|
Massacre de Mayerthorpe: Bien des questions sans réponses (2eme partie)Anonyme, Martes, Abril 1, 2008 - 14:01 (Analyses | Repression)
Alexandre Popovic
Suite et fin d'un texte faisant un retour sur le massacre de Mayerthorpe, la plus importante tuerie de policiers de l'histoire moderne du Canada. (Pour lire la première partie: http://www.cmaq.net/fr/node/29612) Le massacre de Mayerthorpe va faire l'objet d'au moins quatre enquêtes distinctes. D'abord, il y a bien sûr l'enquête criminelle classique menée par la GRC. Il s'agit ici d'enquêter sur la mort des quatre agents mais aussi sur celle de Roszko, en reconstituant l'ensemble des faits en vue de déterminer s'il existe des motifs de porter des accusations criminelles. Fait intriguant, ce ne sont pas des membres de la Division 'K' de la GRC, basée en Alberta, qui sont aux commandes de l'enquête. La direction de l'enquête a plutôt été confiée à un officier de la Division 'E', en Colombie-Britannique, qui travaillera avec une équipe de l'Unité des crimes majeurs de la Division 'E'. La raison invoquée par la GRC est la suivante : il s'agit d'exercer une «surveillance indépendante» sur l'enquête. (12) Cette façon de procéder n'est pas sans rappeler la politique ministérielle en vigueur au Québec voulant qu'une enquête policière soit automatiquement confiée à un autre corps policier dans le cas d'une intervention policière causant une mort d'homme ou des blessures graves chez des citoyens. Quand des policiers sont confrontés à la possibilité d'avoir à répondre d'accusations criminelles aussi graves qu'homicide, la tenue d'une enquête indépendante et transparente va de soi et s'impose d'elle-même. Mais à quoi rime le besoin d'exercer une «surveillance indépendante» dans le cas des événements de Mayerthorpe ? Les quatre policiers abattus ne sont-ils pas les victimes ? Si oui, quel problème pouvait-il possiblement y avoir à ce que des membres de la Division 'K' assument la direction de l'enquête ? En fait, le transfert de la direction de l'enquête de la Division 'K' à la Division 'E' ne fait de sens uniquement que si certains agissements de la police sont eux aussi sous enquête. Encore reste-il à savoir lesquels. À l'enquête criminelle s'ajoute la tenue d'un examen interne mené par l'Équipe des enquêtes sur les situations comportant des risques (EESCR) de la Division 'K'. Le but ici est d'examiner la gestion policière de l'événement, incluant les questions controversées touchant à la supervision des agents qui étaient présents sur la propriété de Roszko. L'EESCR doit aussi faire une évaluation de la formation et de l'équipement des membres de la Gendarmerie ainsi qu'une analyse des implications que l'événement pourrait avoir au niveau des politiques et des procédures de la GRC. Puis, il y a l'enquête réglementaire du ministère des Ressources humaines et Développement social Canada (RHDSC) menée en vertu du Code canadien du travail, partie II. Cette enquête porte sur la sécurité au travail des membres de la Gendarmerie et vise notamment à émettre des recommandations à la GRC dans le but d'éviter la répétition d'une telle situation à l'avenir. Notons que le ministère des RHDSC initie ce type d'enquête chaque fois qu'un employé du fédéral perd la vie au travail. Enfin, une enquête médico-légale est également prévue. Il s'agit d'une enquête publique dont l'objectif consiste à identifier les facteurs ayant contribués aux décès et à mettre de l'avant des recommandations visant à empêcher qu'un tel événement ne se reproduise dans le futur. Bien que le Procureur général de l'Alberta eut ordonné la tenue d'une enquête médico-légale dans cette affaire, il faudra cependant attendre la conclusion de l'enquête criminelle avant qu'elle ne puisse débuter. Par une curieuse coïncidence, un projet de loi limitant l'accès des médias et du public aux enquêtes médico-légales est déposé par le gouvernement albertain moins de deux semaines après l'hécatombe de Mayerthorpe. En effet, le Bill 24, ou Fatality Inquiries Amendment Act, a vite été dénoncé par les médias en raison de ses dispositions resserrant les critères d'admissibilité au statut d'intervenant et élargissant les pouvoirs du juge présidant à l'enquête en matière de restriction de divulgation d'information au public. (13) Malgré les critiques, le Bill 24 fut adopté tel quel quelques mois plus tard. Parallèlement à tout ceci, il y a les médias qui mènent leurs propres enquêtes, lesquelles sont rarement vu d'un bon oeil par la GRC. Il faut dire que dès la journée du carnage, la version officielle voulant que