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À propos du livre: Servitude et simulacre, de Jordi Vidalclara bow, Lunes, Mayo 19, 2008 - 20:16 Note de lecture SERVITUDE ET SIMULACRE Paris, Allia, 2007 Il n’est pas vain de chercher ce qui réside d’interpellation subversive dans ce petit livre qui hésite constamment entre le pamphlet et l’essai et qui se présente comme une critique révolutionnaire. Ce qu’une critique partielle n’inclurait pas une approche radicale le permet en s’appropriant les stratégies d’une critique qui se souvient de la critique de la totalité. Cette critique invoquée tout au long de ses pages devrait expliquer ou réside la différence entre un philosophe et un théoricien. Jordi Vidal semblant être particulièrement sensible à cette nuance, il est vrai, décisive pour lui, nous respectons ainsi sa volonté. L’histoire, en effet, ne s’oublie pas, les combats du présent continuent sur des registres divers et avec des énonciations qui se cherchent en son nom partout dans le monde. Combinée avec la mémoire vivace d’autres tentatives ultérieures, une pratique historique, et qui se sait comme telle, tente toujours de raviver un intérêt trop souvent obscurci ou dégradé pour un autre présent métamorphosé par l’utopie dont dépend toute connaissance comme remède à l’existence. Le livre de Vidal s’attaque avant tout au postmodernisme responsable selon lui du processus de décomposition des acquits de la Révolution des Lumières du XVIIIe siècle dont il se pose comme un des héritiers. Mais c’est surtout les « cultural studies » que Vidal, après Chomsky et quelques autres, entend faire tomber du piédestal universitaire, étatique et médiatique. Ce petit livre est un curieux condensé de subversion et de pensées rétrogrades où l’absence de références et d’attributions des citations et de bibliographie paraît être un argument révolutionnaire inédit. Il reste qu’il est curieux que les quelques analyses disponibles sur le Web, entre blogs et articles, ne considèrent, dans l’ensemble, que la seule critique du postmodernisme et des cultural studies des universités américaines auxquels Servitude et simulacre semble en effet consacré, sans tenir compte des dérives de cette attaque en règle, dérives qui culminent avec la dénonciation tous azimuts du retour présent du religieux. Le religieux étant surtout ici le sujet du jour en France et dans le monde depuis 2001, à savoir l’islam, militant ou non, et ses répercussions sur l’émancipation des femmes. Avec des relents flous et suspects, ces diatribes anti-islamiques semblent parfois étrangement racistes derrière l’affirmation d’un nécessaire retour de l’histoire qui reprend et s’appuie sur les analyses du jeune Marx et certains moments insurrectionnels inspirés par l’idéal libertaire. Voilà rapidement tracé, le paradoxe de ce livre : il se veut éminemment « moderne » mais déjà fort en retard sur la question du postmodernisme, il cède à l’air du temps en ciblant la religion islamique tolérée par les penseurs et les militants de gauche, attaque leur tolérance et parfois leur humanisme au nom du retour de l’histoire et du respect des valeurs morales de la révolution et d’une dialectique intransigeante. Ainsi beaucoup trop d’amalgames tuent le sens et l’idéologie qu’on pensait éloigner pointe son gros nez et le défi devient aveuglement. En tant que parti-pris du livre, il paraît d’emblée étrange de voir les traces de la déconstruction postmoderne dynamiter partout les luttes où de les voir saper comme une force vive consciente d’elle-même les velléités théoriques actuelles ou le simple rapport à l’histoire porteur des référents qui sous-tendent plus ou moins fortement, plus ou moins faiblement parfois, les luttes partielles il est vrai éclatées sur différents fronts séparés pour le moment. Il ne serait pas vain de considérer aussi le rôle majeur et les prolongements de la critique de l’aliénation et de l’idéologie menée dans les années 60/70 par plusieurs groupes radicaux dont les nexialistes. La difficulté pour ceux qui se réclament aujourd’hui d’un projet de subversion sociale unitaire consiste plus que jamais à rester au diapason d’une praxis dialectique en lutte et anti-idéologique et