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France: Outreau ou l’impossible autodénonciation d’un système (VI)

Justiciable, Domingo, Noviembre 18, 2007 - 15:53

Justiciable (France)

Nicolas Sarkozy, François Fillon et Rachida Dati voudraient mettre en cause le principe même de la gratuité de l'aide juridictionnelle pour les justiciables sans ressources. Ce qu'aucun président, gouvernement ni garde des Sceaux n'avait osé dans l'histoire française récente. Une politique radicalement à l'opposé des espoirs que les citoyens avaient pu héberger lors de la diffusion du rapport parlementaire sur l'affaire d'Outreau en 2006.

Rachida Dati, Garde des Sceaux et ministre de la Justice, vient d’effrayer à nouveau « son propre camp » à l’approche des élections municipales, avec une tentative de mettre en avant une « franchise » pour l’aide juridictionnelle. La suite d’une stratégie gouvernementale qui, depuis l’automne 2006, ne cesse de s’attaquer au droit d’accès à la justice des « petits justiciables ». Exactement le contraire de ce que laissait entendre avec une rare unanimité le monde politique un an avant les élections présidentielles et législatives.

Suite et de I-V :

http://paris.indymedia.org/article.php3?id_article=51525,

http://paris.indymedia.org/article.php3?id_article=60464,

http://paris.indymedia.org/article.php3?id_article=71264,

http://paris.indymedia.org/article.php3?id_article=71928,

http://paris.indymedia.org/article.php3?id_article=75670.

 

On n’entend presque plus évoquer l’affaire d’Outreau, ni le rapport de la Commission d’enquête parlementaire qui avait pu être regardé comme formulant un certain nombre de critiques ou laissant entrevoir quelques promesses. A présent, on n’entend guère les députés qui avaient fait partie de la Commission et les médias ne nous parlent plus des justiciables qui avaient été victimes de cette affaire. En réalité, les « réformes » de la justice entreprises depuis l’automne 2006 sont allées dans un sens opposé aux attentes des « petits justiciables ». Si le rapport sur Outreau avait, au moins, mis en évidence des situations de détenus quasiment sans défense, et si le rapport du commissaire européen Alvaro Gil-Robles avait, juste avant, dénoncé la situation des prisons françaises, à présent on parle le moins possible de ces questions « qui fâchent ».

En plein tollé suscité par les annonces de suppression de tribunaux, qui n’ont rien à voir avec une politique moins répressive à l’égard des plus démunis mais exactement le contraire, Rachida Dati en rajoute encore avec une attaque en bonne et due forme contre l’aide juridictionnelle. Mais le pire est que, dans l’hypothèse où le projet serait retiré, il existe d’autres moyens de faire passer la même politique. Par exemple, en exerçant une pression budgétaire qui incite les bureaux d’aide juridictionnelle (BAJ) et les juridictions à rejeter un maximum de demandes. En réalité, cette politique est déjà en place depuis des années.

Un article récent évoquait les difficultés rencontrées par une étudiante de doctorat avec de très faibles ressources pour obtenir l’aide juridictionnelle afin de se pourvoir en cassation contre une ordonnance de la Cour Administrative d’Appel de Paris, aux termes de laquelle la Charte des Thèses « ne contient aucune obligation contraignante tant pour le directeur de thèse que pour le doctorant ». L’aide juridictionnelle lui est refusée au motif d’une prétendue « absence de moyens sérieux susceptibles de convaincre le juge de cassation ». L’article souligne l’intérêt citoyen qu’aurait cette aide juridictionnelle afin d’obtenir un arrêt circonstancié du Conseil d’Etat sur la question de la valeur réglementaire de la Charte des Thèses, le ministère d’avocat étant obligatoire en l’espèce Mais il convient de préciser que de telles situations deviennent de plus en plus fréquentes dans un large domaine de contentieux.