le quadruple meurtre se serait déroulé à l'intérieur du hangar soulève déjà quelques points d'interrogation chez certains membres des médias. Comme le révèle un reportage diffusé à Fifth Estate, une vue aérienne de la propriété de Roszko permet en effet de voir clairement que trois des quatre corps des policiers se trouvent non pas l'intérieur, mais bien à l'extérieur du fameux hangar. De plus, des photographies prises ce jour-là, que l'on peut aujourd'hui visionner sur le site internet de Fifth Estate, suggèrent également que la scène de crime se trouve à l'extérieur du hangar. Cherchant à dissiper les doutes, la GRC offre l'explication suivante dans un bref communiqué émis le 4 mars 2005 : «L'enquête en cours a confirmé que quatre policiers de la GRC ont été abattus mortellement lorsqu'ils étaient dans la cabane Quonset. Les images des médias qui suggèrent que les policiers ont été tirés à l'extérieur n'ont pu capter l'intervention faite par le groupe tactique d'intervention pour évaluer leur condition, préserver la sécurité des policiers et possiblement offrir des soins médicaux. Les lieux ont dû être traités comme un environnement mortel jusqu'à ce qu'ils soient considérés comme sécuritaires.» (14) Cette explication pour le moins boîteuse laisse encore place à bien des questions. Par exemple, pourquoi les corps ont-ils été déplacés à des endroits différents ? Et pourquoi seulement trois corps sur quatre ont-ils été changés d'endroit ? Quant à la question des soins médicaux, ce motif ne tient tout simplement pas la route. On voit mal en effet quel intérêt les policiers pourraient trouver à se donner tout ce mal à déplacer les corps dans un tel contexte. Pour savoir s'ils ont affaire à des êtres mourants ou à des cadavres, il aurait suffit aux policiers de prendre le pouls, ce qui n'est qu'une affaire de quelques secondes. En fait, les corps devaient être si froids qu'un simple touché aurait probablement suffit à trancher la question. Mais il y a plus. Si l'on accepte sans sourciller la version officielle voulant que la tuerie aurait prit place dans le hangar, alors le déplacement des corps devient bien plus grave qu'un geste dépourvu d'utilité. Car une telle initiative aurait pour conséquence d'altérer irrémédiablement la scène de crime, ce qui reviendrait à toute fin pratique à saboter l'enquête policière. En effet, comment les enquêteurs pourront-ils comprendre ce qui s'est passé dans le hangar et reconstituer le fil des événements dans leur ordre chronologique si les corps ne se trouvent même plus à l'endroit où ils sont tombés sous l'effet des balles ? Si les enquêteurs héritent d'une scène de crime modifiée, cela leur complique lourdement la tache au point de la rendre pratiquement impossible. De deux choses l'une. Soit la présence des corps à l'extérieur est le résultat de l'altération de la scène de crime, ce qui aurait pour conséquence de brouiller les pistes au point où les responsables de l'enquête n'arriveront peut-être jamais à découvrir comment quatre des leurs auraient trouvé la mort dans le hangar de Roszko. Ou soit la présence des corps dehors signifie que la tuerie s'est plutôt déroulée à l'extérieur du hangar, ce qui impliquerait que la version officielle du massacre de Mayerthorpe n'est rien d'autre qu'un vulgaire mensonge et que la GRC cherche à tromper le public. Advenant un tel un cas, il resterait alors à savoir pourquoi. Au lieu de faire disparaître les doutes, l'explication peu crédible de la GRC semble avoir eu l'effet inverse sur les journalistes de l'émission The Fifth Estate, laquelle décide de mettre sur pied sa propre équipe pour enquêter plus à fond sur les événements de Mayerthorpe dès le lendemain du carnage. Notons d'ailleurs que la GRC refusera toute collaboration avec les membres de l'équipe de Fifth Estate. Lorsque ceux-ci se mettent à poser des questions à gauche et à droite, les responsables du dossier au bureau du procureur général se présentent discrètement devant le juge H.W.A. Fuller pour lui demander d'ordonner à ce que plus de 200 pages de documents relatifs à cinq mandats de perquisition émis dans le cadre de l'enquête de la GRC soient mis sous scellés pour une durée de temps indéfinie. Après avoir accordé cette requête, le juge Fuller met à son tour sa propre décision sous scellé. Les petits secrets de l'enquête policière sont donc verrouillés à double tour... enfin, c'est à tout le moins ce que croit la GRC. Car l'existence des paquets scellés fini par se savoir, avec pour résultat que les avocats de CBC et du quotidien The Edmonton Journal