non de se cantonner à la seule interprétation des luttes, de ne plus faire dans l’idéologie et dans les raccourcis théoriques saisissants face à un pouvoir et à une répression augmentée. Ce qui constituait l’esprit des Lumières, l’universalité, l’humanisme, la laïcité, la liberté, esprit concrétisé en partie par la Révolution Française, a été écarté au profit de thématiques postmodernes (mais aussi d’un rejet violemment anticommuniste suite à la décomposition du bloc communiste) qui valorisent entre autres, le non-engagement et le renoncement et parmi plusieurs impasses, « réduisent le passé européen à son histoire coloniale ». S’il est facile de constater cette affirmation dans les théories scientifiques, philosophiques actuelles, il n’en est pas moins vrai que les luttes actuelles ne sont pas pour autant réduites à rien. Ainsi même les luttes partielles comme celles générées par la contestation des injustices et des errements de la mondialisation peuvent basculer à tout moment vers une contestation globale. Le point de vue révolutionnaire sur ce moment particulier de notre histoire doit être à même de faire lien avec son propre passé déformé, représenté, réduit en un ennemi individualisé pour tous. Vidal n’entame pas de dialogue avec l’histoire ni avec le présent, son régime esthétique est celui de la recherche du bouc émissaire, qu’il soit queer, arabe, postmoderne. Ceci étant, les cultural studies répandues dans les universités américaines, et critiquées avec raison par Jordi Vidal, ont poussé jusqu’à la caricature ce vaste mouvement de déconstruction, en réaction aux chercheurs marxistes mais aussi face à l’idée même de révolution devenue synonyme de barbarie ou de perte identitaire et dévalorisation de l’idéal démocratique. Elles ont dévidé jusqu’à l’outrance la valorisation de l’individualisme, l’inaccessibilité de l’histoire, la fin des utopies. Les cultural studies ont contribué grandement à l’immense confusion de la pensée moderne, précisément lorsqu’il s’agit encore et toujours d’élaborer les outils pratiques et théoriques de la compréhension du monde et les grandes lignes théoriques d’un savoir-être subversif, de chercher la vérité critique des luttes et les nouveaux modes d’organisation et de résistance autour des nœuds sans cesse plus resserrés de la dépossession. Les idées des cultural studies ont été portées par des disciplines aussi diverses que la philosophie, la sociologie, la littérature, l'anthropologie, l'ethnologie, la philologie, la psychanalyse, la linguistique et la sémiotique. L’essai de Vidal absolutise leur influence et leur système de pensée dans la pensée occidentale bien qu’il soit difficile de parler de l’homogénéité d’un tel mouvement si idéologiquement éclaté. On peut lire dans ces cultural studies la construction et l’aveu d’une renonciation devant un étant social où plus rien n’est lisible dans sa vérité mais au contraire consommable dans son contraire, un contraire interprétable à la convenance de tous, identifiable non plus comme réalité mais dans sa seule représentation qui elle-même peut être déformée et changeante selon l’actualité et les besoins. Tout est possible selon les cultural studies, surtout la fabrication de l’insignifiance et la renonciation à l’histoire et à tout négatif. La pensée en kit est devenue jetable comme tout mauvais mobilier suédois puisqu’il suffit d’exprimer n’importe quoi pour être reconnu dans sa différence sans que l’histoire ou des référents sociaux soient convoqués. Les cultural studies sont des pseudo-réponses, une auto-fondation qui ne repose sur rien. Vidal montre bien cette pesanteur des cultural studies et leurs postulats d’origine. Toutefois, nous y apporterons une nuance : la répression renforcée partout avec la pensée postmoderne comme alliée ne contrôlent pas la permanence d’une résistance qui ne semble pas, elle, tout à fait jetable même s’il ne s’agit pas de pavoiser. Le chaos social théorisé par Vidal n’est pas forcément synonyme de perte complète comme il le sous-entend, d’absence définitive de repères ; un monde sensible persiste à s’exprimer actuellement comme négation du spectacle en cours et sa dialectique, même floue, demeure synonyme d’émancipation