au Québec, Le Juste Milieu dénonçait sur un ton souvent lapidaire des cas d'abus policier et de corruption politique et policière. (66) Tous les articles étaient rédigés par Rivest et Savard et il n'était pas rare que ceux-ci se réfèrent à leur propre vécu dans les pages du journal. Ainsi, dans un article parut dans le premier numéro du Juste Milieu, Rivest évoqua son arrestation de décembre 1995. Sur une même page, il dressa à trois reprises la liste de ses co-accusés qui avaient été incriminés par le délateur Léo Lemieux. Curieusement, à chaque fois il passa sous silence le nom de Giguère... Comme s'il n'avait jamais existé ! (67) Puis, dans le numéro trois du journal, Rivest et Savard co-signèrent un article de deux pages portant sur le meurtre de Giguère. Le nom de Julie Couillard y revient d'ailleurs à quelques reprises. L'article ne va pas jusqu'à accuser directement la police d'être derrière l'assassinat, mais il demeure néanmoins lourd de sous-entendus en ce sens. Les deux auteurs semblaient orienter leurs soupçons vers Robert Octeau et allèrent même jusqu'à écrire que Giguère aurait signé «son arrêt de mort» en insistant pour faire témoigner cet ancien enquêteur de l'escouade antigang lors de son procès. (68) Dans une édition précédente du Juste Milieu, Octeau avait déjà eut droit à un article peu flatteur à son égard. Basé sur des sources policières anonymes, cet article avançait que Octeau aurait saboté une enquête de la police provinciale de l'Ontario (OPP) concernant le vol de deux remorques de cigarettes qui s'était produit à Cornwall, au début de 1996. (69) L'enquête de l'OPP avait permit d'apprendre que certaines des cigarettes volées s'étaient retrouvées dans un dépanneur montréalais. Mais lorsque la police ontarienne effectua une perquisition au dépanneur, les cigarettes en question avaient mystérieusement disparues des tablettes. Pressé de questions par des policiers contrariés, le propriétaire du dépanneur aurait finit par avouer qu'il avait été averti de l'imminence de la perquisition par Octeau lui-même. Selon l'article du Juste Milieu, le SPCUM avait suffisamment d'éléments de preuve à sa disposition pour porter des accusations criminelles contre Octeau. Mais la haute direction du SPCUM aurait renoncé à le faire après que Octeau menaça de révéler tous les crimes qu'il aurait commis avec ses collègues policiers durant ses vingt-huit années de service. Octeau se serait alors fait faire une offre qu'il ne pouvait pas refuser : une retraite immédiate, et pas d'accusations. Le principal intéressé aurait alors accepté, mettant ainsi fin à sa carrière. Dans l'article du Juste Milieu consacré à l'assassinat de Giguère, il fut d'abord question de la stratégie de défense qu'entendait mettre de l'avant le défunt accusé lors de son procès concernant la cache d'armes. Le tabloïd allégua que Léo Lemieux aurait avoué à Giguère qu'il était celui qui avait entreposé les armes et la drogue dans l'immeuble à logements de Montréal-Est. Le délateur aurait même téléphoné à Julie Couillard pour tout confesser. Selon l'avocat Charlebois, Lemieux signa un affidavit dans lequel il reconnut qu'il était le propriétaire des biens saisis. C'est justement cet affidavit qui valut une accusation d'incitation au parjure contre l'avocat Daudelin. Me Charlebois, qui fut largement cité dans l'article, commenta le manque apparent d'intérêt de la part des policiers chargés de l'enquête sur la mort de Giguère. «Bizarre: après l'enterrement, on n'entend plus parler de la police», déplora-t-il. L'élément le plus intriguant de l'article fut probablement ce passage où Me Charlebois relata une conversation qu'il avait eu au sujet d'Octeau avec Claude McIntosh, le propriétaire du bar-restaurant O'Tooles, là où le camion de Giguère avait été retrouvé : «En juillet, je revois McIntosh et je lui demande s'il connaît Robert Octeau. La première réponse de Claude: 'C'est bizarre, t'es le cinquième à me demander ça... La police n'est jamais venu me voir pour me poser cette question-là'... Eh bien oui, McIntosh connaît Octeau depuis quinze ans. Il y avait une sorte de pacte entre eux: McIntosh avait toujours dit à Octeau de ne jamais lui demander d'informations et, en retour, il n'y avait aucune information à donner à personne sur Robert Octeau. Et cela a terminé la conversation qu'on a eue ensemble. Il m'a quand même avoué qu'Octeau avait travaillé au O'Tooles, qu'il allait souvent à ce bar, qu'il jouait souvent au golf, et que justement il avait joué au golf avec lui la semaine d'avant...» Évidemment, tout ça peut paraître bien gros. Il faut cependant noter que Le Juste Milieu ne fera jamais l'objet de poursuite en libelle diffamatoire. Au bout d'une année d'existence, le journal s'éteignit après avoir publié seulement six numéros. Rivest essaya d'obliger Octeau à témoigner dans le cadre de sa poursuite au civil qu'il intenta suite à son arrestation par l'escouade Carcajou, mais en vain. (70) Dans Le Juste Milieu, on allègue que le huissier chargé de remettre la convocation à Octeau s'était fait dire par la police que celle-ci ignorait où se trouvait l'ex-policier de l'antigang. Rivest ne connut pas davantage de succès en cherchant à amener dans le box des témoins le délateur Léo Lemieux, qui avait affirmé sur les ondes de CKAC être un homme traqué vivant sur du «temps emprunté». Tant Octeau que Lemieux seraient devenus