s'adressent au juge T.D. Clackson de la Cour du banc de la Reine de l'Alberta afin de demander la révision de l'ordonnance de mise sous scellé. Le 25 octobre, le juge Clackson en vient à la conclusion qu'«il n'y a rien qui puisse suggérer que l'enquête pourrait être compromise par la divulgation des matériaux sous scellés», et accorde la requête des médias. (15) Le 31 octobre, les documents scellés sont rendus publics. Les médias révèlent notamment une partie de l'inventaire des divers biens saisis sur la propriété de Roszko, parmi lesquels on retrouve douze armes à feu, plusieurs boites de munitions, une arbalète, un balayeur d'ondes, des menottes, du poivre de cayenne, du matériel pornographique, de la littérature sur le satanisme, etc. Mais la plus grande surprise, c'est peut-être de voir à quel point Roszko semblait s'être familiarisé avec les policiers locaux. On apprend en effet que celui qui avait la réputation d'haïr la police pour mourir détenait une liste manuscrite détaillée des noms de chacun des policiers des détachements de la GRC de Mayerthorpe, Whitecourt et d'Evansburg, ainsi que les indicatifs d'appel et numéros de téléphones cellulaires qui sont habituellement assignés à chacune de leurs auto patrouille. (16) On ignore comment cette précieuse mine de renseignements a pu atterrir entre les mains de l'auteur présumé du massacre de Mayerhtorpe, qui, soit dit en passant, comptait parmi les membres de sa famille un neveu du nom de Mike Roszko qui travaille comme constable à la police municipale d'Edmonton. (17) De son côté, la GRC digère plutôt mal le jugement de Clackson. La journée même, une conférence de presse est tenue au quartier général de la Division 'K', à Edmonton. L'inspecteur Gary Brine ne cache pas sa frustration. «Si nous ne pouvons retenir certaines informations concernant notre stratégie, nous perdons notre capacité à enquêter sur la possible implication de certains membres de la communauté», se plaint-il. Pour la première fois, la GRC confirme publiquement qu'elle enquête sur la possibilité que Roszko pourrait avoir bénéficié de l'aide d'un ou de plusieurs de complices dans la perpétration du quadruple homicide. Les soupçons de la GRC s'arrêtent plus particulièrement sur ceux que Roszko contacta lors de ses dernières vingt-heures d'existence. Cela inclut certains membres de sa famille, mais aussi Shawn Hennessey. Les soupçons policiers sont aussi attisés par le fait qu'une des trois armes à feu que portait Roszko le jour du massacre, soit une carabine à long canon, était enregistrée au nom du grand-père de Hennessey. Les mandats de perquisition contiennent également des allégations à l'effet que Hennessey aurait été impliqué dans la culture de marijuana avec Roszko. Cependant, Steve Hunter, le patron de Hennessey au magasin Kal Tire, n'en croit rien. N'hésitant pas à se porter publiquement à sa défense, Hunter insiste sur le fait que Hennessey travaille 60 heures par semaine, ce qui lui laisse peu de temps pour jouer au trafiquant de drogue. «Avec la quantité d'heures que je lui donne, il faudrait qu'il soit Superman», dit-il au sujet de Hennessey, qui est aussi le père de deux petites filles. (18) Il reste qu'une question continue de faire l'objet d'une intense spéculation depuis le jour du carnage. Comment Roszko a-t-il pu se rendre de la propriété de sa tante, à Cherhill, où il abandonna son camion Ford blanc, jusqu'à ses propres terres, à Rochfort Bridge ? La distance séparant les deux endroits est de 35 km en empruntant la route, mais elle peut être raccourcie à 24 km si le marcheur est prêt à couper au travers de champs et à sauter par-dessus quelques clôtures. En fait, celui que plusieurs ont décrit comme un paria vivant en ermite sur ses terres n'était peut-être pas aussi solitaire qu'on le dit. Après tout, Roszko ne trempait-il pas dans la production de marijuana en quantité industrielle et dans le recyclage de pièces de véhicules volés, deux activités nécessitant l'existence d'un réseau, ne serait-ce que pour assurer l'écoulement de la marchandise ? «C'était nouveau pour lui», confie à un journaliste du quotidien The Globe and Mail un résident qui dit avoir déjà travaillé sur la propriété de Roszko et l'avoir connu depuis les vingt dernières années. «Il ne faisait définitivement pas ça avant d'aller en prison», ajoute l'homme qui a requis l'anonymat par crainte de représailles de la part des complices de Roszko. Selon lui, Roszko ne travaillait pas en vase-clos mais bien main dans la main avec ce qu'il croit être une petite «équipe de criminels de