possible ; le futur n’est pas obstrué par un chaos opaque ; de nombreux individus essaient avec constance de miner les techniques de représentations du réel en chaos afin de faire surgir de cette représentation compensatoire la vraie vie jamais éloignée. Nous ne ferons pas ici l’analyse critique du postmodernisme, ce qui serait l’objet d’un tout autre travail que cette modeste note de lecture. Nous noterons seulement les curieux errements de la pensée critique du livre d’un auteur qui se préoccupe de radicalité et fait référence à plusieurs reprises aux luttes des anarchistes espagnols de 1936. Parmi les apports positifs de cet essai, la critique de la novlangue est brillante, celles de la multitude Queer, du postféminisme et des Gender Studies devraient, de ce côté-ci de l’Atlantique, apporter beaucoup et servir de points de repères à celles et ceux intéressés par la multiplication des genres et des sexes et préoccupés de postféminisme. L’analyse critique du Primitivisme est également convaincante et devrait être popularisée partout alors que John Zerzan est actuellement dans nos murs. Celle qui lui fait face, les extropiens, est sommaire mais a le mérite de synthétiser ce mouvement marginal. Toutefois, à l’opposé de ces considérations positives, le retour du religieux abordé par Vidal pose quelques problèmes. Sous le prétexte de dénoncer la complaisance des militants libertaires, de l’extrême gauche ou de la gauche européenne ou de l’Europe avec l’Islam et les musulmans, l’extrémisme visé semble tout à coup devenir celui de l’Islam tout entier directement assimilé au nazisme. Vidal prend ainsi le risque d’une prise de position clairement réactionnaire (d’où peut-être la bonne idée du titre du livre), voire raciste envers la communauté arabe abondamment citée et seule comptable, où à peu près, du fait religieux dénoncé. Pour mémoire les extrémismes juif et chrétien sont aussi comptables de parcours pour le moins aussi chaotiques que l’extrémisme musulman. On aurait aimé le lire dans ce livre. Tout à coup la radicalité de la critique disjoncte dans l’irrationnel et la paranoïa (Islam = SS). Elle court-circuite par sa prétention et la démesure du propos l’objet de sa critique. La dénomination ancienne mais toujours d’actualité de fausse conscience donne les clés d’une guérison souhaitable. Il convient alors de relire Joseph Gabel d’urgence. Grâce à son essai sur la réification, on peut facilement identifier dans le livre de Vidal les caractéristiques d’un délire pathologique et des raccourcis saisissants (la persécution des femmes musulmanes, la brutalité machiste attribuée aux jeunes hommes musulmans, la condamnation de l’islam politique, l’intégrisme religieux prêt à transformer la société à sa convenance (p.70), le projet liberticide d’une nation musulmane en gestation, etc.). Sans s’arrêter là, Vidal évoque avec la figure du « jeune garçon arabe », un machiste typique, un hyperviolent, un type « qui brûle vive une jeune fille », une brute ignorante, un être amoral prédéterminé par l’islam. Sombrant dans les pires stéréotypes de la presse et des policiers et magistrats français, il écrit, pour étayer son propos et affirmer son contraire à propos des banlieues françaises, que pour la postsociologie : « il n’y a pas d’augmentation de la violence, et [que] celle-ci ne saurait être imputée aux jeunes gens issus de l’immigration d’Afrique du nord et d’Afrique noire. […] Comment des victimes aussi parfaites pourraient-elles commettre des actes barbares ; comment pourraient-elles causer des torts particuliers alors qu’elles ont subi le seul tort recevable, celui du colonialisme ? » (p. 63) Cette généralisation, cette condamnation, mixent postcolonialisme et barbarie des jeunes en occultant une réalité historique et sociale complexe qui demande d’autres réponses que les dimensions de la colère et de l’émotion. On aimerait connaître ce qui s’est produit dans la vie de Vidal pour endosser et généraliser des clichés aussi caricaturaux que la violence des jeunes, la barbarie, le banditisme tribal, l’intégrisme religieux (p.66). Il ne s’agit pas ici de valoriser cet autre qui de « victime aspire à devenir bourreau » (p.67), mais de