introuvables... L'affaire Giguère connaîtra un dernier rebondissement lorsque les administrateurs de la compagnie du défunt conjoint de Julie Couillard intentèrent une poursuite contre la SQ, qui se voyait reprocher d'avoir disposé illégalement du camion de Giguère. En octobre 1997, La Presse révéla d'ailleurs que deux copies d'un même rapport interne de remisage et de remorquage de la SQ qui avaient été déposés au palais de justice de Saint-Jérôme contenaient des informations de nature contradictoires à ce sujet. Dans l'un des documents, la SQ laissait entendre que le SPCUM avait été saisi du dossier et que le véhicule avait ensuite été revendu par la compagnie d'assurance. «Et ceci sans aucune intervention de notre part», précisa par écrit le capitaine Carmel Patry, responsable de l'accès à l'information à la SQ. Or, une copie conforme dudit rapport, obtenu cette fois-ci du SPCUM en vertu de la loi d'accès à l'information, affirmait plutôt que le camion de Giguère avait été libéré par la SQ. (71) Encore aujourd'hui, le meurtre de Giguère continue d'être entouré de mystère. Avec trois théories différentes pouvant expliquer son assassinat, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il devait y avoir beaucoup de gens qui pouvait avoir un intérêt à ce que Giguère soit liquidé. Comme il n'avait pas signé de contrat de délateur avec Carcajou, il n'est pas clair quel intérêt Giguère pouvait avoir trouvé à collaborer avec la police. Même s'il faisait face à des accusations plutôt graves, Giguère ne semblait pas pour autant acculé au pied du mur, comme le sont souvent les truands qui choisissent de trahir leurs complices. Compte-tenu de la confession du délateur Léo Lemieux qui avait reconnu sa responsabilité dans l'entreposage des armes et de la drogue dans l'immeuble de Montréal-Est, Giguère ne pouvait-il pas entretenir un espoir raisonnable qu'il finirait par être lavé des accusations pesant contre lui ? Certains aspects du comportement de Giguère laissent aussi pour le moins perplexes. Pourquoi avait-il choisit d'être représenté par Me Charlebois s'il s'était mis à révéler des informations incriminantes à la police au sujet d'un autre de ses clients, Gaétan Rivest ? (D'ailleurs, cette situation pour le moins inusité ne plaçait-elle pas Me Charlebois dans une position de conflit d'intérêt potentiel ?) En prenant si peu de précautions, Giguère ne s'exposait-il pas au risque que la nouvelle de sa collaboration avec la police finisse par se répandre parmi le milieu interlope ? Cela semble d'ailleurs être devenu le cas comme en font foi les rumeurs qui circulait à son sujet que rapporta Allô Police après sa mort. Comment quelqu'un d'aussi familier avec le milieu que lui pouvait-il ignorer les dangers, parfois mortels, qu'il courrait en se montrant si bavard auprès des autorités ? Après tout, ce n'est pas pour rien si les contrats de délation offrent un certain niveau de protection à ceux qui décident de se mettre à table. Et pourtant, Giguère semblait prendre toute l'affaire avec une légèreté déconcertante. Comme quelqu'un qui voulait en finir avec la vie, mais qui préférait que d'autres se charge à sa place de mettre fin à ses jours. On pourrait être tenté de pencher pour la thèse d'un comportement suicidaire... s'il n'était pas sur le point d'épouser une jeune et jolie demoiselle ! S'il fut à nouveau question de la mort de Giguère dans l'actualité récente, ce n'était pas tant parce des journalistes s'étaient donnés pour mission d'élucider son assassinat une fois pour toute, mais bien plutôt parce que les médias canadiens coast-to-coast s'acharnèrent tous en choeur à fouiller le passé de celle qui avait été l'amie de coeur de Maxime Bernier à l'époque où celui-ci occupait encore le poste prestigieux de ministre des Affaires étrangères au sein du gouvernement conservateur de Stephen Harper. Une révélation de taille concernant l'assassinat de Giguère passa pourtant inaperçue dans le flot quasi intarissable d'allégations, de commentaires éditoriaux et de blagues de mauvais goût que suscita l'affaire Couillard-Bernier. Comme nous le verrons plus en détails dans la deuxième partie, celui qui allait prendre pour épouse Julie Couillard, soit le motard Stéphane Sirois, aurait eu une conversation avec «Mom» Boucher lors de laquelle le «chef de guerre des Hells» lui aurait confié à mot couverts qu'il était celui qui avait été derrière le meurtre de Giguère. Il y a d'ailleurs tout lieu de penser que Sirois rapporta les dires de «Mom» à des policiers. Après l'éclatement de son mariage avec Couillard, Sirois se mis à travailler pour la police, à qui il raconta tout ce qu'il savait sur le milieu de la drogue et les Hells Angels. Sirois, qui était bien au fait de l'intérêt particulier que la police portait envers l'influent membre des Hells, n'a certainement pas passé sous silence le petit secret que «Mom» lui aurait révélé. Cette confidence a-t-elle relancée l'enquête policière sur l'assassinat de Giguère ? On est en droit d'en douter. Malgré l'apparente volonté de coopération de Giguère, la police semblait se laver les mains de sa mort au même titre que les médias traitèrent cette funeste affaire avec désintérêt et nonchalance. Sources: (1) Le Devoir, «Maxime Bernier contredit Julie Couillard – L'ex-ministre jure qu'il ne savait pas», Hélène Buzzetti, 26 juin 2008, p. A1.
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