carrière». (19) D'ailleurs, à bien y penser, ces derniers auraient pu y trouvé beaucoup à gagner à s'associer avec un individu de la trempe de Roszko. Défendue comme une forteresse, sa propriété était la planque rêvée pour n'importe quel adepte de l'argent facile désireux de se livrer à toutes sortes de trafics illicites à l'abri des curieux et des regards inquisiteurs des hommes de loi. Les ramifications possibles de Roszko avec le milieu criminel albertain demeurent encore toutefois du domaine de la théorie. Ce qu'on sait par contre, c'est que derrière des apparences de petite ville-dortoir de campagne, Mayerthorpe cache de forts penchants pour la consommation de drogues dures, plus particulièrement le redoutable cristal meth. Un article paru dans le journal local Mayerthorpe Freelancer en février 2004 suggère que le phénomène du cristal meth a prit des proportions épidémiques dans cette ville. (20) «Tu vas dans un party et tout le monde en fait», raconte notamment un adolescent. «Elle est considérée comme la capitale du cristal meth en Alberta», affirme de son côté Joel Giebelhaus, en parlant de Mayerthorpe. (21) Ce n'est donc pas l'effet du hasard si deux projets de loi privés visant à s'attaquer à la production et au trafic de cristal meth sont l'initiative du député conservateur Rob Merrifield, qui représente la circonscription de Yellowhead, dont le territoire couvre la ville de Mayerthorpe. Le premier prévoyait de rendre illégale la possession de certaines substances utilisées dans la production de méthamphétamine, soit l'acide iodhydrique et le phosphore rouge. Quant au deuxième, il prévoyait notamment d'imposer des peines minimales pour le trafic de cristal meth, mais aussi de cocaïne et d'héroïne, allant de deux ans d'emprisonnement pour une première infraction à cinq ans pour toute récidive. Blanchir la GRC deux fois plutôt qu'une Le 12 décembre 2006, l'Équipe des enquêtes sur les situations comportant des risques (EESCR) de la GRC remet son rapport sur le massacre de Mayerthorpe au ministère des Ressources humaines et Développement social Canada (RHDSC). Moins de deux mois plus tard, c'est au tour de l'agent de santé et sécurité des RHDSC, Bryan Lloyd, de faire de même en remettant son rapport d'enquête au sujet du même événement au commandant de la Division 'K' de la GRC, Rod Knecht. (22) Le rapport de l'EESCR laisse plusieurs questions sans réponse. Les auteurs disent ne pas savoir comment Roszko a mit la main sur trois armes à feu, ni comment il est revenu sur sa propriété sans se faire détecter. Ils admettent aussi ne pas avoir la certitude de connaître les circonstances exactes de la mort des quatre policiers «Ce qui s'est passé à l'intérieur du hangar n'est pas entièrement certain parce qu'aucun témoins n'a survécu», notent-ils. (23) Quant au rapport des RHDSC, son auteur écrit que la GRC a contrevenu au Code canadien du travail, partie II, en fournissant à ses agents des gilets pare-balles légers dont le niveau de protection se révéla inadéquat face à une arme à feu d'un calibre puissant, comme la carabine HK 91 que Roszko avait en sa possession. (24) «Les victimes auraient dû se faire fournir une plaque pare-balle appropriée avec leurs gilets pare-balles légers», mentionne le rapport, qui se montre également critique à l'égard du fait que l'agent Schiemann était dépourvu de toute protection pare-balles ce jour-là. (25) Toutefois, le poids de ces omissions est rapidement amoindrie par le fait que tant le rapport de l'EESCR que celui des RHDSC en arrivent à la même conclusion à l'effet que la tuerie qui coûta la vie à quatre policiers de la GRC est le résultat direct d'une action meurtrière préméditée qui était à la fois imprévisible et sans précédent. Cette conclusion épargne donc la hiérarchie de la Gendarmerie de toute responsabilité par négligence dans la mort des quatre constables. Dans son rapport, l'EESCR met de l'avant le caractère unique des événements de Mayerthorpe dans les annales policières canadiennes. «Il est sans précédent de voir un homme recherché par la police revenir sur les lieux où il est recherché dans le but précis de tuer des policiers. Ce serait la première fois qu'une telle chose se produit», peut-on lire. (26) Dans ce contexte, on doit donc comprendre qu'il serait pour le moins déraisonnable de critiquer les dirigeants de la GRC pour ne pas avoir pris des mesures à l'égard d'une situation hypothétique qui relève du jamais vu. En d'autres mots, comment peut-on leur tenir rigueur de ne pas avoir su prévoir l'imprévisible ? D'ailleurs, c'est