Le problème est même ressenti de manière plus globale. Chronique ouvrière parle ouvertement de « barrage anti-justiciable », avec ce commentaire : « Faudra t-il bientôt s’attacher les services d’un avocat à la Cour de cassation pour déposer une demande d’aide juridictionnelle ou pour demander une copie d’un arrêt dans une affaire où l’on est partie ? ». Le site diffuse une requête adressée à la Cour Européenne des Droits de l’Homme, par laquelle « il est demandé à la Cour de juger que les dispositions de l’article 39 du décret du 20 août 2004, qui mettent fin en matière prud’homale [pour la cassation en matière sociale] à la dispense d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, portent atteinte à la substance même du droit à un tribunal et, par là-même, violent l’article 6 § 1 de la Convention » [européenne des Droits de l’Homme]. La requête souligne notamment que « la combinaison de la représentation obligatoire pour former le pourvoi en cassation et de l’appréciation du caractère sérieux du moyen de cassation pour octroyer l’aide juridictionnelle a pour effet de refuser l’accès au juge de cassation au justiciable qui n’a pas les moyens financiers de recourir aux services d’un avocat à la Cour de cassation ». C’est exactement la même situation à laquelle se trouve confrontée la doctorante qui voudrait pouvoir plaider, auprès du Conseil d’Etat, le caractère réglementaire de la Charte des Thèses.

En réalité, cette thématique a déjà été présentée à plusieurs reprises devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), comme on peut le constater par une recherche sur le site de la Cour. Non sans certaines variations. Ajoutons, comme déjà souligné dans mes articles précédents, que l’évolution de la justice française vers des procédés de plus en plus sommaires s’est largement inspirée des pratiques de la CEDH qui juge actuellement autour de 3000 affaires par an en audience publique alors qu’elle est saisie d’environ 60.000 recours par an. La CEDH élimine la majorité des recours par une simple « lettre type » sans aucun descriptif de l’affaire ni motivation adaptée à l’espèce.

L’édition Dalloz 2000 du Nouveau Code de Procédure Civile publiait la loi 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle, avec ce commentaire : « Problème du filtrage des demandes. Le bureau d’assistance judiciaire (belge) n’avait pas à apprécier les chances de succès du pourvoi en cassation envisagé. Il appartenait à la Coure de cassation (belge) d’en décider. En rejetant la demande au motif que la prétention ne paraissait pas actuellement juste, le bureau d’assistance judiciaire a porté atteinte à la substance même du droit du requérant à un tribunal. ». Le commentaire se réfère à l’arrêt de la CEDH du 29 juillet 1998 Aerts c/ Belgique. Mais, dans des jugements postérieurs, la Cour a rendu des décisions d’un contenu très différent.

Dans un arrêt de 2002 concernant la France (Del Sol, 26 février 2002), la CEDH a estimé que : « le système mis en place par le législateur français offre des garanties substantielles aux individus, de nature à les préserver de l'arbitraire : d'une part, le bureau d'aide juridictionnelle établi près la Cour de cassation est présidé par un magistrat du siège de cette cour et comprend également son greffier en chef, deux membres choisis par la haute juridiction, deux fonctionnaires, deux avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, ainsi qu'un membre désigné au titre des usagers (article 16 de la loi du 10 juillet 1991 susmentionnée) ; d'autre part, les décisions de rejet peuvent faire l'objet d'un recours devant le premier président de la Cour de cassation (article 23 de la loi). Au surplus, la requérante avait pu faire entendre sa cause en première instance, puis en appel. ». Avec tout le respect dû à la Cour européenne, on peut éprouver quelque difficulté à comprendre cette dernière phrase, dès lors que le débat porte sur le droit d’accès aux juridictions de cassation censées être ouvertes à tout citoyen.

Quant à la notion de la « préserver de l’arbitraire », il reste que la différence est substantielle entre un bureau d’aide juridictionnelle ou un magistrat représentant la présidence d’une juridiction, et la formation collégiale prévue par la loi pour étudier les pourvois de cassation, avec un rapporteur et l’intervention d’un commissaire du gouvernement ou d’un avocat général. Et lorsque quelqu’un disposant de moyens financiers confie son affaire à un avocat spécialisé, c’est l’avocat et pas l’intéressé qui se charge de rechercher et mettre en forme les moyens de cassation. Ceux qui peuvent payer un avocat aux Conseils ne sont pas obligés de chercher par eux–mêmes des « moyens de cassation sérieux ». L’égalité devant la justice n’existe donc pas dans la pratique.