comprendre l’acharnement de Vidal à accuser de tous les maux les jeunes des banlieues sous l’angle de l’intégrisme religieux et de la barbarie, à faire de cet amalgame une confusion orientée vers l’intolérance sous prétexte de lucidité. Bien que le christianisme soit - à de rares reprises - mentionné sur le même plan idéologique que l’Islam, c’est l’islam, les musulmans et donc par extension les arabes qui sont plus particulièrement dans la ligne de tir de Vidal. Dans le contexte français, cette vocation à « cibler » l’islam et particulièrement les jeunes des banlieues est suspecte même si cette vocation se fait au nom du combat contre la barbarie, contre « le fanatisme religieux et le sort réservé aux femmes » (p.66). Survenant à nouveau après le précédent livre de Vidal « Résistance au chaos » où les mêmes condamnations des mêmes cibles avaient déjà été formulées sur un registre plus vagues, ce « travers » ne devient plus anecdotique mais relève d’un système de pensée explicite qui prend le risque de s’aligner au nom de la défense des Lumières, sur le racisme anti jeune et anti arabe de l’idologie française et qui se traduit par une argumentation délirante au sens clinique du terme. Il fut un temps où Vidal se préoccupait des effets-retours de ses thèses et de sa pratique. Ce temps est manifestement terminé. Il lui faut maintenant paraître, à la fois intransigeant et drapé dans la posture d’un Fouquier-Tinville de pacotille, à la fois juge et juré, pour accéder au rôle d’icône locale de la connaissance et du savoir, matière transhumant de l’Université Populaire de Perpignan à la galerie artistique de Agnès B (!), personnalité industrielle très parisienne du prêt à porter où c’est vrai, les « jeunes garçons arabes » des banlieues sont profilés et interdits de séjour. Comparer l’Islam et le nazisme (p.78) relève d’un structure délirante ou de la complaisance coupable, mentionner un crétin comme l’écrivain Houellebecq (p. 79) et sa condamnation de l’islam comme « la religion la plus bête du monde » contredit toute crédibilité sur ce point, invoquer Talima Nasreen et Salman Rushdie (p.74) (sans doute toujours emmailloté dans la bannière américaine) comme symboles de la démocratie est risible, traduire l’affaire des caricatures danoises comme « un enjeu réel de guerre sémantique » revient à aligner la construction événementiel de l’actualité médiatique, la mise en représentation de non-événements, comme de véritables enjeux sociaux alors qu’ils ne sont que répétitions d’une fausse historicité journalistique et de fausses oppositions. Opposer les luttes des femmes à l’Islam avec des formules qui valent leur pesant d’enclumes comme celle-ci, tranchante et sublime : « Ce que les femmes ont conquis de haute lutte ne peut être négocié avec la paix d’aucun culte » (p. 78) réédite des images d’Épinal tirées du féminisme des années 60/70, ce qui fait somme toute quelques longues années en arrière où le féminisme n’était pas une des préoccupations premières dudit Vidal. Sur ce point, la prolifération de femmes, juges, procureurs, flics, militaires, policières est-elle une émancipation ? L’émancipation des femmes et des hommes est intimement liée ; elle dépend toujours d’un véritable renversement de situations et non du sexe. Le corps et le quotidien des femmes ont été en parti libérés en Occident. Bien que cette libération y soit encore très inégale, elle constitue un évident et bienvenu progrès mais elle n’est pas une révolution pour autant et les conditions d’efficacité de cette libération ressemblent de plus en plus furieusement à une intégration tranquille, à un partage du pouvoir sur le plus grand nombre, car les nombreuses femmes impliquées dans les institutions citées précédemment restreignent grandement à leur tour la possibilité de l’émancipation de tous. Il n’y a donc pas de raison d’absolutiser le féminisme qui, seul, isolé dans ses perspectives de reconnaissance, d’incorporation et de réforme des institutions, est aussi un mensonge sur le mensonge, un mensonge idéologique. Quant à la religion, certes « la critique de la religion est la condition première de toute critique », mais il s’agit comme l’ont montré successivement dans leur