justement le soi-disant caractère imprévisible du comportement de Roszko qui est considéré comme l'une des causes indirectes de la mort des quatre constables dans le rapport de l'EESCR. «Avant la fusillade, Roszko n'avait pas été identifié comme posant une menace mortelle pour la police», lit-on. (27) «Bien que Roszko était bien connu de la police, son comportement n'était pas compatible avec celui d'une personne qui pourrait être considérée comme étant une menace mortelle pour des policiers. À ce moment-là, il n'y avait rien de disponible qui aurait suggéré que Roszko avait l'intention de planifier et d'exécuter une attaque mortelle contre des policiers.» (28) De son côté, le rapport des RHDSC identifie cette même prétendue imprévisibilité comme étant le premier facteur ayant contribué au décès des quatre policiers. «James Roszko n'a pas manifesté un comportement ou des intentions qui aurait mené la GRC à croire qu'une situation de blessures graves était imminente, basée sur l'actuel outil d'évaluation des risques utilisé par la GRC, le Modèle d'intervention pour la gestion d'incidents», écrit l'auteur du rapport. (29) «Compte-tenu de l'information disponible, le comportement sans précédent manifesté par James Roszko ne pouvait pas être anticipé raisonnablement», lit-on quelques pages plus loin. (30) Il est pourtant difficile de croire que le comportement meurtrier de Roszko soit aussi inattendu et imprévisible que le prétend les deux rapports. On voit en effet mal comment la GRC pouvait ignorer les fantasmes meurtriers notoires de Roszko, ce dernier n'ayant jamais fait de grands efforts pour faire un secret de ses désirs d'enlever la vie à des policiers. C'est ce qui ressort des témoignages que certaines des personnes ayant côtoyé Roszko livrèrent à des journalistes après le massacre de Mayerthorpe. John Roszko, l'un de ses frères aînés, a déclaré à plusieurs médias que son frère James lui avait fait part, en 1992, de son intention d'assassiner un maximum de policiers avant de mourir. «Si jamais je dois partir, je vais en prendre un sacré paquet avec moi», lui avait-il déclaré. (31) Même son de cloche du côté de Brendan Duff, qui fit connaissance avec Roszko au cours de son adolescence. «Il nous l'a toujours dit, il nous l'a dit si souvent, qu'il allait tirer un policier», se rappelle-t-il. (32) Selon le journaliste de La Presse André Cédilot, qui écrit depuis nombre d'années sur l'actualité touchant aux affaires de libérations conditionnelles, Roszko était si transparent dans ses penchants pour l'homicide qu'il aurait même laissé entendre à son agent de gestion de cas qu'il aurait la peau d'un policier. C'est ce qu'indiquent les sources de Cédilot à la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC). (33) À lumière de tout ceci, peut-on envisager sérieusement que ceux qui étaient les premiers concernés par d'aussi sinistres propos, c'est-à-dire les membres de la GRC, aient pu restés bêtement dans l'ignorance alors qu'autant des gens étaient au courant du potentiel meurtrier de Roszko ? La chose apparaît d'autant plus improbable quand on sait que les policiers de Mayerthorpe étaient si peu enclins à minimiser le péril incarné par Roszko qu'ils avaient eux-même avisés son agent de libération conditionnelle de ne jamais se présenter seul chez lui, écrit encore Cédilot. «Compte-tenu de l'information disponible, le comportement sans précédent dont a fait preuve James Roszko ne pouvait pas être anticipé raisonnablement», affirme pourtant le rapport des RHDSC, avant d'ajouter: «À partir du moment où James Roszko s'enfuya de sa propriété, selon son interaction initiale avec les forces de l'ordre, le risque continua à diminuer. Alors que les heures passèrent, le niveau de risque sur les lieux fut réduit symbiotiquement.» (34) Or, cette prétention est contredite par l'agent à la retraite Mike Statnyk, pour qui l'absence de Roszko sur sa propriété n'avait rien de nécessairement rassurant. Ainsi, Statnyk raconte au Edmonton Journal qu'à l'époque où il travaillait au détachement de Mayerthorpe, la propriété de Roszko n'était jamais fouillée avant que l'on ne s'assure d'abord que celui-ci était bel et bien sous les verrous. La GRC négligea de prendre cette précaution élémentaire lors de la perquisition du 2 mars 2005, avec les résultats que l'on connaît. (35) Maintenant, comment peut-on expliquer que tant les enquêteurs de l'EESCR que ceux des RHDSC choisirent de passer sous silence dans leurs rapports cette masse d'information sur le niveau élevé de menace que représentait Roszko ? Après tout, on