L’arrêt Del Sol avait d’ailleurs donné lieu à une « opinion dissidente » émise par deux des juges, lesquels ont notamment écrit dans un texte joint à l’arrêt : « … seuls les justiciables les plus démunis, ceux qui sont amenés à demander l'aide judiciaire, sont soumis à un examen préalable du caractère sérieux de leur pourvoi en cassation. A défaut de « justification objective et raisonnable », la différence de traitement est susceptible de constituer une discrimination. Aucun dispositif ne peut avoir pour effet de porter atteinte, pour une catégorie de justiciables, à la substance du droit à un tribunal garanti par l'article 6 de la Convention, atteinte qui ne peut être compensée par les garanties, même substantielles, qui entourent le système mis en place ». Mais dans un arrêt récent (Vallar c. France, 4 octobre 2007), sur l’affaire d’un salarié licencié alors qu’il était conseiller prud’homal, la CEDH a maintenu la position de son arrêt de 2002 et considéré que : « … le bureau d'aide juridictionnelle et le conseiller délégué par le premier président de la Cour de cassation ont rejeté les demandes litigieuses au motif qu'il n'apparaissait pas de l'examen des pièces de la procédure, qu'un moyen de cassation était susceptible d'être utilement soulevé au sens de l'article 7 de la loi du 10 juillet 1991. La Cour rappelle que dans l'affaire Del Sol c. France (no 46800/99, § 26, CEDH 2002-II), elle a conclu que le système mis en place par le législateur français s'agissant de l'assistance judiciaire devant la Cour de cassation offrait des garanties substantielles aux individus, de nature à les préserver de l'arbitraire. La Cour ne voit pas de raisons de s'écarter de cette approche en l'espèce ».

Pourtant, si le ministère d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation est obligatoire et le requérant ne peut pas disposer de l’aide d’un avocat, le BAJ et la présidence de la juridiction jugent de fait l’affaire. Il y a donc une procédure, via le BAJ, pour ceux qui ne disposent pas de ressources, et une autre, celle affichée par les textes, pour ceux qui disposent des moyens pour payer un avocat. C’est un fossé qui se creuse, mais dont gouvernement et parlementaires évitent soigneusement de parler.

Ajoutons également que les parlementaires de l’UMP ont de quoi s’inquiéter, pour peu que les justiciables qui les avaient sollicités avant les dernières élections présidentielles et législatives se souviennent de leurs promesses de l’époque. Le rapportde la Convention de l’UMP sur la Justice de mai 2006 proclamait notamment : « 3.1 Les citoyens ne sont pas égaux dans l’accès à la justice. Le droit d’accès à la justice est indissociable de l’Etat de droit. Il garantit en effet que chaque individu peut faire valoir ses droits et obtenir réparation en cas de dommage, que ce soit face à la puissance publique ou face à un tiers. Or, si le droit d’accès à la justice est incontestablement respecté, les conditions d’accès sont quant à elles inégales. Parce qu’accéder à la justice n’est pas toujours gratuit et que l’aide juridictionnelle n’est pas accordée à tous, de nombreux Français rencontrent d’importants obstacles financiers pour atteindre la justice. (…) 3.1.2 L’aide juridictionnelle ne garantit pas l’accès des classes moyennes à la justice. (…) Dans la plupart des cas, les Français disposent de revenus qui sont à la fois trop importants pour bénéficier de l’aide juridictionnelle et trop faible pour pouvoir facilement faire face aux frais de justice ». Autant admettre que le droit d’accès à la justice de la plupart des Français est purement théorique, et l’évolution actuelle ne fera qu’aggraver cette situation.

Si en France les « petits justiciables » sont de plus en plus ouvertement marginalisés, la situation s’annonce encore pire sur le plan européen avec le retour en force, à quelques formes près, du Traité rejeté par référendum en 2005 et qui, sur le plan de la justice et des droits de la personne, comporte de sérieuses régressions.