époque Marx, Bakounine et Debord, de la critique de toutes les religions, expressions d’une fausse conscience instrumentalisée spirituelle et sociale. Critiquer tels quels les seuls musulmans, accorder autant de place à la seule religion islamique dans le contexte des tensions racistes de la société française actuelle c’est céder à la propagande raciale et à ses stéréotypes : ici l’image du jeune banlieusard converti, violent avec les femmes, dissocié du monde, hostile, et barbare. Rappelons que lors des émeutes urbaines de 2005, la répartition ethnique des émeutiers arrêtés montraient que ceux-ci provenaient de toutes les catégories ethniques représentées dans les banlieues. Les médias pourtant avides de clichés s’étaient pour une fois cassés les dents sur ce stéréotype, mais pas Vidal. Pour lui faire plaisir et rester dans le cadre de ses préoccupations, nous citerons un extrait, disponible en une seconde sur le Web, du rapport de Sant’egidio, organisme qu’on ne peut taxer de partialité dans ce cas, qui affirme à propos des émeutes françaises de l'automne 2005 que « plus que par la tentation jihadiste, c’est par la révolte que s’exprime la revendication politique lorsque les encadrements citoyens font défaut. L’embrasement des banlieues d’octobre et novembre 2005 s’est fait sans acteurs religieux et a confirmé que les islamistes ne tiennent pas ces quartiers. Alors qu’ils avaient tout intérêt à calmer le jeu pour montrer leur capacité de contrôle, ce fut largement l’échec: pas d’agents provocateurs barbus derrière l’embrasement, ni de “grands frères” derrière pour l’éteindre ». Sant’egidio précise plus loin que « ces émeutes ont rappelé le grave mal-être de jeunes – souvent français mais d’origine immigrée – et leur absence de place dans la société. Mal-être accentué par leurs difficultés pour s’exprimer et communiquer. L’enfermement et l’isolement dans lequel ils se trouvent, l’absence de reconnaissance de leurs potentiels, de leur culture et de celle de leurs parents, renforcent leur sentiment d’hostilité et d’abandon par la collectivité». Voilà qui en dit plus long sur l’état social des banlieues en France et sur la violence des jeunes prolétarisés que toutes les pages de Vidal sur le postmodernisme ou sur l’Islam : les luttes constituent comme un trait général de ce monde qui, dans sa réalité sociale, n’est pas si chaotique que cela ; le postmodernisme, le postféminisme, le postcolonialisme que Vidal vient de découvrir sur le tard, n’ont pu y changer grand-chose. En conclusion il manque à ce livre quelques garde-fous : une lecture sociale plutôt qu’universitaire coupée de la réalité des luttes, un débat préalable sur ses thèses, le souci de quelques vérifications pratiques, une praxis adaptée, le privilège de la lutte et des rencontres. Bien sûr ceci ne serait plus philosophique mais vécu comme pratique sociale, et ne ferait sans doute ni livre ni philosophe. Dans ce livre, il manque à Jordi Vidal le goût de préférer le sens de la mesure aux dimensions de la condamnation, celui de la nuance aux formules de l’absolu, le plaisir d’une praxis subversive et donc nécessairement un ego peut-être moins lourd, la fin des fanfaronnades empruntées au pire lexique situationniste et malgré tout nuisibles à une carrière spectaculaire, de la modestie, la capacité à une bienveillante ironie sur soi, et last but not least un affect moins grand pour la stature de Guy Debord. Pour conclure, tout se passe comme si Vidal devenait complice de ce qu’il dénonce en absolutisant et en officialisant ce qu’il entendait démystifier. La proximité de l’institution universitaire qu’il dénonce, une posture philosophique semblable à celle d’un Michel Onfray, l’éloignent par là-même de toute réalité et de tout discours de délivrance de l’aliénation. Parler d’un horizon fermé, d’un temps inversé sans parler des gens de rien qui luttent partout a toujours été notoirement insuffisant. On cherchera vainement dans ce livre qui, hormis le seul Vidal, est en mesure de libérer de cette société du chaos dénoncée au fil des pages comme le mécanisme ultime de la domination. L’aveuglement est aussi un choix politique.
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