parle d'informations qui leur était pourtant des plus faciles à obtenir puisque les enquêteurs avaient tant accès aux articles de journaux qu'aux rapports de la GRC et ceux de la CNLC. Voilà qui ne peut faire autrement que de soulever de sérieuses questions quant au véritable but visé par les enquêtes de l'EESCR et des RHDSC. A-t-on décidé à l'avance que les deux enquêtes devraient aboutir à la conclusion que la GRC ne portait aucune responsabilité dans la mort de ses quatre agents ? La question mérite d'être posée puisque les deux rapports donnent nettement impression d'avoir été rédigés de manière à écarter tout élément susceptible de nuire à cette conclusion. Le 5 mars 2007, soit deux jours après le deuxième anniversaire du massacre de Mayerthorpe, la GRC annonce qu'elle donne suite au rapport des RHDSC en dévoilant son intention de fournir des gilets pare-balles renforcés aux membres de tous les détachements albertains. (36) Mais si les quatre policiers tués avaient porté ces nouveaux gilets pare-balles, seraient-ils encore en vie aujourd'hui ? Le sergent d'état-major Robert Meredith, qui est représentant au niveau des relations de travail pour l'Alberta en plus d'être membre du Comité national de la Santé et de la Sécurité au Travail de la GRC, croit que non. «Ça n'aurait rien changé, même s'ils avaient porté des vestes balistiques en céramique», affirme le Sgt Meredith, qui a d'ailleurs contribué à la rédaction du rapport. (37) De son côté, l’Association des Membres de la Police Montée du Québec AMPMQ, qui agit en tant que syndicat officieux des membres de la GRC, se montre peu impressionnée par le rapport des RHDSC. L'AMPMQ n'a d'ailleurs eue aucune hésitation à mettre en doute l'indépendance de l'enquête des RHDSC dans son mémoire présenté au Groupe de travail sur la gouvernance et le changement culturel à la GRC que le gouvernement canadien a mis sur pied suite au scandale du régime de retraite et d'assurance de la Gendarmerie. (38) L'AMPMQ appuie ses dires en évoquant notamment la «flagrante similarité» entre les rapports de l'EESCR et des RHDSC. L'affaire n'en reste pas là puisque, à quelques jours du troisième anniversaire du massacre de Mayerthorpe, l'Association canadienne de la Police Montée (ACMP), lance un pavé dans la marre en rejetant publiquement le rapport des RHDSC sur la tuerie. L'insatisfaction de l'ACPM est telle qu'elle exige ni plus ni moins des RHDSC de recommencer à nouveau son enquête. (39) Pour l'ACPM, le fait que l'auteur du rapport, Bryan Lloyd, a depuis été embauché à titre d'employé civil à la GRC, où il occupe un poste de responsabilité en matière de santé et sécurité au travail, est un motif supplémentaire pour douter de l'indépendance de l'enquête des RHDSC. Notons que le poste pour lequel Lloyd a été engagé a été annoncé seulement un mois après le dépôt de son rapport. Des arrestations controversées Le 7 juillet 2007, l'enquête criminelle connaît son premier développement significatif depuis la tuerie alors que la GRC annonce l'arrestation de deux hommes vivant à Barrhead, une ville située à environ 60 kilomètres de Mayerhtorpe. Shawn Hennessey, 28 ans, et son beau-frère, Dennis Cheeseman, 23 ans, doivent désormais répondre de quatre accusations de meurtre au premier degré relativement à la mort des quatre policiers abattus sur la propriété de James Roszko, 28 mois plus tôt. Précisons qu'en droit canadien, lorsque la victime d'un homicide est un policier, l'accusation qui sera portée sera invariablement celle de meurtre au premier degré, et ce, peu importe que l'accusé ait planifié ou non la mort de l'agent. De plus, une personne peut être trouvée coupable de meurtre même si elle n'a pas appuyée sur la gâchette, en autant que la preuve soit faite qu'elle contribua, ou participa, en toute connaissance de cause à rendre possible le meurtre pour lequel elle est accusée. Bizarrement, malgré les arrestations, la GRC continue de s'obstiner à entourer son enquête du plus grand secret. La seule chose que la GRC accepte de révéler, c'est que son enquête incluait «une longue opération d’infiltration», sans en dire davantage. Pour le reste, le public devra s'armer de patience. (40) «Certaines questions resteront sans réponse tant que le processus judiciaire, qui pourrait comprendre un procès et un appel, n'aura pas abouti», dit le communiqué de la GRC. Ce qui veut dire encore plusieurs années d'attente. Ce délai a également pour effet de repousser aux calendes grecques l'enquête publique que prévoit tenir le gouvernement albertain sur le massacre de Mayerthorpe. De