En somme, ni l’affaire d’Outreau ni les débats que cette affaire a suscités ne semblent avoir « appris » grand-chose au monde politique, ni amené des évolutions institutionnelles positives. Bien au contraire, qu’il s’agisse de « décideurs » français ou européens, l’attitude collective consiste à se renfermer dans la défense d’une conception dure de la puissance institutionnelle et patronale. Quant aux moyens de l’accès à la justice, ils s’installent de plus en plus clairement dans un domaine marchand, loin de la portée de la majorité de la population.


Justiciable

just...@yahoo.fr
http://www.geocities.com/justiciable_fr



Asunto: 
Suppression annoncée de 63 conseils de prud'hommes français
Autor: 
Justiciable
Fecha: 
Mar, 2007-11-20 12:26

Sarkozy, Fillon, Dati et la suppression annoncée de 63 conseils de prud'hommes

En 2006, l'UMP parlait de "proximité" des institutions envers les citoyens, d'accès à la justice... Jusqu'à reconnaître que, sur le plan financier, cet accès pose un réel problème à la majorité de la population. Le rapport parlementaire sur l'affaire d'Outreau, diffusé moins d'un an avant les élections présidentielles, avait même pu faire naître quelques espoirs parmi les citoyens qui ne se sont pas méfiés des promesses des politiques. Mais, depuis l'automne 2006, les différents gouvernements ont poursuivi dans la pratique une politique "dure", exactement dans le sens contraire de celui des bonnes paroles administrées au public via les médias.

A présent, cette politique est affichée au grand jour. Après avoir annoncé la suppression de 23 tribunaux de grande instance sur 181 et de 176 tribunaux d'instance sur 473, et avoir tenté sans trop de succès apparent de "faire passer" l'idée d'une "franchise" sur l'aide juridictionnelle, Rachida Dati, manifestement soutenue par Nicolas Sarkozy et François Fillon, vient d'annoncer la suppression de 63 conseils de prud'hommes sur 271.

Je venais de diffuser, dimanche, mon article:

Outreau ou l'impossible autodénonciation d'un système (VI)

lorsque la nouvelle de la suppression de 63 conseils de prud'hommes a été annoncée. Lundi, après avoir rencontré le cabinet de Rachida Dati, les représentants des organisations syndicales viennent de déclarer qu'à leur avis l'opération de suppression de 63 conseils de prud'hommes est "déjà bouclée":

http://www.lemonde.fr/web/depeches/0,14-0,39-33283278@7-40,0.html

Il est question de déplacer 1300 fonctionnaires environ. Quant aux justiciables, en l'espèce les salariés, personne ne semble se soucier de demander leur avis.

Quelques jours plus tôt, un autre internaute avait évoqué les problèmes rencontrés par une doctorante avec de très faibles ressources pour se pourvoir en cassation auprès du Conseil d'Etat sur la question de la valeur réglementaire de la Charte des Thèses:

Universités : saura-t-on un jour la valeur légale de la charte des thèses ?

http://lille.indymedia.org/spip.php?article10667

Si le barrage financier opposé aux justiciables est déjà très lourd de conséquences, ces suppressions de tribunaux ne manqueront pas de générer un certain nombre de barrages géographiques.

Pour le "petit citoyen", la Justice devient de plus en plus une institution qui peut le frapper à tout moment, mais qu'il peut difficilement saisir lui-même de son propre chef. Les différents gouvernements qui se sont succédés depuis les années 1990 ont progressivement renforcé la logique répressive et affaibli les possibilités d'accès spontané des citoyens à cette institution: mise en place d'un nombre croissant de possibilités de rejet de recours par simple ordonnance, généralisation de l'obligation de ministère d'avocat, gestion de plus en plus restrictive de l'aide juridictionnelle...

Une stratégie clairement favorable aux plus riches et puissants, au détriment des citoyens "de base". A présent, l'équipe Sarkozy - Fillon - Dati en franchit les étapes à une vitesse accélérée.

Justiciable

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