plus, à part de reconnaître qu'aucun des deux accusés ne se trouvaient sur la propriété de Roszko la journée même du carnage, la GRC n'a divulguée aucune précision relativement aux faits qui leur sont reprochés. En agissant ainsi, la GRC ne fait qu'alimenter le scepticisme grandissant des membres de la communauté de Barrhead à l'égard de son enquête criminelle. Famille, amis, voisins, collègues de travail, ex-copines, tous réagissent avec la même incrédulité face aux graves accusations qui ont été portées contre Hennessey et Cheeseman. (41) Une employée de Kal Tire va même jusqu'à soupçonner la GRC d'avoir montée de toutes pièces les accusations dans le but de camoufler les erreurs qu'elle a commise le jour du carnage. «La police essaie juste de couvrir ses arrières», croit-elle. (42) Le doute est si répandu que même plusieurs anciens membres de la GRC se portent publiquement à la défense des deux accusés. C'est ce que fait Steve May dans une lettre ouverte publiée dans le Barrhead Leader, le journal local, où il écrit que ni Hennessey, ni Cheeseman, n'étaient une source de problèmes pour la police ou la communauté durant ses dix-sept années de service comme policier au détachement de la GRC de Barrhead. Notons qu'avant de prendre sa retraite, en 2006, May avait fait parti des nombreux policiers qui furent dépêchés sur la propriété de Roszko suite à l'hécatombe du 3 mars 2005. (43) Dirk DeJong, un officier de la GRC à la retraite comptant trente années de service, notamment à titre de commandant du détachement de Barrhead de 2003 à 2006, est du même avis. Il dit avoir bien connu Hennessey puisqu'il était un client régulier de Kal Tire à l'époque où il portait encore l'uniforme. Enfin, Dave McKenzie, un autre ancien agent de la GRC de Barrhead, a également des bons mots pour Hennessey lors d'un entretien avec un reporter du Edmonton Journal. De son côté, Steve Hunter, le patron de Kal Tire, se dit choqué d'apprendre que la GRC déploya le SWAT pour procéder à l'arrestation de Hennessey, en face de chez lui. «Il est au travail chaque jour. Ils savent où ils peuvent le trouver», dit Hunter, qui révèle aussi que Hennessey participait à une réunion avec une vingtaine d'autres personnes, à Edmonton, le matin du 3 mars 2005. (44) Chose certaine, les proches des deux accusés n'ont pas fini de tomber des nues car ils risquent d'en voir de toutes les couleurs lorsqu'ils connaîtront les détails de cette «longue opération d’infiltration» qui aboutissa aux arrestations. Car tout porte à croire que nous avons ici affaire à une enquête policière particulièrement sophistiquée. Ainsi, huit mois avant l'arrestation de Cheeseman, la vie sans histoire de ce jeune homme réputé timide bascula lorsqu'il fit une rencontre inattendue avec une jeune demoiselle attrayante disant s'appeler «Mary». Prétextant que sa voiture venait de tomber en panne juste en face de Sepallo Food Ingredients, le lieu de travail de Cheeseman, «Mary» affirmait avoir besoin d'aide. (45) Cheeseman tomba rapidement sous le charme de «Mary». Les membres de la famille de Cheeseman, qui trouvaient qu'il était temps qu'il se fasse une copine, voyaient en «Mary» une jeune femme sympathique pleine de bonnes manières. Cheeseman se mit donc à sortir avec «Mary». Lui qui n'était pas très sorteux de nature se mit à multiplier les aller-retour entre Barrhead et la grande ville d'Edmonton. Un soir, «Mary» l'amena à une fête à Edmonton. Puis, prétextant devoir quitter tôt, «Mary» abandonna Cheeseman sur place. Mais avant de partir, elle le présenta à un dénommé «Mike». À partir de ce moment, «Mike» fit plonger Cheeseman dans un monde où l'argent, les vêtements dispendieux et la drogue circulaient apparemment en abondance. «Mike» et Cheeseman devinrent vite des inséparables. Ils voyagèrent sans arrêt en Colombie-Britannique et en Saskatchewan. Un ami de Cheeseman raconta à Fifth Estate que celui-ci se faisait offrir jusqu'à 1000$ pour transporter une valise, supposément remplie d'argent, d'une province à l'autre. Ces divers éléments ne vont pas sans rappeler le fameux scénario de «Mr. Big», une tactique à laquelle GRC a déjà eu recours à plusieurs reprises dans le passé pour manipuler un suspect de façon à l'amener à avouer un crime grave, généralement un meurtre. Voici comment fonctionne le stratagème policier. Des policiers en civil se faisant passer pour des membre d'une organisation criminelle fictive entrent peu à peu dans la vie du suspect ciblé. Celui-ci est invité à effectuer certaines tâches pour le compte du faux gang. De fil en aiguille, les tâches deviennent toujours plus importantes de façon à ce que le suspect trempent de plus en plus profondément dans les activités faux gang. Un jour, on présente le suspect au leader du faux gang, qui se fait généralement appelé «Mr. Big», mais qui n'est en réalité qu'un autre policier en civil. C'est souvent à ce moment-là que les policiers en civil cherchent à soutirer la confession recherchée auprès du suspect. Après lui avoir fait goûté à un train de vie princier, on lui fait miroiter la possibilité de se joindre au faux gang et de gagner encore plus d'argent. On lui fait aussi comprendre qu'il a atteint un point de non-retour car il en sait trop sur le faux gang. Maintenant qu'il connaît les petits secrets du faux gang, alors c'est à son tour de partager ce qu'il a de plus secret... S'il est tombé dans le panneau et qu'il croit vraiment avoir à avoir affaire à un puissant caïd du monde interlope, alors il est possible que le suspect soit tenté de confesser à «Mr. Big» le crime qui intéresse au plus haut point les policiers et qui est à l'origine de cette vaste supercherie. Il est même déjà arrivé qu'un suspect confesse un crime qu'il n'a pas commis. Autrement dit, dire à «Mr. Big» ce que «Mr. Big» à envie d'entendre, que ce soit par crainte de le contrarier ou par désir d'être admis au sein du gang, ou un mélange des deux. Il peut être difficile de concevoir qu'une personne saine d'esprit confesse un crime qu'il n'a pas fait, en particulier lorsqu'il s'agit d'un meurtre crapuleux. C'est pourtant ce qui est arrivé au Manitobain George Mentuck, qui avait été la cible d'une opération de type «Mr. Big», en 1998. La police soupçonnait Mentuck d'être l'auteur de l'assassinat d'une jeune fille de 14 ans, mais manquait de preuve pour l'inculper formellement. Des policiers se faisant passer pour des gangsters se mirent alors à tisser une toile autour de lui. Ils offrirent à Mentuck beaucoup d'alcool et lui payèrent 1800$ en une semaine. Le policier en civil lui affirma que son organisation, le faux gang, «savait» qu'il avait tué cette jeune fille. Il insista pour que Mentuck l'avoue, en lui disant que cela instaurait un climat de confiance entre lui et l'organisation et qu'il pourra ensuite s'enrichir rapidement. Mais Mentuck nia. Il nia même à au moins douze reprises. Le policier en civil changea alors de tactique. Il chercha à culpabiliser Mentuck en se plaignant que son «patron» lui mettait beaucoup de pression à cause de son refus d'avouer le meurtre, et qu'il allait peut-être même perdre son «boulot». «Alors je suppose que je l'ai fait», rétorqua ensuite Mentuck, qui offrit une confession vague, bourrée d'inexactitudes et de contradictions. Deux ans plus tard, un juge l'acquitta. Le tribunal estima que cette confession, si elle n'était pas fausse, n'était certainement pas suffisamment fiable pour qu'elle soit considérée comme une admission de culpabilité. (46) Seul le temps dira si l'opération d'infiltration de la GRC correspond à une des multiples variantes du scénario «Mr. Big» et si les policiers ont réussi à soutirer des aveux d'une valeur quelconque à Cheeseman relativement au massacre de Mayerthorpe. Notons que l'enquête préliminaire des deux accusés doit débuter le 12 mai 2008. En attendant, leurs proches font des pieds et des mains pour réunir les fonds nécessaires pour payer les frais liés à leur défense, qui pourraient s'élever jusqu'à 200 000$. On rapporte même que l'épouse de Hennessey a commencé à vendre la maison et d'autres biens afin d'y arriver. (47) Une campagne de levée de fonds a aussi été lancée, incluant la mise sur pied d'un site Internet dédié aux deux accusés via lequel il est possible de verser une donation. (48) Quoiqu'il advienne du verdict, une chose est sûre: la vie de Shawn Hennessey et de Dennis Cheeseman, ainsi que celle de leurs proches, ne sera plus jamais la même. Sources pour la deuxième partie: (11) The Calgary Herald, «Some answers may be buried with the victims», Ryan Cormier, March 7, 2005, p. A4. |
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Ceci est un média alternatif de publication ouverte. Le collectif CMAQ, qui gère la validation des contributions sur le Indymedia-Québec, n'endosse aucunement les propos et ne juge pas de la véracité des informations. Ce sont les commentaires des Internautes, comme vous, qui servent à évaluer la qualité de l'information. Nous avons néanmoins une
Politique éditoriale
, qui essentiellement demande que les contributions portent sur une question d'émancipation et ne proviennent pas de médias commerciaux.
|